Biennale 5
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Aider à la décision d'orientation des lycéens face à l'incertitude

Auteur(s) : BLANCHARD Serge, DOSNON Odile, FORNER Yann, SONTAG Jean-Claude

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bull2.gif (117 octets)   Les pratiques psychopédagogiques qui visent à aider à la décision d'orientation des lycéens face à l'incertitude s'appuient sur les conceptualisations de deux grands courants de recherche : un courant normatif et un courant descriptif. Après avoir évoqué rapidement ces courants, nous présenterons successivement a) un modèle, compatible avec les théories formelles de la prise de décision, mais qui prend également en compte les aspects conatifs et affectifs, b) des travaux relatifs aux différences interindividuelles, qui mettent en évidence la variabilité des démarches mises en œuvre au cours de la prise de décision et la variabilité des difficultés qui entravent le processus décisionnel, c) un exemple de programme d'intervention dans un établissement scolaire fondé sur le modèle présenté.
1. Les études psychologiques sur la prise de décision
bull2.gif (117 octets)  Les études psychologique sur la prise de décision se sont développées selon deux courants :
- un courant normatif qui s'appuie sur les modèles formels de prise de décision. Ces modèles ont leur source dans les travaux mathématiques conduits dans le domaine des probabilités. La règle de décision relevant des modèles mathématiques classiques consiste à rechercher à maximiser le gain espéré et à minimiser la perte espérée dans des situations du type jeux de hasard.
bull2.gif (117 octets)  En ce qui concerne le domaine du choix professionnel, il faut souligner que :
- 1) les variables à prendre en compte sont beaucoup plus nombreuses que dans une situation du type jeu de hasard ;
- 2) les différentes éventualités sont souvent très difficiles à évaluer sur un plan financier ;
- 3) dans la plupart des cas, les estimations des probabilités, relatives à l'apparition de telle ou telle éventualité, ne peuvent être établies que de façon subjective ;
- 4) enfin, les sujets recherchent presque toujours une solution acceptable - par exemple, une situation professionnelle significativement supérieure à la situation antérieure - plutôt que la meilleure situation possible.
bull2.gif (117 octets)  Il en résulte que les auteurs qui présentent des méthodes d'aide à la décision applicable au choix professionnel recommandent des méthodes compatibles avec la théorie formelle de la décision mais qui utilisent le raisonnement plutôt que des calculs numériques pour comparer les alternatives.
- un courant descriptif qui étudie comment les personnes traitent les informations en vue d'une prise de décision. Ce courant a mis en évidence un certain nombre d'erreurs et de biais qui sont relativement fréquents au cours de cette activité de traitement d'informations. Ces travaux peuvent inspirer la mise au point de procédures de traitement de l'information susceptibles de diminuer les risques d'erreurs et de biais (Wheeler & Janis, 1980). On a également cherché à caractériser les styles décisionnels, le niveau de décision ou d'indécision des personnes et, pour les sujets indécis, on a tenté de diagnostiquer les raisons de leur indécision. (Forner & Dosnon, 1992 ; Dosnon, 1996 ; Dosnon et al., 1997 ; Forner, 1999).
2. Le modèle de prise de décision sous le conflit
bull2.gif (117 octets)  Ce qui caractérise le modèle de prise de décision sous le conflit de Janis, Mann et Wheeler, c'est qu'il met l'accent sur le fait que la prise de décision est souvent conflictuelle et qu'elle est, de ce fait, anxiogène, aspect que le modèle formel de prise de décision ne prend pas en compte. Au cours de la démarche de prise de décision, le travail du conseiller consiste donc essentiellement à accompagner la personne tout au long des différentes étapes en l'aidant à traiter l'information de façon vigilante. Il s'agit tout particulièrement d'aider cette personne à éviter le piège des raisonnements biaisés. La démarche de prise de décision doit suivre cinq grandes étapes : faire face au problème, rechercher les éventualités, évaluer les éventualités, s'engager et se tenir à la décision en dépit d'un feed-back négatif. Passons rapidement ces cinq étapes en revue.
