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Modèles éducatifs des familles d’origine comorienne vivant à Marseille : première approche

Auteur(s) : MOREAU Alain

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bull2.gif (117 octets)   On compte à Marseille environ 40.000 Comoriens (leur nombre est mal connu). Cette population est fortement attachée à son pays d’origine et le mouvement associatif y est très important ; il est organisé autour du quartier d’habitation, de l’origine villageoise, ou motivé encore par des préoccupations culturelles (Delafontaine, 1998). Globalement, il s’agit d’une communauté aux liens sociaux fortement structurés, relevant d’une société de type collectiviste, et qui, dans un contexte “ d’émigration-immigration ”, tente de maintenir vivantes ses traditions. L’islam y demeure une solide valeur de référence. Au total, ses membres, enfants et adolescents compris, sont l’objet d’un fort contrôle social de la part de la communauté d’appartenance.
bull2.gif (117 octets)  Par ailleurs, à Marseille, si la population d’origine algérienne (ou plus largement maghrébine) a donné lieu à de multiples études, la communauté d’origine comorienne demeure encore mal connue. Dans le travail présent, on s’est attaché à étudier l’éducation des adolescents et adolescentes telle qu’elle est donnée par les familles, en partant d’une approche théorique et d’un modèle élaborés pour étudier les adolescents de milieu populaire vivant à Marseille, qu’ils soient d’origine française ou d’origine algérienne (A. Moreau, 1997, 1998 ; A. Schleyer-Lindenmann, 1997). On touche là, d’ailleurs, les limites de cette première approche qui a seulement valeur exploratoire. Elle permettra de situer l’éducation familiale des adolescents d’origine comorienne, en comparaison avec ce que nous savons d’adolescents relevant d’autres origines, mais vivant, au quotidien, dans un même contexte local, celui de l’espace urbain marseillais, dont on sait qu’il offre des qualités remarquables en matière d’intégration (J. Cesari, A. Moreau et A. Schleyer-Lindenmann, 2000 ; à paraître).
bull2.gif (117 octets)  L’APPREHENSION DU SYSTEME EDUCATIF FAMILIAL
bull2.gif (117 octets)  En s’appuyant sur les travaux de J. Lautrey (1980) et A. Moreau (1989), on peut rendre compte du système éducatif d’une famille, en recueillant trois types de données : d’abord il faut connaître le système des pratiques éducatives, c’est-à-dire comment les parents procèdent concrètement avec leurs enfants dans les situations de la vie quotidienne. Ici, en référence à la manière dont une règle peut être appliquée à une situation donnée, on distinguera les pratiques selon qu’elles sont de type rigide, souple, ou faible, Ensuite, il faut connaître les principes éducatifs qui guident les parents dans leurs pratiques à l’égard de l’enfant ou de l’adolescent. Enfin, il faut déterminer les valeurs qu’ils souhaitent inculquer à ce dernier.
bull2.gif (117 octets)  ECHANTILLON ET METHODE
bull2.gif (117 octets)  Les données ont été recueillies par questionnaire auprès d’un échantillon de 86 jeunes d’origine comorienne, scolarisés, pour la plupart, en classes de quatrième et troisième de collège, ou en seconde de lycée. Au total, l’échantillon est composé de 48 adolescents et de 38 adolescentes d’un âge moyen de 15 ans et demi. Près de 72% d’entre eux sont nés en France métropolitaine, le plus souvent à Marseille. 94% habitent la cité phocéenne depuis au moins cinq ans ; la majorité (95,1%) vit dans de grandes cités d’immeubles situés dans “ les quartiers Nord ” de la ville, qui sont des quartiers populaires à faible niveau socio-économique.
bull2.gif (117 octets)  QUELQUES RESULTATS
bull2.gif (117 octets)  Les résultats seront présentés par comparaison avec un échantillon de 69 adolescent(e)s d’origine algérienne, d’âge équivalent, et vivant à Marseille dans les mêmes quartiers ou des quartiers similaires (Moreau, 1997, 1998).
bull2.gif (117 octets)  Les pratiques éducatives
15 situations “ éducatives ” de la vie quotidienne étaient évaluées au travers de 15 questions à choix multiple, chaque question offrant trois réponses. Celles-ci correspondaient respectivement à une pratique parentale de type rigide, souple, ou faible. Comme le montre le Tableau 1, chez les familles comoriennes, il existe une tendance très significative à avoir plus de pratiques de type rigide (t=3,15 ; p=.002) et moins de pratiques de type faible (t=2,80 ; p=.006) que les familles d’origine algérienne.
bull2.gif (117 octets)  Tableau 1
bull2.gif (117 octets)  Fréquence des types de pratique
bull2.gif (117 octets)  SELon de l’origine
 

Origine comorienne

Origine algérienne

Pratiques de

Moyenne

Ecart-type

Moyenne

Ecart-type

Type rigide

3,59

2,33

2,54

1,69

Type souple

5,85

2,23

5,68

2,33

Type faible

5,46

2,67

6,74

2,99


Tableau 2
Fréquence des types de controle educatif
selon l’origine
 

Origine comorienne

Origine algérienne

Type de contrôle :

Effectif

%

Effectif

%

Contrôle Educatif
Volontaire (CEV)

74

86,05

51

73,91

Contrôle Educatif Faible (CEF)

