Biennale 5
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Cette présente communication s’inscrit dans un travail de thèse ; elle a pour vocation de questionner l’évidence, réinterroger les certitudes, dans le domaine de l’acquisition de la notion de temps chez les enfants de cycle III. Fin de siècle oblige le temps a un curieux goût d’actualité, il n’empêche, pouvons nous affirmer que l’école prend pleinement compte, surtout au cycle des approfondissements, du phénomène de la temporalité dans le processus d’apprentissage ? Prend-elle la mesure exacte de la temporalité de la société qui l’abrite et surtout sa temporalité peut-elle encore entrer en résonance avec celle qui prédomine actuellement ?

Auteur(s) : PONTÉ Pascale

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bull2.gif (117 octets)   Nous verrons donc successivement le cadre conceptuel sur lequel s’appuie cette communication, les apports de la sociologie dans le domaine des “représentations ” temporelles sociales et scolaires, enfin nous confronterons celles-ci aux stades d’apprentissages chez des enfants d’école élémentaire. Stades élaborés par les psychologues généticiens.
Cette approche du “sujet apprenant ” se veut à “dimension ” clinique telle qu’ont pu la définir J.BEILLEROT, C.BLANCHARD-LAVILLE, N.MOSCONI dans : Pour une clinique du rapport au savoir (p7 ) : “ Nous entendons par-là une approche qui affirme une consistance propre du psychisme par rapport à l’organique et au social, qui s’intéresse au sujet singulier en situation- cette interaction entre sujet et situation impliquant une dynamique à la fois psychologique et sociale. ”
bull2.gif (117 octets)  Il me paraît important de définir plus avant les quelques concepts abordés, notamment celui du temps, car s’il est un concept particulièrement exploré c’est bien celui du temps, vocable polysémique aux frontières floues, il demeure le centre de cette communication. Nous laisserons pour le moment le temps de l’astrophysique, même si quelques allusions peuvent poindre nous nous contenterons d’essayer de comprendre quelques aspects philosophiques voire ontologiques d’un tel mot.
bull2.gif (117 octets)  N.ELIAS dès l’introduction de Du temps met en garde le lecteur contre les à priori que l’on a des représentations du temps en comparant l’horloge et le bateau : il ne viendrait à personne l’idée de confondre l’océan et le bateau qui vogue sur lui, pourtant, souvent l’horloge est associée au temps sans discernement et ses évolutions technologiques font office d’épistémologie. Cependant l’horloge n’est que l’affichage numérique de la durée, une des qualités du temps, mais elle n’exprime en rien les autres qualités du temps, elle n’est que le décompte numérique d’un repère social. Elle peut rendre compte également de l’instant mais elle ne saurait déterminer à elle seule le temps. C’est bien là toute l’ambiguïté du concept de temps, souvent le temps est réduit à sa mesure, ne parle-t-on pas de rythmes scolaires en les réduisant à un aménagement du temps de l’enfant ? (Pour ne pas dire emploi du temps ; cet avatar de l’interprétation de rythme scolaire à été souligné par LEVY). Or réduire le temps à sa mesure est du même ordre que de définir un océan par le véhicule qui permette de le franchir. Ce qui importe donc c’est de pointer les qualités temporelles qui vont étayer cette communication. On l’a vu le temps ne se réduit pas à sa mesure, cette variable numérique du temps qu’est l’horloge, est somme toute comparable à la mesure linéaire et l’espace ; avec ceci de fondamentalement différent, que BERGSON a pointé, c’est que l’on peut isoler un espace et en reporter les mesures, mais le temps à ceci de particulier c’est qu’il est “fluide ” et rien ne peut représenter le temps écoulé. Les astrophysiciens ont défini le temps comme étant la quatrième dimension de l’espace, certes, mais le temps réduit à une dimension ne rend pas compte de sa présence dans le sens actuel du terme, car il procède déjà du passé et de l’avenir. Le temps s’inscrit par conséquent d’ors et déjà dans la mémoire que l’on en a, c’est à dire que cette succession des maintenants, chère à HEIDDEGER, n’a pour témoin que le souvenir que l’on en a. Ce qui introduit