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Identité professionnelle et stratégies identitaires chez les enseignants d'EPS

Auteur(s) : ROUX-PEREZ Thérèse

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bull2.gif (117 octets)   Jusqu'alors située au sein du système scolaire de manière particulière, par rapport aux autres disciplines (appartenance à un autre ministère, statut du corps à l'école...), l'éducation physique et sportive (EPS) prend un tournant institutionnel lorsqu'en 1981, elle entre au ministère de l'Education Nationale et devient, de ce fait, discipline d'enseignement à part entière. Cela s'accompagne d'évolutions au sein de cette discipline, impulsées par la parution de nombreux textes officiels ; ils s'inscrivent dans les réflexions qui traversent le système scolaire : finalités, contenus, modes d'évaluation...
bull2.gif (117 octets)  Cette évolution ne peut se faire sans les premiers acteurs concernés, que sont les enseignants d'EPS. L'institution le sait et met en place nombre de stratégies pour les accompagner dans une réflexion de fond : création de l'agrégation et des concours internes, mise en place de formations... Certains enseignants, pour des raisons diverses que nous essayons de comprendre, s'inscrivent dans cette dynamique alors que d'autres, se sentant en décalage avec les nouvelles compétences professionnelles exigées par l'institution, vont même jusqu'à penser que l'EPS est en train de perdre son identité.
bull2.gif (117 octets)  Pour rester en cohérence avec eux-mêmes et construire du sens dans leur action au quotidien, ils investissent des espaces de liberté, privilégient certains éléments du système et justifient leur engagement ou désengagement en s'inscrivant dans un ensemble de représentations, de valeurs partagées avec d'autres, dans ou hors de l'école.
bull2.gif (117 octets)  A ce sujet, nous pensons que l'histoire personnelle (sportive et scolaire), la diversité des conditions de travail, la dynamique de l'équipe d'EPS, l'itinéraire professionnel fait de rencontres et d'opportunités, les différents types d'implication au sein et hors de l'établissement, amènent les enseignants à se construire des stratégies professionnelles dont nous tentons de comprendre les dynamiques, les tensions et les contradictions.
bull2.gif (117 octets)  Pour cela, nous utilisons une approche systémique articulant les théories de la consistance cognitive (Festinger,1957; Heider,1958; Kiesler,1971), celles des représentations sociales ( Moscovici,1961; Abric,1976; Jodelet,1984) et celles concernant les identités sociales et professionnelles (Tap,1981; Dubar,1991; Barbier,1996 ; Galatanu et Barbier, 1998).
bull2.gif (117 octets)  Les théories de la consistance cognitive montrent que l'univers cognitif des sujets s'organise de manière à rester cohérent. Ainsi, pour s'adapter à des informations de nature dissonante, l'individu oriente son travail cognitif vers le rétablissement ou la génération d'états harmonieux, permettant de réduire les écarts. Cet aspect est pris en compte dans les écarts possibles entre les motivations initiales pour le choix du métier et l'évolution de l'EPS, sous-tendue par la logique institutionnelle. Cette approche théorique nous permet d'éclairer les discours des enseignants, dans le cadre des entretiens semi-directifs.
bull2.gif (117 octets)  Par ailleurs, les représentations professionnelles, "formes de connaissances socialement élaborée et partagée" (Moscovici, 1961) par rapport à un métier donné, supposent des croyances, des valeurs, des attitudes qui orientent les choix par rapport aux décisions et actions... Elles sont appréhendées à travers certains éléments du questionnaire et précisées dans le cadre des entretiens. Le noyau central de ces représentations semblent apparaître dans les aspects récurrents du discours et les éléments périphériques émergent au filtre des questions ouvertes que nous avons croisées. Ainsi, les réponses nous permettent d'identifier comment les enseignants d'EPS se positionnent vis à vis d'une discipline en évolution. Repérer ce qui fait sens ou non-sens, nous semble souvent en lien avec une permanence dans l'histoire personnelle. Lorsqu'il y a un infléchissement, il s'agit de repérer les évènements, les "objets" qui ont permis cette évolution.
bull2.gif (117 octets)  Enfin, cette analyse nous conduit à comprendre comment se construisent à la fois une identité professionnelle collective et des identités personnelles à l'intérieur de ce groupe professionnel. L'identité personnelle (Tap, 1998) renvoie à l'ensemble des représentations, des sentiments qu'une personne développe à propos d'elle-même, ce qui lui permet de rester en continuité, de se réaliser dans une culture donnée, en relation avec les autres. Ce rapport de soi aux autres se retrouve dans l'identité professionnelle que nous envisageons comme un processus complexe et dynamique.
