Biennale 5
logo INRP (3488 octets)

Enseignants débutants : Crise identitaire et rapport au temps

Auteur(s) : BOSSARD Louis-Marie, BLANCHARD-LAVILLE Claudine

Lobi89.gif (730 octets)

retour au résumé


bull2.gif (117 octets)   Intitulée "Recherche sur la formation des enseignants par le biais de suivi de cohortes" et menée depuis 1996, la recherche dans laquelle nous sommes engagés fait suite à des appels d'offre émanant de deux institutions de formation d'enseignants, les IUFM de Bretagne et de Versailles, qui ont manifesté, en sollicitant notre concours, un souci d'approfondissement de leur réflexion sur leurs dispositifs de formation.
bull2.gif (117 octets)  Afin d'explorer le rapport des enseignants à leur formation, nous nous sommes placés dans une perspective d'évolution et nous avons souhaité prendre en compte, pour une même personne, sa perception de la formation à la fois au moment même où celle-ci lui est dispensée puis au cours des années suivantes alors qu'elle exerce l'activité professionnelle à laquelle cette formation l'a préparée. Pour cela, nous analysons les discours que les enseignants tiennent sur leur formation en interrogeant quatre ans de suite une cohorte de formés, à partir de l'année où ils ont préparé le concours de recrutement. Le matériel que nous recueillons se complète donc au fil des ans, et après avoir étudié de manière transversale des entretiens d'étudiants préparant le CAPES (voir la communication n°52 de la Biennale 1998 et le rapport de recherche remis aux institutions commanditaires en 1999), nous avons entrepris l'étude longitudinale de suites d'entretiens recueillis trois ans de suite auprès des mêmes personnes. Nous disposons à ce jour de trois cohortes concernant des professeurs de lycées et collèges (PLC).
bull2.gif (117 octets)  Pour mener cette étude, nous avons choisi de nous placer dans le cadre d'une approche clinique d'inspiration psychanalytique afin de privilégier la découverte et la compréhension en profondeur du matériel recueilli. Dans le cadre de cette démarche, l'instrument d'investigation que nous avons utilisé est l'entretien clinique à visée de recherche, c'est-à-dire que nous avons mené les entretiens avec les personnes rencontrées de manière non directive, mettant en ouuvre une écoute compréhensive, de façon à favoriser chez l'interviewé le travail d'élaboration personnelle. Ainsi, la consigne qui débute chaque entretien est le seul moment de structuration formelle qui soit induite par l'interviewer qui n'intervient ensuite que pour accompagner et soutenir la production de parole. Pour le reste, la personne interrogée construit son discours comme elle l'entend, laissant émerger progressivement des éléments qu'elle n'avait pas nécessairement formalisés auparavant et laissant du coup affleurer dans son propos ce qu'elle ne sait pas tout à fait au niveau conscient, au moment où elle l'énonce. En étudiant chaque production de parole comme une totalité singulière mais cependant organisée et en repérant la logique propre à chaque discours, nous nous proposons d'avancer des hypothèses interprétatives qui reposent sur les dynamiques des discours élaborés dans le cadre de ce dispositif.
bull2.gif (117 octets)  La question posée aux interviewés est, pour le premier entretien : Vous avez choisi de devenir Professeur de Lycées et Collèges et vous êtes en formation à l'IUFM. Aujourd'hui, que diriez-vous de ce que vous vivez en formation ? J'aimerais que vous me parliez le plus spontanément et librement possible, comme ça vous vient. Pour les entretiens effectués au cours des premières années de prise de fonction la question est celle-ci : Maintenant que vous exercez, que diriez-vous de la formation que vous avez reçue? J'aimerais que vous me parliez le plus spontanément et librement possible, comme ça vous vient.
