Biennale 5 |
L’écriture, un processus pour l’émergence et l’élaboration du projet professionnel Auteur(s) : BIBAUT Marie-Pierre |
retour au résumé L’objet de cette communication est de se questionner sur la pertinence de l’utilisation d’un support écrit, le rapport de stage, en formation professionnelle (de niveau V) pour conduire le parcours de formation et l’élaboration du projet professionnel des formés.
L’auteur met en valeur la “ logique du contrôle ” et la “ logique du reste ayant des objectifs contradictoires : “ on distinguera la logique du contrôle qui veut assurer la maîtrise des situations et de l’autre […] et puis il y a une logique beaucoup plus difficile à parler […] que j’ai appelé la logique du reste […] qui vise à promouvoir les capacités de l’autre […] à l’aider à chercher le sens ” (VIAL, 1999). Se questionner sur ces deux logiques interpelle le formateur et le renvoie à une réflexion sur sa vision du monde, sa vision de l’autre, et donc indubitablement à sa visée éthique. Il ne semble pas possible d’échapper à cette interrogation dès lors que nous nous trouvons dans le cadre des pratiques en formation, “ l’éthique suppose que la relation ne vise pas la maîtrise de l’autre, sa définition, mais quelle se confronte à l’inépuisable, à l’infini des personnes et des situations. L’éthique est cette reconnaissance que la relation est non systématisable, qu’elle échappe à la “ totalité ” ” (IMBERT, 1987). Caractériser ces deux logiques permet de poser que le dispositif du formateur/évaluateur s’organise autour des deux dimensions énoncées et cela sans avoir pour optique d’en choisir une par rapport à l’autre, mais bien de concevoir sa démarche en articulant les deux visées. “ Opposées, contradictoires certes, elles n’en deviendront pas moins torses, torsades, articulables d’autant plus que la posture choisie du sujet, qui participe à leur tressage sera celle délibérément de n’en refuser aucune car c’est en se donnant l’objet articulatoire que le sujet optera pour le pari complexe : faire des choix sans rien renier ” (VIAL, 1997). S’appuyer sur la distinction faite par le chercheur M.VIAL, nous permet d’énoncer que la démarche se construit en formation en essayant d’articuler les deux orientations de cette modélisation de l’évaluation. L’outil “ rapport de stage ” en tant que produit écrit est à la fois une réponse à une commande de l’institution, qui est de rendre compte par écrit (évaluation de la capacité en expression écrite) des compétences professionnelles du formé, mais est aussi le support à travers l’écriture, de l’émergence et de la construction du projet professionnel. Concernant le travail autour de l’écrit du rapport, l’objectif de la formation est bien de mettre en place des apprentissages sur les normes du texte avec ses règles de mise en forme (ce qui se rapporte à l’expression écrite à proprement parler). Au delà, il est nécessaire de prendre en compte la spécificité de l’acte décrire pour des formés en formation professionnelle. Ceci renvoie aux rapports qu’entretiennent les individus avec l’écriture, “ de mieux connaître le rôle que jouent l’écrit et l’écriture dans les situations de communication quotidienne ” et “ les représentations des usagers non professionnels de “ la chose écrite ” ” (DABENE, 1990). Cependant il est pertinent de s’interroger plus encore sur les caractéristiques de l’activité. Elle se révèle être un processus douloureux car “ l’écriture expose, elle n’est pas neutre. Ecrire demande un engagement ” (CIFALI, 1996). La déstabilisation du formé provoquée par l’acte d’écrire s’articule à la capacité structurante du passage par l’écriture en tant que générateur de changement, de transformation, de progression “ comment l’action devient texte ; comment le texte produit du monde ; et comment nous avons besoin de texte pour nous comprendre ” (CIFALI, 1996). La démarche s’appuie sur la spécificité du passage par l’écriture permettant de médier et de réaliser un rapport d’implication/distanciation face à l’expérience, au vécu, afin qu’ils deviennent “ trace offerte à la mémoire ” (LERBET , 1990). Ainsi, au travers du processus d’écriture, le scripteur communique une “ parole professionnelle ” mêlée à une “ parole personnelle ” (VIAL, 1991). Ces paroles ne sont pas opposables mais plutôt à concevoir de façon complémentaire, en continuelle