Biennale 5
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Parler du travail dans l'école : enjeux psychologiques, sociaux et didactiques

Auteur(s) : OUVRIER-BONNAZ Régis, REMERMIER Catherine

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bull2.gif (117 octets)   Depuis la loi d’orientation de 1989 l’information sur les enseignements et les professions est devenue un droit pour les collégiens et les lycéens. L’institution scolaire s’est donnée pour objectif de responsabiliser de plus en plus les élèves quant au choix de leur orientation et de leur avenir professionnel, ce qu’elle a traduit dans les circulaires sur l’éducation à l’orientation à partir de 1996. Les interventions suggérées dans les directives officielles et les préconisations de terrain s’inscriVent dans une logique d’acquisition de connaissances où les professions sont assimilées à des objets de savoir qu’il conviendrait de s’approprier en rectifiant au besoin les représentations erronées. La pratique de terrain montre l’impasse dans laquelle conduit cette conception. En effet, on ne peut faire comme si les professions étaient des objets neutres, réduits à un ensemble de caractéristiques, dégagés des déterminants sociaux et de la division sociale du travail. On ne peut pas faire comme si pour les adolescents tous les métiers se valaient indépendamment du prestige, du gain financier ou même de la reconnaissance de l’identité sexuelle qu’ils confèrent. Le rapport à la notion même de travail, n’est plus identique à ce qu’il était il y a dix ou quinze ans : les activités professionnelles sont de moins en moins lisibles et pour bon Parler du travail dans l'école : enjeux psychologiques, sociaux et didactiques
nombre de jeunes l’expérience familiale faisant défaut ne peut soutenir, ni alimenter réflexions, élaborations et repères à propos du travail.
bull2.gif (117 octets)  La question de la connaissance du monde professionnel est reprise ici sous l’angle de la signification sociale et de la valeur anthropologique du travail. Le projet conduit avec une classe de quatrième d'un collège classé en ZEP vise à permettre aux élèves d’élaborer un point de vue sur le travail en introduisant des questionnements, des approches différentes, de l'inattendu pour faire ensuite retour sur leur propre activité scolaire. Une collaboration avec l’équipe "analyse clinique de l'activité" du laboratoire de psychologie du travail du CNAM a permis de bénéficier de l’apport de connaissances et des questionnements de la recherche.
bull2.gif (117 octets)  La construction d'un point de vue sur le travail par les élèves
La méthodologie utilisée dans le cadre de l’analyse clinique de l’activité professionnelle, nous a semblé de nature à permettre aux élèves de saisir les enjeux qui sont à l’oeuvre dans toute activité professionnelle, la part d’investissement subjectif qu’elle requiert, et l’absence de transparence qu’elle comporte y compris pour celui qui l’exerce. La première étape vise, à travers des mises en situations variées (Photolangage, analyse de photos, étude de textes), à permettre aux élèves de confronter et de construire un point de vue sur le travail. Après chaque situation, les élèves sont invités à un travail d’écriture puis de réécriture à la suite de débats en classe. A la fin de cette première étape, chaque élève fait le point par rapport à son premier texte sur le travail : ce qu’il a découvert, ce qui l’a surpris, ce qui a changé son point de vue. Dans cette approche, les pratiques langagières et les pratiques propres à la culture écrite sont considérées comme instrument de pensée, comme moyen de transformation possible de l'élève et de son rapport au monde.
bull2.gif (117 octets)  L’analyse des productions écrites, montre une évolution dans le sens d’un enrichissement et d’une complexification de la pensée. Globalement on note une prise de conscience de la part d’implication subjective que requiert toute activité professionnelle, y compris celles qui paraissent les plus répétitives. La majorité des élèves indiquent avoir découvert quelque chose, soit relativement à la position des autres, soit par rapport aux activités proposées ; ce qui les amène à modifier plus ou moins leur point de vue. Ainsi Michel est étonné que pour certains le travail puisse être un plaisir alors qu’il l’avait lui-même défini avant tout comme une obligation. Myriam quant à elle dit avoir découvert que l’on peut associer “efforts et répétition”, sa première représentation, à l’idée de “faire ce que l’on aime”. Pour Nawel, l’évolution est encore plus nette, puisqu’elle écrit “avant le débat, je n’étais pas d’accord pour dire qu’il y avait une double face dans le travail : suivre et partir à l’aventure. Mais après j’ai compris que dans n’importe quel métier il y aurait cette double face, car en se jetant dans la vie de travail on découvre et on cherche toujours plusieurs choses”. L’étude de la syntaxe dans ces textes est également très intéressante. A la différence de Michel qui écrit de manière subie “ce qui m’a changé mon point de vue” Navel écrit “Après j’ai compris que dans n’importe quel métier il y aurait une double face”. Non seulement, la découverte est datée (avant/après), elle emploie la première personne mais son affirmation se veut de portée générale (utilisation du pronom indéfini et du conditionnel, de l’adverbe toujours).
