Biennale 5
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Insertion professionnelle et sociale ; apports d'une approche ergonomique. Film "Le cru, le cuit et le service"

Auteur(s) : VINATIER Isabelle, THULLIER Jacques

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bull2.gif (117 octets)   Engager une réflexion concernant une didactique professionnelle qui favoriserait l'intégration des personnes handicapées en milieu ordinaire de travail implique d'articuler nos conceptions relatives à plusieurs registres notionnels : celui du travail, celui des compétences, et celui de la personne au travail. En France, le modèle du travail qualifié est basé sur une mise en équivalence des compétences professionnelles avec celles que mesure un niveau scolaire. Or, les référentiels de métiers ne codifient que les compétences socialement reconnues. C'est ainsi que l'expérience acquise dans les activités professionnelles ou même dans les activités courantes de la vie ordinaire ne se traduisent pas sous la forme de compétences au niveau social. Dans cette perspective, la question qui est posée aux formateurs recouvre deux axes de réflexion et de recherche. Le premier axe est celui d'une analyse de l'activité de la personne en situation de travail que ne traduisent pas les référentiels dits de compétences. Le deuxième axe est celui de l'analyse des conditions favorisant l'émergence, la construction et le développement des compétences professionnelles.
bull2.gif (117 octets)  L'analyse de l'activité de la personne en situation de travail :
bull2.gif (117 octets)  Analyser les activités de travail auxquelles les personnes handicapées sont confrontées est un moyen puissant pour mettre en évidence une réalité de travail qui est partagée par le milieu ordinaire. Le travail est une activité qui a une valeur particulière pour les femmes et les hommes de notre société contemporaine. En effet, on peut considérer, comme le souligne Yves Clot dans son ouvrage intitulé "La fonction psychologique du travail" (1999), que le travail "exerce dans la vie personnelle une fonction psychologique spécifique qu'il faut parvenir à définir. Et ce, précisément, en raison du fait qu'il est une activité dirigée." (page 3). Un peu plus loin dans son introduction il précise "le travail ne remplit sa fonction psychologique pour le sujet que s'il lui permet d'entrer dans un monde social dont les règles soient telles qu'il puisse s'y tenir. Sans loi commune à faire vivre, le travail laisse chacun de nous face à lui-même." Considérer le travail comme une activité dirigée mérite quelques explications. Pour Yves Clot (page 98), elle est triplement dirigée : par la conduite du sujet, au travers de l'objet de la tâche, vers les autres. Nous allons reprendre les trois directions envisagées par Yves Clot pour parler du travail comme "activité dirigée" car elles ont pour nous une valeur heuristique. Cependant, l'interprétation que nous donnons à ces trois directions n'engagent pas l'auteur que nous venons de citer.
1°) Par la conduite du sujet :
bull2.gif (117 octets)  De notre point de vue, quelle que soit la prescription qui est adressée à la personne au travail, il n'y a pas d'activité sans un sujet qui se soit approprié la tâche qui lui est confiée et, avec elle, un ensemble de techniques et de concepts qui constituent ce que P. Pastré appelle "un champ professionnel". En effet, il nous faut cesser de considérer que seules des connaissances théoriques mobilisent chez la personne qui apprend l'acquisition de concepts. Chaque situation de travail mobilise des concepts pragmatiques qui permettent à la personne d'effectuer la tâche qui lui est confiée, de faire face à l'aléa, et de surmonter des difficultés (en cas de panne par exemple). Par ailleurs, il n'y a aucun savoir-faire ni même savoir-être qui ne repose sur une organisation personnelle de l'action, de la prise d'information, de la décision et du contrôle de son activité.
bull2.gif (117 octets)  Un deuxième aspect relatif à la conduite du sujet, est le rapport qu'a développé le sujet à son activité de travail. Ce rapport mobilise sa subjectivité, laquelle est fortement liée au sens que représentent les tâches qui sont confiées à la personne parce qu'elles peuvent représenter une réalisation de soi dans le cadre d'un collectif. Le sens que prend l'activité de travail pour la personne s'articule doublement : au but de l'action à mener pour effectuer les tâches mais aussi à la position sociale que ce travail représente.
bull2.gif (117 octets)  Ce premier point est important car nous pouvons en tirer des conséquences relatives aux types de tâches qui sont confiées aux personnes travaillant dans les CAT et au projet d'intégration en milieu ordinaire de la personne handicapée. A ce stade de notre présentation, l'intention que nous poursuivons est double :
- souligner combien une personne est investie personnellement dans l'activité qu'elle met en œuvre,
- montrer combien le type de tâche prend pour une personne un sens qui n'est pas seulement finalisé par l'action à mettre en œuvre, mais aussi par la représentation que cette personne porte sur elle-même à travers le regard de celui qui lui a confié le travail.
