Biennale 5
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Le développement durable peut-il être "objet" d'exposition?

Auteur(s) : PELLAUD Francine

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bull2.gif (117 octets)   “Le développement durable satisfait les besoins des générations présentes sans compromettre la possibilité pour les générations à venir de satisfaire leurs propres besoins”. Telle est la définition donnée à ce concept par la Commission Mondiale pour l'Environnement et le Développement, plus connue sous la dénomination de "Rapport Brundtland", du nom de sa présidente. Cette commission indépendante, mandatée par l'Assemblée Générale des Nations Unies en 1983, avait pour tâche d'élaborer une stratégie internationale à long terme, intégrant pour la première fois l'environnement au développement économique et social. Pour la première fois, les dangers qui menacent, si ce n'est la survie de notre planète, du moins celle de notre espèce, sont réellement reconnus comme tels. Le coup d'envoi d'une action pratique en faveur du développement durable ne se fera qu'en juin 1992, lors de la Conférence des Nations Unies sur l'environnement et le développement qui eut lieu à Rio de Janeiro. En plus de la signature de trois conventions concernant le changement climatique, la diversité biologique et la désertification, un plan d'actions concrètes est mis au point: l’Agenda 21. Reste que la prise en considération des besoins ne s'appuie que sur une base éthique. Qu'est-ce qu'un besoin? Ou plutôt, où s'arrête le "superflu" et où commence le "besoin"? La question est délicate et laisse planer une ambiguïté évidente. Elle sous-entend même une autre question, celle de savoir à qui revient le droit de décider de ce qu'est un besoin.
bull2.gif (117 octets)  Recherche des conceptions du public
bull2.gif (117 octets)  L’Agenda 21 présente la participation de l’individu comme un élément-clé dans la mise en fonction pratique du processus de développement durable. Mais que sous-entend cette implication? Dans le meilleur des cas, une action citoyenne allant dans le sens d’une démocratie participative et dans le pire, quelques réflexes dans les gestes quotidiens. C'est pour tenter de favoriser cette participation citoyenne active que nous avons développé un projet muséal sur le thème du développement durable.
bull2.gif (117 octets)  Pour tenter de parvenir aux meilleurs résultats possibles, la présentation envisagée doit parvenir à exacerber la responsabilisation de l’individu par rapport à son environnement pris dans son sens le plus large. Mais de quoi les gens ont-ils véritablement besoin pour entrer dans un tel processus? Comment présenter un sujet aussi complexe de manière simple, afin de le rendre accessible à tout le monde, tout en cherchant à favoriser le passage d'un savoir théorique à une action pratique? Ces questions nous ont poussés à mener une enquête auprès du grand public afin d'approcher le plus concrètement possible les conceptions que les gens véhiculent, non seulement sur le sujet du développement durable, mais sur tout ce qui entoure le phénomène de la responsabilisation, notion clé de ce processus.
bull2.gif (117 octets)  Les résultats obtenus laissent parfois songeurs… Tout d'abord, nous avons dû nous rendre à l'évidence que le sujet est peu connu. 75% des personnes interrogées avouent ne jamais en avoir entendu parler. Au delà de cette méconnaissance, nous avons relevés plusieurs obstacles quant à la compréhension du concept, de ses tenants et de ses aboutissants. Tout d'abord, la majorité des personnes ont beaucoup de peine à ne pas accrocher une image "concrète" ou du moins connue derrière des mots qui le sont moins. Ainsi, nous pouvons constater une forte tendance visant à ancrer ce concept soit dans une visée écologiste du monde, soit dans une perspective d'aide aux pays en développement, mais dans laquelle nos pays industrialisés n'ont que peu à voir.
bull2.gif (117 octets)  Ces tendances sont révélatrices d'une difficulté récurrente que nous avons pu observer au niveau des modes de raisonnement. Elles reflètent clairement le cartésianisme dont souffre nos sociétés, c'est-à-dire l'éclatement de notre pensée et de nos savoirs en fragments épars, rendant toute approche globale ou complexe très difficile.
