Biennale 5
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Éduquer et former pour la créativité au XXIe siècle: l'importance de la perspective diachronique

Auteur(s) : VALE DIAS, Maria da Luz

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bull2.gif (117 octets)   Mots clefs : Pensée diachronique; décentration temporelle ; créativité; pratiques renouvelées.
1. INTRODUCTION
bull2.gif (117 octets)  On ne peut pas, aujourd'hui, au début d'un nouveau siècle, ignorer le thème de la quatrième dimension car tout objet de connaissance se situe dans le temps. Ils sont multiples les concepts, les disciplines (l'histoire, la biologie, l'étymologie, etc.), les phénomènes et les situations d'apprentissage qui entraînent la pensée diachronique, portant sur le déroulement d'événements dans le temps. Montangero nous donne des exemples frappants de l’importance de ce point de vu au niveau de l’évolution de la pensée scientifique: “D’une part, la science a débuté lorsque Galilée eut l’idée d’introduire le temps, avec le mouvement, dans la description de la réalité physique. D’autre part, nombre de découvertes bouleversantes, au cours du développement des sciences, sont dues au fait qu’un problème resté insoluble ou un champ de connaissance laissé en friche ont été abordés d’un point de vue diachronique” (1996, 2). Il nous rappelle aussi qu’au niveau de la biologie c’est la perspective transformiste, au contraire de la conception fixiste traditionnelle, et le point de vue évolutionniste qui, considérant le problème dans le temps, nous ont permis de commencer à expliquer la variété des espèces (cf. idem, ibidem). Comme cet auteur, "nous aimerions insister ici sur le rôle capital" que le point de vue diachronique "a joué au niveau de la créativité scientifique", une fois que ce point de vue “ne se contentant pas de décrire les choses dans le temps, vise à comprendre leur déroulement et à insérer l'explication d'un état présent dans la dimension temporelle” (idem, ibidem). Nous croyons, d’ailleurs, que la perspective diachronique est aussi importante dans la pensée du sens commun. Il est donc nécessaire étudier non seulement le problème de la maîtrise graduelle des concepts et raisonnements temporels mais aussi comment l'individu utilise ses connaissances temporelles pour qu'on puisse favoriser sa compréhension des transformations dans le temps.
bull2.gif (117 octets)  Dans notre recherche le but principal est l'étude des conceptions enfantines d'un processus évolutif (le développement des capacités de dessiner), ce qui nous permet d’explorer dans le domaine des théories de l’esprit celui des théories enfantines du développement. Ainsi, nous avons repris, en partie, l’expérience sur le dessin du bonhomme (Montangero, 1996, ch. 5) pour étudier comment les enfants (70 enfants âgés de 5 à 11 ans) reconstituent ou anticipent les étapes du processus d’évolution du dessin. Par ailleurs, nous avons cherché à savoir si les conceptions des enfants se modifient quand on introduit, en changeant légèrement la technique originale, les dimensions du passé et du futur (différentes époques). Cette recherche fait appel à l'analyse de la décentration temporelle (Harner, 1982; Maurice-Naville, 1993) et permet aussi d'étudier le rôle des processus internes et des facteurs externes dans les conceptions des enfants. Les données permettent donc cerner la pensée diachronique des sujets et réfléchir sur les faits, notamment de nature pédagogique ou didactique, qui favorisent la compréhension d'un processus évolutif, et qui contribuent à la transformation des situations pratiques et aussi à des innovations dans la formation des enseignants.
bull2.gif (117 octets)  Dans le cadre des recherches concernant le développement de la perspective diachronique, Tryphon a voulu savoir si les enfants ont une représentation ou théorie à propos du développement avec l'âge des capacités dans le domaine du dessin (Tryphon & Montangero, 1992). Au total, ces résultats nous montrent que la perspective diachronique se développe nettement chez les enfants de la population considérée (âgés de 6 à 12 ans) et que même les enfants plus jeunes possèdent déjà des théories intuitives sur leurs propres compétences graphiques et celles de leurs pairs. Comme Tryphon affirme, à propos de cette recherche, "en résumé, deux manières de concevoir le changement de l'aptitude à dessiner ont été relevées. La première de ces manières est une vision statique, qui consiste à voir les différents niveaux de dessins comme directement liés à l'âge du sujet. Ce type de réponse se trouve chez les jeunes enfants (six-sept ans) [...]. Il existe d'autre part un point de vue diachronique du développement, c'est-à-dire une vision en termes de processus se déroulant dans le temps, dont chaque étape détermine la suivante. Dans cette manière de voir, l'âge de l'individu n'est pas le facteur déterminant des caractéristiques du dessin" (Tryphon, 1994, 44).
