Biennale 5
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Evaluation de la prise en charge éducative et pédagogique d’enfants atteints d’autisme et de troubles apparentés.

Auteur(s) : PHILIP Christine

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bull2.gif (117 octets)   Préambule
bull2.gif (117 octets)  Compte tenu de l’évolution récente des conceptions et des pratiques concernant cette population d’enfants et d’adolescents présentant un syndrome autistique et de la mobilisation des associations de parents, le regard porté sur ces enfants s’est grandement modifié ces dernières années. Longtemps considérée comme étant en deçà des exigences d’une scolarisation même aménagée, prisonnière du secteur psychiatrique et sans perspective d’intégration sociale ou professionnelle, cette population est aujourd’hui considérée comme éducable, scolarisable et même “intégrable”.
bull2.gif (117 octets)  Depuis une dizaine d’années, sous la pression des parents, des classes spécialisées dites “intégrées” se sont ouvertes dans des écoles. Beaucoup plus rarement, lorsque leur niveau le permettait, des enfants ont été intégrés individuellement dans des classes ordinaires. Enfin les institutions spécialisées qui ne scolarisaient pas ces enfants mais les confiaient aux éducateurs, ont suivi ce mouvement et se sont mises, elles aussi, à scolariser ces enfants sous la responsabilité d’enseignants spécialisés.
bull2.gif (117 octets)  Mais à ce jour, aucune évaluation sérieuse de ces pratiques éducatives et pédagogiques spécifiques n’a été entreprise. Par ailleurs, selon le cadre institutionnel où elles s’exercent, ces prises en charge sont loin d’être équivalentes, tant sur le plan quantitatif que qualitatif. C'est pourquoi nous avons engagé cette étude menée à partir d’un échantillon choisi dans les contextes institutionnels divers où cette prise en charge est proposée.
bull2.gif (117 octets)  Notre étude a démarré il y a quelques mois et pour l’heure nous avons travaillé sur trois contextes institutionnels : une CLIS 1 (classe d’intégration scolaire) accueillant un enfant autiste, une classe dépendant d’un hôpital de jour, intégrée dans une école avec des enfants autistes et psychotiques, et une école spécialisée de la banlieue de Londres (Linden Bridge School) qui accueille quatre vingt dix enfants présentant des troubles autistiques et apparentés. Dans le cadre restreint de cette contribution nous livrerons les premiers résultats de cette analyse. Mais auparavant quelques réflexions la méthodologie mise en œuvre.
bull2.gif (117 octets)  Repères méthodologiques
bull2.gif (117 octets)  Pour réaliser cette évaluation, nous avons construit un référent, c’est à dire une grille d’observation et d’analyse susceptible de nous permettre de lire cette réalité. Avant de donner un aperçu de cette grille, il nous semble souhaitable de préciser en quel sens nous prenons la notion d’évaluation, et dans quels registres d’évaluation nous entendons nous situer. Nous nous sommes référée aux travaux de Charles Hadji sur l’évaluation. En reprenant les travaux de J.Ardoino et G.Berger il distingue en effet l’évaluation dite “estimative” orientée plutôt vers le quantitatif et la mesure des choses et l’évaluation dite “appréciative” qui privilégie le quantitatif. La première évaluation est donc celle qui mesure, mais mesurer dans le domaine des sciences humaines n’est pas chose aisée, c’est pourquoi Hadji prend la précaution de parler dans ce cas "d'évaluation par défaut de mesure". En effet, tout se passe ici comme si "on voulait peser, mais sans disposer de balance". Comme l'exprime notre auteur dans une jolie formule ici l'intention est bien de "dire le poids de l'être", c'est à dire finalement évaluer l'être et la réalité tels qu'ils sont.
bull2.gif (117 octets)  Sur cet axe quantitatif, nous entendons en effet estimer le poids de la prise en charge pédagogique et tenter de dire ce qu'elle pèse par rapport aux autres secteurs de la prise en charge (éducatif, thérapeutique et social). C'est une donnée qu'il est possible de chiffrer en déterminant par exemple combien de temps est consacré aux apprentissages scolaires dans la journée et dans la semaine, et à quelle fréquence cette prise en charge est proposée aux enfants. Il importe aussi d'estimer le taux d'encadrement des enfants dans le cadre de la classe. L'enseignant y est-il seul, ou est-il accompagné par d'autres professionnels, ce qui a des conséquences en termes d'individualisation de la prise en charge.
