Biennale 5
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Enseignants, informatique et soutien scolaire.

Auteur(s) : RINAUDO Jean-Luc

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bull2.gif (117 octets)   L'objet de cette communication est d'interroger la forte présence du thème des élèves en difficulté dans le discours des enseignants du premier degré dans l'évocation de l'informatique à l'école. Ce travail s'appuie sur dix-sept entretiens réalisés pour une thèse en sciences de l'éducation, sous la direction de Claudine Blanchard-Laville, à l'université de Paris X Nanterre. Ce sont des entretiens cliniques de recherche, c'est-à-dire des entretiens où seule la
forme un point formalisé et où toute latitude est laissée à la personne rencontrée pour développer son discours, suivant le fil de sa pensée. Les personnes rencontrées pour cette recherche sont toutes des enseignants du premier degré, exerçant dans les trois académies de la région parisienne. Elles ont été choisies selon deux procédures.
bull2.gif (117 octets)  D'une part, de façon assez classique dans une recherche s'appuyant sur des entretiens, des enseignants " tout venants " ont été contactés par l'intermédiaire de tiers. D'autre part, j'ai rencontré également des enseignants repérés pour leur usage de l'informatique dans des revues essentiellement professionnelles. Je souhaitais ainsi mettre le plus de chance de mon côté de rencontrer des enseignants qui utilisent beaucoup l'informatique. Il est apparu par la suite que cette catégorisation entre enseignant " tout venants " et enseignants spécialistes n'était pas si pertinente, car je rencontrais parmi les enseignants " tout venants " des degrés divers d'utilisation de l'informatique, allant de pas d'informatique du tout à beaucoup d'informatique, mais aussi parce que parmi les enseignants repérés, je me trouvais en présence de degrés divers d'utilisation. Au final, je suis en présence d'un corpus d'entretiens réalisés auprès d'un groupe d'enseignants assez hétérogène quant à l'usage de l'informatique dans la pratique professionnelle. Ainsi, six enseignants, pour des raisons diverses de choix personnels et de contextes que je ne chercherais pas ici à approfondir, n'utilisent pas l'informatique en tant qu'enseignant, tandis que six l'utilisent de façon occasionnelle et que cinq autres l'utilisent fréquemment. Du moins, c'est ce qui ressort de leur discours c'est bien ici ce qui nous intéresse car ce qui compte en définitive, ce n'est pas tant ce qu'ils font que ce qu'ils en disent.
bull2.gif (117 octets)  Au-delà des particularités propres à chaque entretien, qui feront l'objet d'un travail développé dans la thèse, j'ai été rapidement amené, en dépit de la diversité des pratiques, à repérer trois thèmes transversaux à l'ensemble du corpus. Le premier est certainement un effet du mode de recueil des données et chaque chercheur qui procède par entretiens non directifs a dû en faire l'expérience. Il s'agit de tout un registre du discours qu'on pourrait catégoriser comme des doléances. Par mon intermédiaire, les enseignants rencontrés adressent à l'institution des revendications, des souhaits, voire des plaintes à propos de la formation initiale ou continue, du matériel informatique ou encore du décalage entre discours ministériel et réalité de la classe ... Ainsi, une enseignante explique : " et on a aussi un atelier informatique donc ils font aussi des dessins sur informatique ce qu'il faudrait pouvoir c'est les sortir sur une imprimante couleur ". Les derniers mots sont nettement articulés, la tête se penchant alors vers le magnétophone, comme si l'enseignante voulait être certaine d'être bien entendue, bien comprise. Son discours s'adresse alors à un tiers qui n'est pas présent dans la situation d'entretien. On peut alors comprendre ce que le chercheur représente pour elle : une interface entre le terrain de la classe et les instances décisionnelles.