bull2.gif (117 octets)  Le rôle attribué par les enfants (âgés de 7 à 1l ans) aux facteurs internes et externes dans les processus évolutifs biologiques a été étudié par Maurice-Naville (1993). Dans cette recherche à propos de la représentation du futur lointain, à un certain moment de l'expérience, les enfants doivent prévoir des étapes futures du phénomène présenté (croissance et détérioration d'arbres), ce qui entraîne la représentation du futur. On peut remarquer, selon les résultats, que le statut du futur se transforme avec l'âge des sujets et le niveau de développement de la pensée diachronique. Seulement vers 1l ans, l'enfant envisage le futur comme un ensemble de possibilités et considère les facteurs internes (associés à une perspective diachronique plus évoluée) et les facteurs externes dans l'évolution du processus présenté. Les réponses des plus âgés, contrairement aux plus jeunes, font la différentiation entre le passé et l'avenir, qui dépend du premier. Cette étude, parallèlement aux transformations de la perspective diachronique, a permis d'analyser l'application de raisonnements temporels aux processus évolutifs.
bull2.gif (117 octets)  Les études de Harner (1982) qui ont pour but comparer les conceptions de passé et de futur à travers l'analyse des structures linguistiques, révèlent que les enfants plus jeunes ont des difficultés en ce qui concerne le passé ou le futur lointains, à long terme. Ces difficultés sont expliquées par des aspects linguistiques et aussi par des exigences de décentration temporelle (cf. Harner, 1982, 158). On signale aussi une asymétrie entre la compréhension du passé et du futur, quand on parle du passé et du futur lointains. Le dernier entraîne plus de difficultés pour les plus jeunes.
bull2.gif (117 octets)  L'absence d'études dans le domaine des processus cognitifs du futur a motivé Maurice-Naville (1993) à entraîner l'expérience déjà référée ci-dessus.
bull2.gif (117 octets)  Dans notre recherche, qui s'inscrit dans la problématique de la perspective diachronique, le futur, le présent et le passé sont envisagés d'un point de vue spécifique: celui de l'évolution des capacités de dessiner. Notre but est de cerner les conceptions enfantines dans ce domaine quand on introduit les notions de passé et de futur à long terme, en faisant appel à différentes époques. Notre principal intérêt est l'étude des modalités du futur et du passé lointains. On veut aussi savoir, d'après ce que nous dit Fraisse (1967) qui utilise la métaphore de “l’horizon temporel”, si c'est seulement vers 8 ans que les enfants s'intéressent pour le passé et le futur hors de leur histoire personnelle. Finalement, nous voulons réfléchir sur les aspects pédagogiques ou didactiques entraînés par les résultats.
2. MÉTHODE
2.1 Sujets
bull2.gif (117 octets)  Nous avons interrogé soixante-dix sujets des écoles de Coimbra âgés de cinq à onze ans, soit dix (cinq garçons et cinq filles) dans chaque groupe d'âge.
2.2 Procédé
bull2.gif (117 octets)  Les enfants ont été individuellement interrogés selon la méthode clinique piagétienne et les séances ont été enregistrées sur cassette audio.
bull2.gif (117 octets)  Première partie -Tâche de production de dessins (représentation des transformations de l'aptitude à dessiner dans son histoire personnelle): Nous avons repris, en partie, l'expérience sur le dessin du bonhomme (Montangero, 1996, 81; Tryphon & Montangero, 1992) en ce qui concerne la production de dessins et les consignes de cette phase ("As-tu toujours dessiné comme cela?").
bull2.gif (117 octets)  Deuxième partie - Représentation des transformations dans le passé et dans le futur lointains: On a changé légèrement la technique originale avec l'introduction du passé et futur lointains. Consigne: "Imagine les enfants du siècle passé (pour les plus jeunes on spécifie, si nécessaire, qu'il s'agit d'une période du passé lointain: on parle du père de leur grand-père, quand il était petit). Dessineraient-ils de la même façon que toi? Cela se passait comment? Pourquoi?"
bull2.gif (117 octets)  On a posé le même type de questions en ce qui concerne le futur (on se référait à la fin du prochain siècle ou, pour les plus jeunes, aux fils de leurs petits-fils).

