retour au résumé
Introduction
Cet exposé tente d’aborder non pas la métacognition, considérée comme une activité mentale, mais plutôt sous l’aspect d’une activité langagière. Ce faisant, le propos n’est pas tant de viser des prescriptions concernant l’exercice de la métacognition, mais la connaissance de l’activité métacognitive langagière par une observation du discours, pour rendre compte des “ sens ” attribués par les sujets à leur processus cognitif et proposé à leur interlocuteur, qu’il soit chercheur ou formateur.
I- Rappel de quelques traits caractérisant la métacognition
Développé à partir des travaux de psychologues tels que Piaget (“ abstraction réfléchissante ” 1974), Sternberg (“ stratégies exécutives ” 1985), utilisée à partir des années 1970 comme concept opératoire en éducation à partir des réflexions sur l’interaction de tutelle (Bruner 1983 s’inspirant de Vygostki), le mot de “ métacognition ” désigne l’activité cognitive d’un sujet sur ses propres processus de cognition (Noël, Romainville et Wolffs, 1995). Processus de deuxième niveau, sa mobilisation par le sujet avec l’aide d’un enseignant/formateur semble contribuer à créer des conditions favorables à l’apprentissage, selon le courant des méthodes dites de “ médiation ou remédiation cognitive ”. (En fait, la recherche actuelle est issue de ma propre pratique de ce type de pédagogie..).
Trois éléments qui caractérise l’exercice de la métacognition :
L’exercice de métacognition s’inscrit dans une interaction sociale, dans une situation d’interlocution
On part souvent du postulat que le sujet peut accéder à la connaissance de ses propres processus, et que, de ce fait, ce qu’il dit/le contenu de ses paroles est en partie, au moins, représentatif de la “ réalité ”. Ce postulat est loin d’être reconnu dans le champ des Sciences de l’éducation, (Delanoy 1992, Nuttin 1985, Rey 1995).
Enfin, les pédagogies de remédiation cognitive ont longtemps subordonné le “ conatif ” au cognitif, c’est-à-dire qu’elles ont considéré que remédier aux difficultés cognitives permettait de “ transcender ” des difficultés dues à des facteurs de personnalité, tels que les émotions, l’affectivité, l’estime de soi.
Or, les définitions de la métacognition sont établies à partir de dispositifs mobilisant la parole. Ici, le mot “ métacognition ” est utilisé à la fois pour décrire le processus mental et l’activité langagière des sujets lorsqu’ils explicitent leurs processus mentaux de premier niveau.
Il me semble alors nécessaire de distinguer ces deux activités, l’une mentale, l’autre langagière.
L’une que j’appellerai activité métacognitive mentale, non directement observable, qui est bien une activité cognitive, un processus cognitif
L’autre activité métacognitive langagière, qui est une activité d’interaction sociale par le langage, et dont le produit observable est du discours, le discours métacognitif.
Je définirai succinctement “ discours ” par deux traits : équivalent de la parole, dans l’opposition langue/parole de Saussure ; considéré dans une perspective énonciative, qui insiste sur le caractère dynamique de l’énonciation, sur la relation qu’elle établit entre les partenaires de l’échange. D.Maingueneau (1991)
II- Justification de l’emploi du cadre théorique et méthodologique : l’analyse linguistique du discours.
Ce travail fait partie d’une recherche ayant pour objet le discours métacognitif dans le champ de la formation des adultes, recherche menée dans le cadre du CRF au CNAM, sous la direction de Madame O. Galatanu, professeur à l’Université de Nantes.
Cette recherche a été construite à travers une succession de questions
“ Apprend-on quelque chose sur le processus cognitif du sujet à travers son discours, et quoi ? ”. Lorsqu’un médiateur pratique une activité métacognitive langagière avec un apprenant, il se rend bien compte qu’outre des descriptions approximatives d’activité mentale passée, le sujet énonce des jugements sur lui ou sur l’environnement de l’apprentissage, exprime des sentiments, répète des règles apprises : ces informations “ satellites de l’action ” (P.Vermersch 1995) ont à voir en partie avec l’expression par le sujet d’éléments de nature “ conative ”, évoqués plus haut, tels que les émotions, l’affectivité, l’estime de soi.