bull2.gif (117 octets)  Le second thème qui est massivement présent dans les discours des enseignants est celui de la concurrence entre livre et informatique puis entre enseignants et informatique. Le discours quasi unanime des chercheurs en éducation ou en informatique, mais aussi celui des décideurs, qui affirme avec force que la machine ne remplacera jamais l'enseignant, favorise en fait des craintes de voir la machine supplanter l'être humain. Ces craintes fantasmatiques s'alimentent dans les mythes créateurs des technologies informatiques. Aussi, en résistance, les enseignants mobilisent-ils leur capital culturel, diraient les sociologues, c'est-à-dire ce qui pour eux constituent la spécificité irréductible de l'acte d'enseigner : l'accès au livre et par là même l'accès au savoir. "Sans oublier non plus le livre parce que j'ai aussi une grande passion pour les livres " dit notamment une enseignante rencontrée.
bull2.gif (117 octets)  Le troisième thème qui traverse l'ensemble des entretiens et que nous développerons aujourd'hui est celui des élèves en difficulté. Ainsi, quel que soit le degré d'utilisation de l'informatique dans leurs activités professionnelles, les enseignants rencontrés évoquent, dans quinze entretiens sur seize, qui portent, rappelons-le sur ce que l'informatique évoque pour eux, la question des élèves en difficultés. Pour beaucoup, l'informatique peut apporter une aide aux élèves en difficultés : " euh c'est une aide euh ça permet de passer par dessus ce problème là oui" (Monique) et permet de reprendre des notions pas encore acquises " ponctuellement sur un deux ou trois élèves qui vont s'entraîner écoute là on passe à la phase d'après toi t'as pas la phase précédente tu vas t'entraîner voilà "(Alice). Aux dires de très nombreux enseignants, l'informatique est un " outil dont la force est d'être attrayant "(Louis). Régine qui n'utilise pas l'informatique dans sa pratique professionnelle témoigne sur ce qu'elle a vu au cours d'un stage dans une classe, pendant sa formation : " moi je l'ai vu sur une école en stage où il y avait des enfants qui c'étaient euh un logiciel de lecture c'est vrai que j'ai vu des enfants qui n'allaient pas en récréation il y avait un roulement sur ceux qui ne voulaient pas aller en récréation pour pouvoir euh s'amuser avec le logiciel de lecture on aurait dit aux enfants nous en tant qu'instit euh là ça ne va pas tellement il faudrait que tu t'entraînes un peu pendant la récréation tu vas faire ça euh je veux dire ce serait euh ce serait difficile euh bon et je le comprends c'est pas forcément présenté comme un jeu et aussi attrayant que euh que le matériel informatique / que l'outil informatique ". Ainsi certains peuvent faire le constat " que chez les enfants en difficulté ils écrivaient beaucoup plus il y avait une plus grande motivation "(Noël).
bull2.gif (117 octets)  De plus, l'informatique favorise la concentration des élèves grâce à l'aspect ludique des exercices ou encore parce qu'ils ont l'impression d'être face à un jeu vidéo : " les gamins aujourd'hui dans ce que je vois euh dans l'évolution beaucoup ont des problèmes de concentration énormes et face à un écran ces problèmes là sont un peu masqués il y a le côté ludique qui revient obligatoirement il y a l'attraction de l'image c'est plus facile pour beaucoup d'être devant un écran que devant une feuille et devant de tenir un cahier devant euh même si l'un euh n'annule pas l'autre quoi hein mais par rapport à des difficultés de concentration ce je pense que ça peut régler les choses "(Geneviève).
