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Les difficultés des élèves en difficulté peuvent être considérées comme un analyseur des difficultés des dispositifs d’éducation et de formation. En un sens la focalisation exclusive sur les difficultés des élèves peut être reconnue comme un obstacle épistémologique pour discerner, analyser et traiter d’autres types de difficultés qui tiennent aux dispositifs d’éducation et de formation. Si les difficultés des apprenants se manifestent toujours en situation et témoignent des interactions entre des personnes (adultes et adolescents, enseignants et élèves) dans un contexte déterminé, ce contexte et ces interactions sont à interroger dans la production de ces difficultés.
Notre hypothèse de travail revient à orienter autrement l’attention de l’observateur vers ce qui apparemment ne fait pas problème : les dispositifs institués aux fins de formation. Sont-ils aussi accueillants et facilitants pour les publics en difficulté que leur missions et les acteurs le déclarent. Dans leur conception, leur organisation et leurs modes de fonctionnement ne leur arrivent-ils pas d’amplifier et même de créer des difficultés à ces publics. En effet les dispositifs d’éducation et de formation ont des effets ambigus. Dans le temps même où ils sont censés aider des élèves en difficulté, ils peuvent susciter, à leur insu ou de manière délibérée, des obstacles pédagogiques, des obstacles à l’apprentissage, à tout le moins à l’accès à la qualification. Bref, ils ont des effets pervers - en reprenant le concept élaboré par R.Boudon. Cependant le discernement de l’ambiguïté de leurs effets est une des conditions pour y remédier.
Typologie d’obstacles récurrents dans l’accès à la qualification d’élèves issus de SEGPA
Relations institutionnelles rares ou absentes entre les dispositifs de formation censés prendre le relais les uns des autres
Disciplines peu, pas ou mal assurées durant la formation commune en SEGPA, en amont d’une entrée en formation qualifiante (ex : sciences et langues)
Horaires de cours des élèves incomplets ou assurés irrégulièrement selon les disciplines (ex : éducation artistique, technologie, EPS).
Absence de prise en compte des acquis des élèves, en terme de connaissances et de compétences, à l’entrée de formation qualifiante.
Absence d’un document de reconnaissance des acquis, du type livret de compétences.
Méconnaissance des instances, procédures et critères d’orientation vers les différents dispositifs de formation qualifiante.
Méconnaissance de l’éventail des spécialités professionnelles accessibles dans le cadre d’un bassin d’emplois/formation.
Méconnaissance de la carte des établissements ou centres de formation préparant au niveau V (CAP) dans une zone géographique déterminée.
Méconnaissance des différents régimes de formation pour accéder à un même CAP, selon les dispositifs choisis.
Absence de dispositifs concertés d’accueil et de suivi des élèves en difficulté dans les établissements ou centres de formation prenant le relais des SEGPA des collèges.
Pratiques d’accompagnement trop peu connues et pratiquées par les équipes relais (tutorat, adulte référent et garant du projet, médiations dans les apprentissages et dans les relations conflictuelles).
Insuffisance des pratiques d’adaptation dans les dispositifs de formation professionnelle.
Analyse des conditions de collaboration entre dispositifs de formation
Connaissance mutuelle des dispositifs de formation dans leurs missions et caractéristiques générales et locales.
Connaissance réciproque des équipes direction et des équipes pédagogiques des différents dispositifs associés.
Recherche de complémentarité entre dispositifs de formation (carte de spécialités, différenciation des régimes d’apprentissage, choix d’implantation, etc…).
Critères, procédures et documents d’orientation d’un dispositif à l’autre, connus de tous les partenaires.
Mise en réseau des dispositifs de formation pour assurer une continuité des apprentissages de l’un à l’autre.
Détermination des finalités et objectifs principaux des dispositifs partenaires, fédérés en réseau (ex : aide à l’orientation, formation, éducation, aide à l’insertion).
Convention de collaboration entre dispositifs de formation pour élargir l’offre et faciliter l’accès à la qualification.
Projets élaborés et réalisés en commun par les dispositifs associés en réseau.
Détermination des formes d’aide aux dispositifs d’apprentissage professionnel
Construction de critères, de procédures et de documents d’orientation des élèves en difficulté à la fin de la 3ème, réalisée par les représentants des différents partenaires de formation.
Aide à l’élaboration et/ou à l’organisation de dispositifs d’accueil des publics scolaires en difficulté à l’entrée en formation professionnelle.
Développement accru d’une culture des adaptations didactiques et pédagogiques dans les équipes.
Elaboration et publication d’une politique académique et régionale exprimée dans une charte, connue de tous les acteurs.
Aide à la construction de réseaux d’établissements ou de centres de formation, se fondant sur des études de faisabilité dans le cadre de bassins d’emploi/formation ou de districts.
Construction d’outils communs permettant de suivre les flux d’élèves plus ou moins en difficulté dans leur accès progressif à la qualification, depuis l’entrée dans un dispositif jusqu’à l’obtention du diplôme ou la validation d’acquis en termes de compétences.
Aide à la formation d’équipes pédagogiques à même de s’investir dans l’accès à la qualification d’élèves en difficulté.
Détermination des formes d’accompagnement des jeunes en difficulté dans leur accès progressif à la qualification
Choix d’un adulte référent, garant du projet professionnel du jeune.
Pratiques de médiation et de remédiation dans les apprentissages généraux et professionnels, pour prévenir et résoudre les difficultés éprouvées dans les cursus de formation.
Suivi individualisé de l’adolescent dans son itinéraire de formation pour discerner et traiter les incidents et aléas inhérents à tout parcours (absentéisme, conflits avec les formateurs ou avec les pairs, insatisfactions et tensions lors des périodes en entreprise, tentations d’abandon et risques de rupture du contrat de formation, etc…)
Offre “à la carte” des aides et des soutiens proposés.
Pratiques d’évaluation formative et de positionnement pour apprécier l’écart par rapport aux exigences et objectifs terminaux d’une qualification professionnelle de type CAP.
Propositions de réorientation vers d’autres dispositifs et de préparation d’autres spécialités professionnelles en cas d’erreur d’orientation ou de choix professionnel mal fondé (recherche d’alternatives et de recours à l’option première)
Remarques in fine
Si l’implication des dispositifs de formation dans la production ou l’amplification des difficultés des élèves en difficulté n’est pas analysée, le risque est grand d’observer le maintien, voire l’aggravation de ces difficultés lors du passage de relais d’un dispositif à l’autre. La prégnance des représentations que se font de ces élèves les différents acteurs de la formation professionnelle induit des attitudes, des modes de relation et des pratiques qui favorisent la reproduction des difficultés d’apprentissage, quand elles ne les exagèrent pas. Elles tendent à installer ces élèves dans la grande difficulté et à leur donner un statut de mauvais élève. Fonctionne alors sans entrave un mécanisme psychosocial découvert et analysé par le sociologue R.K.Merton, la “prédiction créatrice”. Les difficultés observées des élèves viendront confirmer le préjugé scolaire d’une difficulté d’apprendre indurée, sans remédiation. Faute d’être analysées dans leurs différents paramètres et traitées à temps, dans une relation d’aide empathique, les difficultés scolaires constatées, mais aussi attendues, se transforment en destin scolaire marqué du sceau de l’échec.
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