Biennale 5
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Peut-on définir de façon opérationnelle le concept de compétence à l’enseignement primaire ?

Auteur(s) : MIFFRE Léon

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bull2.gif (117 octets)   La compétence fondamentale qui est effectivement mobilisée dans l’exercice du métier de professeur des écoles n’a pas été suffisamment explicitée pour pouvoir devenir l’objet d’un apprentissage réfléchi et volontaire ; celle-ci ne saurait en effet consister, comme semblent le présupposer la formation initiale et la formation continue, en une juxtaposition de compétences didactiques auxquelles viendraient se surajouter des connaissances psychologiques et des savoir-faire liés à la conduite de la classe.
bull2.gif (117 octets)  Le problème est de savoir comment il convient de procéder pour expliciter de façon opérationnelle, c'est-à-dire de façon reproductible, une compétence fondamentale qui est incorporée aux tâches effectives d’enseignement.
1 La signification du terme opérationnel et les modalités de son utilisation :
bull2.gif (117 octets)  Le projet de vouloir opérationnaliser le concept de compétence semble devoir être voué à l’échec. La définition opérationnelle des objectifs a été élaborée avec l’intention de ne prendre en compte que les observables. Or l’analyse des compétences conduit inévitablement à s’intéresser à l’activité cognitive qui est par nature inobservable. Le terme d’opérationnel a été néanmoins choisi pour indiquer que les observables constituent le point de départ de toutes nos investigations, que nous avons l’intention de nous appuyer sur des règles d’analyse qui puissent être réutilisées par d’autres, que les trois points de vue généralement présupposés par une définition de l’objectif seront l’objet d’un travail d’explicitation: point de vue de la tâche lorsqu’il est dit que la représentation anticipée des comportements doit permettre de savoir si l’élève a atteint le but visé, point de vue de l’activité de l’élève lorsqu’il est affirmé que le maître doit se donner les moyens de juger du degré de réalisation de l’objectif, point de vue des interactions de tutelle lorsqu’on s’attache à décrire les conditions à partir desquelles cet objectif a été maîtrisé. Ces trois points de vue nous paraissent pouvoir être réutilisés pour définir en quoi consiste la compétence fondamentale d’un professeur des écoles.
bull2.gif (117 octets)  Un professeur des écoles est compétent lorsqu’il dispose des connaissances qui lui permettent : - 1 de concevoir et de mettre en œuvre une tâche d’apprentissage motivante et suffisamment complexe sans toutefois dépasser les possibilités des élèves ; - 2 de se représenter de façon anticipée les caractéristiques de l’activité de l’élève, d’observer et de comprendre sa façon d’entrer en interaction avec la tâche ; - 3 d’entrer en interaction avec l’élève pour qu’il entre en interaction avec la tâche et s’engage dans le processus d’apprentissage.
bull2.gif (117 octets)  Les compétences de l’enseignant et de l’élève sont analysées à partir d’un schéma ou d’un modèle d’enseignement prédominant. Celui-ci est une “ représentation schématique mettant en évidence des éléments considérés comme pertinents, leurs fonctions et la structure de leurs relations. ” (Bain et Scheuwly p 53); il présuppose un modèle de la tâche et un modèle de l’activité de l’élève.
2 Compétence fondamentale à l’enseignement primaire.
2.1: Compétences relatives à la maîtrise d’un modèle de la tâche :
bull2.gif (117 octets)  Ce modèle a pour fonction de faire appréhender l’organisation schématique de la tâche ; les modalités de cette organisation ne dépendent pas du contenu enseigné mais de l’âge de l’élève et de l’intention pédagogique de l’enseignant.
2.1.1: Moments et sous moments en fonction du niveau d’analyse :
bull2.gif (117 octets)  Une tâche effective, qui est une unité d’enseignement que nous désignons par le terme de progression (PP.), a été organisée pour que l’élève soit progressivement conduit à transformer la ou les compétences qu’il a initialement engagée(s). Une tâche comprend un ou plusieurs moments (M): un moment correspond à une unité d’apprentissage de la compétence; il a pour fonction de faire passer d’un état de compétence à un autre état de compétence. Un moment est décomposable en quatre sous moments possibles qui remplissent les fonctions suivantes : faire appréhender le but et les conditions de sa réalisation; se représenter les actions qui sont à effectuer; passer à la mise à exécution; procéder à une évaluation qui permet de juger du degré de maîtrise et de prendre conscience des moyens utilisés; les deux premiers moments ne sont pas toujours explicités. Un moment a pour fonction de mobiliser une compétence de l’élève, de lui faire constater son insuffisance, de lui faire prendre conscience des moyens qui sont à utiliser et de l’inciter à une nouvelle mise en œuvre de la compétence ainsi transformée pour qu’il puisse reconnaître qu’il a atteint le degré de maîtrise demandé ou qu’il est encore dans la nécessité de réinvestir cette compétence dans une autre mise à exécution. etc.