bull2.gif (117 octets)  Dans cette perspective, C.Dubar (1991) nous propose des processus identitaires typiques, appelés "logiques d'action", sortes de configurations résultant d'une double transaction entre individu et institution, entre passé de l'individu et confrontation à un changement, entre identité pour soi et identité pour autrui. Nous utilisons cette approche, complétée par le travail de J.M.Barbier et O.Galatanu (1998) qui articulent à ces matrices des phénomènes affectifs, représentationnels et opératoires, se développant dans l'action et participant à la transformation de soi.
bull2.gif (117 octets)  Ce cadre théorique nous amène à formuler quelques hypothèses de travail. Nous pensons que les enseignants d'EPS sont avant tout des acteurs dotés d'une marge de liberté à l'intérieur du système. À ce sujet, les textes "officiels" censés régir la discipline sont suffisamment consensuels et ouverts pour permettre aux enseignants d'investir des espaces particuliers, de se positionner et de s'identifier, tout en restant en cohérence avec eux-mêmes.
bull2.gif (117 octets)  Le groupe professionnel se construit une identité collective lui permettant d'exister et d'être reconnu par les autres au sein du système scolaire. Ceci va devenir un système de valeurs partagé sur la base d'un compromis, en vue de défendre la discipline.
bull2.gif (117 octets)  Les savoirs spécifiques liés au corps restent, quant à eux, objet de débats internes et questionnent le rapport que l'enseignant entretient vis-à-vis des savoirs scolaires et des "savoirs du corps". Ancrés dans l'histoire personnelle, ils participent de la construction de logiques identitaires différentes.
bull2.gif (117 octets)  Au niveau méthodologique, plusieurs outils nous permettent d'aller du général au particulier et de tenter une approche compréhensive, en éclairant les "plis singuliers du social" (B.Lahire, 1998).
bull2.gif (117 octets)  En DEA, 15 entretiens semi-directifs, nous ont conduit à une amorce de typologie, pour rendre plus lisible quelques-uns des éléments d'analyse nous paraissant assez frappants. Nous avons construit l'entrée dans l'identité de ces sous-groupes en utilisant l'image qu'ils donnent de l'enseignant d'EPS "idéal", repérée à travers les discours. Cinq profils semblent émerger :
. "les sportifs" pour lesquels le professeur d'EPS idéal développe de bonnes relations avec les élèves grâce à la pratique sportive. Dotés de qualités physiques générales au départ, ils pensent leur enseignement par rapport au plaisir, à partager, de la pratique compétitive. Ce sont des enseignants qui ont eu, ou ont encore, une pratique sportive de bon niveau. Très impliqués en club ou dans l'association sportive, ils sont plutôt en décalage avec l'évolution actuelle de l'EPS, pour la mise en œuvre de laquelle ils disent " manquer de temps ". Valorisés dans leur histoire au niveau de leurs qualités physiques, ils se sont construits une identité par rapport à leur réussite sportive et non autour d'une discipline à enseigner.
."les éducateurs" pour lesquels le professeur d'EPS idéal est un enseignant ouvert sur les autres disciplines.
bull2.gif (117 octets)  Ayant eu souvent quelques difficultés sur le plan des qualités physiques de départ, ils organisent leur enseignement autour de valeurs de justice et d'accès pour tous aux pratiques corporelles. Dans les discours, il est souvent question de "prendre le temps" sous-entendu de laisser le temps aux apprentissages de se faire. Ils privilégient aussi l'aspect relationnel dans les apprentissages, ce qui les rattache fortement à leur propre histoire, face aux pratiques corporelles.
. " les pratiquants ouverts à l'EPS " pour lesquels le professeur d'EPS idéal, actif sur le plan sportif, sait s'adapter au niveau des élèves. Ils semblent faire la part des choses entre l'enseignement de l'EPS (dont ils soulignent le versant pédagogique) et leur intérêt pour la compétition. Chez ces enseignants, il y a "un temps pour chaque chose": le plaisir d'une pratique sportive pour soi et le plaisir de l'enseignement de l'EPS, pour que les élèves se développent et apprennent à se connaître, à travers l'expérience corporelle. La prise en compte de l'évolution de l'EPS dans leur pratique pédagogique a pu se compenser par un maintien des motivations sportives compétitives en dehors du cadre scolaire.
. " les équilibristes entre travail et temps libre" pour lesquels le professeur d'EPS idéal sait s'adapter à l'évolution de l'EPS, tout en préservant son temps libre . Fonctionnant sur des compromis pour conserver un équilibre entre leur enseignement et leur vie personnelle, ils énoncent clairement les stratégies utilisées à cette fin. On peut remarquer que ces enseignants gèrent leur temps pour que leur travail, qu'ils estiment globalement positif, n'empiète pas sur leur temps de loisir. L'équilibre tient grâce à ce dosage permanent de leur implication.
