Biennale 5
logo INRP (3488 octets)

Les systèmes manuels : l’exemple des manuels de gÉographie de la classe de seconde publiÉs depuis 1980.

Auteur(s) : NICLOT Daniel

Lobi89.gif (730 octets)

retour au résumé


bull2.gif (117 octets)   Le manuel scolaire de géographie a une triple fonction : outil destiné aux apprentissages autonomes des élèves, il est aussi un instrument d’enseignement pour le professeur en classe et un médium par lequel les enseignants s’informent sur les évolutions des programmes, des savoirs et des méthodes. Cette communication, qui se réfère à un corpus de 24 manuels de géographie de la classe de seconde publiés entre 1981 et 1996, étudie les réponses des différentes générations d’ouvrages scolaires à ces attentes ainsi que leurs évolutions et vise à décrire les logiques qui les sous - tendent.
bull2.gif (117 octets)  La professionnalisation des manuels :
bull2.gif (117 octets)  Dans les éditions de 1981, un seul ouvrage de géographie de la classe de seconde sur les huit publiés comporte des pages d’activités d’élèves. Les sept autres proposent uniquement des exposés de savoirs factuels, plus rarement notionnels, sur les sujets d’étude du programme. Ils refusent, comme le déclarent certains des avants - propos, d’intervenir dans le domaine des activités au prétexte de ne pas empiéter sur la liberté pédagogique des enseignants. Dans les ouvrages scolaires de géographie édités en 1987, les pages d’activités destinées aux élèves se généralisent. Dans les éditions de 1996, les pages d’exercices de nature diverse comptent pour près du tiers de la pagination moyenne des ouvrages, soit une proportion pratiquement égale à celle des pages consacrées à l’exposé du “ cours ”, le dernier tiers étant constitué de pages documentaires. Parallèlement certains ouvrages présentent des problématiques ou proposent des documents pour les faire élaborer par des élèves, des auto - évaluations, des conseils méthodologiques ou des développements de nature métacognitive.
bull2.gif (117 octets)  Durant cette période d’une quinzaine d’années, les manuels ont non seulement changé de nature en entrant dans la “ sphère ” des apprentissages d’élèves et en limitant le volume de l’exposé des savoirs propositionnels, mais ils se sont modifiés sur le plan formel. Ils ont adopté les procédés typographiques mais aussi l’esthétique iconographique propres aux médias. R. de la Borderie remarque que dans les ouvrages scolaires récents , “ à l’instar du journal, le texte est traité comme une image se prêtant à une lecture globale ( appréhender la page d’un seul regard ) ou sélective ( sélectionner ou prélever les informations capitales par le jeu des titres et des intertitres ) ”. De même, les photographies monochromes disparaissent à partir des éditions de 1986 au profit de photographies en couleur d’une qualité technique irréprochable reproduites en grand format.
bull2.gif (117 octets)  Ces transformations radicales peuvent être interprétées comme une “ professionnalisation ” des manuels scolaires. Le manuel “ professionnel ” est celui qui ne se limite plus à l’exposé de savoirs illustré de documents, mais celui qui restitue les pratiques quotidiennes, ordinaire pourrait - on dire, de l’enseignant dans sa classe, celui qui ne se consacre plus uniquement à l’enseignement d’une discipline scolaire mais a le souci des apprentissages et d’offrir aux enseignants des documents de bonne qualité pour qu’ils puissent pratiquer une pédagogie centrée sur les élèves.