2°) Au travers de l'objet :
bull2.gif (117 octets)  Les propriétés des objets qui finalisent l'activité des personnes au travail peuvent être extrêmement variées. En outre, ces objets demandent aux sujets (qui travaillent à leur réalisation) de cerner leurs attributs mais supposent une organisation de leur activité qui peut se traduire sous la forme de règles d'actions de prise d'information et de contrôle. A ce titre, Gérard Vergnaud parle de schèmes mis en œuvre par les sujets sur lesquels repose un savoir-faire gestuel ou intellectuel. Voici comment il définit ce concept :
"J'appelle schème cette organisation, qui est invariante pour une classe de situations données. Un schème est composé d'une représentation du but à atteindre et des étapes pour y parvenir, des objets de différents niveaux sur lesquels portent l'action, des propriétés de ces objets et leurs relations ; le schème est également composé de règles d'action de prises d'information et de contrôle, qui ont pour fonction directe de générer la conduite du sujet en situation. La majeure partie de ce fonctionnement reste inconsciente, ou en tout cas implicite. Mais la conscience et le contrôle sont cependant essentiels à certains moments du fonctionnement du schème."
bull2.gif (117 octets)  Travailler avec les personnes sur la prise de conscience, d'une part, des objets et relations, et, d'autre part, des démarches qu'ils mettent en œuvre leur donne des outils pour maîtriser leur champ professionnel.
bull2.gif (117 octets)  Des ambitions en termes de formation sur des lieux de travail qui se limitent à des objets partiels produisent des effets désastreux dans la construction du rapport de la personne à son activité de travail et le sens de cette activité de travail ne peut pas être construit.
bull2.gif (117 octets)  On peut également comprendre qu'une activité dirigée au travers d'un objet qui a peu de valeur sociale aura tendance à développer chez la personne au travail un rapport de déconsidération vis-à-vis de ses compétences.
3°) Vers les autres :
bull2.gif (117 octets)  Cet aspect du travail comme activité dirigée peut être interprété de deux manières. La première est la fonction d'échange social du travail et la deuxième est la fonction sociale du travail.
bull2.gif (117 octets)  Le travail a une fonction d'échange social pour deux raisons :
- ce que la personne réalise ou transforme ou conçoit comme objet prend sens et place dans une société, dans une culture qui suscite et permet le développement d'un certains nombre de besoins qui peuvent s'exprimer sous différentes formes.
- le travail d'une personne est un maillon appartenant à une chaîne d'activités reprises par d'autres personnes. L'activité de travail de l'un répond aux besoins de l'activité de travail de l'autre et on peut ainsi considérer, dans ce cas, que c'est du travail qui s'échange entre les personnes. Pour le formuler autrement, on peut dire que le travail de l'un vient nourrir le besoin de travail de l'autre, et réciproquement.
bull2.gif (117 octets)  Considérons maintenant ce que nous appelons la fonction sociale du travail :
- elle s'enracine dans l'idée que l'activité d'une personne dans un contexte de travail est ce qui la positionne par rapport aux autres personnes qui partagent le même contexte et par rapport à la société à laquelle cette personne appartient. Cette fonction du travail est lourde de conséquences. Ainsi, une personne à laquelle on attribue un nouveau poste, lequel traduit une reconnaissance en termes de compétences de la part de la hiérarchie, marque par son attitude, son comportement et l'activité qu'elle déploie, le bénéfice narcissique apporté par cette évolution professionnelle. Inversement, nous savons également que lorsqu'une personne perd son emploi, ou n'en trouve pas, ou n'a pas le sentiment d'être employée à son niveau de compétences, l'image qu'elle a d'elle-même est fragilisée et sa personnalité peut être atteinte. Par ailleurs, elle peut se retrouver exclue du monde social.
- La profession est souvent évoquée lors de la présentation d'une personne, comme si le métier qu'elle exerce, ou pas, lui donnait une caractéristique identitaire. Le rapport que développe une personne à sa profession en interaction avec ce que lui renvoie son entourage (sur le registre de la valorisation ou de la dévalorisation) influence les échanges et la possibilité d'établir, ou pas, une communication.
bull2.gif (117 octets)  Le monde du travail est actuellement un lieu de socialisation important dans notre société. D'où l'importance des perspectives d'intégration sociale et d'insertion professionnelle pour les personnes handicapées.
bull2.gif (117 octets)  Nous avons tous cette expérience du travail inscrite dans le fait qu'à partir du moment où l'on se retrouve à un poste avec un statut donné, il est attendu de nous la production d'un certain type d'objets mais aussi certaines manières d'être, des attitudes, etc. Confrontée à ce phénomène, chaque personne développe des réactions particulières par rapport à l'ensemble des facteurs qui peuvent déterminer son activité. En effet, la tâche effectivement réalisée est toujours différente de celle qu'avait définie la prescription.
