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L'accessibilité de l’information via Internet provoque des changements majeurs dans la relation pédagogique (Desjardins et al., 2000; Perrenoud, 1998 ; Tardif, 1998). Ceci entraîne conséquemment des usages et des habitudes qui modifient indéniablement nos façons de travailler et de penser (Cartier, 1997 ; Laguerre, 1999). Dans cette optique, le futur personnel enseignant est convié à développer un ensemble de compétences lui permettant d’une part d’utiliser les technologies de l’information et de la communication (TIC), mais aussi et surtout de les exploiter en prenant avantage des applications et des possibilités considérables de ces outils. Ainsi, outre une compétence technique de base, les futurs enseignants et enseignantes devraient aussi développer de nouvelles capacités face à la recherche, à l’usage et à l’échange d’information, de nouvelles façons de communiquer avec leurs pairs et surtout, la capacité de piloter l'apprentissage des élèves par le biais d'une utilisation lucide et éclairée des TIC (Mendelsohn, 1999).
Pour mener à terme un projet de formation permettant de développer de telles compétences et d’amorcer un changement dans les représentations des stagiaires, un projet-pilote intitulé : “De la craie à la souris” est mis sur pied depuis 1997-1998 à la formation à l’enseignement de l’université d’Ottawa. Ce projet préconise la pédagogie par projet, l’intégration transdisciplinaire des TIC, le décloisonnement des cours et des unités d’enseignement et ce, dans une approche socio-constructiviste (Desjardins et al., 2000 ; Jonnaert et Vander Borght, 1999 ; Roux et Floro, 1996). Cette démarche par projet initiée par l’équipe de recherche et basée sur les propositions pour la formation initiale issues de la littérature scientifique, représente ainsi un dispositif susceptible à la fois de renverser les représentations persistantes du métier d’enseigner et de favoriser la construction de compétences nécessaires aux futurs membres du corps enseignant pour piloter les apprentissages à l’aide des TIC.
Trois principes directeurs guident l’équipe dans la démarche inhérente à ce projet-pilote. Ainsi, puisque l’apprentissage précède le développement, que le sujet apprenant part de ses propres représentations pour construire ses apprentissages et que la dimension interactive favorise ce processus de construction, les situations de “co-constructions” (Roux et Floro, 1996, p. 39), donc de travaux de groupes et de résolution de problèmes, deviennent primordiales. Les processus de médiation par l’enseignant ou par les pairs, de même que la prise de conscience de ses apprentissages par la métacognition s’avèrent aussi nécessaires.
Le deuxième principe stipule qu'un processus d'apprentissage quel qu'il soit, ne relève plus uniquement de la classe ou du titulaire en charge du cours mais peut, depuis l'avènement des TIC, s’effectuer en multiples lieux et avec les nombreuses variétés de ressources qu'elles offrent (Desjardins et al. 2000).
Le dernier principe se traduit par le fait que l'ordinateur peut faciliter la construction de compétences essentielles à la mise en œuvre d'une pédagogie différenciée, puisqu'il exige de la part des usagers, une adaptation constante, en raison des différents types de paramètres tantôt simples et tantôt complexes qui caractérisent cet outil. De fait, l'obligation de se conformer aux fonctions techniques intégrées dans l'ordinateur force les sujets à se réajuster continuellement, processus qui les engage dans une démarche de pensée critique et accroît les possibilités de transfert, donc de développement de ces compétences dans l'exercice de la profession.
Objectif de la présente recherche
L’objectif de ce premier volet de la mise en œuvre du projet-pilote vise à identifier les incidences de la démarche exploitée par les professeurs impliqués sur les représentations des étudiantes et des étudiants au regard de leur rôle d’enseignant et face au processus d'apprentissage des élèves. Plus précisément, entre le début et la fin de la formation, y a-t-il des changements dans les représentations des étudiantes et des étudiants face à leur rôle d’enseignant et face au processus d’apprentissage?
Description du projet de formation
Ce projet pilote de formation qui intègre les cours de fondement (enseignement, apprentissage et évaluation), de didactique (mathématiques entre autres) et de technologie de l'information et de la communication, poursuit comme objectif premier de désorganiser les impressions premières du métier d'enseigner que sont les représentations des futurs enseignants et enseignantes, pour ensuite leur permettre de construire des compétences d'ordre didactique et pédagogique, de même que des compétences d'ordre technique, informationnel, épistémologique et sociale reliées aux TIC (Bélair, 1999 ; Rey, 1998 ; Perrenoud, 1998).
L'horaire décloisonné permet aux étudiantes et étudiants de réaliser un projet commun à tous les cours et structuré en fonction des stages pratiques. De fait, ces cours et les deux stages de 20 jours effectués dans des classes affiliées à ce projet et par conséquent équipées des outils technologiques aptes à faciliter la réalisation des apprentissages à l’aide des TIC, sont planifiés comme faisant parti d’un tout cohérent de formation, plutôt qu’un ensemble de prestations indépendantes. Pour ce faire, une entente de partenariat avec les conseils scolaires environnants a permis de concevoir des classes de l’élémentaire sous le même modèle que celui créé à la formation.
