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Analyse des interactions verbales entre les enseignants et des élèves en difficulté d'apprentissage

Auteur(s) : VINATIER Isabelle

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L'objectif poursuivi par la recherche que nous conduisons dans une classe de cours préparatoire est de repérer dans l'analyse de la situation de travail combien la représentation de soi, de la tâche, des autres et du contexte détermine la signification de la situation de communication, pour les élèves comme pour les enseignants.
Nous faisons l'hypothèse que l'ensemble de ces représentations induit des comportements, des démarches, ainsi qu'un type de relation interindividuelle entre les élèves et l'enseignant dans les interactions verbales.
Dans le cadre d'interactions duelles enseignant-élève, l'analyse comparative des dialogues entre d'une part un enseignant et des élèves considérés comme des "bons élèves", et d'autre part entre le même enseignant et des élèves considérés comme des "mauvais élèves", va nous permettre, au niveau méthodologique, de repérer le rôle de l'ensemble de ces représentations dans l'expression de l'intersubjectivité, en classe, dans le cadre d'une situation de communication.
La situation de communication que nous allons analyser est la relation d'aide apportée par un enseignant à un élève. Nous nous intéressons à des moments de dialogue enregistrés où l'enseignant s'adresse en particulier à un élève pour l'aider à résoudre une tâche qui lui résiste.
Il ne nous paraît pas déraisonnable de penser que l'activité déployée par un élève dans le cadre de son travail scolaire est en rapport avec la représentation que cet élève a construite de lui-même en tant que membre d'une classe positionné à une place particulière dans le groupe. Nous faisons l'hypothèse que la conceptualisation opérée par l'enfant de la situation de communication (définie par le fait que le maître vient lui apporter de l'aide) est liée à la conceptualisation qu'il opère de son activité.
De la même manière, il ne nous paraît pas déraisonnable de penser que l'activité déployée par un enseignant dans le cadre de l'aide qu'il apporte à un élève (positionné à une place particulière dans le groupe-classe) est en rapport avec la représentation que cet enseignant a construite de lui-même.
La perspective que nous tentons de développer est basée sur l'idée que lorsque le faire de l'élève s'articule avec du dire entre lui et l'enseignant (qui lui apporte de l'aide lorsqu'il n'arrive pas à résoudre la tâche) alors la situation de communication se prête à une analyse qui permet de saisir le rapport construit par l'élève à son activité de travail interactivement avec le rapport qu'a également construit l'enseignant à sa propre activité de travail. Nous pensons que ce rapport, construit interactivement, est révélateur du sens que présente l'activité déployée par l'élève d'une part et par l'enseignant d'autre part.
Nous faisons l'hypothèse que la conceptualisation opérée par l'enseignant de la situation de communication (définie par le fait qu'il s'adresse à un "bon élève" confronté à une difficulté ou à un "mauvais élève" confronté à une difficulté) est liée à la conceptualisation qu'il opère de son activité.
La conceptualisation dont il est ici question, aussi bien pour l'élève que pour le maître, est un processus qui engage leur activité à deux niveaux : celui de l'action qu'ils mettent en œuvre pour effectuer leurs tâches (l'exercice pour l'élève, l'aide pour l'enseignant) et celui de la relation qu'ils établissent entre eux réciproquement.
bull2.gif (117 octets)  Toute communication a une valeur relationnelle et les énoncés produits par les interactants portent les marques de la relation entre le locuteur et l'interlocuteur, mais aussi de la relation que le locuteur et l'interlocuteur entretiennent avec l'objet de l'interaction. S'intéresser aux interactions verbales permet de repérer la manifestation de l'intersubjectivité qui est inhérente aux dialogues.
bull2.gif (117 octets)  Nous avons besoin d'un modèle linguistique susceptible de rendre compte de la dimension à la fois interactive et relationnelle de la communication, c'est la raison pour laquelle nous allons puiser dans les travaux et recherches menés par Catherine Kerbrat-Orecchioni pour l'analyse des interactions verbales.
bull2.gif (117 octets)  Par ailleurs, la théorie des champs conceptuels de Gérard Vergnaud permet de saisir l'articulation entre ce qui est observable, c'est-à-dire ce que le sujet met en œuvre dans l'interaction (les éléments du discours) et ses "connaissances-en-actes" désignées comme des "invariants opératoires" pour signifier qu'elles ne sont pas nécessairement explicites, ni même conscientes mais qu'elles recouvrent des processus d'identification du réel, d'interprétation des informations, et des raisonnements.