bull2.gif (117 octets)  Les trois cohortes dont nous disposons concernent des enseignants qui ont été rencontrés la première fois alors qu'ils étaient stagiaires à l'IUFM, en deuxième année (PLC2). Le premier entretien avec Gaëlle s'est déroulé sur son lieu de formation. Elle n'avait jamais enseigné avant de passer le CAPES et était âgée de 25 ans. Nommée en région parisienne dès l'année suivante, elle enseigne depuis lors les mathématiques dans différents établissements sans être titulaire d'un poste fixe. Au moment de la première rencontre avec Béatrice, celle-ci n'avait jamais enseigné avant de passer le CAPES et était âgée de 24 ans. Elle enseigne le français et a, depuis sa titularisation, un poste fixe dans un collège de banlieue classé en ZEP. Quant à Florence, interviewée la première fois à l'âge de 24 ans et n'ayant jamais enseigné, elle a exercé deux ans son métier de professeur de lettres classiques comme titulaire remplaçante en lycée et collège de province avant de se trouver dans un collège de la banlieue ouest de Paris.
bull2.gif (117 octets)  A chaque fois, ces trois jeunes femmes ont été interviewées par des chercheurs différents. Les entretiens, d'une durée moyenne de trois quarts d'heure, ont été enregistrés et intégralement retranscrits en veillant à conserver la forme initiale de la production de parole. Pour cela, la transcription a été confiée à une personne unique afin de donner une cohérence à l'ensemble du corpus, le chercheur qui avait conduit l'entretien étant chargé de vérifier la conformité de l'écrit par rapport à l'enregistrement. Bien sûr, une partie de ce qui se passe dans les entretiens est perdu, en particulier la plus grande partie de ce qui est non verbal. Cependant pour être en présence, par écrit, d'un résultat très proche du discours tenu, nous nous sommes efforcés d'éviter le plus possible les interprétations et les corrections. C'est ainsi que les entretiens ont été transcrits sans ponctuation, en respectant les passages peu audibles ou difficilement compréhensibles, et en conservant toutes les hésitations, les lapsus, les répétitions, les erreurs, les mots inachevés, les rires et les silences. En outre, les transcriptions ont été anonymées de manière à faire disparaître tout indice permettant d'identifier l'interviewé ; n'ont été conservés que les noms des IUFM où les stagiaires ont reçu leur formation.
bull2.gif (117 octets)  Le premier constat qui s'impose est que nous avons recueilli, comme pour les étudiants préparant le CAPES, un discours qui est très fortement marqué par l'expression de la plainte. Mais ce qui frappe d'emblée est l'impression de répétition qui se dégage de l'ensemble.
bull2.gif (117 octets)  Ainsi, à la lecture des trois interviews de Gaëlle réalisés à un an d'écart, cette impression est tellement prégnante que l'on a rapidement du mal à différencier les trois entretiens. Très vite, en effet, un sentiment de déjà entendu s'installe. Gaëlle semblant redire des choses précédemment énoncées, cela gomme tout repère chronologique que le lecteur pourrait s'approprier. Du coup, il devient difficile de resituer précisément certaines parties du discours lorsque l'on considère l'ensemble de la production de paroles.
bull2.gif (117 octets)  Si l'impression de répétition n'est pas aussi marquée pour la suite des entretiens réalisés avec Béatrice et Florence , elle est cependant, là aussi, bien présente. De nombreux thèmes semblent revenir dans les discours et l'on a, de plus, l'impression de productions de paroles qui évoluent peu.
bull2.gif (117 octets)  La force et la prégnance de cette impression première nous ont un peu surpris. Il est vraisemblable que nous attendions un discours qui relativise de plus en plus, au fur et à mesure de son évolution, les sentiments éprouvés à l'occasion de la formation. D'autant qu'au cours de ces années, la situation des interviewés s'est considérablement modifiée puisqu'ils sont passés du statut de stagiaire IUFM, qui était le leur au cours du premier interview, à celui d'enseignant à part entière, exerçant ce métier à plein temps depuis deux ans au moment du troisième entretien. Le fait que cette modification de leur situation ne semble pas se refléter dans l'évolution de leur discours nous interroge. C'est pourquoi nous allons analyser ce qui semble se répéter avec insistance dans leurs propos et étudier plus particulièrement les questions touchant au rapport au temps.