bull2.gif (117 octets)  Les limites de chaque unité sont fixées par la consigne de cette unité ; la consigne donne en effet des indications sur le début de ce qui est à faire par l’énoncé des conditions et sur le terme par l’indication des résultats à atteindre.
bull2.gif (117 octets)  Lorsque la décomposition hiérarchique n’est plus possible, l’analyste se trouve en présence d’une unité de base. S’il poursuit l’analyse des observables, il identifie les variables constitutives de l’unité de base de l’acte d’enseigner. Une intervention de tutelle (I) met en relation trois variables observables: action du maître (Am), action de l’élève (Aé), résultat (R), auxquelles peuvent être rattachées une ou à plusieurs interactions “ élève-élève ” (cf. variante de SM).
bull2.gif (117 octets)  A un même niveau d’analyse, toutes ces unités s’enchaînent selon le principe suivant: le résultat de l’unité qui précède entre dans la constitution du référent de l’unité qui suit.
bull2.gif (117 octets)  La décomposition hiérarchique peut être présentée sous la forme de règles de réécriture:
bull2.gif (117 octets)  Niveau 1:
bull2.gif (117 octets)  PP ---> M
bull2.gif (117 octets)  PP (ou SPP) --> M + M + M + etc.
bull2.gif (117 octets)  Niveau 2:
bull2.gif (117 octets)  M --> SM + SM + SM ...
bull2.gif (117 octets)  Niveau 3:
bull2.gif (117 octets)  SM---> SSM + SSM etc.
bull2.gif (117 octets)  SM---> I’
bull2.gif (117 octets)  SM ---> I ’’ + I’’ + I ’’ + etc.
bull2.gif (117 octets)  Variante de SM ---> (I’’ + Aé + Aé+ etc.) + (I’’+ Aé + Aé) + etc.
bull2.gif (117 octets)  Niveau 4:
bull2.gif (117 octets)  SSM ---> I’’ + I’’ + I’’ + etc.
bull2.gif (117 octets)  Niveau 5:
1) I ‘ ----> Am + Aé + R
2) I’’ ---> (Am + Aé + R) + (Am + Ae + R)
bull2.gif (117 octets)  Variante de SM---> I + Aé + Aé ----> (Am + Aé + R) + Aé + Aé + etc.
2.1.2 Les variables d’une unité de base:
bull2.gif (117 octets)  Elles sont définies à partir de trois catégories d’observables (Am + Aé + R).
bull2.gif (117 octets)  L'action du maître (Am) a tout d’abord pour fonction de mettre en place la situation d’apprentissage ; celle-ci est définie comme un système fonctionnel apprenant-tâche d’apprentissage ( Hoc, 1987 p.21). La tâche d’apprentissage désigne l’apprentissage que l’apprenant effectue lorsqu’il fait ce que le maître lui demande de faire dans des conditions déterminées. Les conditions (cond.) définissent les données que le maître doit faire appréhender pour que l’élève puisse mettre en œuvre la consigne. elles se récrivent ainsi: cond. ---> ré. + exig. Le référent (ré.) indique les données présentes ou représentées sur lesquelles s'applique la consigne; il s’inscrit sans un contexte social et culturel plus ou moins complexe qui en précise la signification et la portée. Les exigences (exig.) désignent les contraintes imposées par la tâche.
bull2.gif (117 octets)  L’action du maître a ensuite pour fonction de mettre en œuvre la relation de tutelle par l’énoncé d’une consigne et, la plupart du temps, par le déroulement d’un questionnement. La consigne (cons.) est l’énoncé d’un but que l’élève doit atteindre en prenant en compte les conditions. Le questionnement consiste en un enchaînement de demandes particulières (ou énoncés: énon.) que le maître formule en vue d'aider l’élève dans la réalisation et la compréhension de la tâche. Une action de l'élève (Aé) est le comportement qu’il manifeste en situation d’apprentissage en réaction à une intervention du maître. Le résultat (R) est la conséquence de l’action de l’élève ; il peut être intermédiaire (Ri) ou terminal (Rt).