bull2.gif (117 octets)  Cette difficulté à tisser des liens entre différents éléments, à voir leurs interdépendances et leurs interactions se trouve corroborée par la conception qu’ont les gens d'envisager leur propre action au sein de ce processus. Si le pouvoir de décision qu'offrent nos sociétés démocratiques est théoriquement reconnu par une bonne moitié des personnes interrogées, près de 30% sont incapables de voir en quoi il consiste et comment il pourrait intervenir dans la mise en place d'un tel processus. Pour les autres, on peut en parler autour de soi, on peut voter lors des élections, mais les actions individuelles qui constituent les choix de vie n'apparaissent que rarement liées à une véritable action où l'individu s'implique personnellement. Si certaines pratiques sont mentionnées (tri des déchets, achats de produits peu emballés, choix de denrées provenant d'un marché équitable, etc.), elles restent confinées au domaine écologique ou social et n'ont, aux yeux des gens qui les mentionnent, qu'une portée très locale. Les interactions entre les différents domaines n'apparaissent que très rarement, et la participation au domaine économique n'est jamais évoquée en tant que telle. Le rôle du consommateur n'est mentionné spontanément que par un petit pourcentage de personnes qui ne croient pas forcément à son impact. Ajoutons que seules 9% des réponses permettent d'envisager une vision du consommateur plus large que celle, limitée, de la personne effectuant des choix dans un magasin.
bull2.gif (117 octets)  Des conceptions paradoxales
bull2.gif (117 octets)  Nous avons ici à gérer plusieurs paradoxes, tous liés à l'approche de la complexité. Le premier est ce que nous avons appelé le "syndrome de la goutte d'eau", en référence à l'expression la plus répandue pour exprimer l'impuissance que ressent l'individu face à la puissance de la collectivité, correspond à la vision que l'individu a de l'impact de sa propre action face à la masse que représente l'ensemble de la société.
bull2.gif (117 octets)  Ce "syndrome", que nous considérons comme un indicateur de pensée complexe dans le sens où il exprime une mise en relation de l'action locale et du développement global, est vécu de manière fondamentalement différente par les personnes qui y font référence. Considéré comme une limite insurmontable par certains, il n'est pris en considération par les autres que comme un paramètre à ne pas négliger lorsque l'on parle de pouvoir d'influence. Les personnes qui le considèrent comme un facteur rendant le processus de développement durable impossible s'appuient sur lui pour montrer l'inefficacité de leur action personnelle, ou se déresponsabiliser en déléguant cette responsabilité à une autre instance, en général politique.
bull2.gif (117 octets)  Les conceptions que les personnes ont de la démocratie en général et de l'action citoyenne en particulier jouent un rôle considérable sur l’appréhension de ce phénomène. S'il participe à la déresponsabilisation de l'individu, il est un exemple typique d'attitude paradoxale que nous pouvons observer. Tout d'abord, il peut tout aussi bien être en lien avec une vision globale, qui permet de comprendre l'interaction qui régit la loi de l'offre et de la demande sur laquelle l'action individuelle peut avoir un impact, qu'avec une pensée n'appréhendant pas du tout les lois du marché et renvoyant l'individu à sa seule entité, isolé au milieu du monde. Mais là encore un autre paradoxe intervient. Quel que soit le niveau de complexité de la pensée, l'attitude vis-à-vis de l'impact de l'action individuelle et donc du processus de développement durable peut être diamétralement opposée. Elle donne lieu à deux cas de figure:
- je ne suis qu'une goutte d'eau dans l'océan et ne peut donc rien faire ou,
- je ne suis qu'une goutte d'eau dans l'océan, mais chaque goutte est nécessaire.
bull2.gif (117 octets)  Ces deux approches diamétralement opposées sont, non seulement l'expression des conceptions de ces personnes, mais relèvent surtout d'une attitude générale dans la vie. Les arguments donnés, dans un cas de figure comme dans l'autre, peuvent être amenés par des personnes possédant ou ne possédant pas une vision systémique de la problématique.
bull2.gif (117 octets)  Ce syndrome est donc intimement lié à l’idée libérale de liberté individuelle (Guichet, 1998). L'atteinte à cette dernière est certainement le facteur limitatif le plus important aux mécanismes de changement. Rarement évoquée en tant que telle, elle est principalement exprimée à travers la peur de perdre ses acquis, ainsi qu'à travers l'effort supposé que projettent ces personnes sur l'investissement personnel que laisse envisager l'entrée dans un processus de développement durable. Les valeurs éthiques de solidarité et de respect qui sont relevées par les personnes interrogées comme les points forts du développement durable s'arrêtent à celles du libéralisme économique auquel s'identifie la liberté personnelle. Pour ces personnes, le paradoxe entre leurs revendications contre la manipulation qu'exercent les pouvoirs économiques et politiques et leur réaction face à ce qu'elles identifient comme étant leur liberté ne semble pas leur poser de problème.
bull2.gif (117 octets)  Cet obstacle se retrouve indifféremment chez des personnes affichant une pensée complexe que chez celles qui ont une approche restreinte des différents aspects qui touchent au développement durable. Le “syndrome de la goutte d’eau”, vécu de manière particulièrement négative, est souvent évoqué comme une “excuse” à cette attitude de rejet. En se disant que “de toute façon, ça ne sert à rien si je suis tout seul”, la responsabilité de l’ensemble du processus est rejetée hors de l’individu. Celui-ci peut donc conserver sa bonne conscience.
