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Dans la présentation que je veux faire, lors de la Biennale de l'Education et de la Formation, je me propose d’analyser de manière critique la politique de l’éducation permanente en France, comme elle fut menée durant la législature Mitterrand (1981-1995). Je prépare une thèse doctorale à l’Université Catholique de Nimègue sur le même sujet.
Ce n’est pas mon intention de me limiter à un aperçu des modifications ou des innovations des dispositions législatives et administratives - la pratique politique -, concernant la formation et l’apprentissage. Je tiens aussi à démontrer comment l’administration Mitterrand a conceptualisé et voulu justifier sa politique éducative. C’est ce que j’appelle, me référant à Foucault, le style politique. Foucault employa ce terme, style politique, dans une critique qu’il fit en réflectant sur le premier septennat de la présidence de Mitterrand. Or, il faut se garder d’une trop nette distinction entre la pratique politique et le style politique. Il se pourrait bien que le style politique n’ait très peu à voir avec les vrais objectifs et les motivations réelles de la pratique politique, à moins que, justement, le but d’une telle explication est de camoufler ces mêmes objectifs et motivations.
Les méthodes de recherche que j’emploie, sont la recherche de sources primaires et secondaires et l’étude de la littérature sociologique sur le thème de l’éducation permanente en France.
Mes recherches comportent un volet descriptif ainsi qu’un volet explicatif.
Dans la partie descriptive, j’esquisse tout d’abord la réglementation législative et administrative de l’éducation permanente sous la présidence Mitterrand. Ensuite, je développerai le style politique.
Dans la partie explicative, je tente d’indiquer les conditions et les dynamiques sociales qui ont joué un rôle dans l’élaboration de cette pratique et ce style politique.
Pour réaliser cet objectif, j’emploie comme indicateur théorique, les concepts et les cadres analytiques, développés par Pierre Bourdieu. J’analyse quelques-uns des principaux concepts, employés par celui-ci, mais je formulerai aussi une critique au sujet de certains de ses modèles explicatifs.
Je retrouve six caractéristiques de la politique éducative, menée par l’administration Mitterrand. Ces caractéristiques forment la quintessence d’autant d’hypothèses.
Avec les deux premières hypothèses je tâche de repérer, qui sont les principaux acteurs sociaux dans le champ de la politique de l’éducation et, ce qui est typique pour le système de relations sociales qui détermine les interactions entre ces acteurs. À l’aide des quatre autres hypothèses, je décris les références symboliques qui prévalent dans la pratique et le style politique, concernant l’éducation permanente durant la présidence Mitterrand.
Voici les six hypothèses descriptives.
Tout d’abord, la politique de l’administration Mitterrand en matière d’éducation permanente se manifeste par une dynamique de décentralisation. Cette décentralisation est perçue comme moyen pour se garantir un plus grand engagement politique des citoyens et comme moyen pour mieux adapter la politique
aux besoins locaux. Par ailleurs, la tradition jacobine d’un état centraliste est mise en question, en même temps, toutefois, que l’égalité des droits est hypothéquée voire qu’il se crée le danger d’une monopolisation de la politique par des agrégations locales de pouvoir et particraties.
Un deuxième aspect de la politique en matière d’éducation permanente de l’administration Mitterrand est la tendance à la privatisation. Les positions-clés dans le domaine de l’éducation permanente sont régies par des promoteurs privés, institutionnels, et par des demandeurs privés, institutionnels ou individuels, de biens et de services éducatifs. L’autorité publique ne joue qu’un rôle secondaire. Le terrain éducatif est, dès lors, structuré selon le principe de la subsidiarité. L’État, la région, le département et les autorités locales se limitent à réguler juridiquement les relations entre prestataires et demandeurs des biens et services éducatifs; de plus, ils s’occupent du suivi administratif des initiatives, prises par des associations et organisations éducatives, et se manifestent comme octroyeur de subventions.
En troisième lieu, l’administration Mitterrand n’a pas connu de politique d’austérité mais bien une politique de priorité concernant l’éducation permanente. Graduellement, l’attention se focalise sur les personnes dans des situations d’exclusion ou de désavantage social.
Quatrièmement, petit à petit se dessine un virage très net vers un plus grand réalisme politique, s’axant avant tout sur les formations professionnelles et sur l’apprentissage. Formation et apprentissage, pourtant, ne se limitent point aux simples connaissances et aptitudes professionnelles. D’autres compétences sont aussi requises, comme l’aspect attitude ou des facultés communicatives.
Cinquièmement, l’ambition de définir l’éducation permanente en termes d’apprentissage et de qualifications professionnelles provient d’un choix délibéré pour l’insertion et contre l’exclusion, mais en même temps, aussi d’un style de politique où l’argument de la compétitivité économique joue un rôle important. Le raisonnement se tient en deux étapes. La compétitivité économique est, en vue de la mondialisation de l’économie et mesurée à l’évolution du mode de production vers la haute technologie, voire la valeur croissante de l’informatique et la montée du capitalisme managérial, de plus en plus tributaire de l’accumulation de capital connaissances. L’éducation permanente joue un rôle primordial dans l’élaboration de ce capital. Les individus peuvent accroître continuellement leurs connaissances et aptitudes. En même temps, le capital collectif des connaissances, stocké au niveau des entreprises et des organismes, s’agrandit et s’actualise. Ce qui, à moyen terme, offre un avantage comparatif.
