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Mots clé : Messages pédagogiques, Internet, formation pour adultes, format de présentation, charge cognitive, hypertextes, hypermédias.
Introduction
Durant les deux dernières décennies, le développement des nouvelles technologies de l’information appliquées à l’éducation et à la formation favorise la création de supports et de situations pédagogiques variés. Grâce au multimédia, on peut à la fois utiliser de l’image, du texte, du son etc. Or, cette diversification, si elle n’est pas combinée et orientée vers un objectif précis, peut être une source de perturbations sur le plan cognitif. Des travaux antérieurs concernant la charge cognitive montrent que le format de présentation des messages facilite la mémorisation des informations présentées sous certaines conditions [Sweller et Chandler, 1991 ; 94]. Dans certaines situations de surcharge cognitive, le fait d’organiser les informations en les pré-structurant réduit le coût lié à la tâche. Notamment, le fait de jouer sur la complémentarité visuo-spatiale et verbale semble améliorer le traitement des informations lors de leur intégration en mémoire (Poyet, 1998). La recherche présentée ici a pour objectif de mettre en évidence que les messages pédagogiques diffusés sur les sites Internet font très rarement appel à des complémentarités visuo-spatiale et verbale. De plus, la distance entre les informations à mémoriser et le site d’accueil est souvent importante (niveau 3 et au delà) ; ceci contribue à accroître la charge cognitive liée à la tâche d’apprentissage. En effet, au delà de trois niveaux d’accès, certaines recherches, ont établi que l’utilisateur éprouve des difficultés de compréhension (Tricot, 1993).
Hypertexte et hypermédia
Définition
Le principe d’une structure hypertextuelle est associatif : des informations (nœuds) sont reliées à des liens logiques. Chaque utilisateur active alors les liens dans l’ordre qu’il choisit. Ce principe favorise une lecture non linéaire des informations.
Selon Coklin (1987 cité in Rouet, J.F., 1991) un système hypertexte est composé de trois composantes essentielles :
Une base de données textuelles.
Un réseau sémantique par lequel les éléments de la base de données sont interconnectés.
Des outils informatiques permettant de créer et de parcourir le texte à l’aide du réseau sémantique.
Cette structure reste la même pour ce qu’il est convenu d’appeler hypermédias. Ce qui différe essentiellement ce sont les supports utilisés : son, image ou texte. Pour Tricot (1995), l’hypermédia est un ensemble de documents stockés sur support informatique. Chaque lien part d’un ancrage dont la nature est variée : mot, morceau d’image, icône, zone activable dans le nœud d’origine.
Avantages et Inconvénients
Les systèmes hypermédias présentent un double avantage. Pour les auteurs, ils favorisent souplesse et transparence au regard de la création et de l’agencement de nouvelles informations. Pour les lecteurs, ils permettent une navigation libre et peu de contraintes. La manipulation est aisée; la souplesse et la diversité des accès à l’information évitent l’ennui entretenant ainsi une certaine motivation chez l’utilisateur.
En corollaire des avantages, certains travaux montrent que cette navigation libre présente des limites et a des répercussions au plan cognitif. En effet, il apparaît que le sujet présente une certaine difficulté à se construire une représentation d’ensemble de l’hypermédia. D’autre part, l’hypermédia crée une relative décontextualisation lors de la navigation dans l’interface utilisateur d’après Foss (1988 cité in Déro 1996). L’auteur relève deux types de problèmes :
Un problème en termes de localisation : le navigant est “perdu” quant à sa position courante.
Un problème en termes de traitements qui concerne une grande quantité d’informations à mémoriser si on ne dispose pas d’outils pour la traiter.
Rhéaume (1991) nomme ce phénomène “une illusion de connaissances”.
Pour Tricot (1995) le phénomène de désorientation dans un système hypermédia est identifié au niveau de la difficulté à gérer un double niveau de traitements : celui des contenus et celui des relations (que l’on retrouve aussi dans certaines présentations classiques). Cette thèse est notamment supportée par les travaux de Sweller et Chandler (1991; 1994). Ils montrent qu’une charge cognitive importante est mobilisée par le traitement lié à la compréhension des informations et de leurs relations. En particulier, ils mettent en évidence que la structure des formats de présentation des informations influe sur la charge cognitive liée à la tâche. Par exemple, dans le cas de “formats conventionnels”, le sujet-apprenant doit effectuer un double traitement : celui des légendes et des schémas, puis celui des relations entre schémas et légendes. Sans cette mise en relation, l’apprenant ne peut pas parvenir à la compréhension des messages.