2. 1. Faire face au problème du choix
bull2.gif (117 octets)  Wheeler et Janis (1980) insistent sur le caractère stressant de la prise de décision et la première difficulté que va rencontrer le décideur, c'est de faire face au problème qui se pose à lui en mobilisant des stratégies d'ajustement à l'adversité (coping en anglais). Le coping (Paulhan, 1992) peut être défini comme le processus actif par lequel l'individu, par l'auto-appréciation de ses propres activités et de ses motivations, fait face à une situation stressante et réussit à la maîtriser. Ce courant psychologique ne réduit pas l'action à son aspect strictement observable, c'est-à-dire à un comportement. Il considère en effet que l'action " est soutenue par des représentations et n'a de sens que par le but que l'on se fixe et par le contexte social dans lequel cette action est inscrite " (Albert, 1995, p. 15). Dans le cas d'une décision d'orientation ou de réorientation scolaire ou professionnelle, l'évaluation de l'événement, l'utilisation et l'efficacité de telle ou telle stratégie de coping dépendent à la fois de facteurs personnels, comme les ressources dont dispose la personne, et de facteurs environnementaux, comme le soutien social sur lequel elle peut compter.
2. 2. Rechercher les éventualités
bull2.gif (117 octets)  Le processus de choix professionnel s'appuie, pour une part, sur une comparaison des représentations de soi et des représentations professionnelles (Huteau, 1982). Les informations, qui permettent d'enrichir et de clarifier les connaissances professionnelles (Rufino & Tricot, 1994, 1995 ; Guichard, 1987) et la connaissance de soi, peuvent contribuer à étayer un choix mieux fondé. Mais comment ces informations peuvent-elles être obtenues et traitées ?
bull2.gif (117 octets)  Les principaux outils de prise d'information et de réflexion sur soi sont les tests et questionnaires psychologiques, les différents types d'entretien, ainsi que les techniques éducatives de groupes (Sontag, 1996). L'utilisation de ces outils doit conduire le conseiller-psychologue à s'interroger sur son objectif. " L'objectif est-il d'amener l'individu à percevoir plus clairement quels sont ses propres stéréotypes (intérêts et valeurs) professionnels et à se déterminer d'après eux...[ou s'agit-il]... d'amener la personne à découvrir qu'il existe d'autres catégorisations implicites que les siennes. L'objectif serait alors de le conduire à relativiser ses manières de voir spontanées... " (Guichard, 1995, p. 66).
2. 3. Evaluer les éventualités
bull2.gif (117 octets)  Lorsque la recherche d'informations sur soi, sur les formations et les professions est considérée comme suffisante et que le décideur hésite entre deux ou trois options qui lui paraissent intéressantes, on peut utiliser une technique de comparaison systématique d'options, comme la feuille de bilan-inventaire (Wheeler & Janis, 1980).
2. 4. S'engager
bull2.gif (117 octets)  Après avoir décidé d'adopter un plan d'action, la personne s'engage dans l'étape de mise en œuvre de ce plan. Au cours de cette étape, elle est amenée à réexaminer les informations, recueillies antérieurement, sur les difficultés pratiques liées à la mise en ?uvre du plan choisi. Il est utile qu'elle anticipe les moyens utilisables pour surmonter les difficultés majeures qu'elle a de forts risques de rencontrer (technique des scénarios).
2. 5. Se tenir à sa décision en dépit d'un feed-back négatif
bull2.gif (117 octets)  Une fois la décision prise, la personne ressent souvent des regrets. La stabilité de la décision prise dépend largement de l'intensité des conséquences négatives découlant du choix et de la capacité de la personne à tolérer des désagréments. Ces désagréments peuvent être plus ou moins supportables, et la personne peut y faire face plus ou moins facilement selon que ces désagréments avaient ou n'avaient pas été prévus et selon que des solutions avaient ou n'avaient pas pu être envisagées, avant la prise de décision.
bull2.gif (117 octets)  Les problèmes de décision d'orientation sont souvent complexes et les capacités des consultants à les traiter sont limitées. C'est pourquoi l'aide d'un conseiller peut être utile. Selon Heppner (1989, p. 258), "les conseillers doivent comprendre le processus de résolution de problème [et de prise de décision] comme étant à la fois très complexe, intermittent, rationnel, irrationnel, logique et intuitif". Ils doivent aussi être attentifs aux différences interindividuelles afin de proposer des interventions d'aide adaptées aux caractéristiques des personnes.
3. Les styles de décision
bull2.gif (117 octets)  Comme le souligne le courant descriptif, des personnes confrontées à la prise de décision ne recourent pas aux mêmes démarches. Elles disposent d'un répertoire de stratégies qu'elles utilisent en fonction des caractéristiques des situations dans lesquelles elles doivent décider. Néanmoins, une même personne tend, préférentiellement, à appliquer une même stratégie quels que soient le moment ou l'importance de la décision à prendre et la notion de style de décision désigne cette tendance relativement stable d'une personne à utiliser une même stratégie pour prendre diverses décisions. Cette variabilité doit être prise en compte dans les interventions éducatives centrées sur la prise de décision.