3. RÉSULTATS
bull2.gif (117 octets)  En ce qui concerne les aspects relatifs à la première partie de l'expérience, on a analysé l’évolution de la tendance diachronique (trois sortes de réponses: dans la plus évoluée les sujets révèlent une tendance diachronique développée, ils comprennent que la question renvoie à leur évolution et considèrent des étapes dans ce processus), les représentations du développement (deux classes de séries de dessins: séries à changements quantitatifs et séries à changements qualitatifs) et les causes du développement (cinq catégories, dont la plus complexe fait appel, en même temps, à l'âge et aux facteurs externes et internes).
bull2.gif (117 octets)  Les résultats de la deuxième partie de l'expérience ont révélé quatre types de réponses. Dans le plus complexe, le type IV, la capacité de dessiner est comprise comme un processus évolutif dans lequel des facteurs multiples interviennent. L'âge est coordonnée avec des facteurs internes (aptitudes spécifiques, imagination, etc.) et externes au sujet (influence du milieu, existence de nouvelles technologies, etc.). En comprenant l'aptitude à dessiner comme un processus évolutif dans lequel interviennent de divers facteurs, dans le passé, le présent ou le futur, elle peut être meilleure ou plus mauvaise en fonction de la coordination de tous ces facteurs. Il y a une évidente différentiation entre les contextes temporels considérés.
4. CONCLUSIONS
bull2.gif (117 octets)  Cette recherche permet de valider l'hypothèse de l'existence de niveaux de complexité différente dans les conceptions ou théories intuitives sur les capacités de dessiner dans et hors de l'histoire personnelle. Comme on a observé dans les divers travaux empiriques piagetiens, nous avons constaté dans cette recherche une relation entre l'ordre hiérarchique des réponses et le niveau d'âge du sujet: les enfants plus âgés présentent des conceptions plus complexes. Ces données sont consistantes avec la vérification d'une évolution ontogénétique, couramment défendue par les études piagetiennes et développementistes.
bull2.gif (117 octets)  Les résultats, d'une façon générale, sont en accord avec les hypothèses et les conclusions d'autres auteurs qui ont étudié le développement des conceptions enfantines dans ce domaine (cf. Montangero, 1996; Tryphon & Montangero, 1992; Tryphon, 1994). Au total, on peut confirmer l'hypothèse qui présuppose un développement de la perspective diachronique dans cette tranche d'âge (5-11 ans). La promptitude à considérer un fait présent comme une étape dans une évolution subit un développement très important surtout vers 10-11 ans. On a aussi observé que la manière de représenter l'évolution du dessin révèle un développement qui se caractérise par un passage du quantitatif au qualitatif.
bull2.gif (117 octets)  En ce qui concerne les conceptions des enfants à propos des causes du développement de la capacité de dessiner, on a trouvé, d'une façon générale, une évolution qui se caractérise par le passage d'un point de vue “maturationniste” (Montangero, 1996, 89), qui fait référence à l'âge du dessinateur, à un point de vue qui considère l'existence de mécanismes évolutifs plus complexes dans lesquels interviennent facteurs multiples. Au cours du développement, les enfants plus âgés donnent une importance de plus en plus remarquable aux facteurs internes et comprennent que l'évolution est déterminée par la coordination des facteurs externes et des processus internes au sujet. Nous avons même distingué, dans la première partie, un niveau d'explications qui nous montre, pour les plus âgés, l'existence de la coordination référée.
bull2.gif (117 octets)  Dans la deuxième partie de notre expérience, qui entraîne la décentration temporelle et les notions de passé et de futur lointains (à long terme), les résultats montrent qu'il existe aussi une évolution des représentations du développement des capacités de dessiner hors de l'histoire personnelle. Dans cette évolution, on assiste au passage d'une étape d'indifférenciation entre les époques considérées à un point de vue d'évident distinction de ces époques avec l'identification de facteurs (internes et externes) d'importance fondamentale pour la détermination des possibles compétences graphiques des autres enfants dans le passé et dans le futur.