bull2.gif (117 octets)  La notion d'identité professionnelle rend compte de l'articulation entre l'activité professionnelle et le rapport développé par la personne à cette activité. Ce rapport est investi par sa subjectivité, laquelle recouvre l'investissement de la personne en tant que sujet de ce qu'elle réalise. La face de la personne (au sens où E. Goffman l'emploie lorsqu'il parle de narcissisme et de territoire) est fortement impliquée. Nous tenons particulièrement à souligner cette dimension du travail qui, en général, n'est pas prise en considération. Un poste de travail est, la plupart du temps, défini à partir d'un référentiel de compétences. Ce dernier précise les performances attendues, mais il ne rend pas compte de l'activité déployée par le sujet. L'activité mise en œuvre par une personne recouvre une double implication du sujet, laquelle est de manière articulée à la fois cognitive et subjective. Dans le cadre de la formation professionnelle, l'exploration des connaissances relatives à un champ professionnel donné permet le développement d'investigations et d'analyses, mais la recherche sur le rôle de la subjectivité dans l'activité de travail, à laquelle nous tentons de participer dans le cadre de nos travaux, est encore balbutiante. Il nous faut cependant considérer cet aspect.
bull2.gif (117 octets)  En effet, s'inscrire en tant que sujet dans un projet de formation, c'est non seulement chercher à développer des connaissances dans un domaine mais c'est aussi construire et développer un rapport au champ professionnel considéré.
bull2.gif (117 octets)  Ce rapport à l'activité de travail peut être caractérisé au niveau du narcissisme de la personne (image de soi) et au niveau de son territoire (en particulier l'ensemble des domaines d'interventions que la personne peut s'attribuer dans le collectif de travail auquel elle appartient ou l'ensemble des domaines qu'elle pense être en mesure d'investir dans le cadre de son projet de formation). Nous allons donner deux caractéristiques pour chacun de ces niveaux. Ils traduisent l'expression du sujet par rapport à son activité de travail.
bull2.gif (117 octets)  Au niveau narcissique :
- la personne se valorise ou se dévalorise,
- la personne perçoit ou non ses compétences,
au niveau du territoire :
- la personne s'autorise ou ne s'autorise pas à prendre des initiatives,
- la personne s'implique personnellement dans ses actes ou au nom d'un collectif,
bull2.gif (117 octets)  Ces caractéristiques fonctionnent à travers l'activité déployée et vis-à-vis de l'entourage de la personne. Elles sont particulièrement repérables lorsqu'on analyse les situations de travail et lorsqu'on interroge les personnes concernées sur la représentation de leur fonction.
bull2.gif (117 octets)  Pour illustrer notre propos, nous avons eu l'occasion d'analyser de manière comparative, et avec l'aide de la caméra, le travail réalisé dans le champ de la restauration entre des professionnels en milieu ordinaire et des travailleurs handicapés (ayant pour la plupart un handicap mental) dans un C.A.T..
bull2.gif (117 octets)  La différence que nous avons pu observer ne portait pas sur les compétences techniques et opératoires de l'ensemble des personnes impliquées, mais sur le rapport développé par les personnes handicapées à leur activité de travail. Ce phénomène s'est traduit de la manière suivante :
bull2.gif (117 octets)  Au niveau narcissique, les personnes ont découvert, en regardant leur activité restituée par un écran de télévision, qu'elles agissaient comme des professionnels : "On dirait que je suis un vrai cuisinier", "c'est bien de se voir, j'ai envie de montrer à ma famille, comme ça ils verront que je fais un vrai travail". Elles réagissaient comme si elles n'avaient pas conscience de posséder des compétences professionnelles et comme si, pour certaines, elles étaient surprises de ne pas repérer à l'écran les stigmates de leur handicap : "on dirait que c'est des personnes normales".
bull2.gif (117 octets)  Au niveau de leur territoire d'activité, les personnes handicapées ont exprimé leur peur de travailler en milieu ordinaire : "je serai tout seul... je ferai des fautes...". Elles n'ont pas envisagé, pour elles-mêmes, d'aller travailler en milieu ordinaire. Elles semblent donc avoir intériorisé une représentation de leur handicap, laquelle s'est traduite par le fait d'envisager une limitation de leur activité professionnelle dans un contexte (le C.A.T.) et en s'excluant, a priori, de la possibilité de travailler en milieu ordinaire.
bull2.gif (117 octets)  Nous avons noté, par ailleurs, que ces personnes avaient des difficultés pour décrire leur activité. Cette activité de description de son travail, en différé à partir du film montrant son activité de travail, est très complexe pour n'importe quel professionnel. Cependant, cette difficulté est accentuée par le fait que ces personnes ne possèdent pas toujours les mots pour décrire les opérations qu'elles effectuent. Elles ne maîtrisent donc pas suffisamment le langage technique spécifique du champ de la restauration. Nous concernant, nous expliquons ce problème en partie par le fait qu'en tant qu'enseignant ou éducateur confrontés à la difficulté d'apprentissage, nous avons, et c'est une erreur, une tendance naturelle à baisser notre niveau d'exigence et à penser que pour rendre compréhensible la communication il est nécessaire de limiter l'utilisation d'un vocabulaire technique jugé trop abstrait ou trop complexe pour notre interlocuteur.