3.1. Les conceptions des styles et des stratégies de prise de décision
bull2.gif (117 octets)  Les démarches d'aide à la prise de décision d'orientation revêtent des formes multiples mais s'appuient le plus souvent sur des modèles normatifs. Ces modèles reposent tous sur une approche analytique jugée plus efficace qu'une approche globale dans la mesure où elle est moins susceptible de biais.
bull2.gif (117 octets)  L'examen des procédures effectivement appliquées par les sujets dans leur prise de décision montre que leur approche peut se conformer à un modèle rationnel mais que d'autres démarches sont également suivies. Il a abouti à l'élaboration de diverses taxonomies des stratégies et des styles de prise de décision.
bull2.gif (117 octets)  La première taxonomie paraît avoir été proposée par Dinklage (1968) qui répartit les personnes en huit catégories en distinguant les sujets planificateurs, les sujets intuitifs, les sujets impulsifs, les sujets souffrants, les sujets procrastinateurs, les sujets paralysés, les sujets soumis et les sujets fatalistes. A partir de l'analyse des données recueillies dans le cadre d'entretiens rétrospectifs centrés sur des décisions effectivement prises, Arroba (1977) opère un regroupement de ces catégories en ne retenant plus que les stratégies logique, inconsidérée, hésitante, émotionnelle, soumise et intuitive. L'application de ce système de catégories donne lieu à un relatif consensus quand des juges l'utilisent pour classer des décisions. Son utilisation met aussi en évidence l'existence, à la fois, d'une importance variabilité interindividuelle (des personnes différentes n'appliquent pas la même stratégie) et d'une importante variabilité intraindividuelle (une même personne suit une démarche relevant d'une catégorie ou d'une autre en fonction de la décision qu'elle a à prendre). Des similitudes apparaissent dans les taxonomies proposées depuis (Jepsen, 1974 ; Johnson, 1978 ; Harren, 1979 ; Krumboltz, 1982 ; Scott et Bruce 1995) : l'efficacité des styles rationnel et intuitif est jugée supérieure à celle des autres styles.
3.2. Les effets de différents types d'aide psychopédagogique
bull2.gif (117 octets)  A partir des déclarations des personnes, les études portant sur les stratégies et sur les styles de prise de décision ont tenté de cerner, au plus près, les modes de traitement effectivement mis en œuvre lors de la prise de décision. Elles ont montré que les procédures suivies s'écartaient souvent des procédures prescrites par les modèles de prise de décision et qu'elles conduisaient à des décisions plus ou moins efficaces. Si l'éducation à la prise de décision vise à améliorer l'efficacité de la prise de décision, il convient de s'interroger sur les caractéristiques des interventions éducatives les plus à même de conduire à des progrès en ce domaine.
bull2.gif (117 octets)  Le courant de l'interaction entre traitement pédagogique et aptitudes individuelles (A.T.I.) se préoccupe d'adapter les interventions pédagogiques aux individus afin de proposer à chacun le meilleur traitement possible. Dans l'idéal, il convient de diversifier les interventions en fonction des populations ciblées. La démarche consiste à constituer des groupes d'élèves homogènes quant au style et à définir, pour chaque groupe, l'intervention éducative jugée la plus efficace : ainsi, si une méthode séquentielle et planifiée d'apprentissage de la prise de décision bénéficie plus aux sujets de style rationnel, une approche fondée sur l'expérience intime convient mieux aux sujets de style intuitif. La constitution de groupes homogènes n'étant pas toujours aisée, la prise en compte des différences interindividuelles doit conduire à diversifier les activités proposées à l'ensemble des élèves afin de solliciter leur style de décision préféré et afin d'enrichir leur répertoire de stratégies décisionnelles.
4. Les causes de l'indécision
bull2.gif (117 octets)  L'indécision en matière de carrière, incertitude d'un jeune quant à sa future formation ou à sa future activité professionnelle reste mal considérée, mais elle est mieux admise à mesure que croît la mouvance de la réalité et l'incertitude quant à l'avenir.
4.1. Les diverses conceptions de l'indécision
bull2.gif (117 octets)  L'indécision peut être traitée de manière très globale dans l'opposition fondamentale entre jeunes décidés et jeunes indécis. Ce premier point de vue est celui du responsable (notamment administratif), celui du chef d'établissement. L'indécision est aussi susceptible d'une approche développementale : passées les rêveries professionnelles de l'enfance, un traitement relativement réaliste et efficace des connaissances portant sur soi, sur le monde du travail et sur le monde des formations réclame une longue période d'élaboration, qui est nécessairement aussi une période d'indécision. Cette seconde approche est celle du conseiller "éducateur" et celle de l'équipe pédagogique qui aident au "développement vocationnel". L'indécision est, enfin, la manifestation chez un individu unique d'un faisceau de causes potentielles affectées chacune d'un poids variable. L'évaluation de ces causes (comme, par exemple, un manque d'information, une organisation spécifique de la personnalité ou un manque de méthode), leur restitution prudente à la personne et leur prise en compte dans l'élaboration des interventions relèvent du rôle spécifique du conseiller "psychologue".