L’idée que la charge cognitive présente une limite maximale est à rapprocher des travaux menés sur les contraintes de la mémoire de travail (Miller, 1956; Baddeley, 1993). Aussi, est-il nécessaire de s’interroger sur le coût cognitif lié à la fois à la tâche et au dispositif de navigation permettant d’accéder à l’information nécessaire à la réalisation de cette tâche.
Résultats et discussion
De nature exploratoire, la recherche présentée ici porte sur une vingtaine de sites hypermédias. Les sites observés se situent dans le champ de la formation initiale et offrent des enseignements en :
éducation civique (1),
sciences naturelles (3),
histoire (2),
géographie (2),
mathématiques (5),
littératures (4),
grammaire (1),
conjugaison (2).
Au plan méthodologique, nous avons analysé les messages pédagogiques selon deux critères :
1. L’ accès à l’information.
D’une part, nous avons observé les différents niveaux de profondeur de l’information en tenant compte de la distance parcourue entre le premier niveau d’accès à l’information (page d’accueil) et le niveau sur lequel se trouve l’information à mémoriser.
D’autre part, nous avons analysé la nature de la structure hypertextuelle à partir de deux types de structures principales tels qu’ils sont définis par Tricot et Bastien (1996). Bien que d’autres structures soient possibles, les auteurs identifient :
Des structures hiérarchiques. Les nœuds sont positionnés hiérarchiquement sous forme d’arbre où chaque nœud mène à un autre nœud subordonné ou super-ordonné.
Des structures non hiérarchiques. Les nœuds sont présentés sous forme de réseau en toile d’araignée et favorisent la navigation libre. Le lecteur doit constamment réorganiser ses connaissances. Ces structures supposent que les différents nœuds sont tous interconnectables entre eux et de toutes les manières possibles.
2. Du point de vue des médias, nous avons distingué les composantes verbales (textes) et les composantes imagées (dessin, graphique, photographie fixe ou animée) des messages pédagogiques. De plus, nous avons observé les modalités de présentation des informations [visuelle (V) et/ou auditive (A)]. Parmi les composantes auditives, nous retenons le son, la parole et la musique. La modalité visuelle concerne bien entendu le reste c’est à dire les dessin, graphique, photographie fixe ou animée et les textes écrits.
Le tableau d’analyse et de synthèse ci-après présente donc trois types d’informations :
Le type de structure hypertextuelle [hiérarchique (HIERAR) ou non hiérarchique en toile d’araignée (NON HIERAR)].
Les niveaux de profondeur de l’information à partir de la page d’accueil ; on considèrera que celle-ci représente le niveau 1.
Les médias qui sont décrits à partir de deux critères :
La nature des informations : verbales (textes) ou imagées (images, dessins, graphiques etc..).
La modalité de présentation des information (visuelle ou auditive). Le signe + signifie “ est présent ” et le signe - “ est absent ”.
Tableau n° I. : Présentation des médias et de l’organisation des sites observés MATIERES | TYPE d’ACCES | NIVEAUX D’ACCES | MEDIAS | | | | textes | images | Modalité | FRANCAIS Littérature 1. Fables 2. Fables 3. Fables 4. Textes français 5. Conjugaison 6. Conjugaison 7. Grammaire GEOGRAPHIE 8.Catastrophes naturelles 9. Le Sénégal HISTOIRE 10. Préhistoire 11. Moyen-Age MATHEMATIQUES 12. Calcul, géométrie, mesure 13. Mathématiques (leçons +exercices) 14. Exercices mathématiques 15. Histoire des mathématiques, glossaire des nombres 16. Exercices mathématiques SCIENCES 17. Les plaques tectoniques 18. Les papillons de Bretagne 19. L’énergie EDUCATION CIVIQUE 20. Parlement européen | HIERAR NON HIERAR NON HIERAR HIERAR HIERAR HIERAR HIERAR NON HIERAR HIERAR NON HIERAR NON HIERAR HIERAR HIERAR NON HIERAR HIERAR NON HIERAR HIERAR HIERAR HIERAR HIERAR | 3 3 3 4 3 3 3 2 2 3 3 5 3 3 3 3 3 3-5 4-5 4 | + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + | + + + + - - - - - + + - + - + - + + + + | V V V et A V V V V V V V V V V et A V V V V V V et A V |
Une première observation tend à montrer que, d’une manière générale, les formats de présentation des informations reproduisent les supports classiques (manuels scolaires) ; en règle générale, les messages sont composés de textes écrits rarement associés avec des images.