2. L'analyse d'une activité professionnelle : un moyen d'accéder au travail réel
bull2.gif (117 octets)  La deuxième étape a porté plus précisément sur une activité professionnelle, celle de facteurs1 . Après avoir écrit comment ils se représentaient le métier de facteur, les élèves ont pu après des échanges élaborer une synthèse écrite, reflet des points de vue du groupe. Ce texte a pu être comparé à deux types de discours sur le métier : discours informatif et descriptif de l’Office national d'information sur les études et les professions (ONISEP), discours narratif d'un professionnel. Différentes manières de parler du travail ont pu ainsi être mises en évidence. Cette phase a été suivie de la projection d’un film réalisé par l’équipe de psychologie du travail du CNAM sur l’activité des facteurs. L'originalité de ce film porte non seulement sur l’enregistrement de l’activité réelle des facteurs mais également sur la confrontation à leur propre activité mettant ainsi à jour l’importance de l’implication subjective dans le travail et le caractère non transparent de l’activité pour celui qui l’exerce. L’objectif est de faire prendre conscience aux élèves de la complexité des enjeux personnels, professionnels, sociaux qui se cache derrière la manière dont tel ou tel facteur travaille. Le travail a ensuite porté sur la comparaison de trois types de textes (le texte écrit par les élèves eux-mêmes, le texte de l’Onisep, et le texte d’une employée au guichet racontant ses contacts professionnels avec l’équipe des facteurs). Cette confrontation a permis aux élèves de prendre conscience des différents types de discours possibles sur le même métier. Comparé à leur propre production, le texte de l’Onisep leur a paru plus complet, plus précis, mettant en lumière des aspects du métier qu’ils ne soupçonnaient pas mais aussi beaucoup plus abstrait. En contrepoint, le texte de la guichetière leur est apparu plus riche, plus vivant. Ainsi que l’a dit un élève “on voit le métier en face ; plus de l’intérieur”, alors que le texte de l’Onisep était perçu comme “extérieur”. De même les élèves ont repéré d’eux-mêmes la différence de positionnement de l’auteur : journaliste pour le texte informatif, professionnel pour le récit de l'employée de la poste. Un parallèle pourrait être développé entre les types de récit abordés dans cette activité et les genres de discours étudiés en classe de français. Dans un deuxième temps, une discussion en présence des chercheurs a eu lieu après la projection du film réalisé auprès des facteurs et une confrontation avec les facteurs eux-mêmes a été organisée dans la classe.
3. De l'activité professionnelle à l'activité scolaire : retour sur l'activité des élèves
bull2.gif (117 octets)  L’attitude des élèves lors de la projection a tout d’abord montré leur surprise devant le caractère non conventionnel du film. On a alors pu observer un certain nombre de comportements destinés à prendre de la distance par rapport à ce qui leur était proposé (manipulation d’objets, bavardages à voix basse, soupirs appuyés...). Pourtant le débat qui suivit montra combien leur activité ne se réduisait pas à cette représentation qu’ils donnaient d’eux-mêmes. La discussion à propos d'un facteur débutant notamment a en effet mis en lumière combien ceux qui semblaient les plus soucieux de montrer qu’ils n’étaient pas dans le “métier d’élève” avaient le mieux perçu que devenir professionnel c’était acquérir “un ensemble de manières de se tenir, de s’adresser, de commencer et de finir une activité, de la conduire à son but efficacement”. Tout ce qu’Yves Clot définit comme un genre professionnel2 : "types relativement stables d’activités socialement organisées par un milieu professionnel au travers desquels le monde de l’activité professionnelle s’accomplit, se précise, dans des formes sociales qui ne sont pas fortuites ni ponctuelles qui ont une raison d’être et une pérennité. L’existence de ces genres définit non seulement la façon dont les membres du groupe doivent se comporter dans les relations sociales mais aussi les façons de travailler acceptables".
