Biennale 5 |
Catégorisation et mémorisation des savoirs et savoir-faire : quel dispositif pédagogique ? Auteur(s) : BECOUSSE Gérard |
retour au résumé Cette présentation est extraite d’une recherche plus vaste (thèse en cours) sur l’élaboration d’un dispositif pédagogique organisé suivant le principe d’autonomie et appliqué à un apprentissage complexe, la mémorisation
Ces trois stratégies peuvent être utilisées tour à tour pour résoudre un même problème ou effectuer une même activité. La stratégie de consultation d’une table implique une très forte accumulation préalable de connaissances sous forme de savoir et/ou de savoir-faire. Lorsque l’on est confronté au problème ou à l’activité, la réponse ou l’action est aisée et généralement rapide puisqu’il s’agit simplement de restituer la solution parmi les items stockés en mémoire à long terme. Ce niveau sera préférentiellement recherché par les personnes qui ont une utilisation fréquente et obligatoire de la compétence exigée. C’est le niveau de l’expert. La stratégie de transformation ne nécessite aucune accumulation préalable de connaissances nouvelles. Elle se contente d’utiliser essentiellement les données issues de l’analyse de la situation ainsi que quelques connaissances stockées en mémoire à long terme qui peuvent éventuellement être adaptées au problème posé. Le traitement de l’information en mémoire de travail va être très important et va demander plus de temps, en utilisant des procédures peu nombreuses mais répétitives, avec des risques de surcharge mnésique ou d’inadaptation à la complexité. Cette stratégie s’impose lorsque l’on se trouve confronté pour la première fois à l’activité ou au problème ou lorsque l’on sait que l’on ne réutilisera pas ou peu la compétence imposée. C’est le niveau du néophyte. Entre ces deux extrêmes, la stratégie de consultation des règles est un compromis. Les charges de travail se répartissent entre la mémoire à long terme (mémorisation préalable d’un certain nombre de savoirs et/ou de savoir-faire) mais avec une accumulation moins importante par rapport à la stratégie de consultation d’une table, et la mémoire de travail, mais avec une charge de traitement plus faible que dans la stratégie de transformation. Celui qui utilisera de temps à autres la compétence attendue ou qui désire effectuer la tâche avec une certaine efficacité optera pour cette stratégie. C’est le niveau du praticien. 2. L’organisation des connaissances en catégories En suivant Jacqueline BIDEAUD et Olivier HOUDE (1989), on peut distinguer trois grands types d’organisation (les références ne renvoient qu’aux recherches fondatrices). - Les organisations apparentées à la logique des classes qui permet de distinguer et coordonner en compréhension (ressemblances et différences entre les éléments à classer) et en extension (ensemble des éléments auxquels s’appliquent les propriétés définies en compréhension) les classes en présence et définit les catégories conceptuelles en termes de propriétés nécessaires et suffisantes (PIAGET & INHELDER 1959). - Les organisations reposant sur le déterminisme environnemental et les objets du monde réel. Elles font apparaître un niveau de base (niveau psychologiquement plus prégnant que les autres) et un gradient de typicalité (plus ou moins grande représentativité des exemplaires de la catégorie) qui permet de dégager des prototypes (représentant le plus typique de la catégorie) (ROSCH, 1976). - Les organisations reposant sur les expériences passées avec les objets, les scènes ou les événements. Ces schémas (scripts et scènes) constituent une structure temporelle, spatiale et causale englobant non seulement de l’action mais aussi les objets, les partenaires sociaux et les buts potentiels de la séquence événementielle (SCHANK & ABELSON, 1977). Plutôt que de rester dans une situation d’exclusion entre ces trois types d’organisation, Olivier HOUDE (1992) propose un nouveau cadre d’analyse qui tient compte de la coexistence chez les sujets des classes piagétiennes, des représentations catégorielles et des catégories schématiques. Selon lui, la construction des connaissances chez l’enfant de 6 à 11 ans s’élabore suivant un cheminement qui part du contigu (les schémas issus du contexte individuel), en passant par le substituable (prototypes et catégories) pour aboutir au nécessaire (classes logico-taxonomiques). En utilisant ces trois systèmes de représentations symboliques, chaque