En sixième lieu, la stratégie menée par le gouvernement Mitterrand conduit à l’individualisation de l’éducation permanente : projets de formation et d’apprentissage et programmes éducatifs, axés sur les besoins individuels d’apprentissage et sur des compétences individuelles voire l’acquisition de qualifications d’apprentissage individualisées.
Il est normal que beaucoup de voix se font entendre pour une politique de l’éducation, où les personnes socialement désavantagées ou exclues sont discriminées positivement et il y a de nombreux arguments et des résultats de recherches qui démontrent que l’obtention de qualifications professionnelles est un moyen réel d’insertion sociale. De plus, il n’est pas difficile de démontrer, en comparaison avec l’apprentissage scolaire, divers aspects positifs, allant de pair avec l’individualisation de l’éducation.
Ce nonobstant, on retrouve, avant tout dans la critique théorique, des remarques qui soulignent le danger de l’individualisation de l’éducation. Échouer dans la société est de plus en plus aperçu comme lié à des facteurs individuels. L’idée que l’inégalité sociale et la reproduction de cette inégalité soient la conséquence d’éléments contextuels, qui ne sont pas les mêmes pour tous et sur lesquels on n’a pas d’emprise, se perd de cette façon. Ce commentaire, du reste, se cadre dans une critique générale de la société, où la cohérence paradoxale entre les contextes de globalisation et individualisation de la société est problématisée.
Je me résume et arrive ainsi aux hypothèses explicatives de mes recherches. Six caractéristiques déterminent la politique de l’éducation permanente de l’administration Mitterrand. Ce sont: la décentralisation politique, la privatisation, l’accentuation du problème des désavantagés ou exclus de la société et leur insertion, la qualification professionnelle et l’apprentissage, les arguments de compétitivité et l’individualisation. Quatre des caractéristiques, mentionnées ci-dessus - privatisation, accentuation des qualifications professionnelles, arguments de compétitivité et individualisation -, reflètent une tendance mercantiliste de l’éducation permanente.
Ce terme, mercantilisme, souligne que le terrain de l’éducation se définit de plus en plus selon une structure, homologue à celle d’une économie de marché, et que les références symboliques, qui se relient à ce discours marchand, prennent une place prépondérante dans le style politique de l’administration Mitterrand - quoiqu’il faut ajouter que l’on dénote aussi une influence très nette, surtout en ce qui concerne la décentralisation de la politique de l’éducation, provenant d’autres paradigmes économiques, de plus récente date d’ailleurs, comme par exemple le soi-disant paradigme d’information. En effet, typique pour l’économie classique et le système du marché libre est la marginalisation des instances publiques au détriment des intérêts privés. La société est perçue comme un jeu d’acteurs individuels qui ne recherchent que des profits économiques, déterminés par le ratio des revenus personnels maximaux sur les coûts personnels minimaux. Une main invisible manœuvre ce qui est vice privé en vertu publique.
En même temps d’ailleurs, et ceci souligne encore plus ce mercantilisme, on remarque, aussi bien sur le plan macro de la politique éducative qu’au niveau méso des organisations et des associations dans le champ de l’éducation permanente, que des arguments d’efficacité et d’effectivité, caractéristiques du secteur non-profit, jouent un rôle important.
La critique pratique du paradigme du marché est aussi vieille que le paradigme lui-même, qui date de la deuxième moitié du dix-huitième siècle. Cette critique est axée sur les idéologies socialistes et nationalistes. Théoriquement les assises conceptuelles du libéralisme économique sont mises en question dans l’économie de la demande, et, plus récemment dans d’autres modèles encore, situés sur le tranchant de l’économie théorique et de la sociologie.
Néanmoins, ces deux formes de critique, pratique et théorique, peuvent être réduits d’après le schéma de base suivant: l’altération but-cause. Les questions instrumentales - in casu : profit et compétition - sont centrales dans le modèle du marché libre. Elles ne sont pas sanctionnées par des objectifs normatifs.
Une remarque similaire pourrait être faite concernant l’inclination vers la privatisation, l’accentuation des qualifications professionnelles et de l’apprentissage et des arguments pour la compétitivité et l’individualisation. La discussion sur les moyens prend le dessus de celle sur les objectifs de l’éducation permanente. Cette dernière, sur les objectifs, risque de se perdre - comme celle d’ailleurs sur les effets possibles, reproduction et légitimation des inégalités sociales.
J’arrive maintenant aux hypothèses explicatives de mes recherches.
L’explication la plus plausible pour ce mercantilisme dans l’éducation est celle de la théorie marxiste classique. Ici il est argumenté que les éléments de la superstructure, comme la politique, le droit et l’éducation sont une dérivée directe des oppositions et dynamiques socio-économiques. La tendance mercantiliste dans l’éducation permanente est ainsi perçue comme l’effet d’une l’évolution d’un système de production fordiste à un système de production post-fordiste.
Je voudrais développer dans mes recherches un ensemble alternatif d’hypothèses, m’inspirant sur l’idée que les divers champs sociaux soient ordonnés et puissent fonctionner selon des principes de structuration autonome. C’est mon intention de démontrer que la tendance mercantiliste dans l’éducation permanente est un effet d’influences externes, ainsi que d’évolutions, internes au champ éducatif - une conviction qui a été conceptualisée par Pierre Bourdieu dans la notion de l’autonomie relative des champs sociaux.
Les hypothèses descriptives que j’ai esquissées ci-dessus, peuvent être facilement corroborées.
Jusqu’à présent, me restent inconnues des données qui permettraient de corroborer ou de falsifier mes hypothèses explicatives.
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