bull2.gif (117 octets)  Certains enseignants illustrent également leur propos par des exemples choisis dans leur vie personnelle. Ainsi Régine déclare : " je sais que j'ai mon fils qui est un qui est quelqu'un qui n'est pas très scolaire euh on n'est pas équipé informatique mais on y pense de plus en plus euh il aurait un jeu enfin surtout si c'est sous forme ludique il ferait deux fois plus que où là il fait le minimum parce qu'on lui demande de le faire / j'en suis pas sûre mais je pense que ça pourrait le que ça pourrait le motiver c'est un outil qui est adapté à leur génération ", ou encore Geneviève : " je suis persuadée que l'ordinateur aide énormément / mon fils aîné qui / qui actuellement va très mal au niveau scolaire bah là on vient de il est chez mes chez ses grands-parents pour pas parce que il y a grève donc ici et là on vient on vient de lui acheter euh Adi sur ordinateur et il a passé hier toute la journée à travailler alors qu'il est incapable à la maison de passer plus de cinq à dix minutes d'affilée pour travailler (rires) donc comme quoi euh ça doit sûrement marcher "
bull2.gif (117 octets)  Par ailleurs, certains notent que l'usage de l'informatique est valorisant pour les élèves " je pense que c'est une valorisation aussi pour eux de savoir se servir maîtriser un outil autre que l'écriture autre que le papier "(Régine) car ce sont des outils socialement marqués comme porteurs de réussite sociale. Bill Gates n'est-il pas souvent cités comme un des hommes les plus riches du monde ? " ce qui est valorisant, je crois pour eux enfin moi ce qui peut me parait valorisant pour eux c'est de maîtriser un outil enfin un autre outil que l'écriture c'est un outil dont tout le monde se sert dont les parents se servent dont les adultes se servent aussi et ils peuvent s'en servir euh aussi bien voire mieux que les adultes oui ça peut être valorisant donc à ce niveau là plus pour quelque chose qui les qui les valorise dans ce qu'ils sont dans ce qu'ils font / ce qui est quand même recherché surtout pour les enfants en difficulté pour les autres aussi mais je veux dire euh d'autant plus pour les enfants en difficulté "(Régine).
bull2.gif (117 octets)  Enfin, les enseignants rencontrés constatent à plusieurs reprises que l'outil informatique permet de contourner certaines difficultés, notamment dans la production de textes. Parmi d'autres Julie déclare : " dans un échange avec la machine ils sont dégagés de cette difficulté puisqu'ils n'ont plus qu'à appuyer sur des touches par exemple ".
bull2.gif (117 octets)  Ainsi, l'informatique réconcilie les élèves avec le monde de l'école " ce côté aussi sympathique parce que c'est sûr parce que c'est bien d'apprendre en jouant et là j'ai des enfants qui sont en grosses difficultés scolaires avec le retard scolaire etc.. / et ça leur fait beaucoup de bien d'apprendre en jouant euh ça les remet un petit peu sur les rails ça les met ça les réconcilie un petit peu avec les apprentissages scolaires ça c'est important parce que pour beaucoup c'est devenu un rejet l'école euh tout ce qui est notion à apprendre leçon à apprendre euh c'est des notions qui sont très difficiles maintenant il y a presque un blocage / et jouer apprendre en jouant ça les redynamise ça c'est important leur redonner envie d'apprendre sous la sous forme de jeu / et là ils ont toujours l'impression de jouer sur l'ordinateur ça c'est très bien "(Katy)
bull2.gif (117 octets)  L'informatique rend les élèves plus actifs que la séance de classe plus classique : " tant que il n'y a pas cette mobilisation de l'enfant cette motivation à être actif dans son apprentissage on stagne l'informatique est une alternative qui peut rendre actif l'enfant et euh bon ou mauvais c'est un moyen qu'on se doit de prendre en considération dès lors qu'il met en activité en activité et en action les enfants qu'on n'arrive pas à mobiliser "(Louis).
bull2.gif (117 octets)  Les élèves modifient alors leur perceptions des jugements, conseils, consignes donnés par l'ordinateur. Ils les acceptent plus facilement parce qu'ils ne viendraient pas d'un enseignant, d'une personne. Régine nous dit : " ils recommencent autant qu'ils veulent pour eux c'est impersonnel si vous voulez pour moi c'est mon impression " avant d'ajouter " je veux dire euh l'ordinateur qui leur dit c'est pas bon recommence ils recommenceront je suis bien persuadée qu'ils recommenceront autant de temps autant de fois qu'on leur demande de recommencer pour établir un score etc.. je suis pas sûre que si nous on leur dit écoute ça ne va pas il faut que tu recommences ça marche / ça marche autant aussi bien si vous voulez euh parce que il n'y a pas il n'y a pas la relation affective avec l'enseignant il n'y a pas la relation avec l'enseignant parce que euh c'est pas ludique c'est beaucoup moins ludique qu'avec l'enseignant même si on essaye de le présenter de façon aussi ludique que possible c'est pas papier je veux dire c'est un outil différent plus stimulant et plus euh plus attirant pour les enfants ". Sophie déclare : " enfin j'ai des gamins là quand je leur demande de recopier un une expression écrite ou quelque chose qu'ils ont écrit bon ils tirent la patte ils traînent la patte ils ne veulent pas c'est long c'est dur c'est difficile c'est casse-pieds vous les mettez sur le clavier il n'y a pas de problème il n'y en a pas un qui râle "
bull2.gif (117 octets)  On peut alors se demander ce qu'il y a à entendre dans ce discours sur les élèves en difficulté qui surgit de façon omniprésente dans un discours sur l'informatique.