bull2.gif (117 octets)  Quant à l'évaluation "appréciative", elle est orientée vers le qualitatif. Ici l'intention n'est plus de dire le poids de l'être mais d'en déterminer la valeur. Le terme évaluation alors ne signifie plus mesure mais il renvoie cette fois à une norme idéale qui fonde la qualité d'un objet et qui fait qu'il a du prix. Mais Hadji distingue encore dans l'évaluation entendue en ce sens, deux types de démarches qui correspondent à deux philosophies distinctes : l'évaluation appréciative avec modèle prédéterminé, et celle pratiquée sans un tel modèle. Ce dernier correspond au "référent", qui a été construit a priori, avant toute prise d'information. C'est lui qui orientera la lecture de la réalité. Dans cette démarche, on essayera de rechercher les signes qui permettent de situer l'objet (ici les situations pédagogiques) par rapport au référent. Le projet cette fois est de "dire l'être à la lumière d'un devoir être préalablement déterminé". Ce devoir être est constitué d'une série de critères cibles qui vont permettre d'apprécier cette réalité. Pour chacune de ces évaluations notre auteur définit ce qu'il appelle une figure emblématique. Dans le cas précédent c'était "la figure de l'expert capable de dire la réalité en la soupesant", cette fois c'est celle du "juge capable d'apprécier la réalité au regard des tables de la loi".
bull2.gif (117 octets)  Ebauche d'une construction du "référent"
bull2.gif (117 octets)  Dans ce registre d'évaluation, nous avons effectivement retenu un certain nombre de critères permettant d'apprécier les situations et les pratiques pédagogiques :
bull2.gif (117 octets)  La présence d'évaluations pédagogiques permettant de juger des acquis des élèves
bull2.gif (117 octets)  L'élaboration de projets pédagogiques individualisés
bull2.gif (117 octets)  La pratique d'une individualisation de la démarche pédagogique
bull2.gif (117 octets)  La référence à la norme (programmes officiels et référentiels de compétences de l'éducation nationale)
bull2.gif (117 octets)  Le souci de faire exister le groupe et de développer des interactions entre élèves
bull2.gif (117 octets)  L'existence d'un projet pour le groupe classe
bull2.gif (117 octets)  La collaboration avec les familles
bull2.gif (117 octets)  L'association de la famille à l'élaboration du projet individualisé de l'enfant
bull2.gif (117 octets)  L'articulation de la pratique pédagogique avec les autres secteurs de la prise en charge
bull2.gif (117 octets)  La présence d'une méthode pédagogique particulière
bull2.gif (117 octets)  La prise en compte des particularités du syndrome autistique dans la démarche pédagogique
bull2.gif (117 octets)  Une formation spécifique des personnels enseignants à l'autisme
bull2.gif (117 octets)  Certains de ces critères appartiennent au référentiel de compétences pour les enseignants spécialisés de l'option D, qui travaillent dans le champ du handicap mental, d'autres ont été élaborés à partir des recommandations des textes officiels en vigueur (Annexes XXIV, circulaire concernant des déficients intellectuels), d'autres enfin sont issus d'une expérience et d'une réflexion concernant la pratique pédagogique avec cette population. Dans le cadre restreint de cette brève contribution nous ne pouvons tous les légitimer, mais c'est à partir de l'existence ou non de ces critères cibles que les pratiques pédagogiques seront évaluées.
bull2.gif (117 octets)  Enfin il est une autre évaluation appréciative sans modèle prédéterminé qui exprime une troisième philosophie de l'évaluation qui consiste à "interpréter la réalité pour lui donner un sens". Cette forme d'évaluation est infinie car on n'en finit jamais d'interpréter. Cette fois c'est à partir d'observations en situation, mais aussi à partir d'entretiens semi-directifs avec les enseignants spécialisés que nous tenterons de "comprendre" et d'interpréter le style pédagogique, les intentions éducatives et pédagogiques et le type de relation qui s'engage entre maître et élèves. Si l'expert tentait de saisir la réalité en la soupesant, le juge de l'apprécier par rapport à un devoir être, cette fois le philosophe tente d'en appréhender le sens.