co-construction. Le formé-sujet y transparaît en tant qu’agent, acteur, auteur (ARDOINO, 1993). La parole du formé se construit dans la cadre d’une “ stratégie de communication ” et non pas seulement dans une “ logique d’information ” réponse à la demande/commande du formateur. (ARDOINO, 1988). Nous sommes bien à nouveau confrontés aux deux logiques de l’évaluation, où le dispositif du formateur en ce qui concerne l’écrit et l’écriture va devoir se construire à la fois, sur les normes de l’expression écrite mais aussi sur l’espace donné à la parole communiquée par la personne en formation. Notre postulat est que la situation d’écriture en plusieurs étapes, avec la possibilité de retravailler son texte progressivement, reposant sur une dimension temporelle inscrite dans la durée, permet au formé d’être l’acteur de son projet et l’auteur de son texte. Le passage par l’écriture induit l’émergence d’un questionnement chez le formé afin qu’il s’interroge sur le sens de ce qu’il fait, pourquoi il le réalise, comment il l’assume (avec ses difficultés, ses erreurs et/ou ses réussites), afin que le formé donne du sens à sa pratique. C’est bien une autre des dimensions de l’évaluation qui est favorisée ici où “ évaluer c’est comprendre ce qui est fait et non pas seulement essayer de vérifier si ce qui est fait est conforme à ce que je voulais qu’on fasse ” (M VIAL, 1995). Mais la difficulté pour le formateur est de travailler ces deux logiques “ c’est l’antagonisme entre établir le sens dans le contrôle et fonder le sens par ailleurs ” (VIAL, M, 1999). Le rôle du formateur dans la logique de l’évaluation “problématique du sens ” (VIAL, 1997) est à penser autrement. Le dispositif de formation sur l’écriture du “ rapport de stage ” dès lors qu’il est conçu et mis en place dans une logique interactive ou une “ coopération interprétative ” (DONNADIEU, 1998) entre le formé et le formateur, permet l’élaboration et la régulation du projet professionnel des formés. Le formateur devient ici le médiateur entre le formé et sa production écrite pour favoriser la prise de recul sur sa pratique. A travers l’interaction, le questionnement du formateur va permettre de guider le formé en induisant l’auto-questionnement de la personne sur sa pratique en évolution puisqu’il est en formation. L’objectif du formateur n’est pas dans l’obtention d’une réponse : “ Alors que le formateur sache que tout ce qu’il peut faire c’est dire et surtout questionner sans attendre, d’ailleurs la réponse. […] je n’attends pas de réponse, j’attends que tu te poses la question…et ta réponse sera peut-être la bonne ” (BONNIOL, 1996). Cette posture du formateur permet au formé de réfléchir à son projet professionnel “ l’attention que le formateur, dans la figure du passeur (BONNIOL, 1996), prête au processus et sa capacité à les laisser s’exprimer sans vouloir les maîtriser, ou les voir, deviennent essentielles pour que le formé élabore des projets et questionne son projet ” (DONNADIEU, 1996). Il est pertinent de se pencher sur l’importance du travail mené en formation sur le projet professionnel, trop souvent réduit au fait que le formé rende compte de ses compétences en fin de parcours. Favoriser l’émergence d’un questionnement sur son projet professionnel est pour le formé un long parcours d’observation de soi même où réaliser le changement, l’évolution prend une place primordiale. La réflexion du formé oscille entre l’adaptation à une posture professionnelle et à une désadaptation constante pour se percevoir en tant que personne, en tant que sujet. Cette attitude est peut-être guidée par le formateur mais reste la démarche “ la mise en projet ” du formé (VIAL, 1991). “ Elaborer un projet professionnel, c’est un processus qui, à partir du personnage et en s’éloignant du rôle prescrit, construit une personne professionnelle dans un processus d’appropriation, projection de soi dans l’univers de l’autre ” (DONNADIEU, 1996). Ce cheminement est difficile, demande une implication et un engagement de la part du formé mais aussi une remise en question. Favoriser la réflexion sur le projet professionnel du formé revient à lui proposer de se mettre en situation constante d’évaluation “ le projet implique une analyse critique de ce faire, ou mieux : une évaluation ”. (VIAL, 1995). Cette situation est le moteur même de la recherche