bull2.gif (117 octets)  En premier lieu, il nous faut reconnaître que le discours sur les élèves en difficultés est sans doute un discours en vogue dans le monde éducatif et que les enseignants rencontrés dans le cadre de cette recherche sont évidemment influencés par les discours sociaux et professionnels qu'ils rencontrent au quotidien.
bull2.gif (117 octets)  En outre, parmi les usages pédagogiques de l'informatique, on remarque une importante proportion d'applications de type thérapeutiques et réparatrices, dont on peut fréquemment lire des témoignages à travers la presse généraliste et les revues spécialisées en éducation et formation.
bull2.gif (117 octets)  Certes, les usages de l'informatique en (ré)éducation auprès d'enfants, de jeunes ou d'adultes en difficultés scolaires, psychiques, sociales, offrent incontestablement de nombreux avantages, pour les apprenants comme pour les enseignants. Il en va ainsi des dispositifs adaptés aux personnes handicapées physiques pour favoriser leur autonomie. Jack Sagot (1991) rapproche l'arrivée dans les classes de plus en plus d'enfants très démunis sur le plan moteur, présentant des troubles de l'apprentissage et des difficultés de communication, et le développement de la micro-informatique, dans les années quatre vingt. Selon lui, les ;enseignants des classes spécialisées ont vu dans l'ordinateur, associé à des logiciels spécialisés et des périphériques d'entrée sortie adaptés, un outil pédagogique pouvant intervenir dans l'éducation d'enfants handicapés moteurs, de l'ordinateur prothèse à l'ordinateur accompagnement au raisonnement. On assiste alors à un glissement de l'utilisation de l'informatique comme prothèse au handicap physique à un outil d'aide à des apprentissages. On retrouve cela également dans le domaine de la psychiatrie dont un des exemples le plus célèbre, en Europe, est celui de Birger Sellin(1994), ce jeune autiste, de 19 ans, muet depuis l'âge de 2 ans, et qui se mit à communiquer avec ses parents d'abord, puis avec son entourage, à l'aide d'un ordinateur. Ce cas ne reste pas un isolé car de nombreux éducateurs, ré-éducateurs, enseignants et thérapeutes cherchent dans les systèmes informatiques un outil pour permettre aux élèves, aux enfants ou aux jeunes, aux patients de communiquer ou d'acquérir certaines notions. Ainsi, Kamila Eimerl (1993) dans son ouvrage sur l'informatique éducative consacre toute une partie aux usages de l'informatique (ré)éducative. Pour sa part, Evelyne Esther
bull2.gif (117 octets)  Gabriel (1994), thérapeute en psychomotricité utilisant la médiation informatique, propose dans la dernière partie de son livre une voie possible pour l'intégration au travers des jeux vidéos. De nombreux articles montrent également cet usage réparateur mis en place par des enseignants auprès d'élèves en difficulté scolaire, pour lesquels la magie de l'informatique permet de progresser dans les apprentissages (Benoit, 1992, Chalamon, 1990, Spoljar, 1997, entre autres) et La nouvelle revue de l'AIS consacre, dans chacun de ses numéros, une rubrique aux nouvelles technologies. Enfin, on remarque cette fantasmatique de l'informatique réparatrice dans le domaine de l'exclusion sociale. Les travaux de Pascal Plantard (1992) sur l'informatique clinique montrent comment l'approche de l'informatique permet à des jeunes en difficultés scolaires ou des toxicomanes ou encore des chômeurs de longue durée en difficultés graves, de reprendre confiance en eux en se fabriquant une image positive d'eux-mêmes et de se réinsérer dans la vie sociale.