bull2.gif (117 octets)  Paradoxalement, cette professionnalisation des manuels de géographie de la classe de seconde, qui est en fait une manifestation de la nécessité d’adapter les manuels scolaires aux évolutions des élèves et de l’enseignement, a eu des effets pervers qui ont été dénoncés y compris dans les médias. En raison de l’émiettement de la structure des chapitres scindés en différentes unités éditoriales ( problématique, double page cours - documents, exercices, évaluations ) et de la remise en cause de la structure linéaire au profit d’une lecture en réseau avec l’introduction dans le texte du cours de nombreux débrayages énonciatifs ( renvois aux documents, au lexique, à des pages méthodologiques...) les manuels sont devenus plus difficiles à utiliser par les élèves.
bull2.gif (117 octets)  Ces évolutions amènent l’Inspection générale de l’Education nationale à se poser les questions suivantes un récent rapport :
les élèves comprennent - ils vraiment les manuels ?
à qui sont vraiment destinés les ouvrages scolaires ?
la forme n’a-t-elle pas pris le pas sur les contenus ?
bull2.gif (117 octets)  SYSTEMES MANUELS
bull2.gif (117 octets)  Analyser les évolutions des manuels scolaires, produits d’une société et d’une époque, c’est entrer dans la complexité. L’analyse systémique qui “ s’oppose par principe aux pensées stratifiées, hiérarchiques ” et à la recherche de causes premières, mais se fonde sur la pensée circulaire et les interactions, est un outil pertinent pour mener cette étude. Si on l’applique à l’analyse des manuels, il est possible de considérer que les savoirs propositionnels ( le “ cours ” ), les divers types de documents, les activités, regroupés en unités éditoriales, constituent autant d’éléments en interaction “ dynamique ”, qui s’organisent en fonction d’un objectif principal, les apprentissages des élèves.
bull2.gif (117 octets)  Le système manuel peut être considéré comme un système ouvert “ en relation permanente avec son environnement, il échange énergie, matière, informations utilisés dans le maintien de son organisation contre la dégradation qu’exerce le temps ”. Dans les systèmes manuels, les flux sont constitués par des informations d’origines diverses. Elles sont issues des savoirs savants, géographiques, didactiques, pédagogiques, ce sont aussi des informations sur les évolutions du monde et des sociétés ou en provenance de l’institution, par l’intermédiaire des programmes notamment. Quant aux sorties, ce sont celles des savoirs qui ont perdu de leur utilité sociale ou éducative, des savoirs périmés qui correspondent à des conceptions épistémologiques dépassées, par exemple. Il est cependant à noter que des effets de latence existent. La circulation d’informations ne renouvelle pas immédiatement les “ stocks ” : des informations anciennes subsistent sous forme de “ mémoire ”. Dans les systèmes manuels étudiés ce sont des documents traditionnels reproduits d’une génération d’ouvrage à l’autre ou des conceptions épistémologiques traditionnelles qui ont perdu de leur pertinence. On peut penser par exemple à certaines formes de déterminisme physique qui continuent de transparaître ou à certains “ documents canoniques ” ( pyramide des âges, coupes géologiques de cuestas...) qui figurent dans des manuels récents, alors que les évolutions du programme ne justifient plus leur présence.
bull2.gif (117 octets)  Au sein des systèmes manuels, l’équilibre, qui n’exclut évidemment pas de fortes tensions, voire des contradictions, se réalise sur le plan quantitatif. Comme le nombre de pages des ouvrages est limité, l’apparition d’un nouvel élément se traduit mécaniquement par le recul d’un autre. Il s’effectue aussi sur le plan qualitatif, celui de la nature des contenus éducatifs. Les choix épistémologiques réalisés par les auteurs d’ouvrages scolaires induisent des logiques internes au système manuel. Les analyses montrent qu’un manuel centré sur une géographie “ horizontale ”, qui étudie l’espace des sociétés, propose beaucoup de photographies consacrées aux villes, aux espaces industriels ou tertiaires, mais aussi des modèles et des schémas d’organisation de l’espace et peu de vues de paysages “ naturels ”, peu de diagrammes ombrothermiques ou de coupes géologiques, autant de documents adaptés au paradigme des relations entre les hommes et le milieu.
bull2.gif (117 octets)  Ainsi, les critiques adressées ces dernières années aux manuels peuvent être interprétées comme processus de rétroaction négative. Que leur reprochent - elles fondamentalement ? D’accorder une trop grande place aux documents et aux activités et de ne plus exposer de savoirs de référence pour les élèves. Ce jugement, qui bien sûr peut être contesté, est bien produit par des “ informations sur les résultats d’une transformation ” du système manuel, qui visent à établir un nouvel équilibre et à modifier le système lors des prochaines éditions.

bull2.gif (117 octets)  Les systèmes manuels évoluent, selon des rythmes plus ou moins rapides, sous l’action des transformations d’autres systèmes avec lesquels ils sont en connexion. Dans cette perspective, trois “ métasystèmes ” qui conditionnent les évolutions des systèmes manuels peuvent être identifiés : le système scolaire, le système des savoirs savant et le système éditorial.
bull2.gif (117 octets)  Le système des savoirs savants géographiques, didactiques et pédagogiques a un rôle moteur dans les transformations des systèmes manuels. La rupture épistémologique issue de la géographie savante qui se produit dans la géographie enseignée avec la parution du programme de 1981 est responsable de la transformation du contenu des manuels scolaires. La géographie générale est abandonnée au profit d’une compréhension de la mise en valeur de la planète par les hommes et les sociétés. De même, les apports de la recherche en pédagogie et en didactique de la géographie ont eu un rôle décisif dans le processus de professionnalisation des manuels. Le système scolaire, quant à lui, peut être défini comme l’ensemble des règles institutionnelles concernant l’organisation de l’école, les horaires, les programmes, les évaluations et les examens. L’introduction de l’enseignement modulaire en histoire - géographie en classe de seconde en 1992 s’est traduit par l’apparition de pages qui proposent des “ modules ” dans la plupart des manuels publiés en 1996, accroissant ainsi le nombre de pages d’activités d’élèves. Le système éditorial enfin, intégré au système économique et régit par la logique de l’économie libérale, celle des entreprises privées, est le troisième système en connexion directe avec les manuels. La concurrence qui existe entre les éditeurs afin d’obtenir des parts de marché les plus importantes les amènent, par exemple, à adopter une innovation considérée comme importante dans le succès commercial d’un manuel. Elle est alors transformée en “ norme éditoriale ” reprise par tous les ouvrages, comme ce fut le cas, par exemple, de la généralisation des doubles page cours - documents.
bull2.gif (117 octets)  Conclusion
bull2.gif (117 octets)  Les évolutions décrites pour les manuels de géographie de la classe de seconde s’observent aussi pour les manuels des autres classes et des autres disciplines, ceux d’histoire, de sciences de la vie et de la Terre ou de Lettres par exemple. Ce constat n’est guère étonnant : le manuel scolaire est un médium de “ communication sociale ” et à ce titre, les systèmes manuels de toutes les disciplines scolaires sont soumis aux même contraintes que les ouvrages de géographie étudiés car ils sont en connexion avec les mêmes systèmes. Une meilleure connaissance du “ fonctionnement ” des systèmes manuels semble être une condition nécessaire à une utilisation plus pertinente de cet outil par les enseignants, mais surtout d’une adéquation plus forte aux besoins des élèves.