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Facettes et fonctionnement de processus de transition intervenant dans la construction de l'identité professionnelle de l'instituteur- Analyse sociologique -

Auteur(s) : CAMANA Christiane

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bull2.gif (117 octets)   Cette contribution est le fruit d'une thèse de doctorat de 3ème cycle préparée et soutenue à l'Université de Paris V - René-Descartes - . ( 1999 )
bull2.gif (117 octets)  Questions principales
bull2.gif (117 octets)  M.HÜBERMAN, dans la vie des enseignants, dit que 26 % des enseignants vivent cette phase. A ce jour, cette phase professionnelle qu'il qualifie de crise, n'a pas fait objet d'étude. La recherche relate et analyse un moment de la vie professionnelle où le rapport au métier est changé, troublé, l'instituteur n'est plus heureux ; il est malade du métier qu'il aimait ; il ne s'en explique pas les raisons. L'étude rend compte d'une rupture ressentie par l'instituteur au fil de sa trajectoire professionnelle alors qu'il a capitalisé huit à quinze ans d'expérience : une certaine manière d'attester que la vie professionnelle se déroule dans une linéarité absente. D'abord, je définirai les mots phase de remise en question et de crise pris au sens d'HÜBERMAN. La phase de remise en question est un simple bilan de compétences, elle ne fait pas obligatoirement souffrir ; elle peut se répéter. Il est intéressant d'examiner en quoi elles sont différentes quand elles se succèdent. A l'instar de la phase de la remise en question, la crise est porteuse de caractéristiques plus ou moins graves en lien avec la santé. Deux questions : quelles sont les facettes de la crise ; quel processus est à l'œuvre et quel fonctionnement revêt ce processus ? Les concepts de référence sont ceux d'une part ceux de Pierre BOURDIEU : habitus, champ, effets de champ, position sociale et espace social, ceux d'Erving GOFFMAN : stigmatisation et interaction, d'autre part. La méthodologie utilisée est celle de l'histoire de vie. D'emblée, un travail " réflexif " partant de vécus subjectifs de quatre interviewés est annoncé. Des écueils et des biais ont été relevés. Les indicateurs de Christina MASLACH (U.S.A.) sont utilisés. (Indicateurs cliniques) Des troubles plus ou moins graves apparaissent et sont constitutifs d'un frein voire d'une impossibilité à faire classe. 1./ La santé est menacée : l'angoisse, le stress, la fatigue matinale, l'épuisement à la fin de la journée, le manque de patience déclinent un épuisement émotionnel et affectif. 2./ Avoir le sentiment de ne pouvoir influencer d'autres personnes, travailler trop, se sentir dépossédé d'une atmosphère détendue avec les élèves en mettant trop de stress sur soi, sont des indicateurs supplémentaires que la crise avive. 3./ Se sentir au bout de ses forces, avoir le sentiment de ne plus accomplir des choses valables dans la pratique de classe, annuler les activités extra-professionnelles parce que le temps et la force pour les faire manquent, engendrent une dépersonnalisation - sournoise - . Les résultats sont nourris par production d'hypothèses. 1. La phase de remise en question et/ou la crise apparaissent quel que soit le milieu social d'origine, quel que soit le sexe de l'enseignant. La remise en question est directement liée à la pratique de classe, elle s'installe après une capitalisation d'expériences pédagogiques. La crise professionnelle est un moment particulier où la santé de l'instituteur est mise à mal. Dépression, ulcère à l'estomac sont les maladies que ce travail montre. La temporalité ne se fabrique plus, la synchronie de l'action élève-maître disparaît. La peur de perdre du temps de classe, de ne pas boucler le programme accroît le symptôme. La solitude : l'instituteur est hors-jeu ; il est seul. La solitude naît du malaise ressenti. La phase de remise en question et/ou de crise ne se parle pas ; elle est tenue secrète et de ce fait, isole l'instituteur aux prises avec une double contrainte : celle de répondre en tant qu'agent institutionnel aux règles de l'école et celle de laisser s'exprimer sa façon d'être socialement constituée par les différents habitus connectés à l'espace social dont l'agent est issu. Le délitement est un aspect saillant de cette période professionnelle. Le secret social prend le rôle d'un masque de la crise, d'une stigmatisation toute relative puisque cachée, dissimulée.
2. Le fonctionnement du processus de crise : il varie selon la position sociale et l'espace social qui ont traversé l'enfance de l'agent en crise.