bull2.gif (117 octets)  Cette médiatisation de l'informatique comme outil de rééducation a sans doute rencontré chez les enseignants de l'école primaire des préoccupations de l'activité enseignante qui restent le plus souvent sans réponse totalement satisfaisante. Je ne veux pas dire ici que rien n'est fait dans les classes pour les élèves en difficultés mais qu'en dépit des groupes de soutien, du travail individualisé, de l'apport des réseaux d'aides spécialisées, des aides aux devoirs, etc..., des difficultés persistent ou d'autres se font jour ce qui fait que finalement les difficultés sont le plus souvent toujours là de façon importante. L'informatique est alors une réponse nouvelle, qui apporte encore espérance, d'autant plus qu'au niveau technologique, l'évolution des matériels est très rapide et qu'il apparaît bien difficile aujourd'hui de prévoir ce que sera l'ordinateur dans dix ans. Face à une difficulté des élèves, qui peut renvoyer en miroir à une difficulté de l'activité professionnelle des enseignants, ceux-ci choisissent alors la voie de l'instrumentalisation.
bull2.gif (117 octets)  Cette toute-puissance prêtée à l'informatique dans la remédiation ou l'aide aux enfants en difficulté peut être analysée comme un déplacement, au niveau psychique, d'une autre toute-puissance, celle de l'enseignant lui même. La toute-puissance infantile est le fantasme
archaïque qui permet au bébé de croire qu'il lui suffit de vouloir la présence et les soins de sa mère pour les obtenir. Ces processus de la première enfance ne s'effacent pas et sont réactivés tout au long de la vie, resurgissant sous une forme ou une autre. Ils sont particulièrement à l'œuvre, me semble-t-il, quand l'enseignant est confronté à ce qu'il peut ressentir comme un défi, d'aider les élèves en difficulté, alors même que l'école est présentée, de façon extrême parfois, comme le dernier lieu de construction du lien social et d'élaboration du savoir.
bull2.gif (117 octets)  Cette toute-puissance de l'enseignant dans la relation pédagogique est particulièrement repérable ici dans un désir de totale maîtrise, chez Jean-Michel, par exemple : " pour moi il fallait absolument que je maîtrise ", ou dans la mise en place de situation de contrôle pour Louis : " les années passées j'avais un dispositif dans la salle informatique qui permettait de prendre en remédiation euh tous les enfants d'une classe d'âge en l'occurrence des enfants de CE2 qui ne maîtrisaient pas les compétences de base en français et en mathématiques / donc on
j'avais ciblé tous les objectifs euh de leurs lacunes / et donc euh ils travaillaient effectivement sur ce sur le domaine où ils étaient défaillants en mathématiques et en français / bon ça permet une individualisation et un contrôle / une mémoire qui est infaillible " ou encore pour Katy : " avec l'enseignante qui aussi peut voir l'écran de loin ce qui est très facile alors que j'aurais beaucoup de mal à voir leur fiche de travail sur le bureau donc là vous voyez comment je suis située euh où que je me place euh de toute façon je vois à peu près ce qui se passe sur l'écran donc euh j'ai des repères je sais que sur Adi il y a des traces rouges lorsque vraiment l'enfant se trompe lorsque je vois qu'il y a une répétition comme ça de traces rouges j'attends quelques instants et puis je sais que je peux intervenir je vois aussi quand l'exercice se déroule à peu près normalement que l'enfant progresse dans l'exercice donc là je laisse faire euh donc j'ai un contrôle euh / disons euh plus ou moins à distance sur ce que font les deux enfants sur l'ordinateur et ça c'est très intéressant ". Elle est le signe d'une fantasmatique de la formation comme fabrication (Kaës, 1984, Meirieu,1996). Il nous faut alors faire le lien avec les mythes fondateurs de l'informatique, les mythes de Pygmalion et de Prométhée qui sont de donner la vie à un être artificiel et de dépasser les dieux (Breton, 1995). La mythologie qui porte l'informatique s'associe aux fantasmes des enseignants pour développer des fantasmes de toute-puissance.
