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Ce travail s’est intéressé à deux catégories professionnelles de l’enseignement élémentaire public : les enseignants de l’école primaire et les inspecteurs de l’éducation nationale. Nous avons effectué ce choix pour mettre à l’épreuve la notion de Représentations Professionnelles que nous proposons comme une dimension particulière de la théorie des Représentations Sociales.
Dans le cas qui nous occupe, l’appartenance à la même institution se traduit par la définition d’un ensemble d’objets professionnels communs aux deux professions. Ces deux caractéristiques nous permettent de proposer la définition suivante :
Les représentations professionnelles sont des représentations portant sur des objets appartenant à un milieu professionnel spécifique. Elles sont partagées par les membres de la profession considérée et constituent un processus composite grâce auquel les individus évoluent en situation professionnelle : opinions, attitudes, prises de position, savoirs, etc... Dans un article commun, Bataille et al. (1997), nous avons eu l’occasion de préciser que : “ni savoir scientifique, ni savoir de sens commun, elles sont élaborées dans l’action et l’interaction professionnelles, qui les contextualisent, par des acteurs dont elles fondent les identités professionnelles correspondant à des groupes du champ professionnel considéré, en rapport avec des objets saillants pour eux dans ce champ.”
En conséquence, il ne s’agit :
- ni de représentations portant sur des objets extérieurs à la sphère professionnelle d’un groupe précis. S’il existe une représentation particulière des transports en commun chez les enseignants, elle ne constitue pas pour nous une représentation professionnelle puisque leur activité se déroule dans la plupart des cas sans recourir à cet outil.
- ni a contrario de représentations portant sur des objets liés à l’éducation mais véhiculées par des non enseignants : la représentation de la lecture chez les cuisiniers, pour aussi intéressante que puisse être son étude, ne constitue pas dans ce groupe professionnel, un type de représentation professionnelle.
En tant que catégories particulières de représentations sociales, les représentations professionnelles ont des modes de constitution, de circulation et de modification qui présentent de fortes similitudes avec ceux déjà approchés dans les études des représentations sociales. D’autre part, ces représentations présentent les mêmes fonctions que leur modèle : en plus de leur capacité à permettre une définition identitaire à chaque acteur d’un groupe professionnel, elles protègent l’identité du groupe, elles permettent à ses membres d’avoir une connaissance utile des objets rencontrés dans l’exercice professionnel, elles orientent les conduites dans les situations d’incertitude et facilitent la communication professionnelle.
Vers une problématique de terrain :
Les deux groupes professionnels retenus travaillent dans le cadre d’un rapport hiérarchique ancien qui, selon nous, n’empêche nullement le groupe des enseignants de se forger ses propres représentations professionnelles. Dans l’organigramme de l’enseignement élémentaire, chaque profession occupe une place spécifique avec des rôles propres, une identité forte et un ensemble de communications intra-groupe spécifiques.
Si, comme nous l’avons précisé plus haut, l’une des fonctions des représentations professionnelles consiste à protéger l’identité du groupe professionnel dans lequel elles circulent, elles sont donc résistantes aux influences extérieures et cela doit se vérifier aussi dans le milieu professionnel où nous avons choisi de situer notre observation. Dans ce contexte, les représentations professionnelles des enseignants différeront de celles des inspecteurs de l’éducation nationale tant dans l’agencement des contenus de représentations que dans la structure des champs représentationnels.
La mise à l’épreuve de l’hypothèse précédente a été effectuée en interrogeant des personnels des deux professions retenues : 116 enseignants et 86 inspecteurs nous ont fourni le matériel à partir duquel, en analysant les choix effectués, nous avons inféré les contenus de représentations professionnelles relatives aux thèmes que nous avons décidés d’examiner. Dans les pages qui suivent, nous avons retenu la partie du travail qui concernait les représentations professionnelles relatives aux élèves de l’école primaire et nous l’avons complétée en incorporant les points de vue qui concernent la représentation des évaluations réalisées.