sujet peut se situer à trois niveaux d’interprétation et d’organisation des connaissances, niveaux que nous pouvons mettre en correspondance avec les trois grands types de stratégies mnésiques présentés dans la première partie. Au niveau pragmatique, le sujet est strictement dépendant des contextes particuliers, c’est le niveau du néophyte. Cela ne l’empêche pas cependant d’effectuer sur les éléments qui lui sont proposés des opérations de traitement pertinentes qui lui permettent de donner un sens à la situation (mémoire de travail) tout en utilisant partiellement certaines structures acquises plus complexes (mémoire épisodique surtout, pour les référents autobiographiques, et mémoire sémantique). Au niveau optimal le sujet se dégage du contexte pragmatique pour accéder au contexte normatif ou il utilise les structurations logico-taxonomiques issues de ses connaissances et de son expérience (mémoire à long terme, dans ses aspects sémantiques et procéduraux, avec de nombreux automatismes qui résultent d’une forte accumulation progressive de savoirs et savoir-faire). C’est le niveau de l’expert. On retrouve enfin, entre les deux, le niveau intermédiaire où le sujet utilise proportionnellement l’une et l’autre stratégie en fonction des tâches, des supports et des contextes. C’est le niveau du praticien. 3. Contraintes pédagogiques En premier lieu, si l’organisation des connaissances en mémoire s’effectue par un passage progressif du contigu (concepts et procédures dépendant d’un contexte particulier) au substituable (concepts et procédures transférables indépendamment du contexte), le dispositif pédagogique s’appuie alors sur une progression dans les objectifs qui tient compte de cette évolution nécessaire. Pour les objectifs acquis et à réactiver et les objectifs en cours de maîtrise proposés aux élèves de collège concernés par la recherche, l’entrée dans cette évolution peut alors se faire par une présentation des attributs nécessaires et suffisants. Il s’agit donc d’une acquisition des connaissances en compréhension se rapprochant du niveau d’expertise Pour les objectifs nouveaux, en phase de découverte et d’apprentissage, l’entrée peut se faire à partir du prototype de la catégorie (savoir) et même du prototype du schéma (savoir-faire) (NELSON, 1985). L’extension de l’étude à d’autres exemplaires, ainsi qu’à des contre-exemples, permet ensuite “ l’abandon ” du prototype et le passage à la compréhension logique et aux conditions nécessaires et suffisantes (BIDEAUD & FAURANT 1986). L’élève passe donc du niveau de néophyte à celui du praticien avec possibilité d’accéder au niveau d’expertise s’il le désire. En second lieu, si l’apprentissage favorise le passage entre les différents niveaux, il n’empêche pas la coexistence des différents processus de catégorisation chez l’enfant (BIDEAUD, 1988), comme d’ailleurs chez l’adolescent ou l’adulte. La difficulté réside dans la “ capacité à exploiter la compatibilité de l’une ou l’autre de ces modalités de catégorisation avec les types de problèmes rencontrés ” (BIDEAUD & HOUDE, 1989, p. 109). En situation d’apprentissage scolaire, si cette capacité d’adaptation se développe grâce à l’opérativité du sujet, comme le souligne Piaget, il ne faut pas négliger le rôle du professeur et des autres élèves qui apportent en complémentarité, en comparaison, voire en conflit leur expérience linguistique et culturelle, deux facteurs essentiels selon Nelson et Bruner (HOUDE, 1992, p. 68). De ce fait, si le travail d’organisation des savoirs et savoir-faire en mémoire est de l’ordre de l’autoconstruction du sujet et donc aux possibilités qu’il aura d’exercer son autonomie, cette dernière ne pourra totalement s’exprimer qu’en interaction avec autrui en particulier pour effectuer le passage difficile du contexte pragmatique au contexte normatif. Cette auto-socio-construction des connaissances en mémoire, en troisième lieu, est d’autant plus nécessaire qu’aux différences intraindividuelles évoquées ci-dessus s’ajoutent des différences interindividuelles qu’il faut prendre en compte dans le dispositif d’apprentissage. Ainsi face à une tâche donnée, les réponses et les actions des élèves vont être diverses en raison des différences dans l’accumulation des connaissances ainsi que dans les choix des modalités de catégorisation qui conditionnent le niveau stratégique d’intervention. Il est donc tout aussi nécessaire, face à cette différenciation, de diversifier les activités pédagogiques, pour adapter le dispositif à la situation : dispositif collectif lorsque la différenciation est faible, en passant par le travail en petits groupes (MOYNE, 1997) et le travail en binômes pour arriver au travail individuel, lorsque la différenciation est très forte (BECOUSSE, 2000). 