Après avoir établi le cadre de formation en instituant les projets sur lesquels les étudiantes et étudiants travaillent, la démarche socio-constructiviste privilégiée fait en sorte que le rôle des membres du corps professoral s'apparente à celui de guides dans la construction des compétences des étudiantes et des étudiants. Cette tâche se traduit par un questionnement cognitif et métacognitif (Héraud et Prouchet, 1999) continu et par l’accompagnement constant des étudiantes et étudiants tout au long du processus. Concrètement, les heures attribuées normalement aux cours universitaires consistent principalement en des rencontres entre équipes et avec le ou les professeures et professeurs présents, selon les besoins et les questions suscitées par les projets. Seules quelques rencontres ponctuelles sont fixées dans le but de faire le point au niveau du groupe-classe ou de fournir l’éclairage disciplinaire pertinent.
Un des paramètres relié au socio-constructivisme stipulant que les sujets soient acteurs et décideurs dans la construction de leurs savoirs, il s’avère important que les étudiantes et les étudiants soient actifs et deviennent dans la mesure du possible, auteurs de leur formation. À cet effet, en équipes de 4 personnes, ils réalisent une coformation (formation par les pairs) sur un thème relatif à l’enseignement ou à l’apprentissage, une page web (guide pédagogique) sur le même sujet, de même qu’un ensemble de réflexions personnelles portant sur leurs pratiques d’enseignement et sur leurs profils d’évaluateurs et d’enseignants tout au long de la formation. Tout ceci favorise le développement de liens multilinéaires, mais surtout, permet aux stagiaires de se sensibiliser à l'importance de travailler à partir des acquis et des connaissances de l'élève, compétence incontournable pour faire face à la conjoncture scolaire actuelle et surtout pour favoriser le transfert des connaissances (Tardif, 1999 ; Giordan, 1999).
Méthodologie de la recherche
Des analyses de contenus des réflexions, des entrevues et des observations ont été effectuées tout au long de la formation auprès des stagiaires et des enseignants et enseignantes associées afin de vérifier les compétences développées dans le cadre de cette formation.
Patterns relevants des réflexions face à l’enseignement et à l’apprentissage
Afin de mieux prendre en compte cette modification dans les représentations des sujets face à l’apprentissage et à leur rôle d’enseignant, un pattern comparatif entre les première et dernière réflexions issu des analyses de contenu a été établi (Huberman et Miles, 91).
Les analyses des propos tenus dans la première réflexion à propos de l’apprentissage, démontrent le pattern suivant :
Pour apprendre, l’apprenant exploite et explore l’ordinateur. L’enseignant doit par ailleurs partir de ses styles d’apprentissage. L’apprenant s’approprie alors l’information car il est le seul responsable de ses apprentissages.
À la lecture du premier pattern sur la notion d’apprentissage on remarque d’abord la présence de l’ordinateur comme outil pouvant aider à l’apprentissage. Les stages ont de plus permis de constater jusqu’à quel point les stagiaires étaient à l’aise avec l’utilisation des ordinateurs comme aides à l’apprentissage des élèves. À cet effet, plusieurs interventions dans le dernier groupe de discussion ont insisté sur la pertinence des ordinateurs comme moyens et aides à l’apprentissage (Desjardins et al., 2000). Par ailleurs, la suite du pattern laisse penser que les sujets semblent plus ou moins au clair avec le concept d’apprentissage, y entremêlant les fonctions d’enseignement et les responsabilités de l’apprenant. Ceci peut toutefois s’expliquer aisément lorsque l’on considère le moment de cette réflexion, puisque deux mois de cours à l’université ont peu de poids face à un long passé “d’éduqué”.
Dans la dernière réflexion, le pattern a sensiblement évolué :
L’apprenant est au cœur de son processus d’apprentissage. Pour apprendre, il fait la part entre ses connaissances antérieures et l’objet, il crée des liens et transfère ses connaissances et par conséquent, il construit ses connaissances. Il devient autonome car l’apprentissage est relié à son individualité, à son profil et à sa motivation. Enfin, apprendre, c’est chercher l’équilibre, trouver un sens.
La définition donnée dans la dernière réflexion semble se situer à un tout autre niveau. Les différents éléments qui la composent révèlent un vocabulaire associé au socio-constructivisme. De plus, on constate qu’on ne fait plus référence au rôle de l’enseignant, mais qu’on redonne l’entière responsabilité à la personne qui apprend. Le modèle introduit par Gayet (1995) puis repris par Bélair (1999) permet de situer ces énoncés dans le pôle ouvert - constructiviste, à l’intérieur duquel le processus s’avère essentiel. Les réflexions des sujets vont d’ailleurs dans ce sens lorsqu’ils mentionnent la place des connaissances antérieures, la part de construction et d’individualité et enfin la recherche d’équilibre.