Les données fournies ont été examinées grâce au logiciel A.L.C.E.S.T.E qui a procédé à deux analyses successives : une Classification Hiérarchique Descendante (C.H.D.) puis une Analyse Factorielle de Correspondance (A.F.C.). Les données de chaque échantillon ont été traitées séparément mais selon les mêmes paramètres et à l’issue de ce travail, la CHD a distingué 5 ensembles de prises de position différents dans chaque groupe (les classes), puis l’AFC a isolé 3 facteurs qui donnent des indications supplémentaires sur la globalité des thématiques abordées par chaque profession.
Présentation des résultats :
Les deux groupes professionnels ne structurent pas leurs réponses sur le même mode et cela se retrouve autant dans les classifications que dans les analyses factorielles.
• Les Classifications Hiérarchiques Descendantes
- du côté des ENSEIGNANTS : le thème dominant est constitué par les diverses définitions d’un bon élève et c’est en fonction de ces différences que les classes sont organisées.
Classe 1 : Le bon élève est autonome : (25,86 %),
Classe 2 : Le bon élève est méthodique : (13,79 %),
Classe 3 : Le bon élève comprend vite : (12,93 %),
Classe 4 : Le bon élève est créatif : (36,21 %),
Classe 5 : Le bon élève est volontaire : (11,21 %).
- du côté des INSPECTEURS : les discours rassemblés dans les classes sont plus diversifiés, il n’y a plus une seule thématique qui lie l’ensemble.
Classe 1 : Le bon élève est créatif et autonome : ( 27,90 %),
Classe 2 : Le bon élève est méthodique : (13,95 %),
Classe 3 : C’est l’évaluation formative qui domine à l’école : (18,60 %),
Classe 4 : Le niveau baisse, les élèves ont besoin de modèles : (22,10 %),
Classe 5 : Le bon élève comprend vite (17,45 %)
• Apport des plans factoriels :
- du côté des ENSEIGNANTS :
Par ordre décroissant, les 3 premiers facteurs de l’AFC abordent les thèmes suivants :
- Le fonctionnement de l’école pour F1,
- Les modalités de définition du bon élève pour F2,
- Deux positions antagonistes à propos du bon élève pour F3

Figure 1 : Corpus ENSEIGNANTS : organisation des plans factoriels.
- Du côté des INSPECTEURS, les 3 facteurs analysés dénotent des oppositions nettes :
- Définition traditionnelle du bon élève versus vision plus moderne : F1
- Les élèves “d’avant” versus les élèves actuels : F2
- L’évaluation sommative versus l’évaluation formative : F3

Figure 2 : Corpus INSPECTEURS : organisation des plans factoriels.
Conclusion :
Bien que les éléments présentés ne représentent qu’une brève partie de l’étude entreprise dans le champ professionnel que nous avons choisi, ils permettent de voir que les représentations professionnelles constituent un marqueur particulier de la “pensée professionnelle” : elles permettent en particulier de démontrer l’irréductibilité de cette pensée à chaque groupe professionnel.
Bibliographie :
ALLAL L., (1978), Stratégies d’évaluation formative : conceptions psycho-pédagogiques et modalités d’application, dans
ALLAL L., CARDINET J.; PERRENOUD P. drs., (1983), L’évaluation formative dans un enseignement différencié, Berne, Peter Lang, 3e édition.
BATAILLE M. ; BLIN J-F. ; JACQUET-MIAS C.; PIASER A., (1997) Représentations sociales, représentations professionnelles, système des activités professionnelles, L‘année de la recherche en sciences de l’éducation, 1997, Paris, Presses Universitaires de France.
DOISE W. ; CLEMENCE A. ; LORENZI-CIOLDI F., (1992), Représentations sociales et analyses de données, Grenoble, Presses Universitaires de Grenoble.
JODELET D., Représentations sociales : un domaine en expansion, dans
JODELET D., (1989), Les représentations sociales, Paris, Presses Universitaires de France.
REINERT M., (1986), Un logiciel d’analyse lexicale : ALCESTE, Cahiers de l’Analyse des données, 4.
Mots clés :
représentations professionnelles, enseignants, inspecteurs, classification, analyse factorielle.
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