d’ambler la qualité primordiale du temps celle de la mémoire et de l’Histoire. G.BACHELARD en faisait le lien social majeur, lien social sans aucun doute, mais il est à notre sens la cohérence de l’être. Cohérence dans son acceptation de fédération et ce dans plusieurs domaines : de la personnalité et bien évidemment ; dans les apprentissages. En effet tout apprentissage, pour ce qui nous concerne scolaire, (qui nécessite une mémoire pour une réactivation) s’élabore dans le temps avec pour caractéristique la durée (maturation) et l’instant (acrophase du processus d’acquisition). Cohérence également de la personnalité intime, les écrits littéraires de PROUST à BAUDELAIRE montrent à quel point chaque souvenir est lié à un instant précis et que le processus de remémoration s’ancre sur un détail de l’élaboration du fait souvenu. Certes ces souvenirs sont de l’ordre sensori-moteur mais ils témoignent de la présence des enveloppes temporelles, dans la mesure où ils sont liés à un environnement qu’ils soient olfactif, sonore ou visuel, mais tous témoignent de l’instant de leur création. Les cognitivistes ont remarqué l’enveloppe temporelle des “images mentales ”. Les récits rivalisent d’anecdotes relatant des processus mentaux intimes qui permirent à leurs auteurs de fonder leurs apprentissages, ainsi S.PAPPERT lors de l’élaboration de son LOGO n’a-t-il pas pris comme modèle les engrenages qui pour lui étaient de l’ordre de l’affectif puisqu’ils lui permirent d’établir son schéma mental enfant ? Lors de la présentation de son LOGO il conclut : “ Pour comprendre les apprentissages il faut s’attacher à leur genèse. Il faut observer comment s’opère dans le temps, l’acquisition des connaissances. ” Avec cet extrait de PAPPERT nous abordons la notion du temps intime, celui que BACHELARD défini comme temps vertical. Lorsque G.BACHELARD oppose à BERGSON la rupture dans la conscience intime du temps fondé sur le souvenir du Moi, il montre comment la pensée par différents processus prend acte de sa réalité. Le cogito 3 serait la prise de conscience nécessaire à l’élaboration des apprentissages avec l’arrachement au temps linéaire que la pensée se voit penser entrain de penser et s’élabore en processus réflexif qui permet la rationalisation de la pensée. Rationalisation indispensable aux apprentissages scolaires. Ce temps vertical est obtenu dans l’attente ou la durée, la rêverie, chère à BACHELARD, il est développé par l’effort, la réfutation de l’évidence et l’intériorisation (c’est à dire l’acquisition). Tous ces éléments sont la base, s’il en est, du raisonnement de type cartésien fondateur de la pensée scolaire. Pour PIAGET le temps opératoire, stade ultime du développement de la notion de temps chez les enfants, se met en place vers l’âge de 7/8 ans et possède des qualités propres : la qualité et la métrie, la causalité fondée sur la mémoire, la réversibilité malgré l’irréversibilité congénitale du temps. Ce temps opératoire est essentiellement soutenu par le récit, donc le langage et sa rationalité dans la possession des connecteurs de complexité et la concordance des temps, qualités qui demandent une maîtrise affûtée. De plus, même si PIAGET différencie le temps physique du temps psychologique ils appartiennent tous deux au temps opératoire acquis à l’âge de raison, peut-on affirmer que la hiérarchisation de temps en fonction de leur valeur numérique est du même ordre que la chronologie en Histoire ? Que la faculté d’opérer sur les nombres sexagésimaux est du même ordre que la généalogie ? Rien n’est moins sûr ; cependant le temps opératoire sert de cloisonnement à la triade des cycles à l’école primaire. Les programmes dans ce domaine précisent que l’enfant est capable de passer du temps vécus aux temps pensés, distinguer le temps linéaire du temps cyclique, et la liste n’est pas exhaustive, mais nous reviendrons plus avant sur certains aspects paradoxaux du temps de l’école après avoir fait un détour par le temps sociologique. En effet vous l’aurez compris cette communication veut démontrer que la notion de temps s’élabore dans le rapport entre l’endogène et l’hexogène de chaque individu. Nous avons aperçu l’endogène, abordons maintenant l’hexogène.
