Le professeur doit pour être capable d’enseigner connaître non seulement sa discipline mais également la didactique de sa discipline qui correspond à l’art de transmettre des connaissances c'est-à-dire, savoir construire des situations d’enseignement et d’apprentissage. Mais ce n’est pas tout. Il doit aussi savoir conduire une classe ce qui correspond à la notion de communication pédagogique entre l’élève sujet apprenant et le professeur. Ainsi l’enseignant répond à une double responsabilité. En amenant les élèves à un certain degré de connaissances dans une discipline donnée il exerce sa responsabilité d’enseignant et de formateur. Et dans ce cadre il est amené à exercer une responsabilité éducative et éthique. Ces responsabilités l’enseignant les exerce à trois niveaux : dans sa classe, dans l’établissement et au sein du système éducatif. Or ces dernières années nous assistons à de profonds bouleversements. Les sociétés industrielles évoluent avec la transformation de l’appareil de production (technologies nouvelles, informatique, automatisation) ainsi que, dans le même temps, l’organisation du travail, les métiers et les personnes. C’est une révolution économique à laquelle nous assistons et qui pose de nombreux problèmes sur le plan social d’autant plus difficiles que nous sommes en période de crise et de chômage. Crise économique mais aussi crise socio-politique qui se ressent profondément dans le système éducatif notamment au niveau des collèges et des lycées professionnels et techniques.
  J’enseigne dans un lycée technique où nous sommes confrontés ces dernières années à des problèmes de comportement et d’absentéisme. C’est pourquoi en 1997 deux commissions de travail ont été demandées par des collègues à l’issue des conseils de classe du troisième trimestre. Au cours de l’année scolaire 1997-1998 deux enquêtes ont été menées dans l’établissement auprès des enseignants.
enquête sur l’absentéisme des élèves,
questionnaire “ comportement des élèves ”.
  Résultats de l’enquête sur l’absentéisme des élèves
  Sur 142 questionnaires, il y a eu 60 réponses (42,25%).Les collègues ayant répondu estiment majoritairement que l’absentéisme est faible à moyen dans leurs classes. Cependant, le quart des réponses le donne comme important. Ceci nous semble indiquer une dérive des élèves vers l’absentéisme ainsi qu’une prise de conscience de la part des enseignants de ce phénomène. Si les moyens mis en place jusqu’à présent pour y faire face ont permis de contenir ce phénomène, il n’en demeure pas moins nécessaire d’exercer une grande vigilance et de se doter des moyens pour l’enrayer. L’absentéisme est plus important en terminale et dans les sections de T.S. Il est donné pour faible en seconde et première, classes dans lesquelles un système “ d’appel de première heure ” est appliqué depuis cette année.
  Résultats de l’enquête sur le comportement des élèves
  Les _ des enseignants du lycée qui ont répondu au questionnaire estiment que les problèmes de comportement des élèves ont augmenté ces dernières années et que de nouveaux types de comportement sont apparus. Les manifestations les plus évidentes et les plus citées sont le manque de savoir-vivre général, l’impolitesse, l’intolérance, l’impertinence, la grossièreté, les provocations diverses… L’agressivité et la violence de certains élèves se traduisent en particulier au niveau du vocabulaire employé dans les salles de cours et dans les couloirs. 84% des enseignants estiment être “ parfois ” confrontés à ces problèmes de comportement dans leur de cours ou dans les couloirs du lycée. Il s'agit en particulier d’agressions verbales entre les élèves, plus rarement d’agressions physiques ou d’une tenue individuelle (ou collective) jugée incorrecte.
  Interrogés sur certaines situations, l’immense majorité des professeurs estime que les sonneries, les alarmes, les bousculades, les hurlements dans les couloirs, et le port de la casquette en classe, la consommation d’aliments et de boissons sont difficilement supportables, voire inacceptables.