bull2.gif (117 octets)  On peut proposer les règles de réécriture suivantes:
bull2.gif (117 octets)  Dans I’ Am ---> ré. (+ énoncé facultatif) + exig.. (+ énon.fac) . + cons.(+ énon. fac.)
bull2.gif (117 octets)  Dans I’’ Am ---> ré. (+ énon. fac) + exig.. (+ énon. fac) . + cons.(+ énon. fac.) + énon.
bull2.gif (117 octets)  Aé : pas de réécriture proposée.
bull2.gif (117 octets)  R----> Ri ou Rt.
2.2: Compétences relatives à la maîtrise d’un modèle de l’activité d’apprentissage de l’élève.
bull2.gif (117 octets)  Ce modèle a pour objet de prévoir les compétences mobilisées par les élèves, de les identifier et de décrire le fonctionnement cognitif de ceux ci.
bull2.gif (117 octets)  Le dispositif de base pour l’analyse de la compétence de l’élève est le moment. Il fait apparaître les états de compétence parcourus par l’élève avant de parvenir à un état final de compétence qui correspond plus ou moins bien à celui qui est attendu ; les sous-moments donnent des indications sur la transformation des états de compétence.
bull2.gif (117 octets)  Les compétences de l’élève sont analysées en fonction de structures de connaissances qui reposent , selon la question traitée et le niveau de maîtrise de l’élève, sur des relations de type parties-tout ou sur des relation d’inclusion de classe. (JF Richard, p.208) Ces structures se manifestent par des procédures qui peuvent être classées en fonction de l’habileté qu’elles dénotent: plus ou moins grande maîtrise de processus automatiques, qui libèrent ou non l’attention, prise de conscience des opérations de contrôle, choix stratégiques (Fayol, Monteil, 1994) .
bull2.gif (117 octets)  L’enseignant, qui observe les actions observables de l’élève, les interprète en fonction de deux variables définies par Bloom (1979): le comportement cognitif et les caractéristiques affectives de l’élève. Il décrit le fonctionnement cognitif de l’élève lors du passage d’un état de compétence à un autre, il essaye de comprendre comment l’élève - appréhende le but et les exigences de la tâche, - mobilise ses connaissances et élabore un ensemble de représentations relatives à la tâche à réaliser, - exécute la tâche et contrôle son activité, - évalue avec le maître le travail effectué et revient sur la procédure utilisée pour en prendre conscience. Il comprend aussi comment des échecs répétés perturbent le fonctionnement cognitif de l’élève, accroissent les difficultés inhérentes aux processus de prise de conscience, inhibent le besoin d’autodétermination et génèrent un sentiment de sous estime de soi.
2.3: compétences relatives à la maîtrise des interactions de tutelle :
bull2.gif (117 octets)  La relation de tutelle a pour fonction de transformer les compétences de l’élève ; elle le fait en aidant l’élève à contrôler les opérations d’assimilation et d’accommodation qui sont induites par la situation d’apprentissage de référence. La régulation de l’élève est rendue possible par l’étayage de l’enseignant. Celui-ci agit en se conformant au processus de transformation d’une compétence : phase 1 : identification du but ; phase 2: mobilisation des connaissances et planification; phase 3 : mise à exécution et contrôle; phase 4 : évaluation et pris de conscience des moyens. Il organise un questionnement en se laissant lui-même guider par les trois opérations caractéristiques de la régulation : anticiper, contrôler, ajuster (cf. L Allal et M Saada-Robert p. 280). Il aide l’élève à - se représenter le but, à s’assurer que la représentation qu’il en a correspond à celle qui lui est demandée, et à transformer, si nécessaire, sa représentation (cf. phase 1) ; - à planifier, à vérifier la pertinence de sa planification selon qu’elle permet ou non de parvenir au résultat, et à améliorer, si nécessaire, l’organisation de ses représentations (cf. phase 2) ; - à s’engager dans l’action en fonction d’une idée directrice, à vérifier si cette idée conduit au résultat attendu et à procéder à d’éventuelles transformations (cf. phase 3) ; - à se demander si ce qu’il a fait correspond à ce qu’il devait faire, à vérifier si des divergences apparaissent et à procéder, si besoin, à des remédiations (cf. phase 4).