bull2.gif (117 octets)  Il convient tout d'abord de repérer quels sont plus précisément les éléments du discours qui peuvent justifier cette impression de répétition. Plusieurs remarques s'imposent.
bull2.gif (117 octets)  Si l'on considère les propos tenus par Gaëlle, on peut d'abord constater qu'elle exprime elle-même qu'elle a le sentiment de se répéter, et ce, dès le début des deuxième et troisième entretiens. En effet, elle indique pour commencer : c'est ce dont j'avais parlé la dernière fois et je pense que je vais me répéter. On rencontre cette même indication dès les premières paroles de Béatrice pour son deuxième entretien : ce que j'avais dit l'année dernière, je le redirai.
bull2.gif (117 octets)  On peut remarquer ensuite que l'on trouve une confirmation de ce sentiment dans la progression des discours. Soit Gaëlle utilise des verbes au passé qui font rappel de ce qu'elle a dit précédemment : ce que j'avais reproché, ce que j'avais trouvé, soit elle exprime une continuité : je n'ai pas changé d'avis je suis toujours convaincue, je pense toujours la même chose, je vais me répéter j'ai d° dire la même chose l'an dernier, un an après c'est toujours la même chose. Cette continuité est aussi mentionnée par Béatrice : j'ai toujours pas la réponse, donc voilà toujours pareil, c'est toujours ce qui ressort quand on discute avec des élèves qui sortent de l'IUFM, ceux qui en sortent disent la même chose. On retrouve également répétition et continuité chez Florence : c'était pas la première fois qu'on leur disait ça, cela revient au même, je me répète un peu.
bull2.gif (117 octets)  Le fait même que le discours fasse état du sentiment de se répéter vient donc, dans un premier temps, étayer notre propre impression. Mais ce sentiment prend sans doute encore plus largement sa source dans le fait que l'on peut constater que cette répétition n'est pas seulement annoncée. En effet, on peut noter l'existence de répétitions effectives, en particulier en ce qui concerne les thèmes abordés lors des entretiens. C'est ainsi que l'on retrouve, dans chaque entretien avec Gaëlle, l'évocation de toute une série de problèmes rencontrés au cours de sa formation : mauvaise gestion du temps, impossibilité de parler de sa propre expérience, absence de prise en compte de l'élève dans la formation, incapacité des formateurs à être en phase avec le terrain, par exemple. Ce phénomène de la reprise de l'évocation des mêmes problèmes se retrouve dans la succession des entretiens avec Béatrice : pour elle, il s'agit de la voix qui n'est jamais travaillée, de l'ensemble des choses dont l'IUFM n'a pas parlé, du fait qu'il faille sans cesse se débrouiller et le plus souvent seul, et aussi de la mauvaise gestion du temps, entre autres choses.
bull2.gif (117 octets)  On rencontre aussi parfois des répétitions pour des aspects plus anecdotiques du discours. Par exemple, l'évocation d'un problème lié à la présentation d'un travail est effectuée dans des termes très voisins par Gaëlle : on va passer euh un temps fou à écrire tout au rétroprojecteur quatre par quatre et puis après à passer tous les rétroprojecteurs et à comparer euh tout ce qu'on a écrit alors qu'on a écrit à peu près la même chose on va passer toute l'après-midi est repris ainsi quinze mois plus tard : on était champion du rétroprojecteur ça on travaillait par groupe voilà et après euh chaque petit groupe mettait son calque et puis ça prenait un temps fou parce qu'il fallait que tous les groupes passent et forcément on se répétait mais c'est pas grave tous les groupes passaient et puis ça passait la demi-journée quoi voilà. Les reprises peuvent être plus brèves, comme chez Florence : on a senti ça vraiment comme un poids le fait d'avoir une petite feuille jaune qui devient un an après il y avait cette petite feuille jaune qu'il fallait rendre à tout prix. Ces répétitions peuvent être aussi particulièrement proches comme pour Béatrice : nous en français on s'est retrouvé avec les PE2 pour parler des mathématiques donc on n'a pas bien compris non plus ce qu'on faisait là qui est repris ainsi : nous faire passer six heures à discuter sur les mathématiques alors que nous on était en français on n'a vraiment jamais compris pourquoi on était là. Le fait même que la relation de problèmes précis comme ceux-ci soient renouvelée renforce encore l'aspect répétitif de l'ensemble.