À propos de l’enseignement, l’analyse des réflexions donne lieu au pattern suivant :
L’enseignant est un conseiller, un guide, une ressource. Il doit préparer les élèves à leur avenir en tentant de comprendre leurs besoins et leurs limites et en choisissant des situations d’apprentissages appropriées.
La première réflexion, quoique situant le rôle de l’enseignant comme un guide, témoigne d’une certaine irréalité, d’un idéalisme très courant chez les futurs enseignants et enseignantes débutant une formation (Hétu et al., 1999), voulant que l'enseignement réponde essentiellement aux besoins de ses élèves. De plus, une telle formulation semble relever encore une fois d’une conception verticale de l’acte pédagogique, laissant croire que l’élève est plutôt passif, ou du moins qu’il occupe le second rôle dans son apprentissage (Stordeur, 1996). Les propos suggèrent plutôt que l’enseignant est encore le maître d'œuvre du processus.
Dans la dernière réflexion, à propos de l’enseignement, on relève ceci :
L’enseignant doit permettre à l’apprenant d’entrer dans son processus d’apprentissage. Il est donc un conseiller, un guide et une ressource qui doit dès lors utiliser différentes approches pédagogiques et créer un environnement propice à l’apprentissage. Il fait participer les élèves à leurs apprentissages tout en les respectant dans leur rythme et dans leur intégralité. Pour ce faire, l’enseignement magistral n’est plus approprié.
On entrevoit toute la dimension d’une relation pédagogique au service de l’apprentissage. En effet, la mention de l’importance du processus d’apprentissage, de l’utilisation de différentes approches pédagogiques et de la création d’un environnement qui soit propice au développement des apprentissages des élèves, laissent croire que la perception de leur rôle d’enseignant a changé et que la relation pédagogique devrait être davantage axée sur la collaboration entre acteurs, propos voisins d'une conception plus socio-constructiviste de l’enseignement. Il semblerait donc qu’un changement en ce qui a trait aux représentations du rôle de l’enseignement dans l’apprentissage, soit observé entre la première et la dernière réflexion.
Bien que ce modèle de formation soit toujours en cours d’expérimentation, les premières conclusions permettent de constater que si l’on cherche à former un corps enseignant autonome face aux changements sociétaux, une démarche de formation concertée, vécue selon une approche socio-constructiviste, alliant l’intégration entre les cours et les TIC, semble avoir un avenir prometteur. Les propos des étudiantes et des étudiants face à leur rôle comme enseignant et face à l’apprentissage vont d’ailleurs dans ce sens. Aussi, forts de cette première analyse exploratoire, l’équipe de recherche tente désormais de mettre l’accent sur la transférabilité des compétences acquises dans un tel processus de formation et sur l’incidence des TIC dans l’apprentissage.
Références.
Bélair, L.M. (1999). L’évaluation dans l’école. Paris : ESF éditeurs.
Cartier, M. (1997). Le nouveau monde des infostructures. Montréal : Fides
Desjardins, F., Bélair, L.M. & Boyer, J.-C. (2000). L’intégration de l’ordinateur à la formation à l’enseignement comme outil d’apprentissage dans un modèle de constructivisme guidé, Apprentissage et socialisation, vol. 21.
Gayet, D. (1995). Modèles éducatifs et relations pédagogiques, Paris : Armand Colin.
Giordan, A. (1998). Apprendre !, Belin : Éditions Belin.
Héraud, J.L. et Prouchet, M. (eds) (1999). Penser pour apprendre, Paris : Hatier.
Hétu, J.-C., Lavoie, M. & Baillauquès, S. (eds). (1999). Jeunes enseignants et insertion professionnelle, Bruxelles : De Boeck.
Huberman, M. et Miles, M. (1991). Analyse des données qualitatives, Bruxelles : De Boeck.
Jonnaert, Ph. & Vander Borght, (1999). Créer des conditions d’apprentissage, Bruxelles : De Boeck.
Laguerre, C. (1999). École, informatique et nouveaux comportements, Paris : L’Harmattan.
Mendelsohn, P. (1999). La place des TIC dans la formation professionnelle, Ottawa : ACFAS.
Perrenoud, Ph. (1998) Se servir des technologies nouvelles, L'éducateur, no.3-98,20-27
Rey, B. (1998) Faire la classe à l’école élémentatire, Paris : ESF.
Roux, J.-P. & Floro, M. (1996). L’analyse des pratiques d’enseignement au service des pratiques de formation des enseignants. Skholê, vol. 5, pp. 23-54.
Stordeur, J. (1996). Enseigner et/ou apprendre, Bruxelles : De Boeck.
Tardif, J. (1998). Intégrer les nouvelles technologies : quel cadre pédagogique ?, Paris : ESF éditeurs
Tardif, J. (1999). Le transfert des connaissances, Montréal : Logiques.
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