En effet, sur le plan des médias, on constate que les messages pédagogiques sont essentiellement composés de textes écrits (65% des cas soit 13 sites sur 20). Dans 35% des cas, quelques images (photographies fixes) sont présentes à titre d’illustration (par exemple, illustration de l’écrivain en français, ou des châteaux en géographie ou des papillons en sciences naturelles). Il n’y a quasiment pas de schémas (un seul schéma : le terrarium des chenilles en sciences naturelles).
Sur le plan des modalités de présentation, on observe la présence de musiques dans trois sites sur 20 (soit 25% des cas). La musique y est utilisée comme un divertissement et non à titre pédagogique. Nous n’avons repéré ni bruit ni parole sur les sites observés.
Sur le plan de l’accès à l’information, on constate que 13 sites sur 20 présentent une organisation hiérarchique dans laquelle l’élève est guidé et doit suivre un itinéraire précis pour accéder à l’information (environ 65% des cas). Dans la plupart des cas (65% ), trois niveaux d’accès sont nécessaires pour arriver à l’information pertinente. Sur les sites restants (la plus grande proportion soit 25%), l’accès à l’information pertinente est encore plus éloigné (entre 3 et 5 niveaux) ; seulement 10% des sites n’utilisent que deux niveaux d’accès pour parvenir à l’information.
Conclusion
Nous confirmons bien l’idée selon laquelle les ressources offertes par les hypermédias sont très peu exploitées dans une perspective cognitive. Au sein des messages pédagogiques, une large place est accordée au texte ; on n’observe pas de réelles complémentarités visuo-spatiales et verbales susceptibles d’améliorer les performances cognitives des apprenants.
En outre, dans 65% des sites observés, l’organisation (de type hiérarchique) laisse peu d’initiative à l’apprenant. Il est guidé dans des chemins où l’accès à l’information pertinente n’est pas toujours direct (en général égal ou supérieur à 3 niveaux de profondeur).
En conséquence, dans le prolongement des travaux de Tricot (1995), nous pensons que le phénomène de surcharge cognitive peut être réduit par une utilisation raisonnée des hypermédias. Il serait donc serait intéressant de mener une réflexion concernant la surcharge cognitive liée aux dispositifs de formation sur l’Internet au regard de ces deux dimensions : organisation et médias.
Le travail présenté ici est à envisager comme une première étape dans le cadre d’une recherche plus conséquente pour parvenir à des préconisations d’usage quant à la construction d’hypermédias d’enseignement.
BIBLIOGRAPHIE
Baddeley A.D. (1993). La mémoire humaine. Grenoble. PUG.
Lieury et coll. (1996) Manuel de psychologie de l’éducation et de la formation. Paris, Dunod, Chapitre 13 L’enseignement avec ordinateur.
Miller G.M. (1956). The magical number seven, plus ou minus two : some limits on our capacity for processing information. Psychological Bulletin, 63, p.81-97
Poyet F. (1998). Format de présentation et complémentarité modale dans les logiciels éducatifs, revue Sciences et Techniques Educatives, Vol. 5, N°3, 26 pages.
Rhéaume (1991). Hypermédias et stratégies pédagogiques, in La B. de La Passadière (Eds). Et G.L Baron . Premières journées scientifiques “ hypermédias et apprentissages ” , Paris : presse de l’INRP.
Rouet, J.F. (1991). Compréhension de textes didactiques par des lecteurs inexpérimentés dans des situation d’interaction, Thèse pour le Doctorat de Psychologie Université de Poitiers.
Sweller J, Chandler P., (1991). Evidence for Cognitive Load Theory. Cognition and Instruction, 8(4), p.351-362.
Sweller J, Chandler P., 1994. “ Why some material is difficult to lurn ? ” Cognition and instruction, 12-3, 185-233.
Teasdale Guy (1995) voir l’adresse Internet suivante http://www.fas.umontreal.ca/EBSI/curssus/vol1no1/teasdale.html
Tricot (1993) Stratégies de navigation et d’apprentissage : pour l’approche expérimentale d’un problème cognitif. In G.L Baron, J.Baudé et B. de La Passadière (Eds). Deuxièmes journées francophone hypermédias et apprentissages 2, Paris : presse de l’INRP, pp.21-37
Tricot (1995). Un point sur l’ergonomie des interfaces hypermédias, Le travail humain, tome 58, n°1 pp.17-45
Tricot et Bastien (1996). La conception d’hypermédias pour l’apprentissage : structurer des connaissances rationnellement ou fonctionnellement ? Actes des premières journées scientifiques “ Hypermédias et apprentissages 3 ”, pp.57-72 Paris. INRP
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