bull2.gif (117 octets)  Le maître organise l’étayage de la régulation de l’élève en se référant au schéma d’enseignement ; ce faisant, l’élève apprend le schéma d’apprentissage qui lui correspond. Sans ce schéma, l’élève ne saurait être guidé ; il ne saurait suivre et comprendre la signification d’un questionnement et a fortiori prendre conscience des moyens utilisés. Petit à petit, le schéma d’enseignement et le schéma d’apprentissage aboutissent à la mise en place de formats. Pour Bruner, un format est un “ microcosme régi par des règles et dans lequel l’adulte et l’enfant interagissent. ” (1984, p. 22). Comme les formats prélinguistiques, les formats pédagogiques se répètent ; ils ont un “ référent sur lequel les deux participants doivent conjointement focaliser leur attention. ” (1987a, p 110). Maître et élève y ont une connaissance partagée qui fonde la relation d’intersubjectivité. L’enfant y apprend les règles de la communication pédagogique et les rôles du métier d’écolier.
bull2.gif (117 octets)  Les formats pédagogiques ne remplissent cependant qu’une fonction d’étayage ; ils rendent possible l’organisation d’un dispositif de base ; celui-ci est constitué d’une suite d’unités qui correspondent à un enchaînement d’unité d’interactions représentatives ; grâce à ce dispositif, l’enseignant peut contrôler ses “ hypothèses sur les hypothèses de celui qui apprend ” (Bruner, 1987b, p. 276). Grâce à lui, l’enfant peut s’approprier les propriétés du modèle culturel de référence au moyen d’une communication qui l’incite constamment à travailler sur ses représentations ; il peut se référer à ses propres propositions pour les corriger, en reconnaître la pertinence ou les approfondir jusqu’à ce que, disposant des connaissances et savoir-faire nécessaires il devienne capable de penser par lui même en régulant le cours de ses actions et de ses pensées.
bull2.gif (117 octets)  Conclusion : Les compétences fondamentales du professeur des écoles ont-elles été définies de façon opérationnelle ? Il faut répondre par la négative si on pense que l’opérationnel ne repose que sur les seuls observables. On peut répondre par l’affirmative si on considère que les observables sont le point de départ d’une analyse procédurale qui s’effectue à plusieurs niveaux que la relation de tutelle met en articulation: point de vue de la tâche établi à partir de la comparaison de plusieurs tâches effectives qui décrit les états de compétence à parcourir par l’élève avant l’atteinte de l’état final de compétence que constitue le but et qui énonce les règles d’organisation et de fonctionnement de ce dispositif; point de vue de l’activité de l’élève où l’enseignant tantôt prévoit, tantôt observe et interprète le comportement de l’élève aux différentes phases de compétences successivement mobilisées et transformées ; point de vue de l’interaction de tutelle où l’enseignant organise et contrôle un ensemble d’interactions entre la tâche et l’élève afin de provoquer une acquisition de compétence quitte à faire remarquer que celle-ci est momentanément insuffisante. Il pourra être enfin et surtout répondu par l’affirmative si le modèle proposé est jugé fiable et peut être réutilisé par d’autres de façon tout aussi satisfaisante que pour nous.
bull2.gif (117 octets)  Références bibliographiques succinctes
- Allal, L. et Saada-Robert,M. (1992). La métacognition: cadre conceptuel pour une étude des régulations en situation scolaire. Archives de psychologie, 60, 265-296 (1988)
- Bloom B, (1979) Caractéristiques individuelles et apprentissages scolaires, Nathan, Labor
- Bruner, JS. {1987b). Le développement de l'enfant ; savoir faire, savoir être, Paris, P.U.F.
- Hoc JM, (1987) Psychologie cognitive de la planification. Grenoble. Presses Universitaires de Grenoble
- Leplat , J. (1991) Compétence et ergonomie. In R. Amalberti, M. de Montmollin, & J. Theureau (Eds), Modèles en analyse du travail (pp. 263-278). Liège: Mardaga.Perruchet P (Eds) Bruxelles, Mardaga- Leplat, J. (1997) Regards sur l’activité en situation de travail. Contribution à la psychologie ergonomique. Paris. P.U.F.
- Winnykamen F (1990). Apprendre en imitant. Paris : Presses Universitaires de France.