Biennale 5
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La résilience des éducateurs face à la violence des jeunes

Auteur(s) : PELLETIER Daniel

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bull2.gif (117 octets)   La violence des jeunes préoccupe plusieurs parents, éducateurs et chercheurs. De nombreux travaux centrés sur les caractéristiques des jeunes auteurs d'actes violents, sur les conditions socio-démographiques propices à l'éclosion de la violence et sur l'élaboration, l'implantation et l'évaluation de diverses stratégies d'intervention sont disponibles. Toutefois, l'impact des comportements violents des jeunes sur la qualité de vie au travail des éducateurs est beaucoup moins documenté. La documentation scientifique fait état d'un nombre relativement important de publications centrées sur la qualité de vie au travail des professionnels du domaine de la relation d'aide au sens large. Ces travaux semblent tous indiquer que les niveaux de stress et les risques d'épuisement professionnel y sont relativement élevés. Le fait d'être confronté à des personnes qui manifestent des comportements agressifs fréquents ou qui présentent des niveaux importants de détresse psychologique expose certains types d'intervenants directs à des risques élevés sur les plans du stress et de l'épuisement professionnel. De plus, le niveau de risque semble augmenter en relation avec la fréquence et la durée des contacts avec ce type de clientèle. Ceci pourrait signifier que les intervenants directs qui passent de longues heures auprès de clientèles en difficulté (par exemple les enseignants des classes spéciales ou les éducateurs spécialisés travaillant auprès de délinquants faisant l'objet de mesures de garde fermée) pourraient être exposés à des conditions de travail plus difficiles à cet égard, par opposition aux professionnels dont les contacts avec la clientèle sont occasionnels ou ponctuels. Certains auteurs rapportent que les hommes et les femmes ne partagent pas les mêmes vulnérabilités en ce qui a trait au stress et à l'épuisement. Les intervenantes de sexe féminin semblent plus affectées par l'absence de support de la part des collègues et des supérieurs, alors que les hommes semblent plus à risque que les femmes pour ce qui est du sentiment de dépersonnalisation au travail. Le but visé ici est présenter les résultats d'une recherche menée auprès d'un vaste échantillon d'intervenants impliqués auprès de jeunes qui a permis de mettre en évidence les caractéristiques personnelles et professionnelles associées à la résilience plus ou moins grande des éducateurs face aux comportements violents des jeunes qu'ils côtoient quotidiennement au travail. L'échantillon comprend 1348 participants (551 hommes et 797 femmes), plus précisément des enseignants, des éducateurs spécialisés, des psychologues et des travailleurs sociaux. Le critère de sélection central était le suivant: tous les intervenants devaient consacrer au moins 50 % de leur temps de travail à des contacts directs avec des jeunes. Ils furent recrutés un éventail de milieux regroupés en quatre types : milieu scolaire régulier, délinquance, handicaps divers et troubles d'adaptation à l'enfance. L'âge moyen des participants était de 33.6 années (É.T.= 7.61). Quatre instruments furent utilisés dans le cadre de cette recherche : un questionnaire d'informations professionnelles, un inventaire du risque d'épuisement professionnel, un questionnaire d'évaluation du stress et une mesure des mécanismes de gestion du stress.