12

13,95

18

26,09

Total

86

100

69

100


bull2.gif (117 octets)  Cette tendance est confirmée si l’on dichotomise les familles selon le type de contrôle éducatif dominant qu’elles exercent. Ainsi, on dira qu’une famille exerce un Contrôle Educatif Faible (CEF), si sur les 15 questions proposées, elle fournit 9 réponses de type faible ou plus. Dans les autres cas, qui se traduisent souvent par une dominante de pratiques de type rigide ou souple, on dira qu’elle exerce un Contrôle Educatif Volontaire (CEV). Sur cette base de répartition, le Tableau 2 confirme qu’il existe une tendance à ce que les familles d’origine comorienne soient plus nombreuses (86% vs 73,9%) à pratiquer un Contrôle Educatif Volontaire (chi-carré = 3,61 ; p=.057).
bull2.gif (117 octets)  Pour conclure, à titre d’exemple, citons les situations où le pourcentage de pratiques de type faible est significativement beaucoup moins élevé chez les familles d’origine comorienne que chez celles d’origine algérienne : -la politesse à la maison, -bien manger aux repas, -parler à table, -choix des émissions de T.V., -faire son lit, -écouter de la musique chez soi.
bull2.gif (117 octets)  Les principes éducatifs
bull2.gif (117 octets)  Les adolescents devaient choisir, par ordre hiérarchique décroissant, dans une liste de huit principes éducatifs, les trois les plus utilisés par leurs parents :Ils me font confiance -Ils me récompensent chaque fois que je fais bien et me punissent lorsque je fais mal -Ils ont une discipline sévère -Ils tiennent à me donner l'exemple -Ils surveillent le plus possible ce que je fais -Ils me laissent beaucoup de responsabilités -Ils cherchent à me préserver des mauvaises fréquentations -Ils me laissent beaucoup de liberté. Pour chaque adolescent, on affectait 3 points au principe classé en premier, 2 points à celui classé en second, etc. Au sein d’un groupe d’origine donné, on peut alors calculer la moyenne obtenue par chaque principe.
bull2.gif (117 octets)  Pour l’origine comorienne, deux principes se dégagent : Me préserver des mauvaises fréquentations (m=1,55), Me faire confiance (m=1,54). Me donner l’exemple arrive ensuite, avec un score bien plus faible (m=0,79). Pour l’origine algérienne, c’est Me faire confiance (m’=1,80) qui vient nettement en tête, suivi par Me préserver des mauvaises fréquentations (m’=1,32) et Me laisser beaucoup de responsabilité (m’=0,96) qui arrive à la troisième place. C’est pour ce dernier principe que la différence est significative selon l’origine (t=2,47 ; p=.026), le score étant de m=0,59 pour les comoriens. Elle l’est encore (t=2,52 ; p=.013) pour Me laisser beaucoup de liberté (m=0,13 vs m’=0,37), principe moins retenu par les deux groupes.
bull2.gif (117 octets)  Les valeurs transmises
bull2.gif (117 octets)  Les adolescents devaient choisir, par ordre hiérarchique décroissant, dans une liste de quinze valeurs, les cinq sur lesquelles leurs parents insistent plus particulièrement. On a traité les données de la même manière que pour les principes éducatifs, en affectant un score de 5 points pour la valeur retenue en premier, 4 points pour celle retenue en second, etc. Les résultats obtenus sont portés dans le Tableau 3.
bull2.gif (117 octets)  De part et d’autre, c’est un même ensemble de huit valeurs qui est globalement jugé important. Les différences sont statistiquement significatives pour deux d’entre elles : La propreté, plus choisie du côté de l’origine algérienne, Le respect de la religion qui arrive en tête dans la communauté comorienne avec un score massif (m=3,35) ; plus d’un adolescent sur deux la place au premier rang. L’immense importance de l’islam dans la communauté comorienne est ici confirmée.
TABLEAU 3 : VALEURS TRANSMISES SELON L'ORIGINE
 

Origine comorienne

 

Origine algérienne

Rang

Valeur

m

Valeur

m'

1

Respect
de la religion

3,35

Politesse

2,22

2

Politesse

2,12

Propreté

1,99

3

Obéissance

1,67

Honnêteté

1,74

4

Honnêteté

1,63

Respect
de la religion

1,71

5

Bien travailler
à l’école

1,43

Obéissance

1,56

6

Propreté

1,43

Bien travailler
à l'école

1,54

7

Respect des

aînés et des vieux

0,93

Respect des

aînés et des vieux

1,33

 

8

Esprit de famille

0,93

Esprit de famille

0,93

9

Générosité

0,60

Générosité

0,72

10

Respect des

origines familiales

0,51

Respect des

origines familiales

0,39

11

Persévérance

0,20

Sens de l'honneur

0,30

12

Sens de l'honneur

0,16

Persévérance

0,13

13

Indépendance

0,05

Esprit critique

0,13

14

Curiosité

0,01

Curiosité

0,13

15

Esprit critique

0,00

Indépendance

0,10


bull2.gif (117 octets)  CONCLUSION PROVISOIRE
bull2.gif (117 octets)  Au total, de l’ensemble des données recueillies, il ressort que les familles d’origine comorienne exercent un plus grand contrôle sur les enfants et adolescent(e)s que les familles d’origine algérienne. Ce contrôle couvre la plupart des activités quotidiennes de l’adolescent, à qui il reste peu d’espace de liberté et peu de possibilité d’exercer des prises de responsabilité. Ce système éducatif semble peu propice au développement de l’autonomie des jeunes qui semblent demeurer très dépendants des adultes, et ce, jusqu’à un âge avancé. Leur sentiment élevé d’appartenance à la communauté d’origine (Moreau, 1999), leur grand respect de l’islam, religion à forte valeur orthopraxique tant dans les espaces privés que publics, et le sévère contrôle social exercé à leur égard par les adultes, semblent expliquer pourquoi ils ont la réputation d’être paisibles, peu enclins à la révolte, comme au passage à l’acte délictueux, et, finalement, pourquoi ils n’ont guère de visibilité sociale