bull2.gif (117 octets)  Il est intéressant de noter que ceux qui ne sont pas dans le “genre scolaire” perçoivent bien l’ensemble des caractéristiques qui le définissent sur le plan professionnel. Ce qui fait dire à Mohamed en parlant d'un jeune facteur “qu’il n’est pas dans le métier”. Interrogé sur ce qu’il entend par là, Mohamed va utiliser une métaphore footballistique. Pour lui le jeune facteur est assimilé à un remplaçant. Il puise dans le genre du football pour synthétiser ce qu’il a compris de la différence d’activité entre ce dernier et les autres facteurs. L'étape mise en oeuvre cette année, a pour objectif de retravailler ce que les élèves ont découvert par rapport à cette activité professionnelle pour leur propre activité scolaire. La mise en situation des élèves dans un film-vidéo réalisé sur la classe lors du visionnage du film sur les facteurs et sa projection aux élèves visent à provoquer étonnements et obstacles afin de les amener à expliciter ce qu'ils font et ne font pas, ce qu'ils ne peuvent pas faire, ce qu'ils pourraient ou souhaiteraient faire. Le film montre bien le conflit d'activités qui habite chacun des élèves. En effet, leur activité est simultanément adressée à la conseillère d'orientation-psychologue sous la forme des réponses aux questions posées, aux autres dans le développement de bavardages, de comportement d'agitation, à soi même lors de la prise de notes. La prise de conscience de l'interaction entre ses différentes activités devrait faciliter un retour sur ce que chacun fait réellement en classe.
4. Analyse critique et perspective.
bull2.gif (117 octets)  Un ensemble de questions est posé à propos du recours à l’écriture. Il est clair que pour les élèves savoir qu’on devra écrire pendant ou à la fin de la séquence inscrit la démarche dans un contexte particulier qui les interroge sur le genre d’écriture requis. A la différence du recours à l’écrit dans les disciplines et à fortiori pendant le cours de français, les élèves ne disposent pas de repères sur “le genre” de texte à écrire durant ces séquences. Selon Bakthine “ce que le sujet veut dire se réalise plus ou moins bien dans le choix d’un genre car nous moulons notre parole dans des formes précises de genres standardisés, stéréotypés, plus ou moins souples ou créatifs. Ces genres sont les parlés sociaux en usage dans une situation”3. Si le langage est une sorte d’instrument psychologique qui aide le sujet à percevoir et à conceptualiser la réalité, il convient d’apporter davantage de rigueur dans la définition des types de textes demandés aux élèves.
bull2.gif (117 octets)  L’objectif de cette action visait à amener les élèves à s’interroger sur le travail en tant qu’activité impliquant la maîtrise d’un certain nombre de techniques, et en tant qu’activité sociale et subjective. En sollicitant le déplacement des points de vue par rapport à l’activité professionnelle et en confrontant les élèves à leur activité, on a fait l’hypothèse de l’émergence d’une dynamique qui leur permettrait de “bouger” dans leur rapport à leur propre activité scolaire et à eux-mêmes. Les premiers bilans montrent une évolution certaine du rapport des élèves au travail au travers des productions écrites. Les déplacements opérés dans la compréhension de leur propre activité ont-ils été suffisants pour permettre un réel retour sur l'activité scolaire ? Le questionnement reste ouvert.
ref : 1 Cette activité a été choisie parce qu'elle fait l'objet d'un travail de recherche du laboratoire de psychologie du travail du CNAM
2 Clot Y. De Vygotski à Léontiev, via Bakthine in Y. Clot (dir) Avec Vygotski, Paris, La Dispute,1999, p.165-185.
3 Bakhtine M. Esthétique de la création verbale, Paris, Gallimard, 1984