Un exemple d'évaluation appréciative d'une situation pédagogique : esquisse d'une construction du "référé"
bull2.gif (117 octets)  Dans le cadre de cet exposé, nous centrerons notre analyse sur l'un des lieux institutionnels de notre étude à titre d'exemple. Nous avons choisi la CLIS de Riom que nous présenterons brièvement, puis nous développerons l'observation d'une séquence pédagogique qui a été filmée, en nous situant dans le cadre d'une évaluation appréciative dans les deux sens que nous avons donné de cette notion.
bull2.gif (117 octets)  Cette classe est une ancienne classe de perfectionnement qui se transforme progressivement en CLIS, ce qui signifie qu'elle accueille un certain nombre d'enfants en difficulté scolaire (en particulier des enfants du voyage) et des enfants plus handicapés comme Etienne, enfant autiste, arrivé dans la classe à la rentrée dernière. Une dizaine d'enfants s'y trouvent donc rassemblés avec une enseignante spécialisée mais n'ayant bénéficié d'aucune formation particulière concernant l'autisme. Les enfants sont scolarisés à plein temps, partagent avec les autres enfants de l'école les temps de repas et de récréation, mais sont très rarement intégrés dans les classes ordinaires de l'école.
bull2.gif (117 octets)  L'objectif de la séquence étudiée consiste à reconnaître sur une photo de deux classes réunies, les élèves de la CLIS et ceux d'une autre classe. Cet exercice de discrimination implique que l'on soit capable de reconnaître ses pairs sur la photo, de les nommer, d'écrire leur nom, et de faire correspondre le nom et la personne. C'est un exercice particulièrement important pour cet enfant autiste, souffrant de troubles de la communication, mais d'un assez bon niveau scolaire puisqu'il est entré dans les apprentissages et commence à pratiquer la lecture et l'écriture. Nous ne retiendrons ici que la première phase de cette séquence pédagogique :
bull2.gif (117 octets)  La première tâche proposée par la maîtresse consiste à colorier les élèves des deux classes de deux couleurs différentes. La consigne est donnée à tous, oralement, mais elle sera reprise individuellement, chacun à son tour venant voir l'enseignante pour dire ce qu'il a compris.
bull2.gif (117 octets)  Etienne a des problèmes d'élocution et de concentration, mais il est en demande forte de scolarité. Il est manifestement heureux d'être en classe et participe avec enthousiasme aux exercices proposés. Dans un premier temps il est traité comme les autres enfants, et comme les autres il vient voir la maîtresse et lui dit : "Maîtresse, j'ai compris la consigne, sans dépasser la ligne, les grands de Catherine ! ". En fait, il n'a retenu qu'une partie de la consigne et soucieux de bien faire, il la complète, et puisqu'il s'agit de colorier, il ne faut pas dépasser la ligne, et colorier les élèves de l'autre classe (ceux de Catherine). L'enseignante lui répète la consigne pour lui, et lui demande de commencer par aller chercher deux crayons de couleur qui correspondent aux couleurs déjà existantes sur la photocopie (les deux enseignantes des deux classes ont déjà été coloriées). Etienne est distrait, il perd ses idées, il a peu de mémoire à court terme, il part chercher ses crayons mais oublie la consigne en route. Il faudra que la maîtresse la lui répète plusieurs fois pour qu'il s'exécute. Il répète alors en écho : "deux couleurs maîtresse"…mais il regarde les autres et s'occupe de ce qu'ils font, au lieu de se concentrer sur ce qu'il doit faire. C'est ainsi que dans un premier temps il rapporte des couleurs qui n'ont rien à voir avec celles qui sont sur sa feuille, non parce qu'il ignore les couleurs, mais parce qu'il est trop absorbé par ce que font les autres. L'enseignante, tout en s'occupant des autres enfants à l'autre bout de la classe l'observe de loin et le guide par la parole. Mais il lui faut ménager des étapes, et