bull2.gif (117 octets)  Projet d'exposition
bull2.gif (117 octets)  Dès lors, pour envisager le développement durable comme "objet" d'exposition, celui-ci doit être projeté dans la réalité quotidienne des visiteurs. Nous appuyant sur le modèle d'apprentissage allostérique (Giordan, XXX) nous avons développé différents éléments destinés à sensibiliser, concerner, déstabiliser, questionner le visiteur sur sa manière de consommer afin de l'obliger à s'impliquer personnellement, mais de manière ludique, dans une approche complexe du développement durable. Tout en offrant aux visiteurs la possibilité de confronter, de transformer, voire de dépasser leurs conceptions initiales, des éléments d'implication, basés sur une double approche de cette notion visent à favoriser le passage à l'action. Cette double approche vise, d’une part, l'implication du thème abordé par l'exposition dans la vie quotidienne du visiteur, et d’autre part, l'implication, voire l'impact que le visiteur peut avoir sur ce domaine. Ces deux approches offrent chacune des champs d’investigation différents mais complémentaires.
bull2.gif (117 octets)  Sans chercher à transmettre un savoir, la présentation muséale que nous adoptons vise à aider le visiteur à se former sa propre opinion. L’exposition n'est donc pas une fin en soi, mais bien comme un élément de départ, un support à la réflexion sur l’activité humaine.
bull2.gif (117 octets)  A ce titre nous ouvrons la muséologie à une approche beaucoup plus médiatique, voire multimédiatique, dans laquelle la discussion, le dialogue, le débat ont leur place, au même titre que l’information et la formation. Cette volonté se traduit par la conception de ce que nous définissons comme un centre de ressource, reposant sur les préoccupations, les intérêts, les connaissances, les modes de raisonnement des utilisateurs auxquels il s’adresse et que notre recherche nous a permis de mettre à jour. Dans un tel objectif, les visiteurs ont un véritable rôle à jouer. La scénographie adoptée doit leur offrir autant les moyens d’investiguer le domaine, que d’exprimer leurs opinions.
bull2.gif (117 octets)  Enfin, il ne faut pas perdre de vue qu'une exposition reste un lieu que l'on visite par plaisir, par jeu, par curiosité, sans qu'apprendre soit l'axe principal de la présentation. Il faut donc que le visiteur ait la possibilité "d'apprendre" sans que cela lui soit en quelque sorte imposé. L'impression générale qu'il gardera de sa visite sera de toute façon son plus grand acquis. Il faut donc créer un environnement scénographique qui touche émotionnellement le visiteur, tout en lui offrant la possibilité de s'informer, de s'instruire, de comprendre.
bull2.gif (117 octets)  Pour provoquer cette émotion, le visiteur doit se sentir perturbé dans ses convictions, déstabilisé dans ses croyances, tout en ayant assez de repères pour se situer, se "rassurer". Ce n'est qu'à ce prix qu'il sera réceptif au message délivré.
bull2.gif (117 octets)  Néanmoins, nous restons vigilants au fait que passer du savoir à l'action implique un processus qui n'a pas encore trouvé d'explication véritable. Il s'agit avant tout d'une affaire personnelle, faisant appel autant aux émotions, aux connaissances, à des besoins psychologiques, voire physiologiques. Ainsi, bien que notre volonté soit de permettre une implication la plus réelle possible dans ce processus, nous ne pouvons qu'offrir un environnement favorable à cette dernière, sans pouvoir en "garantir" le succès.
bull2.gif (117 octets)  Quelques références bibliographiques:
bull2.gif (117 octets)  GIORDAN, A. (1998) (2) Apprendre! Débats Belin
bull2.gif (117 octets)  GIORDAN, A. DE VECCHI, G. (1994) L’enseignement scientifique: comment faire pour que “ça marche” ?Z'éditions, Nice
bull2.gif (117 octets)  GIORDAN, A. & SOUCHON, C. (1992) Une Education pour l’Environnement, Z’éditions, Nice
bull2.gif (117 octets)  Sous la direction d'A. GIORDAN,(1996) Musées et Médias, Georg éditeur
bull2.gif (117 octets)  MORIN, E. (1999) (2) La tête bien faite, Seuil
bull2.gif (117 octets)  Sous la direction d'E. MORIN,(1999) Relier les connaissances, éd. Du Seuil
bull2.gif (117 octets)  CNUED (1993) Action 21: Déclaration de Rio sur l'environnement et le développement, Déclaration des principes relatifs aux forêts Nations Unies, New York-Genève