Biennale 5
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Les collégiens et le rapport à la famille, aux loisirs et au temps libre

Auteur(s) : Joël Zaffran

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bull2.gif (117 octets)   À la suite d'un appel d'offre lancé par la Jeunesse au Plein Air, la CNAF et Micromégas sur le thème des 12-16 ans et les loisirs en zone urbaine sensible, une enquête sociologique a été réalisée auprès de 795 élèves d'une commune proche de Bordeaux afin de répondre à une série de questions relatives aux attitudes des collégiens à l'égard des institutions sociales et aux modalités d'occupation du temps libre : il y a-t-il un lien entre l'école et le temps libre et si oui lequel ? quels sont les effets de l'école sur les loisirs des collégiens ?
bull2.gif (117 octets)  Une démarche
bull2.gif (117 octets)  La démarche sociologique adoptée visait à décrire les liens existant entre l'école et les loisirs par le biais d'une décomposition des différents temps sociaux qui partagent et structurent la vie d'un collégien. Pour cela, nous sommes partis du temps scolaire pour ensuite remonter au temps familial et au temps libre. En procédant de la sorte, nous avons pu atteindre, du moins le croyons nous, la véritable ambition de cette recherche : dégager autant que faire se peut une perspective sociologique appuyant la thèse d'une structuration par l'école de la vie quotidienne des adolescents et par sa présence symbolique dans certaines activités de temps libre.
bull2.gif (117 octets)  Le fait d'accorder au temps scolaire une place centrale a eu des conséquences méthodologiques importantes dans la mesure où cela a permis de faciliter le classement des différents temps sociaux qui s'organisent autour d'un temps social quantitativement dominant. Les effets furent aussi théoriques puisqu'on suppose que la position du sujet dans le système scolaire détermine, au moins partiellement, ses attitudes et ses comportements à l'égard du collège, de ses parents et des structures de loisir. En accordant ainsi une place centrale à l'école, on s'éloigne de l'approche " résiduelle " qui met l'accent sur le loisir comme un temps disponible et dégagé des obligations scolaires. Cette prise de distance théorique facilite la mise en lumière d'un certain ordre de complexité dans lequel baigne l'adolescent, notamment en reconstruisant les liens unissant le temps libre, le loisir et les institutions elles-mêmes productrices d'une temporalité.
bull2.gif (117 octets)  En postulant que ce qui se passe à l'école dépend de ce qui se passe hors d'elle (et inversement ce qui se passe hors de l'école dépend de tout autre chose que de simples apprentissages scolaires), on conclut que les différences entre groupes sociaux s'expliquent en partie par la manière avec laquelle les traits de la forme scolaire sont incorporés et restitués dans les pratiques éducatives ainsi que dans les formes d'occupation du temps libre. Si l'ordre scolaire, bien qu'omniprésent, pénètre différemment la configuration familiale, on peut poser l'hypothèse que les adolescents auront tendance à multiplier des activités présentant un caractère scolaire selon la position sociale des parents et-ou leur position scolaire. Dans ce cas, l'objectif explicite est l'occupation du temps libre de l'adolescent alors que la fonction latente est le renforcement d'un ethos du travail scolaire et d'une préoccupation véritablement éducative (ou sens pratique du terme) plutôt que récréative.
bull2.gif (117 octets)  Un concept
bull2.gif (117 octets)  C'est à partir du concept de loisir " semi-scolaire " qu'il a été possible d'objectiver l'analyse puis d'expliquer en partie les rapports sociaux et les pratiques sociales des adolescents à l'école, en famille ou dans la ville. Les activités de loisir " semi-scolaire " se repèrent à travers la perspective analytique visant à élaborer des catégories d'activités sociales proches ou éloignées de l'ethos du travail scolaire. Le concept proposé dans cette enquête s'inspire de celui de " semi-loisir " que Dumazedier définissait comme " une activité qu'un sujet aurait de toutes façons choisi de faire librement pour lui-même, mais qu'il pratique en interférence avec des activités d'un temps socialement contraint (travail professionnel ou familial, ou socialement engagé (activités politiques ou confessionnelles) ".
bull2.gif (117 octets)  L'intérêt de disposer d'un tel concept est de lever ce que Gurvitch appelait " les ambiguités dialectiques " apparaissant lorsque deux concepts différents se recoupent pour exprimer l'amalgame de deux faits sociaux. En ce qui concerne les 12-16 ans, nous sommes en effet confrontés au problème de l'existence d'un certain nombre d'activités appartenant à la fois aux obligations scolaires et aux loisirs, puisque la complexification et la diffusion dans le social de l'ordre scolaire et des modèles qu'il véhicule donnent naissance à un enchevêtrement de pratiques au sein duquel il s'agit de distinguer ce qui relève des activités de loisirs et ce qui relève des activités semi-scolaires (à savoir des activités qui, bien que se déroulant hors du temps de classe, restent dans les limites des fonts baptismaux de l'école).