bull2.gif (117 octets)  En ce qui concerne les facteurs considérés par les enfants dans les représentations du passé et du futur à long terme, on a trouvé des étapes qui, en accord avec Maurice-Naville (1993), révèlent un passage des explications qui font appel aux facteurs externes à des explications qui s'appuient dans les facteurs internes et les coordonnent avec les premiers. Ce même passage a déjà été remarqué dans la première partie de l'expérience. Cela nous permet de conclure qu'il s'agit de l'évolution de compétences identiques, indépendantes du domaine temporel étudié. En fait, le développement des représentations dans le passé et le futur lointains se caractérise aussi par une évolution du quantitatif au qualitatif et de l'empirisme (facteurs externes) au constructivisme (Montangero, 1996, 111), avec la coordination de facteurs internes et externes.
bull2.gif (117 octets)  Les résultats nous permettent aussi d'être en accord avec Fraisse (1967), qui défend que c'est seulement vers 8 ans que les enfants s'intéressent pour le passé ou le futur hors de leur histoire personnelle. C’est précisément vers 8 ans que le pourcentage d'explications de type III, qui exige des connaissances hors de l'histoire personnelle, augmente. Nous croyons que cet intérêt, chez les plus âgés, découle de la maîtrise d'instruments cognitifs plus puissants.
bull2.gif (117 octets)  En résumé, on peut conclure que l'évolution des théories intuitives des enfants dans le domaine considéré (c'est-à-dire, le dessin enfantin) est directement liée au développement de la perspective diachronique. La construction du mode de pensée diachronique est un processus complexe qui enrichit la connaissance des phénomènes, la compréhension de la réalité, puisqu'il permet de considérer les étapes qui ont mené à l'état présent et les changements futurs possibles.
bull2.gif (117 octets)  La compréhension des phénomènes évolutifs biologiques, physiques, linguistiques, etc, et même la pratique de quelques méthodes (expérimental, de projet, actives, etc.) requièrent un certain niveau de développement intellectuel et de connaissance conceptuelle. Nous sommes convaincus que la perspective diachronique, être capable de “penser et expliquer dans le temps”, est un mode de pensée complexe et spécifique (voir Pons & Montangero, s.p.) qui favorise aussi cette compréhension en ajoutant une dimension supplémentaire et pleine de richesse. Connaître ses étapes de développement peut nous aider à mieux planifier l’enseignement et à renouveler nos pratiques. On peut améliorer l’articulation des contenus d’apprentissage et des méthodes avec les aptitudes des élèves. Comme pratique, nous pouvons encourager cette perspective, en conduisant les élèves à une attitude ou “tendance diachronique”, c’est à dire, à une propension à sortir du présent et à s’interroger sur l’évolution passée et future des choses pour comprendre les transformations dans le temps.
Éduquer et former pour la créativité n’est pas seulement essayer d'être original. Tout d’abord il s’agit de comprendre et développer les capacités de l'étudiant et fomenter la pensée divergente, pendant qu’on le mène à cerner des problèmes, à tester des hypothèses, explorer, observer et cultiver le goût pour la création. Dans cette tâche du professeur comme animateur du développement, on ne peut pas ignorer les renseignements importants du passé et du présent, mais surtout toutes les potentialités du futur inconnu.
bull2.gif (117 octets)  RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
bull2.gif (117 octets)  Fraisse, P. (1967). Psychologie du temps. Paris: P.U.F..
bull2.gif (117 octets)  Harner, L. (1982). Talking about the past and the future. In W. J. Friedman (Ed.), The developmental psychology of time (pp. 141-169). New York: Academic Press.
bull2.gif (117 octets)  Maurice-Naville, D. (1993). Development of Diachronic Thinking in the Long-and very Long-Term. The Problem of Deflorestation in the Amazon. In J. Montangero et al. (Eds.), Conceptions of Change over Time. Cahiers de la Fondation Archives Jean Piaget, 13, 225-241.
bull2.gif (117 octets)  Montangero, J. (1996). Understanding changes in time. London: Taylor & Francis.
bull2.gif (117 octets)  Pons, F.; Montangero, J. (sous presse). Is diachronic thought a specific reason ability? Swiss Journal of Psychology.
bull2.gif (117 octets)  Tryphon, A. (1994). Quand Tarzan dessine: théories psychologiques intuitives chez les enfants de six à douze ans. Archives de Psychologie, 62, 43-57.
bull2.gif (117 octets)  Tryphon, A.; Montangero, J. (1992). The development of diachronic thinking in children: children's ideas about changes in drawing skills. International Journal of Behavioral Development, 15 (3), 411-424.