de sens “ l’apostrophe évaluative mobilise le sujet par rapport à son devenir, l’incite à se poser des questions sur ce qu’il met en œuvre dans l’action, à reconnaître ses mouvements, ses hésitations, ses savoirs faire pour les mettre en perspective. Dans cette situation de formation, il ne s’agit pas de penser le sujet comme une coquille vide mais de lui permettre de s’autoriser à devenir concepteur et, pris dans le mouvement, à travailler à une appropriation-création de sens ” (JORRO, 1998). La démarche est donc de mettre en place un dispositif de formation permettant d’œuvrer à la professionnalisation des formés dans le sens où l’objectif est bien de former à devenir un professionnel en se projetant et non pas à la simple reproduction de gestes professionnels “ Former c’est aider à advenir ” (VIAL, 1995). La distinction entre les concepts de professionnalisation et de professionnalité renvoie au concept même de compétence et en éclaire le sens “ la professionnalisation se situe dans le champ de l’évaluation, de la fondation des valeurs (VIAL, 1991) de ce qui vaut pour moi, de la légitimité de l’action intelligible alors que la professionnalité serait plutôt du côté de l’établissement des valeurs (VIAL 1991), du contrôle, de la maîtrise de soi dans la peau du personnage ” (DONNADIEU, 1996). L’opérationnalisation des deux logiques de l’évaluation dans le dispositif de formation pourrait être repérée succinctement de la façon suivante :
Le dispositif de recherche permettant de repérer la construction et l’évolution du projet, la formation du futur professionnel, mais aussi “ les traces ” de la singularité, du sujet, de l’auteur, s’appuie sur des entretiens menés avec les formés. Ces entretiens permettent de mettre en valeur l’importance pour les formés du passage par l’écriture pour élaborer leurs projets professionnels. Notre propos a été de montrer comment la problématique de l’évaluation peut permettre de penser un dispositif ayant pour visée des logiques perçues comme contradictoires. Cette recherche propose de s’interroger sur des pratiques de formation en ayant pour ligne directrice l’intérêt d’un dispositif pour les formés. Même si ce n’est pas le point central de cette communication, le questionnement autour du projet de formation du formateur reste une dimension constitutive de toute réflexion sur l’évaluation. Références bibliograghiques - ARDOINO, J. (1988) : “ logique de l’information, stratégies de la communication ”, POUR, “ La société de consommation ”, n°114, Toulouse. - ARDOINO, J., (1993) : “ l’approche multiréférentielle (plurielle) des situations éducatives et formatives ”, dans Analyses et Pratiques de formation, Paris VIII, n°25-26. - BONNIOL JJ., (1996) : La passe ou l’impasse, le formateur est un passeur, Cahier En Question n°1, Aix en Provence. - CIFALI, M., (1996) : “ Transmission de l’expérience, entre parole et écriture ” dans Education permanente n°127. - DABENE M., (1990) : “ Les pratiques d’écriture : représentations sociales et itinéraires de formation, points de vue sociolinguistique et didactique ”, dans Education permanente n°102. - DONNADIEU, B., (1996) : le projet dans la formation professionnelle : de la personne au personnage, En question n°7, Aix en Provence. - DONNADIEU, B., (1998) : la formation par alternance, coopération herméneutique, Cahiers En question n°2, Aix en Provence. - JORRO, A., (1998) : L’inscription des gestes professionnels dans l’action, Cahiers En question n°18, Aix en Provence. - LERBET G., (1991) : “ Recherche - action, écriture et formation d’adultes ”, dans Education permanente n°143. - VIAL, M., (1991) : Instrumenter l’auto-évaluation, contribution à la pensée complexe des faits d’éducation, thèse de doctorat en Sciences de l’Education, Université d’Aix en Provence. - VIAL, M., (1995) : Le travail en projet, Se former+, Lyon, Voies livres. - VIAL, M., (1997) : Modèles - Références - Méthodes en Sciences de l’éducation : articulation des contraires, synthèse présentée en vue de l’habilitation à diriger des recherches, Université d’Aix en Provence I. - VIAL, M., (1999) : la référenciation et les modèles de l’évaluation, communication au séminaire de Grenoble du GRIEF, “ Education et évaluation dans le domaine de la santé ”. Mots clés : écriture, compétence, projet, évaluation, communication, sujet, formation. |