Biennale 5
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Tentative de description hypotopique d'un discours : EDUCATION PERMANENTE, une revue scientifique et un champ en construction

Auteur(s) : BOUTHORS Mathilde

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bull2.gif (117 octets)   Il ne peut y avoir transmission des savoirs qu'à travers leur communication, c'est à dire leur mise en commun entre plusieurs personnes partageant les mêmes intérêts. Cette mise en commun s'effectue au moyen des supports écrits que sont les ouvrages et les périodiques. La communication de la science représente une partie de la transmission des savoirs et utilise les mêmes moyens, les ouvrages et les périodiques dont la particularité est d'être scientifiques puisqu'ils transmettent la science. Or, cette distinction amènerait à considérer que la science se construit indépendamment de son expression et de sa transmission. En revanche si on émet l'hypothèse selon laquelle il ne peut y avoir d'élaboration de la science sans son expression et qu'au contraire la science réside dans son expression, les revues dont le fonctionnement a des répercussion sur l'élaboration d'un objet scientifique, d'un champ ou d'une théorie peuvent être porteuses d'une mémoire de l'action.
bull2.gif (117 octets)  La recherche en éducation et en formation est un terrain privilégié pour vérifier cette hypothèse du fait même de son statut épistémologique à stabiliser. En effet, plusieurs revues ont été créées il y a une trentaine d'années, autour de mai 68 et de la création de la section 70 sciences de l'éducation à l'université en 1967. Ces revues dont la Revue Française de pédagogie, les Sciences de l'Education, Education Permanente furent lancées afin constituer l'éducation et la formation en objet de science. Comment cette construction se manifeste-t-elle à travers l'analyse des supports ? A cet égard, la revue Education Permanente a la particularité de concerner un terrain particulièrement diffus au regard de la science et de sa rhétorique.
bull2.gif (117 octets)  Les circonstances de la création de la revue
bull2.gif (117 octets)  Education permanente fut créée, il y a trente ans, en 1969. La première originalité qui caractérise sa création réside dans son origine géographique. En effet, cette revue au rayonnement national, fut créée à Nancy sous les auspices de deux établissements : l'Institut national de la formation des adultes (INFA) qui avait été fondé en 1965 et avait le statut d'établissement de recherche à caractère scientifique et le Centre universitaire de coopération économique et sociale de Nancy (CUCES), fondé lui en 1954, les deux établissements étaient sous la tutelle du ministère de l'Education nationale. Bertrand Schwartz était directeur de cet établissement depuis 1959 et directeur de l'INFA depuis sa création. Ainsi, la création d'une revue relative à l'Education Permanente est le fait d'une volonté ministérielle, à l'instar de la Revue française de pédagogie, et sa mise en œuvre est le résultat de l'action volontariste d'un homme, Bertrand Schwartz, bien qu'il n'apparaisse que comme Directeur de la publication, c'est-à-dire comme le responsable juridique de la revue.
bull2.gif (117 octets)  La volonté d'une mise en perspective scientifique de la revue apparaît dès le premier numéro dans le fait qu'elle est éditée par l'INFA, centre de recherche et non par le CUCES. Cependant l'évolution de ses appartenances éditoriales et la diversité des auteurs et des contenus laissent apparaître que la revue n'est pas destinée à valoriser les productions d'une institution, ce qui est probablement lié à la fragilité des institutions de la formation permanente au début de sa création. En effet, l'INFA fut supprimé en 1973. La revue fut alors éditée au sein de l'Agence pour le développement de l'éducation permanente (ADEP), puis à partir de 1981 à l'université de Paris X sous les auspices de l'association de l'éducation permanent créée pour être le soutien institutionnel de la revue.
bull2.gif (117 octets)  Malgré cette instabilité institutionnelle, la revue a conservé un certain nombre de constantes tout au long de ces trente ans : revue trimestrielle, elle a conservé le même format in octavo et le même nombre de pages. Autre constante, elle a conservé le même titre. A cette étape, il convient de préciser que la définition d'une revue scientifique est soit d'ordre social : est scientifique une revue qui contient des écrits produits par des scientifiques ; soit relève de l'argument d'autorité : est scientifique la revue dont le texte et le péritexte correspondent aux " normes " éditoriales et scientifiques, délivrées en France par le CNRS. On peut également tenter de caractériser le discours tel qu'en lui-même, à partir des contenus (analyse des sommaires, du péritexte, du métalangage et de la disposition hypotopique du texte). On fait alors l'hypothèse qu'on peut situer la revue dans l'environnement scientifique.
bull2.gif (117 octets)  A la lecture de l'ensemble de la revue, on note un certain infléchissement qui se situe sur trois périodes : les années 70, où la notion éducation permanente puis formation est abordée à l'échelle nationale ; pendant les années 1980, elle est plutôt traitée au plan catégoriel, enfin les années 1990 laissent une place de plus en plus grande à l'individu.