bull2.gif (117 octets)  On comprend mieux, à la lumière des éléments qui précédent, à quel point l'impression de répétition n'est pas fortuite. On peut encore ajouter que la répétition n'est pas seulement annoncée puis effective. On rencontre en effet des éléments de discours qui indiquent que ce sentiment de répétition est aussi vécu. C'est, par exemple, le cas lorsque Gaëlle fait mention du fait que la formation elle-même était répétitive : on a passé la matinée alors on s'est répété, c'est toujours pareil (2 fois), toujours les mêmes gens, j'ai toujours connu ces formateurs-là, ils vivent tous les ans la même chose. Béatrice fait aussi état de cette répétitivité de la formation : deux ans avant ils avaient fait les mêmes interventions avec les mêmes intervenants, à chaque fois on nous le remettait ; Florence mentionne qu'il y avait une espèce de répétition, on avait l'impression qu'on ne pouvait pas euh bouger, voir des professeurs confirmés euh appliquer faire des cours plusieurs fois de suite, et va jusqu'à anticiper la répétition : quand je me trouverai confrontée au même problème.
bull2.gif (117 octets)  Si nous pouvons donc constater qu'à plusieurs niveaux, la répétition est bien présente dans le contenu des discours que nous étudions, il reste encore un élément à souligner et celui-ci concerne la forme de ces discours. En effet, de manière fréquente, on rencontre des éléments du discours qui sont présentés avec une connotation assez marquée, soit positivement, soit négativement. Et à première vue, le côté négatif l'emporte assez largement, tant en quantité qu'en richesse lexicale, ce qui donne la tonalité générale de la plainte que nous avons relevée. Mais ce qui est remarquable, c'est la manière dont l'alternance entre ces deux pôles vient, à chaque fois, accentuer l'impression d'une présence du côté négatif.
bull2.gif (117 octets)  On peut d'abord noter que, de manière régulière, dès le début des entretiens, c'est l'aspect négatif qui est mis en avant, de manière assez spontanée. Ainsi les premières paroles des trois entretiens avec Gaëlle sont les suivants : j'étais déçue globalement très déçue, ce que j'avais reproché, [la formation] est complètement insuffisante voire inexistante. Florence débute sur le même registre puisqu'elle a un a priori négatif, que c'était assez pesant. Il faut remarquer que pour elles deux, s'exerce une sorte de censure immédiate qui les empêche de continuer puisqu'elles se ravisent pour donner un élément positif. Pour Gaëlle c'est au niveau pratique, je trouve ça très bien je trouve ça très, ou encore ce que j'avais trouvé intéressant ; pour Florence elle se propose de d'abord parler de l'ambiance qui est très bonne, ou elle affirme : j'ai beaucoup mieux vécu (...) ce qui m'a servi. Il faut remarquer que si le démarrage des entretiens de Béatrice n'est pas particulièrement connoté négativement, il est cependant lui aussi répété puisque l'on a d'abord l'IUFM ben pour moi j'y ai pas pensé du tout, puis l'IUFM (...) je n'y pense pratiquement jamais.