  Les _ sont très partagés quant aux solutions à mettre en œuvre, en particulier quant à la question relative à l’environnement de l’élève en tant que “ circonstance atténuante ” dans notre réaction face à un comportement répréhensible. L’immense majorité estime cependant que l’élève est responsable de son comportement et que l’ensemble de l’équipe pédagogique est concerné par le problème.(cf. synthèses et commentaires des résultats des enquêtes sur le comportement et l’absentéisme des élèves menées au lycée René Cassin à Strasbourg Mai 1998).
  A la suite de ces enquêtes, les deux commissions proposent d’élaborer une charte de vie scolaire et de mettre en place une pédagogie de contrat pour les classes de secondes, premières, terminales et premières années de B.T.S.
  Dans le cadre de cette action je propose pour l’année scolaire 1998-1999 à deux classes : première et terminale et à leurs professeurs principaux de mettre en place un apprentissage du débat dans le cadre de mes cours et d’organiser avec les élèves une table ronde pour un public élargi avec invitation d’autres classes sur le thème de la citoyenneté. Un premier objectif est d’amener les élèves à s’écouter et à écouter les autres pour favoriser la concentration par le biais de la méta-communication et d’apprendre à argumenter sachant que nous sommes dans un lycée technique commercial et que l’argumentation fait partie de la formation. Un autre objectif est de les motiver par un projet les concernant en leur faisant prendre conscience dans un premier temps des règles de vie de l’établissement et de la classe puis d’une façon plus fine en leur apprenant à maîtriser la circulation de la parole au sein d’une séquence en classe. C’est pourquoi en début d’année, d’octobre à novembre 1998 nous avons élaboré avec ces classes et l’équipe pédagogique un contrat de classe en liaison avec le règlement intérieur. Ainsi en classe de terminales le professeur principal les a sensibilisés au règlement intérieur en leur faisant découvrir l'intérêt de cette notion à travers des organisations sociales différentes : entreprises où plus de la moitié de la classe y avait fait un stage, et lycée.
  De décembre à mars, en terminales, j’ai organisé dans le cadre d’une revue de presse des mini-débats menés par les élèves selon des règles précises élaborées avec Michel Tozzi et moi-même à l’Université d’été de Montpellier “ La socialisation démocratique ” en juillet 1998.
  REGLES A SUIVRE POUR L’ANIMATION ET LA PARTICIPATION AU DEBAT.

  Par rapport au langage : la parole doit être partagée donc il faut la donner, la prendre et être écouté.
  Par rapport à la morale et à l’éthique : respect et coopération sont souhaités.
  Par rapport au savoir : il est nécessaire d’argumenter à partir d’exemples transversaux et ou multi-disciplinaires.
  S’efforcer à prendre de la distance par un travail sur soi en repérant l’agressivité, la passion…par exemple.
  Par rapport à la loi, à la règle imposée parfois et si possible négociée en respectant les procédures et les processus mis en place.
  Par l’enseignant ou le formateur : être le garant de la règle et du savoir, ne pas éluder les conflits.
  En classe de première
j’ai appris aux élèves à maîtriser des grilles d’analyse de communication orale en favorisant la méta-communication et le débat. En mars et avril, ils animent sou ma résponsabilité, avec l’aide de leur professeur de droit et d’un surveillant doctorant en histoire du droit, une table ronde au Parlement Européen avec trois intervenants extérieurs et une classe invitée. Le thème choisi est la citoyenneté européenne pour mieux comprendre et pour certains élèves majeurs mieux participer aux futures élections européennes de juin 1998. La matinée a été conclue par l’ensemble des élèves sous forme de 6-6.
  J’ai essayé avec plus ou moins de succès de “ socialiser ” mes élèves, de les éduquer à la citoyenneté en améliorant ma communication pédagogique. J’ai tenté dans ces cours de proposer une méthode socialisante par la mise en place d’espaces de discussion organisés, tels que la construction d’une synthèse collective après un état des lieux en vue d’élaborer un contrat de classe, l’organisation de débats autour des savoirs et expériences du groupe, des études de cas à l’aide de protocoles d’analyse facilitant discussion et compréhension et enfin rencontre et travail en commun autour d’une table ronde.