. " les innovateurs" pour lesquels le professeur d'EPS idéal est avant tout un "généraliste", un élément "dynamiseur" dans le système scolaire, sachant prendre du recul par rapport à sa pratique pédagogique. Participant, au moment de l'enquête, à un groupe d'innovation pédagogique, ils se situent dans la dynamique de l'EPS actuelle. Ils sont, le plus souvent, très impliqués dans des structures institutionnelles et s'inscrivent clairement dans ce que serait, pour eux, une didactique de l'EPS centrée davantage sur le processus d'enseignement/apprentissage que sur une animation de type sportif (centrée davantage sur les APS). On pourrait dire qu'ils ont "un temps d'avance" et pensent que la majorité des enseignants résiste à l'évolution d'un système, dans lequel ils sont eux-mêmes très investis.
bull2.gif (117 octets)  Nous avons cherché à vérifier la pertinence et les limites de cette première analyse à plus grande échelle, en utilisant une approche par questionnaires (381 retours). Toutes les caractéristiques ne se retrouvent pas. Certains éléments se renforcent, d'autres disparaissent ou ne peuvent être pris en compte avec ce type d'outil. Confrontés aux résultats , nous avons donc reconstruit cinq groupes d'enseignants d'EPS: les "entraîneurs" en club, les "sportifs" pratiquant en compétition, les "éducateurs", les "reconnus par l'institution" , les "critiques" vis à vis de l'évolution d'une discipline, dans laquelle ils ne se retrouvent plus...
bull2.gif (117 octets)  Ces profils laissent apparaître des ancrages forts autour de l'enseignant idéal, et des enjeux du métier. Nous sommes au cœur des représentations professionnelles.
bull2.gif (117 octets)  Par ailleurs, les résultats laissent apparaître ce qui pour nous renvoie à une "identité collective". Cette identité se fonde sur une relation à l'élève privilégiée et sur des valeurs éducatives que la discipline peut favoriser : développement de la santé, de la sécurité, de l'autonomie, de la citoyenneté... Ces éléments de l'enquête correspondent assez bien aux discours les plus courants sur l'EPS ; ils renvoient à ce qui est toléré, admis ou parfois même valorisé au sein de l'école... Nous pensons qu'il s'agit là d'une identité disciplinaire, permettant aux acteurs d'exister et d'être reconnus. Ceci devient un système de valeurs partagé, sur la base d'un compromis, en vue de défendre l'utilité de la discipline vis à vis de ceux qui pourraient la remettre en cause, dans ou hors de l'école.
bull2.gif (117 octets)  La spécificité de la discipline, centrée sur le corps, est faiblement mentionnée au regard des aspects relationnels et éducatifs. Est-ce parce que le statut du corps est minoré à l'école et qu'il n'est pas prestigieux d'affirmer l'importance du corporel ? Pour nous, la question des savoirs spécifiques liés au corps, ne peut apparaître que dans le cadre d'approches qualitatives, car ils renvoient au rapport savoirs scolaires/ "savoirs du corps"; ancrés dans l'histoire personnelle de l'individu, ils s'inscrivent dans un système de valeurs qui oriente la pratique pédagogique.
bull2.gif (117 octets)  Enfin, les résultats liés aux questions ouvertes nous permettent de dresser une sorte de "cartographie de la profession" à travers les discours.
bull2.gif (117 octets)  Les profils identitaires, dans la continuité de ceux amorcés dans le cadre du DEA, mettant en jeu un système de relations, agrégeant certains termes et en rejetant d'autres. Nous pouvons en donner ici quelques grandes lignes :
. le groupe des "entraîneurs" valorise la centration sur les activités physiques et sportives (APS), questionne l'identité de l'EPS et dit n'avoir en rien modifié ses pratiques professionnelles. Ce groupe minore la relation enseignant-élève, la réflexion didactique et la mise en place du projet pédagogique nécessitant de nombreuses concertations entre enseignants.
. le groupe des " sportifs" valorise lui aussi la centration sur les APS et en apprécie la diversité. Le développement moteur leur apparaît minoré au sein d'une discipline, dont les changements sont vécus comme des contraintes. L'EPS devient l'objet d'une crise d'identité liée à la recherche de conformité avec les autres disciplines. Ce groupe semble peu intéressé par la didactique, la prise en compte de l'élève dans sa globalité et la logique institutionnelle.
. le groupe des "éducateurs" privilégie très fortement la relation pédagogique, la recherche de réussite de tous les élèves, pris en compte dans leur globalité. Il valorise la réflexion sur les contenus et envisage la discipline EPS du point de vue de son utilité sociale.