2.1. Dans un premier temps, prenons un agent à la position dominante issu d'un espace social dominant, c'est à dire à l'origine sociale aisée. L'identité sociale est forte d'un capital lié à son passé. L'enseignant en crise ne se reconnaît plus dans sa pratique pédagogique. Celle-ci ne correspond plus à son propre système de valeurs. Un seuil minimal de ressemblance des caractéristiques personnelles est atteint voire dépassé. L'agent s'est construit un habitus professionnel sur un modèle sans lien avec sa façon d'être. Un espace de ratage, de décalage, comme dit Pierre BOURDIEU, s'installe et met en relief la différence de l'agent social vis à vis des autres ce qui explique qu'il se mette en retrait afin d'éviter une stigmatisation relativisée par ce retrait faisant office de masque. Celui-ci n'apprécie plus qui il est, pas davantage ce qu'il fait dans sa pratique de classe. Il n'est plus en cohérence d'existence. Il vit une sorte de discrédit qu'il s'inflige. Au moment de la crise, l'enseignant ne se retrouve plus avec l'identité sociale qui était la sienne. Il vit un déclassement social ( comme un déclin ). Au fil du temps, après la formation initiale, après l'entrée dans le métier ( " premier choc du réel " dit Michaël Hüberman. ) un travail souterrain s'effectue après des années au fil desquelles des compétences se construisent. Un travail sous-terrain s'effectue. L'enseignant est confronté aux choix qu'il fait ; soit il les accepte, soit il les met en question. Dans le second cas, de façon - apparemment soudaine - , les pratiques quotidiennes au sein de la classe sont déniées, puis mises à distance, enfin rejetées. L'identité professionnelle loin de se construire, est - en suspens - , puis se déconstruit. Rien ne remplace pour autant ce qui est considéré comme n'étant plus approprié. L'absence de catalyseurs - à ce moment-là - crée un espace propice au développement de la crise. On pourrait penser que les facteurs institutionnels sont susceptibles d'atténuer la crise, qu'ils sont les seuls catalyseurs. Il n'en est rien. Ces facteurs ne résorbent pas la crise. Une bonne ambiance à l'école et/ou une légitimité reconnue de la part de l'inspecteur ne suffisent pas à résorber la crise. Les résultats montrent qu'ils atténuent - momentanément - mais ne peuvent annuler la force du processus tenace, enclenché sournoisement. Dans le cas des agents dominants, en allant puiser dans la petite enfance, les composantes de vie habitus professionnel conforme au groupe professionnel opère une première phase d'évolution constructive : la phase de recomposition suivie d'une seconde phase d'évolution qualifiée d!émergence. L'effet de la prise de conscience procède d'un mouvement inverse qui participe à un renversement de valeurs et de pratiques que les enseignants vont réincruster dans leur nouvelle pratique de métier.
2.2. Dans le second cas, celui d'un agent issu d'un milieu social plus humble, l'enseignant a vécu une ascension sociale par le truchement de l'école. La crise survient quand l'évidence des choix correspondant au style de vie des enseignants, ne paraît plus en cohérence avec celui-ci. Ceci est le facteur déclencheur de la crise. Des facteurs externes peuvent être également déclencher la crise. ( exemple : les parents d'élèves )
bull2.gif (117 octets)  Le sens que revêt le mal-être pour ces agents au passé dominé, est l'impossibilité de justifier ce qu'ils font. Ils ne peuvent, comme dit Pierre BOURDIEU, justifier leur propre justification. Exemple : Comment défendre les valeurs de l'école active, les voyages scolaires face aux questions des parents tandis les arguments de l'enseignant en crise manquent, tandis que le modèle du maître traditionnel fait résurgence et que l'agent en crise comptabilise des heures d'apprentissage plus nombreuses versus maître traditionnel. La question qui se pose à lui n'est pas innocente : Lequel des deux maîtres est le bon maître ? Ne pas être en mesure d'apporter de réponse à cette question majeure renforce le processus de crise. Ne pas comprendre, ne pas pouvoir expliquer sont des caractéristiques du processus de crise.
bull2.gif (117 octets)  Dans ce second cas : celui des agents issus d'un espace social dominé, la mise en paroles de leur histoire sociale puis la prise de conscience vont les conduire à accepter les choix pratiques nés de la culture professionnelle. A ce moment de leur vie, en se narrant, ils comprennent que leurs choix n'ont rien à voir avec leur passé social mais qu'ils correspondent avec ce qu'il y a de mieux pour les enfants à l'école, selon leur point de vue d'enseignant.( l'idéal de métier) Celui-ci a construit un nouveau système de valeurs grâce à l'école. Leur point de vue est étranger au mode de fonctionnement social de leur enfance. Les trois derniers récits confirment cette assertion. Leur culture actuelle est une culture professionnelle ; ils en déclinent les valeurs qui s'y attachent. En d'autres termes, les instituteurs issus d'un milieu social dominé, et qui se sont déplacés dans l'espace des positions sociales ont modifié leurs pratiques. Ne pouvoir justifier le sens de celles-ci explique un déficit de sens duquel naît la crise.
bull2.gif (117 octets)  Conclusion
bull2.gif (117 octets)  La crise étudiée au fil de cette recherche est une crise de la légitimité - momentanément absente - . Expliquer les propres principes de fonctionnement de l'individu revient à expliciter et par-delà à supprimer les symptômes. Cette possibilité s'ouvre quand les troubles s'atténuent. Alors un travail de connexion du passé et du présent s'ajuste. La phase de recomposition ouvre des perspectives de reconstruction d'une identité professionnelle - au demeurant fragile - . La phase d'émergence donne à voir un discours distancié, un net recul sur des choix desquels l'altérité de l'agent n'est plus fragilisée. L'individu, après avoir chassé la maladie, se réorganise dans un processus auto-référentiel en même temps qu'il fait face - plus ou moins gravement - aux perturbations venues du monde extérieur. L'individu construit sur le mode d'un système ouvert ( les différents habitus ) bascule sur une autre configuration sociale articulée à une configuration structurelle pour déplier une praxis " nouvelle ".
bull2.gif (117 octets)  La crise professionnelle d'HÜBERMAN est un espace de transition montrant des comportements à la fois stables enfouis, réactivés donc flexibles. C'est dans ce moment de réactivation puis de stabilité et de flexibilité que le système complexe imbriqué au processus permet un ajustement à un environnement professionnel et plus largement social. Cette recherche combine l'approche de la connexion et la complexité issue des systèmes sociaux dynamiques non linéaires dans lesquels des formes fragiles émergent subitement.