“ Quelles sont les informations autres que celles concernant le processus cognitif qui émergent dans le discours métacognitif ?
Le fait de considérer le discours métacognitif dans sa dimension énonciative apporte de nouvelles pistes : en linguistique, pour E.Benveniste (1975) “ l’énonciation est cette mise en fonctionnement de la langue par un acte individuel d’utilisation….Le locuteur s’approprie l’appareil formel de la langue et il énonce sa position de locuteur par des indices spécifiques ” (les indices de personne (je-tu) qui ne se produit que dans et par l’énonciation, des fonctions syntaxiques parmi lesquelles l’assertion/l’affirmation, des modalités formelles qui signalent les attitudes de l’énonciateur à l’égard de ce qu’il énonce (attente, souhait, appréhension, incertitude, possibilité, indécision, refus, etc.). Plus encore, Benveniste considère que c’est “ dans et par le langage que l’homme se constitue comme sujet …la “ subjectivité ” dont nous traitons ici est la capacité du locuteur à se constituer comme sujet…nous tenons que cette subjectivité n’est que l’émergence dans l’être d’une propriété fondamentale du langage. Est “ ego ” qui dit “ ego ”. ”
Quels sont les indices de la “ subjectivité ” du locuteur dans le discours métacognitif, et quelles indications nous apportent-ils sur l’attitude du locuteur vis-à-vis de ce qu’il énonce ?
En fait, lorsqu’un sujet parle de son processus cognitif, quelle attitude, marqué dans le discours, a-t-il vis-à-vis de l’objet de son discours, vis-à-vis de ce qu’il dit sur sa cognition ?
Cette attitude a quelque chose à voir avec l’expression d’éléments de nature conative.
Enfin, en philosophie du langage, pour Austin, “ parler signifie Dire vrai ou faux, mais aussi faire quelque chose ” et que “ par les actes illocutionnaires le locuteur renseigne le destinataire sur certains états de fait ou s’engage à effectuer un acte ”. En partie à sa suite, la théorie de l’argumentation dans la langue de O.Ducrot, repose sur un postulat, celui de l’argumentativité intrinsèque de tout énoncé.
Ducrot et Anscombre considère que “ signifier, c’est orienter ”, c’est “ attribuer à un objet un certain degré dans l’ordre d’une qualité ”. Or, l’un des objets du discours métacognitif n’est autre que le sujet parlant lui-même.
Très précisément, ce qui occupe la recherche présente n’est pas l’effet de l’influence exercée par celui qui guide l’entretien sur celui qui répond, mais l’effet dans le propre discours de l’enquêté de l’influence qu’il exerce sur l’enquêteur pour répondre et faire savoir, faire croire quelque chose sur sa cognition. Comme on peut le constater, le point de vue de la recherche s’est déplacé : tout en conservant toujours un même objet, le discours métacognitif, un même champ de recherche, la formation, elle ne se contente pas de s’emparer d’outils linguistiques pour en rendre compte ; en fait, au-delà des outils, cette recherche se donne la linguistique comme cadre théorique
Le cadre théorique et méthodologique :
Le cadre théorique est un cadre linguistique, celui de la pragmatique, c’est-à-dire de cette partie de la linguistique qui considère que l’interprétation des énoncés peut et doit être faite dans les types de situations où ils sont employés : ceci intéresse donc bien un champ de pratique sociale tel que celui de la formation.
Au plan méthodologique, les enquêtes sont des entretiens individuels semi-directifs, incluant une partie d’Entretien d’Explicitation (P.Vermersch), qui sont enregistrés et retranscrits intégralement.