bull2.gif (117 octets)  L'Education permanente, un concept utopique
bull2.gif (117 octets)  Le titre de la revue est à la fois son manifeste et son objet scientifique à construire. On peut dégager trois composantes dans l'article de Bertrand Schwartz : Pour une éducation permanente, Education Permanente, mars 1969, n°1. La première est une composante militante ayant partie liée avec la promotion des travailleurs, et dans cette perspective, la revue est considérée comme un instrument d'intervention sociale. L'Education permanente est donc le lieu d'une intervention sur les personnes. La deuxième composante de l'Education permanente est d'oeuvrer à l'institutionnalisation de l'Education permanente, tant au travers de la loi sur la Formation continue qui fut adoptée en 1971 que sur les établissements de formation. La troisième composante consiste à jeter les bases d'un savoir formalisé rationnel spécifique par un effort d'objectivation en référence à des disciplines.
bull2.gif (117 octets)  La première dynamique : la rationalisation des pratiques
bull2.gif (117 octets)  D'emblée, la recherche dans le domaine de l'Education permanente ne peut se comparer ni au mouvement de la science tel qu'il s'est constitué en physique nucléaire : recherche fondamentale, recherche appliquée ni à l'inverse, celui qu'on observe dans le domaine de l'énergie où la réalisation technique, la machine à vapeur, a précédé la recherche fondamentale. Ici la recherche en formation est posée comme une praxéologie où le politique et le scientifique sont imbriqués et dont la scientificité passe par la rationalisation distanciée. Au plan des contenus de la revue, cette première dynamique se traduit par une grande variété des thèmes abordés, avec, surtout, les 5 premières années, des interrogations sur le système éducatif initial, notamment sur la formation professionnelle mais aussi sur la pédagogie. Mais très vite, dès le n° 5, le besoin d'organiser et de rationaliser s'exprime par le regroupement par thème des articles dans un même numéro et un intitulé générique " année 1970 : année internationale de l'éducation ", par exemple. Les numéros deviendront thématiques avec un titre générique quasi-systématiquement à part un n° par an qui regroupe des articles traitant diverses questions. Parallèlement à la construction de l'éducation permanente comme objet social, une communauté de métier est en discussion, en construction : qu'est-ce qu'un formateur ? quel est son domaine d'intervention ? Se distingue-t-il d'un enseignant ? La reconnaissance des travailleurs sociaux parmi les formateurs par exemple n'allait pas de soit et fut clairement affirmée en 1979.
bull2.gif (117 octets)  De 1969 à 1980, les articles sont pour moitié des articles de réflexion ou de débat institutionnel : ils sont relatifs aux modes d'application de la loi, au rôle du ministère de l'Education nationale, de l'Université, au rôle des partenaires sociaux et plus particulièrement des syndicats. Le reste des articles de cette période concerne les contenus de la formation. On peut dégager essentiellement trois types d'articles : des articles descriptifs d'outils pédagogiques, des relations d'expériences rationalisées a posteriori, et quelques articles théoriques à préoccupation épistémologique. Les relations d'expérience à visée de témoignage sont rares ainsi qu'à l'opposé, les articles théoriques à orientation épistémologique. Par ailleurs, les articles correspondant à des comptes rendus de recherche sont rares également.
bull2.gif (117 octets)  La métalangue qui caractérise les articles durant cette période dénote la recherche d'un genre. En effet, une bonne partie des articles est définie par leur auteur : "c'est une réflexion, c'est une étude, c'est un compte rendu d'expérience, etc.". Quant au péritexte, tel qu'il est imposé par les normes internationales relayées par le CNRS, il est rarement observé si ce n'est dans les quelques articles théoriques, et dans ce cas, il correspond aux normes de l'érudition humaniste (notes en bas de page). En revanche, lorsqu'un article observe ces normes, il provient d'un auteur étranger. Les auteurs sont quant à eux pour la plupart, soit des praticiens de la formation impliqués le cas échéant dans des recherches, soit des décideurs du secteur public ou privé, soit des représentants syndicaux. Les universitaires en titre sont une minorité.
bull2.gif (117 octets)  Si on tente une description hypotopique de cette dynamique, on peut mettre au jour la rencontre de deux schémas d'externalisation de la mémoire qui entrent en conflit et donnent une sensation d'éparpillement de la logique. Les articles relevant soit du débat politique, soit de la réflexion., même si l'unité réside dans une notion commune sous-jacente, l'éducation permanente, semblent juxtaposés. Leur juxtaposition peut évoquer le dessin des Arts de la mémoire où le lecteur parcourt l'intérieur d'une tour et s'arrête en des lieux successifs de la connaissance. En revanche, les articles d'expérience rationalisée dénotent une dynamique qui part des praxis sociales. Le praticien part de sa pratique, le centre, la projette par la formalisation et produit du savoir à partir de sa pratique dans différentes directions. Cette dynamique évoque celle du schéma bourdieusin des champs scientifiques mais il lui manque les savoirs constitués des sciences sociales.