4. Un dispositif pédagogique reposant sur le principe d’autonomie Un dispositif pédagogique a donc été mis en place dans des classes de collège de la 6e à la 3e pour la mémorisation des savoirs et savoir-faire d’histoire et de géographie, matières réputées “ à mémoire ” (LIEURY, 1996a et b). Les contraintes évoquées ont été intégrées dans une organisation mettant en relation trois pôles : les structures matérielles du monde de la classe, l’élève en tant que sujet autonome et les autres, professeur et élèves, travaillant essentiellement en petits groupes. La structuration de ces trois pôles s’inspire des réalisations pratiques de l’expérimentation sur le travail autonome et la pédagogie de l’autonomie (MOYNE, 1982 ; BRUNOT & GROSJEAN, 1999) et de la mise en œuvre des situations problèmes (MEIRIEU, 1987). Cette dernière proposition théorique, en insistant sur le choix approprié des matériaux, supports de l’activité, sur le choix des contraintes ainsi que sur l’adaptation des consignes permet d’intégrer une contrainte supplémentaire évoquée par Olivier Houdé : l’incidence des supports contextuels (linguistique, imagé-spatial) sur la mobilisation de la modalité de catégorisation. Autoconstruction : chercheur Motivation demandeur Intrinsèque producteur L’élève Progression 1 2 Confrontation D’objectifs de l’expérience Le monde matériel Les autres dans le monde de la classe de la classe 3 Activités Relation Travail Diversifiées Contexte d’aide en groupe Matériaux Consignes Contraintes Entre les trois pôles, les processus d’interaction “ apprendre ” (1), “ former ” (2) et “ enseigner ” (3) (HOUSSAYE, 1988) sont eux-mêmes structurés par un ensemble de facteurs motivationnels qui favorisent l’implication de l’élève dans les activités autonomes de mémorisation (VAYER & RONCIN, 1987 ; VAYER, 1993 ; BECOUSSE, 1998) : qualité et adéquation de la structure matérielle (1), qualité de la relation avec les autres élèves et qualité de la présence du professeur (2) et cohérence du projet (3) entres autres, à titre d’exemple, parmi les 9 facteurs proposés par Pierre Vayer. Ces facteurs permettent d’intégrer au dispositif pédagogique la dernière contrainte inhérente au développement des processus de mémorisation et de catégorisation : plus la compétence perçue et la liberté d’action sont fortes (motivation intrinsèque) et plus les résultats s’améliorent, tant au niveau du stockage que de la récupération des informations et plus particulièrement en mémoire sémantique fortement impliquée dans les apprentissages scolaires (FENOUILLET, 1996). Conclusion Pour conclure, voici deux exemples de situations mises en œuvre avec les élèves, l’une concernant la mémorisation des notions et concepts permettant de catégoriser les œuvres d’art du XVIIe siècle selon leur style, baroque ou classique (programme d’histoire de 4e), l’autre concernant la mémorisation d’un savoir-faire géographique : l’analyse de graphes ombrothermiques. Dans le premier cas, la construction de la séquence de cours s’inspire de la progression proposée par Britt-Mari Barth (1987) partant du prototype pour aboutir à la formalisation taxonomique. A l’issue de la séance d’apprentissage reposant sur 4 œuvres particulièrement représentatives des deux styles (2 exemples de peinture et 2 exemples d’architecture), les élèves doivent catégoriser une quinzaine d’autres œuvres en justifiant leur choix à l’aide de critères pertinents. Un test final individuel portant sur la catégorisation de 10 œuvres nouvelles, avec justification, clôt la séquence. Ce protocole sera repris en cours d’année avec la distinction au XIXe siècle entre romantisme, réalisme et impressionnisme. Il s’agira d’évaluer à ce moment le transfert de ces acquisitions à un nouveau contexte. Ce protocole est en cours de réalisation. Dans le second cas, l’apprentissage de la procédure d’analyse de diagramme ombrothermique s’étend sur une année avec le protocole suivant : phase de découverte (analyse de deux diagrammes) et contrôle initial ; phase de maîtrise avec l’étude de 8 diagrammes, un contrôle intermédiaire et un contrôle final.
