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Reconnaissance de fractions en C.M.2, 4ème Technologique et C.L.I.P.A.
L’objectif principal de cette recherche est de décrire et comprendre ce que fait l’enseignant pour favoriser l’apprentissage chez les élèves. Deux sources essentielles nous permettent de rendre compte des compétences mises en œuvre : la situation mise en place par l’enseignant et les actions et interactions menées in situ.
Le premier acte de médiation est le choix de la situation (Vergnaud, 1994). Aussi notre méthodologie permet-elle d’observer une palette de dispositifs didactiques créés par les enseignants à partir d’une même tâche de reconnaissance de fractions, tâche assez classique composée de trente-six items présentant une grande variabilité didactique afin de permettre le travail d’un bon nombre de procédures de reconnaissance de fractions avec les élèves. Nous demandons aux huit enseignants qui participent à notre recherche de donner un statut à cette tâche dans une situation didactique. S’agit-il d’une situation d’apprentissage ? De réinvestissement de connaissances acquises ? D’évaluation ?
Les séquences conduites en classe sont filmées et retranscrites intégralement. Nous recueillons les différentes traces écrites disponibles à l’issue de chaque séance et nous demandons à l’enseignant de nous communiquer, au cours d’un bref entretien, le niveau de chacun de ses élèves en mathématiques ainsi que ses impressions ‘’à chaud’’ sur le déroulement de la séquence.
Notre collaboration entre une formatrice de professeurs d’école et une formatrice de professeurs de l’enseignement agricole est basée sur le pari que l’on peut observer, par cette méthodologie particulière, l’émergence de situations différentes dans des classes de CM2, CLIPA et 4ème technologique. En effet si le savoir est nouveau en CM2, il peut sembler déjà “ usé ” en 4ème Technologique et en CLIPA. Par ailleurs, les responsabilités institutionnelles de l’enseignant ne sont pas les mêmes auprès d’enfants ou lorsqu’il s’agit d’engager des jeunes dans la voie de l’apprentissage.
L’enjeu, en tant que formateurs, est à terme de disposer d’outils conceptuels permettant d’analyser les pratiques variées existant sur le terrain. Plusieurs concepts de la psychologie sont candidats tels que médiation, tutelle, étayage, format, routine ou schème. Mais ces objets théoriques présents dans les curricula de formation aident-ils vraiment à décrire les compétences professionnelles de l’enseignant ? Quelle articulation trouver entre le regard du psychologue et celui du didacticien pour analyser les interactions dans la classe ?
L’analyse de notre corpus comporte trois niveaux :
L’examen des conséquences du projet de l’enseignant sur la situation d’interaction mise en place.
La description et la compréhension des phénomènes critiques intervenant dans la situation.
Les modifications de l’organisation de la conduite de l’enseignant pour maintenir et faire évoluer la situation.
Nous avons choisi de donner un aperçu de l’analyse du protocole de Jean-Michel afin de pouvoir poser les questions théoriques qui nous animent.
Jean-Michel est vacataire depuis 4 ans dans un lycée agricole. Il y enseigne les mathématiques en 4ème et 3ème technologiques. Il est titulaire d’une licence de Physique - Chimie. Sa classe de 4ème technologique est composée de 13 garçons âgés de 15 ans en moyenne et qui étaient scolarisés en 5ème l’année précédente. Le groupe-classe est très hétérogène.
Notre premier niveau d’analyse nous permet de repérer la ou les dimensions sensibles à étudier dans chacun des protocoles compte tenu des choix de mise en scène effectués par l’enseignant. A partir de la définition des éléments du contexte situationnnel (Deleau, 1990), nous décidons d’observer plus particulièrement un phénomène critique au sens où il est révélateur de la compétence de l’enseignant à exercer sa responsabilité institutionnelle : faire en sorte que tous les élèves tirent un bénéfice cognitif de la situation.