bull2.gif (117 octets)  La répétition de la forme des débuts des interviews introduit donc tout de suite le sentiment de répétition. Or celui-ci est largement entretenu par la manière dont s'effectue l'alternance entre les pôles positif et négatif. Il se trouve, en effet, que c'est souvent un élément connoté positivement qui permet de présenter un élément connoté négativement, et que, du coup, ce dernier vient faire oublier le précédent. Ainsi, c'est à partir de l'élément positif de départ que Gaëlle va ensuite se permettre de laisser largement libre cours à l'expression de sa déception et tout s'enchaîne comme si le fait d'énoncer quelque chose de positif l'autorisait ensuite à se laisser aller au négatif. Cette sorte de permission se retrouve chez Béatrice qui commence son premier entretien par le point positif avant d'exposer longuement (près de dix minutes), parce que mais il y a un mais, tout ce qu'elle reproche à la formation au niveau de l'IUFM. Pour Florence l'enchaînement est le même que pour Gaëlle puisque, dans le premier entretien, après l'énonciation de ce qui vient corriger son début, elle mentionne ensuite des rapports beaucoup plus froids et ìdes frictions entre des formateurs et les élèves avant d'indiquer qu'elle était énervée ou que ça nous a souvent exaspérés. Elle fait de même dans le deuxième entretien, passant rapidement, après le départ que nous avons noté, à un large développement des aspects négatifs : je crois pas avoir vraiment appris quelque chose et ça je regrette (...) je trouve qu'on nous a pas donné euh mis dans des situations vraiment concrètes (...) je regrette de pas avoir eu l'occasion d'aller (...) ça m'a un petit peu manqué. On montrerait que ce procédé précisément relevé dans les débuts d'entretiens se retrouve aussi dans la suite du discours, ce qui donne le sentiment d'entendre régulièrement quelque chose comme c'est bien mais où le bien est assez limité tandis que ce qui suit est largement développé.
bull2.gif (117 octets)  Il faut enfin remarquer que l'on rencontre, dans tous les entretiens, un usage fréquent du conditionnel et plus particulièrement des formes pourrait, aurait pu, devrait, aurait du, faudrait, serait bien, ce qui donne une sorte d'effet de matraquage pour renforcer l'idée qu'il existerait un autre possible, diffÈrent et meilleur.
bull2.gif (117 octets)  On rencontre donc, dans chaque entretien, d'une part, le fait que c'est l'énonciation d'un aspect positif qui permet l'énonciation du négatif, et d'autre part, le fait que l'alternance entre les deux pôles très souvent au détriment du côté positif, ce qui est renforcé par l'emploi de conditionnels. Ainsi, le fait même que la forme du discours soit elle-même répétitive vient totalement confirmer l'impression de répétition ressentie à la lecture et empêche de se dégager de cette impression qui devient du coup, on le comprend mieux maintenant, totalement prégnante.
bull2.gif (117 octets)  On peut alors se demander quel sens il est possible de donner à ce phénomène de répétition.
bull2.gif (117 octets)  Il y a lieu avant tout d'interroger notre dispositif : en effet, les situations d'entretien proposées par les interviewers ne présentent plus de surprise dès la deuxième rencontre. Nous avons vu que la consigne est très voisine ou identique, que la manière de conduire l'entretien est semblable, et les conditions matérielles des interviews se sont révélées assez proches. On peut donc penser que les conditions même de la production du discours ne sont pas étrangères à ce phénomène de répétition. Cependant, sans nier totalement le fait que quelque chose de cet ordre ait pu jouer, on ne saurait se borner à cette explication. Il semble donc qu'il faille aller plus loin dans l'interprétation et l'on peut faire l'hypothèse que si l'on retrouve ce phénomène de répétition de manière si marquée, c'est parce qu'il correspond à un besoin pour les interviewés.
bull2.gif (117 octets)  Il y a d'abord le fait que chez chaque individu on rencontre le souhait de ne pas se contredire mais au contraire de trouver une continuité - ou au moins une ressemblance - entre ses différentes productions de paroles : c'est la manifestation du besoin de rester cohérent avec un point de vue déjà mis en mots précédemment et une manière d'établir des éléments qui prennent valeur de vérité à ses propres yeux. Nous avons là, à n'en pas douter, une conséquence de la persistance, chez chacun, de son propre sentiment d'identité.