. le groupe des "reconnus par l'institution" s'accorde à valoriser l'utilité sociale de la discipline et la construction d'une identité disciplinaire passant par une réflexion sur les contenus et leur évaluation , ce qui suppose des moments de concertation au sein de l'équipe. La centration sur les APS est minorée, de même qu'une relation enseignant - élève, qui risquerait d'occulter l'accès aux savoirs (pôle didactique).
. le groupe des "critiques" s'accorde sur les mauvaises conditions de travail, des problèmes de santé, et les problèmes relationnels avec les autres acteurs. Les enseignants de ce groupe pensent que les pratiques professionnelles n'ont pas changé, si ce n'est une tendance de la discipline à trop théoriser, au détriment des pratiques. Se disant soumis à de multiples pressions, ils ont le sentiment d'avoir toujours à se justifier. L'intégration au sein de l'Education Nationale est vécue comme une contrainte et l'EPS est perçue comme en crise d'identité, à la recherche d'une mise en conformité qui la fait basculer du côté des discours. Pourtant, à l'inverse des autres groupes, la relation à l'élève, la réflexion sur les contenus, et les valeurs éducatives que porte la discipline sont minorées, de même que tout ce qui touche au développement moteur. On ne saisit pas très bien où se situent les ancrages pour donner du sens à l'action au quotidien.
bull2.gif (117 octets)  Ces éléments ne rendent pas compte de la totalité des acteurs professionnels. Certains enseignants ne se retrouvent dans aucun profil, d'autres, étrangement, appartiennent à plusieurs d'entre eux. Une nouvelle catégorie apparaît, celle que nous avons appelé "les critiques", dont la compréhension reste opaque.
bull2.gif (117 octets)  C'est pour cet ensemble de raisons que nous avons choisi d'utiliser une approche qualitative à travers des entretiens semi-directifs. Ils vont nous permettre de comprendre comment chaque enseignant construit son monde pour lui donner sens et rester équilibré, voire, pour le cas des "critiques", pour "tenir" dans une profession dont ils nous disent qu'elle ne leur correspond plus, qu'ils ne s'y reconnaissent plus.
bull2.gif (117 octets)  On devine la difficulté à établir des "frontières" entre les différents enseignants. Une typologie, aussi "sécurisante" soit-elle, ne rendrait pas compte, nous semble -t-il, d'une réalité multiple, fluctuante, parfois opaque dont les changements sont souvent inscrits dans des micro-évènements personnels, relationnels, professionnels... Nous avons donc utilisé une approche complémentaire, par entretiens semi-directifs, à partir du corpus du DEA (15 entretiens) et du corpus de la thèse (381 questionnaires). Le choix de nos sujets a été réalisé à différents niveaux :
. des enseignants interrogés dans le cadre du DEA (5 personnes) et assez caractéristiques d'un profil: que sont-ils devenus six ans après ? Le processus identitaire à l'œuvre montre -t-il des permanences, des infléchissements, des modifications... et si oui, quels seraient les éléments explicatifs du changement ?
bull2.gif (117 octets)  Si des éléments explicatifs apparaissent, ils pourront être considérés comme inscrits et participant à la construction de l'identité professionnelle des enseignants d'EPS.
. des enseignants appartenant à plusieurs profils identitaires: comment trouvent-ils une cohérence dans cette diversité, sur quel système de valeurs justifient-ils leur action au quotidien ?
. des enseignants appartenant à un seul profil : il s'agira d'affiner leur logique, de comprendre comment ils construisent leur monde et donnent sens à leur pratique. Nous avons systématiquement interviewé plusieurs enseignants dans chaque "profil" pour repérer ce qui est commun et ce qui reste singulier. Les matrices identitaires proposées par J.M.Barbier et O.Galatanu (1998) sont un élément structurant pour rendre compte de ces données.
bull2.gif (117 octets)  Enfin, il semble indispensable d'entrer dans des "portraits" qui rendent compte d'itinéraires professionnels particuliers et redonnent place au sujet dans la singularité de son processus identitaire lié à son histoire, à la diversité des contextes qu'il traverse, à la qualité de sa relation aux autres, à sa capacité de changement...
À ce jour nous en sommes à cette étape. La méthodologie "plurielle" que nous avons utilisée, nous permet d'appréhender l'identité professionnelle avec différents niveaux de lecture. A l'interface de soi et des autres, du collectif et du singulier, l'identité professionnelle n'est jamais figée ; cette caractéristique rend délicate la construction de typologies mais laisse place à des logiques fortes, des zones d'ombres et des espaces potentiels pour amorcer de nouvelles dynamiques professionnelles et personnelles.
bull2.gif (117 octets)  Mots clés : Identité professionnelle. Enseignants. Institution. Éducation Physique et Sportive