bull2.gif (117 octets)  La deuxième dynamique : l'éclairage scientifique
bull2.gif (117 octets)  A partir de 1981, Guy Jobert devient rédacteur en chef de la revue jusqu'à aujourd'hui. Cette stabilité a certainement des conséquences sur celle de la revue ; de même l'origine universitaire des auteurs est une explication sociale de l'évolution des articles vers une plus grande scientificité. L'universitarisation de la revue à la fin des années 70 et au début des années 80 passe d'ailleurs par le parcours biographique de nombre de ses auteurs qui de praticiens deviennent universitaires.
bull2.gif (117 octets)  Peut-on repérer des signes autres que les faits sociaux pour caractériser l'évolution de la revue ? Au plan des contenus, la lecture des sommaires indiquent une montée en puissance de l'emploi du terme formation dans les titres thématiques. Ceci dénote le souci de fédérer les démarches autour de cette notion devenue centrale. Cependant, les contenus restent très divers et multiples : des mutations technologiques aux histoires de vie, même s'ils se situent dans une dimension catégotielle plutôt que nationale, comme c'était le cas de la première période. Par conséquent l'universitarisation des contenus ne se manifeste pas dans la diminution du nombre de sujets différents abordés.
bull2.gif (117 octets)  Dans un deuxième temps, la recherche de signes rhétoriques au fil de la lecture des articles fait apparaître la suppression du métalangage destiné à définir le genre. Ce métalangage fait place à un autre parfois : définition de la méthodologie ou du cadre théorique dans lequel s'inscrit tel ou tel article. Cependant, ces signes ne suffisent pas à caractériser en eux-mêmes la structuration forte qui se dégage de la dynamique de la deuxième période. Le péritexte selon les normes n'est pas observé dans sa globalité. Dans la mesure où il l'est par certains auteurs, et dans la mesure où les résumés, autre norme internationale, deviennent systématiques ainsi que leur traduction en anglais, on peut conclure que la rédaction laisse le libre choix aux auteurs de la présentation de leur appareil critique.
bull2.gif (117 octets)  L'indice le plus fort de la scientificisation du discours de la revue réside dans la mise au jour du schéma hypotopique de son organisation. Il s'agit dans cette deuxième dynamique moins de produire des savoirs de la pratique que de penser les pratiques à partir d'éclairages extérieurs, à partir de regards pluridisciplinaires et qui sont plutôt des savoirs constitués. Le centre est indubitablement les pratiques sociales sur lesquels se focalisent les regards pluridisciplinaires des savoirs constitués des sciences humaines. Le choix d'orientation de la revue a intégré le schéma bourdieusin des champs scientifiques dans l'agencement de ses articles et de ses thématiques. Ainsi, le schéma centrifuge observé dans la première dynamique s'est inversé en schéma centripète de la mobilisation des savoirs constitués sur un objet scientifique en construction : les praxis de formation. Cette orientation, se rapprochant du schéma de Bourdieu, se fait au risque d'une coupure avec le terrain, alors qu'il est le destinataire de la revue.
bull2.gif (117 octets)  Troisième dynamique : l'hypotopie des champs scientifiques
bull2.gif (117 octets)  Le danger d'un dessèchement dû à la coupure avec le terrain semble avoir été ressenti dans la mesure où chaque livraison de la revue est accompagné à partir de 1988 de 3 suppléments : un supplément EDF, un supplément AFPA et un supplément Education nationale, comprenant tous les trois des relations d'expérience. Ainsi la dynamique liée à la production de savoir par les pratiques en émergence dans la première période, est réintroduite dans l'économie globale de la revue. Parallèlement, dans la livraison centrale, le nombre d'articles centrés sur le travail et ses conditions dans l'entreprise se multiplie en écho avec des articles sur la didactique professionnelle. Dans cette perspective, Education permanente se définit comme une revue de sciences sociales dans une acception socio-épistémologique de l'action où il s'agit de faire d'un problème social un problème de recherche pour repartir vers les pratiques sociales : connaître pour transformer. Le schéma de la théorie des champs scientifiques établi par Bourdieu est ainsi approprié. Cependant, reste l'aporie de l'externalisation du discours rationalisé des pratiques, où la mise à distance intellectuelle dans les suppléments par rapport au discours socio-épistémologique de la livraison centrale est également une prise de distance sociale.
bull2.gif (117 octets)  Qu'en est-il 30 ans après du concept utopique Education permanente ? La composante quantitative de ce concept utopique est passée dans les faits à partir de la loi de 1971 sur la formation continue. L'accès à la formation et à la culture tout au long de la vie sont réalisés ou en voie de réalisation pour le plus grand nombre de façon irréversible. Cette réalisation n'en reste pas moins une emprise de l'appareillage institutionnel sur une population qui jusqu'alors y avait échappé. L'idée d'une formation visant l'autonomie de la personne par opposition à son aliénation reste à réaliser. Ainsi la revue Education permanente s'inscrit dans une praxéologie éclairée par les sciences sociales et il n'est peut-être pas complètement fortuit que le schéma circulaire hypotopique qu'elle a intégré rejoigne le cercle de la métis mis au jour par Vernant.