Le traitement de ces textes utilise les outils
d’Analyse du Discours, telle que définie par D.Maingueneau (1991), et
de la sémantique du stéréotype (O.Galatanu, 1999a),, associée à une sémantique argumentative (O.Ducrot 1984)
Pour l’Analyse du discours :
1-1- Une grille d’analyse des modalisations, des plus objectivantes aux plus subjectivantes, cette grille est empruntée à O.Galatanu (1995), basée sur la théorie des modalités issue des travaux de Greimas, mais remontant aux carrés logiques d’Aristote. Les modalisation sont des “marques de l’attitude du sujet communiquant par rapport au contenu de son énoncé et à sa fonction dans la modification de ses rapports avec son destinataire ”
1-2-Une grille d’analyse de l’argumentation, à travers notamment les indices de polyphonie étudiés par O.Ducrot, parmi lesquels par exemple certains connecteurs tels que “ mais ”, ou les marques de distance.
2- Sémantique du stéréotype : le modèle Galatanu
Pour l’auteur, la signification lexicale d’un mot est constituée d’un “ noyau de traits dits nécessaires, de catégorisation et stéréotypes associés au mot ” (Galatanu 1999a), et en outre “ de traits argumentatifs possibles qui relient les éléments du stéréotypes à d’autres représentations sémantiques ou stéréotypes d’autres mots ”. “ L’interaction avec d’autres significations qui construisent l’environnement… pragmatique provoque un phénomène de séparation des possibles argumentatifs qui ,s’associant à d’autres possibles argumentatifs actualisés, stabilisent un sens ”. Ainsi, le sujet, par l’emploi et l’association des mots dans son discours, construit un sens pour l’interlocuteur, ce sens “ stabilisé ” constituant un choix “ subjectif ” parmi les possibles offerts lexicalement par ces mots.
III- 1- Un exemple : modalisations
Analyse des thèmes et des modalisations qui les accompagnent : l’échantillon très succinct qui suit est tiré d’un des entretiens tiré du corpus mentionné plus haut, réalisé avec une formatrice elle-même en cours de formation. Deux constats (Pescheux 1999) : le premier porte sur une classification et évaluation entre deux conceptions de la méthode pour apprendre. La première présente une façon d’apprendre qualifiée de “ scolaire ”, marquée par l’arbitraire et l’ “ urgence ”, et s’exprimant dans des formes axiologiques éthiques négatives ( de l’ordre de l’évaluation éthique négative), avec des “ surmodalisation ” ( “ il faut faire ”) d’ordre déontique (devoir faire). La seconde, au contraire présente l’apprentissage comme une “ maturation liée au “ plaisir ” et à la découverte aléatoire (“ butiner, papillonner ”), accompagnée de modalisations inverses de celles de la première conception, axiologiques éthique positives (“ ça m’amusait ”), et hédoniques positives (“ se faire plaisir ”), cette fois-ci, surmodalisées de façon épistémique ou doxologiques (“ je sais, j’ai confiance que ma tête va retenir ” = savoir/croire).
III-2- réseaux sémantique associés à la cognition dans une visée argumentative
Les deux énoncés étudiés sont : la négation polyphonique de “ J’apprends par cœur ”, et “ Ça bouillonne ”, pour tenter de décrire, à l’aide du modèle présenté, le sens “ argumenté ” du mot “ apprendre ” dans la bouche du locuteur.
1- “ J’apprends par cœur ”.
“ donc j’suis pas dans une fonction d’apprendre, comme on a pu l’envisager à l école , qui est : “ j’apprends par cœur et je rétrocède ”,
| Processus | Objets | Appren-dre par cœur | Mé- moire | Fixation | Applica-tion, rabâchage, | Méthodique, réglé, régulier, sage, ordonné, uniforme | Machinal, automati-que, mécanique | Absence sponta-néité | Absen-ce volon-té | Rappel données passé/ absentes | Acquisition chose ignorées |
Lexis 1994, Petit Robert 1988, Robert des Synonymes de 1994.