bull2.gif (117 octets)  Des résultats
bull2.gif (117 octets)  Les résultats permettent de distinguer deux groupes d'adolescents : les bons élèves et les " mauvais " élèves (tout en sachant que le groupe des élèves ayant un niveau scolaire qualifié de moyen représente une réalité absolument pas négligeable). Au collège, les bons élèves participent à des activités proposées durant la demi-pension et dont le contenu a manifestement des retombées scolaires même si les objectifs premiers en sont éloignés. C'est le cas de la chorale et du théâtre qui, sous un aspect récréatif, favorisent l'élaboration de comportements et d'aptitudes scolairement orientés.
bull2.gif (117 octets)  Les bons élèves se couchent à heure régulière et regagnent directement la maison sitôt les cours finis afin de faire les devoirs en se faisant aider, le cas échéant, par leurs parents. Des parents qui mettent en oeuvre un mode d'investissement pédagogique reposant sur la connaissance totale des notes de leur enfant et le souci régulier de connaître le déroulement de la journée au collège. Il s'agit là d'un style éducatif plutôt souple, mélange de contrôle parental régulier et de compréhension mutuelle. Durant le temps libre, la famille et la maison sont les deux facteurs qui caractérisent le mieux cette première catégorie d'élèves. Le fait de passer les vacances avec les parents permet de maintenir vivace, par les gestes et par les discussions, l'ordre domestique précité. Par ailleurs, le cadre proprement familial à l'intérieur duquel s'écoule le temps libre favorise l'attachement plein et entier au devoir scolaire (ce à quoi l'élève se sent obligé par la morale et plus précisément par l'ordre domestique) en réalisant les tâches écrites demandées par les professeurs (les devoirs).
bull2.gif (117 octets)  Durant les vacances scolaires, la visite ou les jeux en famille s'accompagnent d'activités spécifiquement culturelles (cinéma-lecture-bibiothèque) et scolaires (travailler pour l'école). Enfin, la musique, le tennis et la danse sont des activités qu'ils apprécient le plus. Or, il s'agit d'activités qui ne souffrent pas la démesure et demandent un haut degré de contrôle des émotions. Pour être correctement pratiquées, elles exigent un niveau d'entraînement, de répétition, d'astreinte, de rigueur et de concentration suffisamment élevé pour ne laisser la place ni à la spontanéité, ni à l'improvisation.
bull2.gif (117 octets)  Les adolescents dont le niveau scolaire est faible, vivraient quant à eux dans un ordre domestique où est présent le fléchissement dans l'ardeur scolaire et l'imposition de règles strictes de vie domestique. Les devoirs sont faits le lendemain ou bien avant de se coucher et l'heure à laquelle ils se couchent est laissée à leur appréciation. Si les bons élèves peuvent compter sur l'aide de leurs parents en cas de difficultés scolaires, les " mauvais élèves " auraient plutôt tendance à solliciter l'animateur du centre social, plus précisément celui qui est chargé d'assurer l'aide aux devoirs. Mais cette différence ne signifie pas pour autant que les parents n'accordent aucun intérêt à la scolarité de leur enfant. Bien au contraire, ces derniers lui demandent tous les soirs si les devoirs sont faits. Ils n'hésitent pas non plus à tancer l'enfant, parfois vertement, en cas de mauvaise note. On aurait affaire à un modèle familial ambivalent où l'importance de l'école et le souci de la tâche scolaire accomplie sont bien présents mais où les attitudes parentales seraient soit inadaptées soit limitées aux tâches scolaires formelles et explicites.
À propos des vacances, elles sont partagées quelquefois avec les parents, quelquefois avec une association. Mais bien souvent, le temps libre est pour eux un temps mort. Les vacances de Pâques ou encore la fin des cours sont synonymes d'ennui. Enfin, si certains adolescents ressentent la vacuité du temps libre, d'autres s'en servent pour se rendre au centre d'animation, au centre commercial, au parc qui deviennent lieux d'un fort investissement par des adolescents qui y trouvent les moyens d'exprimer une sociabilité juvénile. Cette recherche de sociabilité se retrouve, mutatis mutandis, durant la demi-pension puisque ce temps libre donnera l'occasion de pratiquer une activité sportive sans l'encadrement d'un adulte. C'est le cas du terrain de foot, de basket, des tables de ping-pong qui sont mis à la disposition des élèves et qu'ils peuvent utiliser à leur gré.
bull2.gif (117 octets)  Un prolongement
bull2.gif (117 octets)  Au terme de cette enquête, on assiste à l'émergence d'une opposition entre une éthique du travail scolaire repérée dans le premier groupe des bons élèves et une éthique du divertissement présente dans le second groupe. être un bon élève exige l'acceptation de contraintes parfois lourdes puisqu'elles obligent l'adolescent à suivre une rythmique régulière et précise. La cadence est marquée par deux temps forts : le temps scolaire et le temps familial. Mais l'adolescent est parfois mis à rude épreuve puisqu'il est implicitement soumis à un rythme de production scolaire qu'il doit impérativement suivre. Or, pour être réalisable, cet aspect devra être incorporé dans les structures de la personnalité de l'adolescent. Bien qu'efficace d'un point de vue scolaire, on ne peut que s'interroger sur les effets parfois durs que provoque l'engagement dans la course des temps sociaux de certains d'entre eux. En définitive, ce ne sont pas tant les formes d'utilisation des structures de loisirs par les adolescents sur lesquelles il conviendrait de réfléchir à présent que la manière avec laquelle ces adolescents s'engagent dans la course des temps sociaux.