bull2.gif (117 octets)  J.ATTALI a montré, dans son Histoires du temps, à quel point toutes les sociétés ont organisé le temps comme à la fois réversible et irréversible afin de canaliser les violences et assurer ainsi l’ordre social, chaque groupe social dominant assurait la maîtrise et la gestion du temps ; des sept heures canoniales aux pointeuses jusqu’au temps artefact d’Internet : qui maîtrise le temps détient un pouvoir. Les études sociologiques sur les représentations temporelles des sociétés passées montrent à quel point ces représentations varient, nous sommes passés selon R.SUE d’une société fondée sur le temps du travail et l’avenir, où le progrès était gage de plein emploi à une société en crise de travail qui se ressert sur un présent éternel. Premier paradoxe l’école est fondée sur un principe d’avenir, du “risque ” de formation avec son enjeu “économique ” qui consiste à investir pour récolter les fruits d’un diplôme de moins en moins garant d’emploi. J.CHESNAU analyse les différentes représentations temporelles sociales et propose des articulations ayant pour ancrage des repères historiques. Selon lui le temps chrétien dans sa linéarité s’est opposé au temps cyclique des civilisations qui l’ont précédé. Le temps des lumières a éliminé la part du divin du temps chrétien et l’a remplacé par le temps social qui a engendré la sacralisation du progrès, il suggère avec FRAXER que nous entrons dans un temps noétique, c’est ce qu’il appelle la nootemporalité. Il ne faut pas oublier par conséquent que les principes fondateurs de l’école ont des connotations temporelles certaines dans la mesure où l’idéologie qui prédominait lors de ses fondements était axée sur une croyance en un avenir “possible ” où la promesse de réussite ou du moins de place et de cohésion sociale était malgré tout réalisable. Même si l’école avec la loi d’orientation de 1989 place l’élève au centre de ses préoccupations, il n’en demeure pas moins vrai qu’elle est toujours fondée sur le principe du différer et procède d’à priori sur des notions de temps qui puisent leur genèse dans des représentations datées. En effet lorsque PIAGET élabore son concept de temps opératoire il est dans la sédimentation mentale, le temps couche à couche devient opérationnel, et permet d’accéder au raisonnement cartésien. Or le temps actuel est de l’ordre de l’immédiat et de l’instantané, les enfants ont cette représentation en permanence avec le temps de la technoscience où l’uniformité n’a d’égal que la rapidité de la transmission des images et de l’information. Il se trouve donc confronter à un temps social qui ne suggère en rien la durée, la rupture et l’arrachement au temps vertical. Où trouver les ressources nécessaires à l’élaboration du temps opératoire certes mais archaïque car il n’est plus d’ambler acquis à l’arrivée au cycle des apprentissages premiers et se trouve en contradiction avec le temps social. Non pas qu’il faille renoncer aux qualités temporelles nécessaires aux apprentissages, car elles sont indispensables aux acquisitions scolaires comme l’ont minutieusement démonté PIAGET, JANET, et BACHELARD entr’autres. Mais les programmes ont tendance à oublier que ces qualités ne sont pas de l’ordre de l’inné, qu’elles procèdent d’apprentissages sociaux et familiaux qui sont de plus en plus éloignés de ceux de l’école. Ainsi, si pour ancrer les apprentissages la notion de durée est une qualité indispensable comment le faire admettre à l’heure de l’hédonisme du présent et d’Internet. Si la durée nécessaire au temps intime est loin d’être à l’ordre du jour comment en supprimant la diachronie des programmes d’Histoire à l’école élémentaire faire comprendre que l’histoire n’est pas une simple succession d’événements, I.PRIOGINE souligne que toute histoire toute narration implique des événements mais elles n’ont d’intérêt que si ces événements ont un sens. Le temps humain est une tension permanente entre l’instant et la durée. L’instant est un refuge contre la mort et la durée est nécessaire à la construction de la personne, l’instant est le temps de la technoscience qui préside au temps actuel, à l’école, de penser à élaborer le temps de la personne, de l’intime, pour que puisse se faire le temps humain, celui de la rencontre du moi et des choses.
bull2.gif (117 octets)  BIBLIOGRAPHIE :
bull2.gif (117 octets)  ATTALI (J),Histoires du temps, Paris, FAYARD, 1983,330p.
bull2.gif (117 octets)  BACHELARD (G), La dialectique de la durée, Paris,P.U.F.,1972,150p.
bull2.gif (117 octets)  BEILLEROT (J),BLANCHARD-LAVILLE ©, MOSCONI (N), Pour une clinique du rapport au savoir, L’HARMATTAN, Paris,1996,357p.
bull2.gif (117 octets)  BERGSON (H), La pensée et le mouvant, Paris, ALCAN,1934
bull2.gif (117 octets)  CHESNAUX (J),Habiter le temps, Paris, BAYARD, 1996, 327 p .
bull2.gif (117 octets)  ELIAS (N), trad. HULIN (M),Du temps, Paris, FAYARD, 1996,223 p.
bull2.gif (117 octets)  HEIDDEGER (M), trad. VEZIN (F), Etre et temps, GALLIMARD ,1976,581 p.
bull2.gif (117 octets)  PAPPERT (S), Jaillissement de l’esprit ordinateur et apprentissage, Paris Flammarion 1980, 229 p.
bull2.gif (117 octets)  SUE (R), Temps et ordre social, Paris, 1994,309 p.