Au moment où nous intervenons dans la classe de 4ème technologique, Jean-Michel a déjà abordé les fractions à deux reprises avec ses élèves depuis le début de l’année scolaire. Il choisit de réaliser une fiche de travaux pratiques (TP) à partir de notre tâche de base en ne retenant que vingt-neuf items sur les trente-six proposés. Ces items sont répartis en quatre grandes familles correspondant chacune à une procédure de résolution identifiée : lecture directe de la fraction - réarrangement des parties hachurées pour trouver la fraction - simplification de fraction - addition de fractions. Il explique ce choix en ces termes : “ J’ai cherché à relier les items proposés aux cours qu’ils ont l’habitude de voir ”. La question “ Que pouvez-vous en conclure ? ” est présente à chaque étape et permet une institutionnalisation des savoirs convoqués pour chaque groupe d’items.
La séance est conduite collectivement en trois temps : 1/ Les élèves résolvent individuellement l’item indiqué sur la fiche de TP et annoncent le résultat trouvé ; 2/ l’enseignant demande alors de justifier le résultat, justification qui est soumise à l’approbation de tous ; 3/ Les réponses aux questions posées sur la fiche de TP sont élaborées collectivement puis dictées par l’enseignant.
Le groupe-classe a beaucoup de responsabilités dans la situation créée par Jean-Michel : il doit être capable de formuler et de valider la procédure à retenir pour chaque item voire pour chaque famille d’items. Au cours du débat, des procédures différentes vont être exprimées par les élèves. Face à un groupe aussi hétérogène, l’enseignant va-t-il pouvoir tirer profit de tous les éléments apportés de manière à faire progresser chaque élève ? Qu’arrive-t-il à l’élève qui propose une procédure au-delà des possibilités actuelles du groupe ? Qui décide de la nature de la justification attendue (de l’ordre du comment faire ou du pourquoi) ? Y a-t-il une évolution de la nature des procédures institutionnalisées ?
Compte tenu de cette problématisation de l’analyse du protocole de Jean-Michel, un des phénomènes critiques à étudier plus particulièrement est la prise de décision de l’enseignant au cours du débat. Nous savons (Salin, 1997) qu’in situ, cette prise de décision s’appuie sur plusieurs éléments : la connaissance éventuelle des procédures utilisées par quelques élèves au cours de la résolution individuelle si l’enseignant se donne les moyens de les saisir en passant dans les rangs par exemple, les justifications apportées publiquement par les élèves, la représentation qu’a Jean-Michel de chacun de ses élèves et de la capacité à assumer un rôle spécifique dans l’avancée du débat. Quels sont les critères qui le conduisent à favoriser ou pas l’intervention de tel ou tel élève ?
A titre d’exemple, nous présentons ici l’analyse d’un épisode critique correspondant à la résolution de l’item suivant :
La partie représentant la fraction _ est hachurée.
Le trait supplémentaire ajouté pose problème.
Il est là pour provoquer la discussion sur la nécessité
d’avoir des parts égales pour trouver la fraction.
Jean-Michel a prévu que cet item est difficile. Il s’attend à la réponse 1/3 et donc à ce que la propriété “ les parts doivent être égales ” soit en défaut. Effectivement, la réponse 1/3 est donnée par plusieurs élèves dont Benoît qui propose la justification suivante :
BENOIT : Si on prend la corde (mesure en même temps) elle fait 6,5 …et on continue et on met deux autres donc ça fait …un tiers !
Benoît, par la nature de sa justification, prouve qu’il connaît la propriété des parts égales puisqu’il cherche à reporter la même mesure trois fois, à la différence de Mathieu :
MATHIEU : ... parce que regardez c’est un gâteau en fait ... ça fait une part sur trois parts.
Un seul élève, Robin, propose la bonne réponse “ un quart ”, dès le début de l’épisode. Il tente d’intervenir à deux reprises avant d’avoir le droit d’expliquer au groupe son point de vue.
JM : à Robin Ah ! un quart ! Explique Robin.