Sur la base de ces traits, le stéréotype proposé et refusé (“ les stéréotypes ne sont pas seulement des “ images ” ; ce sont, au moins en partie, des croyances énoncées en mots ” Putnam 19 ) pourrait, pour “ apprendre ” dans “ apprendre par cœur ” être formulé ainsi :
“ apprendre par cœur = apprendre comme une machine ”.
2- “ ça bouillonne ”
“j’ai laissé reposer deux trois jours […], et j’ai l’impression que j’ai essentiellement appris dans ces dix jours [….], mais y avait maturation, c’est comme si j’avais besoin de ce temps de latence où, comme je disais j’ai l’impression que ça bouillonne parce que y a des idées qui me viennent ” ” Bouillon-ner | Agitation, animation, vitalité, vivacité | mouvement activité ; vie | Milieu favorable Milieu de culture | liquide | chaleur | Fermentation, cuisson cuisine | bulle | émotion | idées |
Sur la base de ces traits, le stéréotype proposé pourrait être :
“ Apprendre = cuisson/cuisine/fermentation (idées en activité) ”.
3- “ stabilisation ” du sens proposé Enchaînements acceptables | - " Je suis pas dans " j’apprends par cœur " "
| B- " ça bouillonn e " | donc je laisse libre les données donc je ne répète pas, j’innove, donc c’est empirique, dispersé, divers, foisonnant donc, c’est " animé ", vivant donc c’est spontané donc c’est chaud donc, c’est rempli de pensées, de réflexions, d’émotion | donc ma tête est active donc je foisonne d’idées, de réflexion, d’activité mentale donc, il y a fermentation, bouillon de culture donc, c’est chaud donc, c’est plein d’émotion donc c’est vivant, animé donc, c’est agréable, c’est bien, c’est utile | Je proposerais donc de considérer que le comportement de la négation de “ apprendre par cœur ” et de “ bouillonner ” l’un par rapport à l’autre est comparable à celui de “ blocs sémantiques ” (Carel.M. 1995). En effet, si l’on considère que l’ensemble des enchaînements acceptables de la négation de “ j’apprends par cœur ” constitue un ensemble de “ possibles argumentatifs ” (Galatanu 1999 ), et que par ailleurs, il en est de même des enchaînements acceptables de “ ça bouillonne ”, on peut constater que ces deux “ nuages topiques ” constituent une interaction provoquant “ un phénomène de séparation des possibles argumentatifs qui s’associant à d’autres possibles argumentatifs actualisés, stabilisent un sens ”. Dans le cas présent, la séparation se fait avec les enchaînements non acceptables des deux expressions, et l’association entre leurs enchaînements acceptables - on le voit dans les énoncés qui précèdent - stabilise un sens, qui serait paraphrasable par :
“ apprendre relève d’une activité latente de préparation-cuisson des idées, etc. ”
Conclusion
Cette étude, tirée d’un corpus d’entretiens avec des individus en formation, signale la présence de mots “ thématisant ” les processus cognitifs des locuteurs, et par conséquent les réseaux de signification impliqués par le choix de ces mots, choix propre à chaque individu. Considéré comme un choix de la part des locuteurs, l’emploi de ces mots semble constitutif de ce qu’on pourrait désigner sous le terme d’identité discursive d’un locuteur. En conséquence, cette identité discursive, si elle se définie en partie comme le produit discursif d’une énonciation avec les marques de “ subjectivité ” présentées en III-1, se définit sans doute aussi par le fait que le réseau des significations impliqué par le choix des mots signale, sur le plan sémantique et linguistique, une partie des “ représentations mentales ” associées aux “ représentations publiques ” (Sperber, 1997) que sont les mots prononcés par un locuteur pour un champ discursif donné, celui de la formation.
|