Trajectoires pour l'écriture Auteur(s) : BOUGERET Gérard |
retour au résumé Préambule : lécriture musicale a pour objet de fournir un outil grammatical permettant non seulement la compréhension et lanalyse des uvres, mais spécifiquement une réécriture de fragments duvre sous une forme dont lélaboration relève de la problématique que nous souhaitons envisager ici. Au-delà de lécriture musicale elle-même, il semble judicieux de laisser toujours ouverte la question des démarches et des référentiels associés aux enseignements artistiques et dy porter autant que faire se peut un regard transversal. Dans sa forme la plus traditionnelle, lécriture se propose dériger en langage musical une construction basée sur la complexification verticale des accords. Même sous cette forme rigide où les lignes mélodiques sont appauvries par la contrainte, interviennent des règles de gestion contrapuntiques dont certaines se surajoutent parfois artificiellement, créant un carcan daspect faussement grammatical : nous disons faussement car ne conduisant quà des formules stéréotypées sans réel rapport avec le langage musical historiquement pratiqué. Quelques analogies permettraient peut-être une meilleure appréhension de ce curieux objet qui a vécu absolument intact jusque dans les années 1970.
Imagine-t-on un roman ne contenant quune trame, un discours
sans propositions ni compléments circonstanciels, une architecture
sans aucun élément décoratif ? Cest pourtant
ce à quoi conduit une écriture dépouillée
de toutes notes mélodiques. Une telle orientation est de plus
déconnectée de toute référence musicale
historique :
Ainsi, reléguer aux calendes l'étude des notes étrangères
n'a jamais eu beaucoup de sens. Ce rejet était d'ailleurs tout
à fait antinomique avec la pratique du contrepoint d'école
qui ne se faisait pas seulement note contre note en multipliant le
nombre des voix, mais dans un premier temps essentiellement linéairement,
en complexifiant l'écriture d'une voix tandis qu'une autre,
le cantus firmus, restait invariable.
On est donc en présence d'une situation d'aspect tout à
fait paradoxal :
La réponse à la seule question qui vaille " Que
choisir ? " ne peut s'envisager que dans l'optique d'une prise
en compte de la fonction intime que nous souhaitons assigner à
l'écriture :
Développer l'oreille intérieure en se référant
à des situations réelles de la composition implique
la prise en compte des systèmes de hauteur et des timbres :
autrement dit, tempérament et instrumentarium ne sont pas indifférents
dans les énoncés musicaux, ce qui bien entendu interfère
avec la grammaire.
Méthodologie : on tente donc d'abord de mettre en évidence
une problématique relative à une donnée grammaticale
précise. On se plonge ensuite systématiquement dans
les uvres dun ou plusieurs compositeurs voisins sinon
contemporains servant de référence et chez le(s)quel(s)
le traitement de la difficulté est caractéristique.
Puis, on explore transversalement et sans solution de continuité
les éléments pertinents du répertoire.
Un cheminement plus ambitieux consiste à se positionner d'emblée
dans un espace dont la caractéristique est de traiter avec
acuité le point étudié, quitte à s'éloigner
du centrage tonal commun. Par exemple, l'étude des notes de
passage peut se faire au regard de la musique de Palestrina, mais
cela implique bien entendu que l'on ait mis en place les structures
modales et les aspects fondamentaux relatifs à la consonance
dans cette musique. Chez Palestrina, la position des notes de passage
nest pas indifférente du tactus, labaissement de
la main (positio) étant généralement consonant,
alors que dans la musique tonale, cette particularité disparaît,
à tel point que chez Bach et ses contemporains, la technique
de la note de passage sur le temps (négation de la consonance
!) devient un trait intégrant du langage. On peut aussi plus
prosaïquement commencer par écrire des diminutions, et,
dans ce cas, pourquoi ne pas se référer de suite au
Trattado de glosas de Diego Ortiz ? De même, létude initiale des appoggiatures peut se faire dans le cadre relativement statique de lécriture de récitatifs du début du XVIIe siècle, avant que deffectuer un recentrage progressif toujours par le biais de récitatifs vers la musique tonale à proprement parler. On découvre ainsi, en suivant cette trajectoire inhabituelle, que létude du style italien de Bach, traditionnellement passée sous silence ou presque dans les progressions " standard ", permet aussi bien que le style classique une approche des appoggiatures tonales.
Cette démarche possède de nombreux avantages :
Lécriture doit sortir de son ghetto disciplinaire lié
à une pratique aussi artificielle quarbitrairement élitiste
: elle constitue au contraire sous la forme vivante que nous souhaitons
donner à son enseignement un moyen de développement
de lappréhension des mécanismes intimes de la
musique aussi bien que du développement de la sensibilité.
Dans cette optique, elle ne doit pas se cantonner au langage tonal,
et, dans les situations pédagogiques respectives ad hoc, il
ny a aucune raison de ne pas valoriser également la réécriture
dun ensemble de diminutions, la composition dune petite
valse à quatre mains, la réalisation dune chanson,
voire dun rap
Ce dernier exemple nest ni une provocation
ni une utopie : apprendre à un futur professeur un des modes
dexpression de ses contemporains (qui s'apparente à une
psalmodie profane) ne peut que le conduire à lui-même
orienter ses propres élèves vers lappropriation
de ce moyen de communication. Lécriture doit être
vivante. Voilà bien le maître mot de lenseignement artistique qui resurgit au détour de notre démonstration : lécriture nest pas seulement une discipline dérudition mais un extraordinaire moyen dappropriation du langage musical. Gérard BOUGERET, maître de conférences à l'Université de Tours
Quelques références bibliographiques : |