Mémorisation de la procédure d’analyse d’un diagramme ombrothermique On remarque tout d’abord que la progression de la mémorisation de cette procédure n’est pas linéaire. L’évaluation intermédiaire est en retrait par rapport à l’évaluation initiale du fait de l’introduction de difficultés d’analyse et de l’éloignement progressif du prototype. De ce fait le contrôle final révèle une progression plus importante qu’il ne paraît en comparaison du contrôle initial. En outre, la dispersion des résultats est plus importante dans le contrôle initial avec quelques notes inférieures à 10 alors qu’aucune note n’est inférieure à 12 lors du contrôle final (acquisition relativement plus générale des conditions nécessaires et suffisantes à la procédure). Ce protocole a été repris pour une classe de 4e, en comparaison avec un échantillon témoin (groupe d’élèves n’ayant jamais participé au dispositif).Le contrôle final a été accompagné d’un questionnaire de motivation (valeur attribuée à l’activité et perception des buts, compétence perçue et contrôlabilité de l’activité) pour une recherche de corrélations éventuelles entre la structure et les interactions du dispositif d’une part et les performances obtenues par les élèves des deux groupes d’autre part (VIAU, 1997). Ce travail est en cours de dépouillement et d’analyse. Bibliographie BADDELEY A. (1992), La mémoire humaine - Théorie et pratique, Grenoble, PUG. BARTH B.-M. (1987), L’apprentissage de l’abstraction, Paris, Retz. BECOUSSE G. (2000), Mémoire, stratégie, autonomie et intelligence, Cahiers pédagogiques, février, p. 42-43. BECOUSSE G. (1998), Mémorisation et principe d’autonomie, Université Lille 3, Mémoire de DEA. BIDEAUD J. (1988), Logique et bricolage chez l’enfant, Lille, PUL. BIDEAUD J. & FAURANT V. (1986), Apprentissage verbal de concepts élémentaires et catégorisation logique, Etude de lettres-Revue de la Faculté des Lettres de l’Université de Lausanne, 4, 11-22. BIDEAUD J. & HOUDE O. (1989), Le développement des catégorisations : “ Capture ” logique ou “ capture ” écologique des propriétés des objets ?, L’année psychologique, 89, 87-123. BRUNOT R. & GROSJEAN L., Apprendre ensemble Pour une pédagogie de l’autonomie, CRDP de l’académie de Grenoble. FENOUILLET F. (1996), Motivation et mémoire, in Construire et entretenir la motivation, Université de Provence et CRDP de Marseille, p. 87-120. HOUSSAYE J. (1988), Le triangle pédagogique, Berne, Peter Lang. HOUDE O. (1992), Catégorisation et développement cognitif, Paris, PUF. LIEURY A. (1996a), Méthodes pour la mémoire Historique et évaluation, Paris, Dunod. LIEURY A. (1996b), Mémoire encyclopédique et devenir scolaire : étude longitudinale d’une cohorte sur les quatre années du collège français, Psychologie et psychométrie, 17-3, p. 33-44. LINDSAY H. & NORMAN D.A. (1980), Traitement de l’information et comportement humain, une introduction à la psychologie, Montréal, Etudes Vivantes. MEIRIEU P. (1987), Apprendre… oui, mais comment, Paris, ESF. MOYNE A. (1982), Le travail autonome, Paris, Fleurus. MOYNE A. (1997), Travail de groupe et travail autonome, Cahiers pédagogiques, septembre, p. 13-14. NELSON K. (1985), Le développement de la représentation sémantique chez l’enfant, Psychologie française, 30, 261-268. PIAGET J. & INHELDER B. (1959), La genèse des structures logiques élémentaires, Neuchâtel, Delachaux & Niestlé. ROSCH E. (1976), Classification d’objets du monde réel : Origine et représentation dans la cognition, Bulletin de Psychologie, numéro spécial La mémoire sémantique, 242-250. SCHACTER L. (1999), A la recherche de la mémoire Le passé, l’esprit et le cerveau, Bruxelles, De Boeck. SCHACTER L. & TULVING E. (1996), Qu’en est-il de la notion de systèmes mnésiques en 1994 ?, in SCHACTER & TULVING (Dir.) Systèmes de mémoire chez l’animal et chez l’homme, Marseille, Solal. SCHANK R.C. & ABELSON R. P., (1977), Scripts, plans, goals and understanding, Hillsdale, NJ, Erlbaum. TIBERGHIEN G. (1997), La mémoire oubliée, Liège, Mardaga. VAYER P. (1993), Le principe d’autonomie et l’éducation, Paris, ESF. VAYER P. & RONCIN C. (1987), Psychologie actuelle et développement de l’enfant, Paris, ESF. VIAU R. (1997), La motivation en contexte scolaire, Bruxelles, De Boeck. |