bull2.gif (117 octets)  Les données recueillies indiquent que la résilience des éducateurs face à la violence des jeunes est associée à plusieurs variables personnelles et professionnelles parmi lesquelles la gestion du stress, l'âge et le soutien social jouent un rôle de premier plan. De plus, ces variables semblent jouer un rôle plus important que celles se rapportant à l'organisation interne des milieux et à la violence objective des jeunes les fréquentant. Les instruments utilisés ici ne permettent pas de bien distinguer les effets reliés au sexe des effets reliés aux rôles sexuels. Donc, on ne peut affirmer d'emblée que les hommes et les femmes de l'échantillon adoptent des rôles sexuels congruents. Récemment, un modèle explicatif de l'épuisement professionnel dans les professions d'aide chez les hommes et les femmes spécifiait le rôle joué par les différences sexuelles : ces dernières ne sont pertinentes que lorsqu'elles sont associées à des sources de stress particulières, au stress des rôles sexuels ou à des conditions généralement plus hostiles affectant davantage les hommes que les femmes ou plus vraisemblablement l'inverse. Donc, ce n'est pas tant la différence sexuelle qui doit être l'objet d'étude, mais le traitement différentiel en fonction de cette différence. Il est aussi intéressant de noter que les hommes consacrent plus de temps à chaque semaine à de la formation et à des réunions, tout en rapportant davantage de stress dû aux tâches cléricales et administratives. Le portrait d'ensemble qui se dégage des résultats permet donc de formuler l'hypothèse que dans les milieux d'intervention, les hommes et les femmes ont des profils de tâches et de carrière différents qui interagissent avec les statuts de majorité ou de minorité pour produire des éventails d'opportunités plus limités pour les intervenantes. Les pressions imposées par la promotion de l'équité en matière d'emploi dans un contexte de rectitude politique risquent de laisser dans l'ombre certains problèmes importants en ce qui a trait au travail quotidien des intervenants et des intervenantes en délinquance : le niveau d'agressivité de la clientèle et la visibilité différentielle des intervenants masculins. Les agressions envers les intervenants en délinquance sont relativement fréquentes et les perspectives d'intervention afférentes semblent surtout centrées sur le maintien de la relation thérapeutique entre l'agresseur et la victime. La question de la sécurité du personnel n'est pas encore très ouvertement évoquée, entre autres dans la documentation scientifique, alors qu'elle constitue une préoccupation majeure dans les ouvrages traitant de l'intervention dans des environnements psychiatriques et correctionnels.
bull2.gif (117 octets)  Plusieurs milieux de ce type forment spécifiquement les intervenants à l'auto-défense et à l'utilisation adéquate de la contrainte physique en plus d'exiger, dans certains cas, des tests d'aptitudes physiques. La fréquence des assauts et des agressions diminue considérablement chez ceux qui ont reçu une formation de ce genre. Il n'est donc pas exclus qu'un degré minimal de force physique devienne un des critères à considérer lors de l'embauche de nouveaux intervenants. Par ailleurs, la fréquence d'utilisation de la contrainte physique auprès d'une clientèle d'enfants et d'adolescents perturbés est trois fois plus élevée chez les intervenants directs de sexe masculin que chez les intervenantes féminines. Sans aller jusqu'à affirmer que de telles considérations constituent un goulot d'étranglement définitif, on peut néanmoins supposer qu'elles risquent de réduire l'attrait que pourrait présenter un emploi dans un
milieu sécuritaire destiné exclusivement à des clients violents. L'augmentation des effectifs féminins en milieu psychiatrique sécuritaire consécutive aux politiques d'équité en matière d'emploi a eu certaines conséquences positives, telles que l'amélioration de quelques aspects du climat social, ainsi que des effets pervers, tels que la diminution du seuil de tolérance envers les comportements agressifs de la clientèle. La situation des intervenants masculins présente aussi des aspects problématiques spécifiques. Les abus sexuels envers les bénéficiaires en milieu de garde ou en milieu sécuritaire font depuis peu l'objet d'une couverture médiatique importante. Comme la plupart du temps des hommes sont mis en cause, ce phénomène pourrait donner lieu à des attributions négatives qui auraient pour effet de nimber le choix de carrière des intervenants masculins d'un halo de suspicion, en particulier chez ceux qui sont minoritaires. Les programmes
de formation pour intervenants recrutent au minimum deux fois plus de femmes que d'hommes tant en Europe qu'aux États-Unis et au Canada. La question des biais et des stéréotypes sexuels en rapport avec le travail d'intervenant auprès de personnes violentes mérite donc de figurer parmi les préoccupations des formateurs ne serait-ce qu'en raison des proportions. Un autre aspect découlant directement de la problématique à l'étude ici a trait aux impacts sur la clientèle. Si les biais à caractère sexuel influencent la qualité de vie au travail, il est tout à fait envisageable
qu'ils influencent de façon concomitante la qualité du travail. Si tel est le cas, le fait de porter une attention plus grande aux rapports hommes-femmes dans ce secteur d'activité pourrait avoir des retombées positives à plus d'un égard.