ROBIN : Parce qu’ici il y a un angle droit (montre sur la figure)
JM : Et alors ?
ROBIN : Et alors ça veut dire …
MATHIEU : ... et alors c’est un tiers !
ROBIN :( à Mathieu) Non !
(au professeur) Parce que le cercle il fait 360 °, on divise par quatre ça fait...
JM : Pourquoi par quatre ?
JM s’éloigne de Robin en lui signifiant qu’il attend une explication plus convaincante.
L’intervention de Robin, peu convaincante et soulignée comme telle par Jean-Michel, n’a servi qu’à renforcer les positions de Benoît et de Mathieu. Pour faire avancer le débat, l’enseignant va intervenir à plusieurs reprises sous différentes formes en évitant le plus longtemps possible d’indiquer lui-même la bonne réponse. Il sollicite une nouvelle explication de Robin :
JM à Robin Explique à Mathieu.
ROBIN : Parce que un angle droit ça fait ...
MATHIEU : ... 90°
ROBIN : ... 90° !
JM à Mathieu Est-ce que ça t’es d’accord ?
MATHIEU : Ouais.
JM : Ah !
MATHIEU : (à Robin) Mais qu’est-ce que tu racontes ? Y’a pas d’angle droit !
ROBIN : Ben si !
MATHIEU : regardant à nouveau l’item Ah si oui oui
ROBIN : ... et 90 fois quatre ça fait 360°
MATHIEU qui a suivi attentivement l’explication de Robin en regardant la figure Ah pas mal le truc !
JM : Ah !
MATHIEU : ... mais c’est pas ça !
On assiste à un nouvel échec de Robin qui n’a pas réussi à convaincre Mathieu. Jean-Michel retiendra tout de même cette intervention en tant qu’histoire qui se tient et y fera référence à plusieurs reprises dans la suite de l’épisode jusqu’à affirmer que c’est Robin qui a raison. Mais alors que l’enjeu du débat était de formuler la procédure permettant de valider le résultat, il ne retiendra ici que le bon résultat _ apporté par l’élève et introduira une nouvelle procédure de justification par pliage de la figure suivant les deux côtés de l’angle droit, procédure acceptable et recevable par tous y compris par Mathieu.
Peut-on interpréter les prises de décision de Jean-Michel comme de la tutelle ? Bruner .(Bruner, 1983) définit tout d’abord le processus de tutelle comme tout ce qui permet à l’activité de l’enfant de se poursuivre et de parvenir à une conclusion heureuse. Il précise ensuite la nature du processus vu comme une intervention directe sur l’activité de l’enfant. La situation expérimentale est d’ailleurs conçue pour rendre compte de cette définition plus restreinte de la tutelle.
Jean-Michel intervient dans l’épisode que nous venons de présenter selon trois modalités :
il favorise certains types d’intervention chez certains élèves ;
il sélectionne les propositions à discuter voire à retenir ;
il intervient directement sur la résolution.
Pour garantir la poursuite de l’activité de ses élèves, Jean-Michel est donc conduit à développer des rapports différents (directs ou indirects) à l’activité de ceux-ci. Ce sont ces rapports que nous nous proposons d’étudier.
Bibliographie
Bruner J., 1983. Le rôle des interactions de tutelle dans la résolution de problème, in Le développement de l’enfant. Savoir faire, Savoir dire, Paris, Presses Universitaires de France.
Deleau M., 1990. Les origines sociales du développement mental. Paris, Armand Colin.
Salin M.H., 1997. Contraintes de la situation didactique et décisions de l’enseignante, in Blanchard-Laville C. (Ed) Variations sur une leçon de mathématiques, Paris, L’Harmattan.
Vergnaud G., 1994. Le rôle de l’enseignant à la lumière des concepts de schème et de champ conceptuel, in Artigues M., Gras R., Laborde C., Tavignot P. (Eds) Vingt ans de didactique des mathématiques en France, Grenoble, La pensée sauvage.
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