  Questionner les méthodes veut-il dire laisser de côté les contenus ? et privilégier la relation pédagogique et les techniques d’animation ?
  En fait, c’est aller au-delà de la transmission des connaissances en insistant sur l’art de la discussion et l’art d’être en relation pour stimuler le désir de connaître désir socialisant par lui-même. Comment ? Il s’agit d’ouvrir au cœur de l’enseignement stricto-sensu, de démonstrations, de formules, de théories, de définitions et de concepts … , d’ouvrir donc au cœur de l’enseignement des espaces de discussion où les références se construisent collectivement :
- comment se construisent-elles ?
- comment nous sommes-nous construits cette année-là dans ces classes ?
- comment pouvons-nous amener un groupe, des élèves à cette construction collective quand on sait que chacun cherche à “ avoir raison ” ?
  Nous avons pu constater au cours de cette année qu’il était possible d’arriver à un accord aussi bien sur le fond que sur la forme entre les différents intervenants au dialogue autour du “ meilleur argument ”. Ce n’est plus ici l’autorité qui prime bien que le respect des règles soit essentiel, mais c’est l’argument le mieux fondé comme dans la communauté scientifique où plusieurs expériences permettent de valider une théorie ou dans le monde juridique en associant experts et corpus juridique à la prise de décision du magistrat “ en son âme et conscience ”. Ce processus démocratique opératoire dans la vie juridique et dans la communauté scientifique commence à se mettre en place dans la société civile. Nous assistons à une démocratisation de la société à tous les niveaux, c’est pourquoi, en principe, nous préférons la “ loi du meilleur argument ” plaçant l’élève face à lui-même. Si nous voulons former de hommes et femmes responsables, il faut que l’apprenant puisse faire l’expérience du choix et de la participation aux décisions, puisse expérimenter la construction de la légitimité sociale qui sont indissociables de la notion de citoyenneté. Ainsi, je me suis efforcée de ne pas avoir la position du “ Grand Sachant ”. C’est à dire que ce n’avait pas, je l’espère, une communication dissymétrique où j’étais investie d’un pouvoir et d’un savoir important en face d’élèves ignorants ayant tout à apprendre. Cela fût plutôt une relation assymétrique, qui s’est mise en place où ont été apportés à la fois un savoir théorique et un savoir pratique par des mises en situations contrôlées avec le groupe.
  En conclusion je dirai qu’il est important d’être le gardien et le garant de la règle tout en essayant de donner l’exemple d’une relation suffisamment présente et suffisamment distante, par l’attention portée au déroulement des séquences, à certains facteurs socio-affectifs et autres, à certaines demandes auxquelles nous avons parfois répondu.
  Ainsi, l’alternance entre l’exposition de démonstrations qui s’imposent et l’ouverture au débat, de même que l’attention portée à soi-même et à l’autre forgent la personnalité de l’élève autant que les contenus d’enseignement car l’apprenant ne découvre et ne vit ses possibilités que dans l’expérience et dans le retour sur lui-même. Le dialogue entre l’enseignant et l’apprenant peut aussi déboucher sur l’explicitation des démarches mentales que l’apprenant met en œuvre par la communication réflexive.
  Bibliographie
  HABERMAS J. [1968] : La technique et la science comme idéologie, traduit de l’allemand par Jean-René Ladmiral, Gallimard, Paris, 1991.
  JONAS H : Le principe de responsabilité, éd. du Cerf ,1993.
  PATURET J.B. : De la responsabilité en éducation, éd. Erès, 1995.
  SONNTAG M., WERCKMANN F. [1998] : Métacognition et pédagogie reflexive. Xxème journées Internationales sur la communication et la culture scientifique industrielle , Chamonix, 23 au 27 mars 1998.