La conduite des interlocuteurs révèle une organisation de leur activité à deux niveaux : celui qui leur permet d'articuler la gestion de la relation dans leurs échanges et celui qui leur permet la gestion de l'action à accomplir pour la résolution de la tâche.
Pour préciser l'objet de notre recherche, nous allons analyser la manière dont l'identité d'élève et l'identité d'enseignant s'expriment dans le cadre de leurs échanges relatifs à des situations de travail qui font difficulté pour l'élève et qui impliquent l'aide de l'enseignant.
bull2.gif (117 octets)  Ainsi, une approche des concepts d'identité de l'élève d'une part, et d'identité de l'enseignant d'autre part, articulés à une conception interactive de la communication, est à la base de ce travail.
Aborder une réflexion sur l'identité d'élève et l'identité d'enseignant implique de circonscrire la notion d'identité à un champ d'activité des personnes concernées. En l'occurrence, celui d'activité de résolution d'une tâche scolaire pour le premier et d'aide à la résolution de la tâche pour le second. Cette notion, quoique délicate à définir, nous semble fructueuse pour penser la relation du sujet au groupe social auquel il appartient et dans la manière dont elle s'exprime dans les interactions verbales. L'identité du sujet est façonnée et travaillée par son contexte relationnel, et la question de l'Autre apparaît fondamentalement constitutive de l'identité. Dans une perspective génétique du développement de l'identité nous prenons pour référence les travaux de Donald W. Winnicott. Il situe ce processus dans la relation de l'enfant au regard de sa mère qui jouerait le rôle de miroir. Quand il regarde sa mère, l'enfant la voit et il se voit lui-même et c'est dans ce deuxième aspect, propre à la communication avec l'Autre, que s'établit un retour sur lui-même lui permettant de construire son territoire constitué d'objets subjectifs. Ainsi l'identité d'une personne se constitue dans le cadre d'une dynamique relationnelle et s'origine dans la personne en tant qu'elle est en relation avec un autre. Autrement dit, elle se constitue dans un espace d'intersubjectivité construit par les personnes en présence l'une de l'autre. C'est pourquoi la recherche des manifestations du sujet forme le cœur de notre axe de recherche. Erikson relie cette notion à la fois à ce qui peut être chez la personne une conscience d'être ce qu'elle est, mais aussi à une manifestation de ses activités dans son environnement et à son adhésion aux règles et au groupe dont elle est membre. L'identité d'un individu est, pour Vincent de Gaulejac, une construction dynamique du sujet qui cherche à se positionner, à affirmer sa singularité, à trouver des issues dans le traitement des contradictions auxquelles il est soumis. Il définit l'identité "comme la résultante des positions sociales occupées (versant identité sociale) et du rapport subjectif à ces positions (versant identité psychique)".
bull2.gif (117 octets)  L'identité s'exprime sur plusieurs registres :
- par rapport à l'autre :
il s'agit de la dimension verticale : le "système des places" de F. Flahault situe la relation sur l'axe du pouvoir, de l'autorité, de la dominance. L'expression linguistique du système des places occupées par les interlocuteurs peut se traduire dans leur choix de s'attribuer ou d'attribuer à une règle collective ou générique une manière de procéder (utilisation du je ou du on, nous), de l'occupation du volume de parole, de leur manière de se présenter, de s'autoriser à s'écarter de ce qui est prescrit par la tâche. La place occupée peut se traduire également dans les actes de langage utilisés. Pour C. Kerbrat-Orecchioni la question est l'un des trois actes considérés comme les plus fondamentaux en français. Il occupe une place centrale dans le trio assertion-question-ordre. En effet, la question est l'acte de langage le plus intrinsèquement interactif, dans le sens où sa réalisation implique très fortement le destinataire de l'acte (l'autre). Par ailleurs, les valeurs relationnelles attachées à l'acte de question sollicitent de manière ambivalente la face des interlocuteurs (dans l'acception d'E. Goffman, sur laquelle nous allons revenir et qu'il tient pour constituée par le narcissisme et le territoire de la personne). Leur place dans le dialogue concerne les rapports de pouvoir, voire des rapports de contrôle ou de déférence.
il s'agit de la dimension horizontale : cette dimension renvoie au fait que les partenaires de l'interaction peuvent établir une relation plus ou moins familière ou distante. Dans cette situation de communication en général, il y a peu de distance entre les interlocuteurs. L'enseignant et l'élève se connaissent bien et la relation d'aide peut favoriser l'expression de la proximité.