4.2. Quelques résultats de recherche
bull2.gif (117 octets)  Tout d'abord, les recherches ont montré que les lycéens les plus jeunes perçoivent l'indécision d'une manière un peu différente de celle des conseillers qui doivent les aider. Par ailleurs, l'indécision des jeunes est marquée par leur situation dans le système éducatif : elle est forte en classe de cinquième et en classe de première alors que le palier d'orientation de troisième la fait décroître considérablement (sans en modifier les facteurs). De plus, les aides à l'orientation, collectives ou individuelles, ont généralement pour effet de faire décroître l'indécision, surtout dans son aspect scolaire ; cette modification n'est pourtant pas systématique car certaines interventions paraissent au contraire faire croître l'indécision. On note enfin certains "effets" ou concomitants non triviaux de l'indécision. Ainsi, ce sont les étudiants qui présentent un niveau moyen d'indécision à l'entrée à l'université qui paraissent mieux s'y adapter en réussissant mieux leurs examens.
bull2.gif (117 octets)  Aider à s'orienter consiste souvent à inciter le jeune à ne pas choisir tant que la décision n'est pas indispensable. Mais lorsque l'aide vise effectivement l'incitation à choisir, il faut bien connaître les causes de l'indécision de la personne pour l'aider plus efficacement.
5. Une aide à la prise de décision : l'exemple d'un programme d'intervention de Centre d'Information et d'Orientation en classe de terminale
bull2.gif (117 octets)  Le programme d'activité annuel d'un Centre d'Information et d'Orientation construit autour d'un atelier d'orientation constitue le cadre dans lequel les conseillers d'orientation-psychologues proposent à des élèves de terminales une aide méthodologique afin d'accomplir au mieux leur transition entre l'enseignement secondaire et l'enseignement supérieur.
5.1. Description du programme
bull2.gif (117 octets)  Le programme d'éducation au choix mis en œuvre comporte quatre séquences réparties sur l'ensemble de l'année scolaire :
- une phase de sensibilisation à l'orientation au cours de laquelle des informations sur les études post-bac sont diffusées,
- une atelier d'orientation se déroulant sur une journée et demie,
- un entretien individuel de synthèse,
- des exercices de rédaction de lettres de candidature et des simulations d'entretien.
5.2. Illustrations de ce programme
bull2.gif (117 octets)  Ce programme s'appuie sur les cinq étapes de la prise de décision sous le conflit tel que la conçoivent Janis et Mann (1977). Des exemples concrets empruntés aux mises en situation vécues par les participants illustrent les concepts théoriques et méthodologiques qui structurent cette action. Chacune des cinq étapes autour desquelles s'articule la prise de décision peut être mise en perspective avec les stades qui structurent la démarche de l'A.D.V.P. (activation du développement vocationnel et personnel), initiée par Tiedeman et O'Hara (1963) et Pelletier et al. (1974).
5.3. Analyse des effets de l'intervention
bull2.gif (117 octets)  Les effets de cette intervention peuvent être analysés au niveau individuel et au niveau institutionnel :
- l'objectif principal des programmes de ce type consiste à apprendre aux élèves à utiliser des outils méthodologiques d'aide à la prise de décision. La constitution, tout au long du processus de "formation", d'un dossier personnel, ébauche d'un "portefeuille de compétences" apparaît comme une activité support de cet apprentissage. Ce dossier contient les éléments positifs ou négatifs relatifs au problème à traiter, précise quelle est la hiérarchie des objectifs intermédiaires dont l'atteinte est prioritaire ainsi que les stratégies alternatives à mettre en œuvre en fin d'année scolaire selon les circonstances et les études envisagées.
- De telles interventions, qui s'inscrivent dans le cadre des actions d'éducation à l'orientation, requièrent la participation de tous les partenaires du système éducatif. Elles permettent de mieux faire comprendre la finalité des objectifs du conseiller d'orientation-psychologue, la pertinence et la spécificité des méthodes qu'il emploie pour aider les élèves à s'orienter. En cela, elles ont un retentissement sur l'accomplissement des missions du Centre d'Information d'Orientation et des conseillers d'orientation-psychologues.