bull2.gif (117 octets)  Le fait d'exprimer que l'on se répète indique aussi que l'on ne note pas de changement dans sa propre réflexion. On peut penser que l'individu ne se voyant pas changer ou ne pouvant imaginer les changements qui s'opèrent affirme naturellement cela. Mais le fait même d'avoir besoin de trouver une continuité peut être interprétée comme le signe que cette continuité risque d'être imparfaite, et c'est bien le cas lors d'un changement ou d'une évolution. C'est pourquoi on peut aussi comprendre cette nécessité comme le signe d'un vécu de crise. En effet, dire que l'on se répète est aussi une manière de dire que l'on ne veut - ou ne peut - pas dire autre chose, le fait d'insister (répéter que l'on se répète) étant encore plus significatif. Et si l'on se trouve dans l'impossibilité de dire autre chose que ce que l'on a déjà dit, c'est parce que c'est seulement après la résolution de la crise liée au changement que l'on peut parler du changement intervenu. Ce changement ne peut en effet se penser que dans l'après-coup, au cours de la période de stabilité qui suit celle de la crise. ¿ l'inverse, durant la crise, la tendance est plutôt à refuser d'envisager le changement, le besoin étant au contraire de s'accrocher à ce qui constituait le système des repères antérieurs.
bull2.gif (117 octets)  Et c'est là qu'il faut souligner que l'on est face à un phénomène plus vaste qu'une simple répétition : le fait qu'assez rapidement il soit difficile de distinguer les différents entretiens - la répétition prenant parfois le caractère d'une redite quasi mot pour mot - montre que l'on est en présence d'un ensemble qui prend l'allure de quelque chose de ressassé. Cela fait penser que l'on assiste à l'expression d'une difficulté liée à la résolution des conséquences du changement et que l'utilisation de la répétition serait une façon de se convaincre soi-même que rien n'a changé. Notons que c'est sans doute aussi une manière de se réassurer et d'éviter de laisser trop de place à l'angoisse qui accompagne toute incertitude. En tout cas, on peut voir dans cet aspect répétitif du discours comme le signe même d'une crise de croissance. On peut en effet interpréter cette posture assez figée comme l'impossibilité d'accéder à un nouveau langage qui serait le signe même du changement. On dirait que quelque chose ne passe pas, comme si trop grande était la difficulté à dépasser le cap du changement qui a conduit les interviewés de la place d'étudiant à celle d'enseignant. Et même si, à la fin de la série d'entretiens, ils enseignent effectivement à temps plein depuis deux ans, on peut penser que quelque chose en eux est resté à avant, tant ils semblent psychiquement arrêtés à un stade antérieur. Est-ce à cause des illusions, des rêves, des projets, des attentes, des besoins dont ils étaient porteurs ? Il y a comme une sorte de deuil qui n'arrive pas à se faire et qui, ne se faisant pas, les empêche d'accéder à un nouvel état.
bull2.gif (117 octets)  Ces difficultés liées à la nécessité d'effectuer le passage de la position d'étudiant à celle d'enseignant rappellent celles que tout individu est amené à vivre lors de son passage de l'état d'enfant à celui d'adulte. Et dans le cas de ces enseignants débutants, on peut faire l'analogie avec l'adolescent dont le corps a changé et qui reste, pendant un temps, avec un esprit d'enfant dans un corps d'adulte, incapable d'assumer symboliquement les nouvelles fonctions qui résultent de sa transformation. Il semble que l'on soit ici dans une difficulté analogue de symbolisation.
bull2.gif (117 octets)  Notre étude précédente avait montré que la crise liée au passage de la position d'étudiant à celle d'enseignant ne se limitait pas à la période de la prise de fonction mais qu'elle débutait dès l'entrée en formation, alors même que l'étudiant ne savait pas encore s'il deviendrait effectivement enseignant. Nous pouvons maintenant avancer que cette crise s'étend bien au-delà de ce qui est repéré comme la période effective de la prise de fonction. On peut du coup en inférer que la constitution/construction de l'identité professionnelle ne se résume pas à ce qui se joue au début de l'exercice du métier mais que, comme pour l'adolescence, elle court sur une période assez longue, période dont les contours restent encore à définir.