bull2.gif (117 octets)  Enfin, il nous faut noter que les retrouvailles entre les élèves en difficulté et le monde de l'école se font dans une situation où, paradoxalement, l'enseignant se trouve en retrait : " mais c'est vrai que c'est un outil qui me parait important je veux dire pour des élèves en difficulté qui pourraient s'entraîner plus facilement sur un traitement enfin sur un outil informatique que les exercices avec la maîtresse derrière qui est là pour faire des réflexions et tout bon à l'informatique ils jouent " dit une enseignante tandis qu'une autre affirme : " l'école c'est aussi apporter euh / pour moi un côté ludique / ce n'est pas que l'apprentissage c'est l'apporter de l'apporter de façon euh où ils sont autonomes par rapport à ce qu'ils veulent apprendre aux progrès qu'ils veulent réaliser c'est pas toujours le cas avec les fiches ou avec l'enseignant / en chair et en os je dirais "(Katy). Régine déclare même que cela soulage l'enseignant " et puis justement pour ces enfants en difficulté des enfants en difficulté je veux dire si on les mettait devant un ordinateur avec un cédérom bien approprié ça permettrait aussi ça soulagerait un petit peu la maîtresse d'avoir à s'arracher les cheveux avec ces enfants là parmi trente autres qui font autre chose ".
bull2.gif (117 octets)  Ce sont là des manifestations similaires à celles que repèrent Roger Perron, Jean-Pierre Aublé et Yves Compas (1994) dans les discours sociaux sur l'enfant en difficulté. On peut se demander avec eux si l'élève idéal n'est pas une spécification de l'enfant idéal : " un enfant intelligent, travailleur, courageux, bon élève, qui grâce à ces qualités réussit bien à l'école et plus tard réussira bien dans la vie ". Cette image du bon élève est inscrite, avec plus ou moins de variations, dans le moi idéal professionnel de l'enseignant. L'élève en difficulté ne peut coïncider avec cet élève idéal et provoque alors en retour chez l'enseignant une blessure narcissique. Il porte atteinte à l'idéal de l'enseignant, ce qui peut se caractériser par des situations de retrait, malaise ou évitement. Des enseignants nous disent leur espoir de restaurer leur idéal car, mis en présence d'ordinateurs, les élèves en difficultés peuvent aussi devenir des bons élèves ou du moins des élèves capables d'apprendre et de partager leur savoir : " parce que à la limite ils peuvent très bien à force de s'en servir expliquer à un autre euh qui n'est pas en difficulté euh qui ne sait pas se servir d'une souris ou n'importe quoi peut-être que c'est un moyen de les valoriser sur autre chose "(Régine) et aider le meilleur élève de la classe : " et bon le jour où le gamin qui avait tout le temps vingt sur vingt en orthographe bah il a eu besoin de celui qui a régulièrement zéro sur vingt et qui avait compris comment faire fonctionner le / le scanner bon bah ce jour là le / ça a remis un petit peu les pendules à leur place pour les deux et c'était bien " (Jean-Michel).
bull2.gif (117 octets)  Pour conclure de façon toute provisoire sur ces questions de rapport à l'informatique, il ne s'agit pas de nier l'importance ou la spécificité des utilisations de l'informatique dans les situations de soutien scolaire. Il ne s'agit pas ici d'intenter un mauvais procès à ceux qui innovent dans le domaine de l'éducation pour tenter de mieux répondre aux missions qui leur sont attribuées. Cependant, on remarquera tout de même que tout se passe comme si, dans le discours des enseignants, introduire un ordinateur dans une classe allait de soi, en dépit de toutes les projections sociales et psychiques dont il est porteur, et surtout pouvait produire pour tous les enfants, les mêmes effets attendus, ceux du réaménagement d'un espace psychique d'apprentissage qui puisse conduire chaque élève en difficulté vers la réussite scolaire.
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