il s'agit de la dimension consensuelle opposée à conflictuelle : cette dimension renvoie à tout ce qui est l'expression langagière de la satisfaction ou de l'insatisfaction dans la construction de la relation interpersonnelle.
bull2.gif (117 octets)  L'expression de l'identité se situe à l'articulation de ces trois dimensions, qui sont présentes dans chacune des interactions avec un poids respectif différent. Le contenu des échanges intervient dans l'expression de chacune des dimensions de la relation.
- par rapport à l'objet de la communication :
il s'agit du travail scolaire (donné par l'enseignant) qui pose problème à l'élève. Cet objet engage également le narcissisme et la place des interlocuteurs. Le travail de l'élève (ce qu'il n'arrive pas à résoudre) est l'objet du travail de l'enseignant (il doit aider à la résolution).
- par rapport aux règles instituées dans la classe qui structurent les dialogues :
il s'agit de l'élève qui peut ou non suivre les règles de la politesse, qui écoute ou non l'enseignant, qui refuse l'aide ou au contraire la sollicite, etc.
bull2.gif (117 octets)  Il s'agit également de l'enseignant qui peut ou non suivre les règles de la politesse, qui écoute ou non l'élève, qui sollicite ou non l'activité de l'élève, etc.
bull2.gif (117 octets)  La politesse a pour fonction sociale d'assurer la gestion et de négocier les relations interpersonnelles entre les membres d'un groupe. Pour P. Brown et S. C. Levinson, la politesse est une stratégie qui se manifeste sous trois axes différents :
1°) La politesse positive :
bull2.gif (117 octets)  Cette direction exprime tout ce qui se rapporte au fait de rechercher l'accord, le consensus, d'éviter les points de friction avec l'interlocuteur.
2°) La politesse négative :
bull2.gif (117 octets)  Cette direction exprime la retenue, l'indirection conventionnelle "te serait-il possible de...", l'emploi des modalisateurs "peut-être, probablement, sans doute..."
3°) La politesse "off-record" qui est fondée sur l'évitement et qui exprime des incursions indirectes dans le territoire de l'interlocuteur. Par exemple, on trouve dans ce registre : les allusions, les présuppositions, l'ironie et l'ambiguïté.
bull2.gif (117 octets)  Ces différentes stratégies s'articulent à la notion de face dans le sens où ces différentes formes de la politesse s'adressent plus particulièrement au territoire ou au narcissisme de l'interlocuteur. Chaque personne attache de l'importance à une certaine image d'elle-même, qu'elle confronte en permanence à celle que lui renvoie son interlocuteur. Dans l'interaction, la face de l'autre est tout aussi importante, car garder la face, pour chaque partenaire de l'interaction, est une condition des échanges et non leur but. Les deux versants de la face de toute personne sont sollicités en permanence dans la vie en société.
Dans cette recherche, nous allons analyser des paroles-en-actes qui poursuivent des buts, qui sont chargées d'intentionnalité, qui traduisent des inférences, bref qui rendent compte d'un processus de représentation permettant au sujet de construire une conceptualisation opératoire de la situation : "au début est l'activité adaptative d'un être à son environnement" écrit G. Vergnaud, et cette activité adaptative implique tout ce qui est du registre de la communication avec l'autre. Cependant, parler de communication implique nécessairement de parler de la relation. La relation est aussi action, et notre approche tente de relier le domaine de l'activité de la pensée avec le domaine des affects. Voici ce qu'écrit Yves Clot à ce propos : "La pensée n'est pas alors comprise à partir d'elle-même mais comme un acte dans le monde et sur soi. Un acte pour vivre."

Cette recherche tente d'essayer d'apporter un éclairage nouveau sur la médiation des apprentissages pour des enseignants et des formateurs qui s'interrogent particulièrement sur l'interaction de tutelle entre un maître et un élève dans le cadre d'une relation d'aide.