décomposer cette activité manifestement trop complexe pour Etienne. Lorsqu'il a trouvé les deux bonnes couleurs, elle adapte sa démarche à l'enfant et commence par simplifier la consigne. Au lieu de lui demander d'emblée de colorier les élèves des deux classes, elle supprime un crayon et lui propose de ne colorier que les élèves de sa propre classe. Et comme Etienne a des difficultés à réaliser cette simple consigne, elle l'emmène à sa table, s'assoie à ses côtés, l'encercle avec ses bras et l'accompagne physiquement dans son geste de montrer, en les nommant un à un, tous les élèves présents. Elle a donc introduit ici deux étapes supplémentaires pour lui permettre à terme d'atteindre le même objectif que les autres. Elle n'a pas de connaissances particulières de l'autisme, mais sa longue expérience d'enfants en échec scolaire, sa capacité à observer en situation, lui permet de différencier sa pédagogie. Nous sommes bien là dans ce que P.Meirieu appelle "le moment pédagogique", moment de rencontre avec l'autre, au cœur de l'action elle-même. "Moment où l'enseignant accepte d'entendre la résistance de l'autre, de suspendre, un instant, sa logique d'enseignement et l'exposé encyclopédique de son savoir pour accepter que l'autre, en face de lui, ne comprenne pas, ne désire pas, ne décide pas d'apprendre ce qu'on lui demande, quand on le lui demande." C'est bien l'attitude qu'adopte cette enseignante qui accepte les difficultés d'Etienne, sans se culpabiliser et sans le rejeter. "Il y a là, écrit Meirieu, dans l'acceptation de ce "moment", une condition fondatrice de ce nous pourrions nommer "l'entrée en pédagogie"" Non seulement elle accepte ses difficultés, mais elle y remédie et conformément à ce qui est prôné dans le travail avec ces enfants, elle clarifie sa consigne et essaie de la simplifier le plus possible, pour ne pas noyer l'enfant sous un flot de paroles. En effet, après avoir nommé avec lui en joignant le geste et l'intonation, chaque enfant de la classe, elle ponctue son propos en disant : "Rien que ceux là, en rouge, s'il te plaît !" Elle a ainsi complètement transformé sa consigne initiale. Elle l'a simplifiée, clarifiée et l'a rendue plus concrète et donc mieux perceptible pour cet enfant. La consigne complexe et abstraite de départ, donnée uniquement oralement à l'ensemble du groupe classe, a fait place à une consigne personnalisée, simplifiée et accompagnée d'un geste… Bel exemple d'individualisation de la pédagogie. Rappelons qu'il s'agit là de l'un de nos critères d'évaluation pour lire la réalité de la situation pédagogique, critère qui se trouve bien présent ici dans cette classe.
bull2.gif (117 octets)  Pour conclure…
bull2.gif (117 octets)  Cette observation de séquence pédagogique donne un aperçu partiel mais intéressant du fonctionnement de cette classe. En adoptant cette démarche, nous nous appliquons à construire le référé, et ce faisant nous permettons à la réalité d'exister. Mais il ne s'agit pas là d'une simple description de la réalité, il s'agit plutôt d'une construction de la pensée qui se réalise à partir de choix. Car nous ne décrivons pas la séquence de façon exhaustive, nous restituons seulement certains signes, ceux qui précisément nous intéressent et qui font sens pour nous. Nous sommes ici dans l'évaluation appréciative, à la fois celle qui juge à partir d'un modèle prédéterminé, le référent (appréciation ici du critère d'individualisation de la démarche), mais aussi celle qui interprète et qui cherche le sens. C'est avec beaucoup de prudence qu'il faut ici s'engager pour tendre vers une certaine objectivité ou du moins une subjectivité contrôlée.
ref : Charles Hadji. L’évaluation, règles du jeu. Des intentions aux outils. ESF Editeur Paris 1989
et L’évaluation des actions éducatives. PUF Editeur Paris 1992.
Philippe Meirieu. La pédagogie entre le dire et le faire. ESF Edition. Paris 1996