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Mots-clés : Qualité, évaluation, activité pédagogique
Problématique:
Dans quelle mesure les enseignants peuvent-ils transférer les concepts de qualité développés au début par et pour les entreprises à l'évaluation de leur propre activité professionnelle?
Il ne s'agit pas ici d'étudier la possibilité d'utiliser des référentiels de qualité (par exemple de type ISO 9001) pour l'organisation des activités de formation initiale par les Etablissements Universitaires même si cette question mériterait d'être évoquée.
Des expériences et des recherches existent concernant essentiellement l'application des normes ISO à l'organisation de la formation dans le domaine de la formation continue financée par les entreprises ou de la formation professionnelle ( BERCOVITZ ... 1994, FREYSSINET... 1998, DENNERY 1999).
Actuellement les normes 1(AFNOR, ISO) ainsi que les critères de qualité de la formation définis par le Cabinet de Bernard Bruhnes concernent exclusivement la formation professionnelle. L'objectif est en général double: vérifier que l'offre de formation répond bien aux besoins exprimés par le prescripteur et créer les conditions d'un bon déroulement de la formation.
Cependant, les résultats des deux enquêtes réalisées par le Centre Info en 1997 citées par la revue "Qualité en mouvement" établissent que 82% des responsables de formation n'accordent pas d'importance aux labels et certifications de leurs prestataires, non pas parce qu'ils n'ont pas d'exigences en matiËre de qualité mais parce que ce qui constitue le cúur de la formation: la qualité de l'activité du formateur, n'est pas évoquée dans tous ces référentiels.
Le champ de l'activité de l'enseignant est peu voire n'est pas du tout exploré à partir de la problématique de la qualité et il existe peu de recherches scientifiques portant sur la qualité dans l'enseignement (LAURENS, 1997 et travaux du L.E.R.A.S).
C'est pour cette raison qu'il nous a semblé intéressant d'observer cette zone d'ombre et de s'interroger sur les questions que soulËvent les concepts et méthodes de la qualité lorsqu'un enseignant veut les utiliser pour évaluer la qualité perçue par les étudiants du contenu de son enseignement et de sa pratique pédagogique afin de mieux répondre aux besoins de formation.
Cette recherche s'inscrit dans le cadre des travaux du laboratoire A.E.P en collaboration directe avec l'IUFM de Reims.
Dans un souci de délimiter le champ de la recherche cette dernière s'appuie, dans un premier temps, sur les pratiques des enseignants des IUFM chargés de former des étudiants qui seront eux-mêmes de futurs enseignants. Ce type de formation a été retenu parce que les étudiants concernés constituent un public adulte ayant un objectif professionnel. Ils peuvent, de ce fait, avoir une perception assez précise de leurs besoins et être en mesure de les exprimer.
Dans un deuxième temps, la même approche sera appliquée à des enseignements réalisés pour des étudiants de filières universitaires classiques donc concernant un public plus diversifié comprenant aussi bien des jeunes ayant un projet professionnel ou personnel très précis que des étudiants encore en recherche d'orientation. L'objectif sera alors d'affiner les premiers résultats obtenus par une confrontation à des situations plus complexes.
I- De quelle qualité s'agit-il ?
Dès les années 40, JURAN et DEMING proposent une approche nouvelle de la qualité non plus limitée au contrôle des produits mais conçue d'une façon globale, concernant toute l'entreprise, un véritable outil de management plaçant la maîtrise de la qualité à tous les niveaux de l'activité 2. Mais la préoccupation des industriels reste centrée sur ce qui se passe à l'intérieur de l'entreprise.
L'arrivée de la crise économique, l'intensification de la concurrence ont conduit les responsables à accorder plus d'attention aux clients en mesure désormais de faire valoir leurs exigences, en particulier en matière de qualité. A partir de 1979, l'ISO (International Organisation for Standards) a été chargée de définir des bases standardisées au concept de la qualité et aux méthodes et outils entrant dans la gestion de la qualité, ceci afin d'homogénéiser les pratiques et de faciliter le développement des démarches d'assurance de la qualité.
Si l'on se réfère aux définitions les plus récentes qui en ont découlé, la qualité est selon la norme ISO 8402 (AFNOR, 1994) :
" l'ensemble des caractéristiques d'une entité qui lui confèrent l'aptitude à satisfaire des besoins exprimés et implicites ",
une entité désignant :
"Ce qui peut être décrit et considéré individuellement ; une entité peut désigner une activité ou un processus, un produit, un organisme, un système ou une personne, une combinaison de l'ensemble ci-dessus "
Cette définition de la qualité se distingue des conceptions antérieures par deux éléments fondamentaux :
- La qualité n'est plus une notion absolue correspondant à la perfection technique. Elle est relative à chaque catégorie d'utilisateurs et évolutive. La satisfaction des besoins est placée au centre des préoccupations (dans la limite de ce qui est techniquement et économiquement réalisable) ce qui suppose de rester vigilant en permanence à l'apparition de besoins nouveaux résultant des évolutions individuelles et collectives pour être en mesure d'y répondre.
- Elle s'applique, entre autres, à tous les produits et services sans exclusive.
De ce fait, du point de vue conceptuel, rien ne limite l'utilisation de la référence à la qualité aux seuls domaines de l'entreprise et de l'activité commerciale. L'entité telle qu'elle est définie ci-dessus ouvre sur des champs d'application très étendus, à partir du moment où nous sommes en mesure de spécifier ce qui est inclus dans l'entité étudiée et de délimiter cette dernière.
II- Quelle entité de base prendre en compte ?
Pour cela nous considérerons le postulat suivant : Toute formation entre dans un cadre qui s'impose à elle et sur quoi l'enseignant ne peut pas intervenir.
Sur le plan des savoirs à enseigner il y a les contraintes liées à l'homologation des diplômes, à la définition des programmes pour les diplômes nationaux. Ce cadre qui fixe les programmes de base constitue la référence de l'étudiant pour choisir une filière. A partir du moment où il s'inscrit pour suivre une formation, initiale ou continue, nous pouvons admettre qu'il reconnaît une adéquation entre ce qui lui est proposé et ce qu'il souhaite apprendre.
Sur le plan pédagogique d'autres types de contraintes interviennent indépendamment de la volonté de l'enseignant. Ce sont, par exemple, les obligations réglementaires, la taille des groupes, les moyens techniques et financiers disponibles.
Cet ensemble d'éléments contribue à déterminer la base, à un moment donné, sur laquelle l'enseignant assoie les choix qu'il effectue. En effet, l'enseignant dispose toujours d'un espace de liberté dans son activité. C'est lui qui définit, entre autres choses, les points précis du programme qu'il va traiter parmi tous les possibles, la fréquence des actualisations de contenu; il assure la transposition didactique, il détermine la pédagogie et les moyens de communication utilisés, tout ceci en fonction des objectifs qu'il vise.
On peut estimer que l'enseignant conçoit et réalise une prestation de service et, à ce titre, chaque enseignement ou module de formation dispensé à un groupe d'étudiants ou à une promotion constitue une " entité qui peut être décrite et considérée individuellement ". L'évaluation de la qualité pourrait alors porter sur le contenu et l'adéquation des choix didactiques effectués par l'enseignant. Afin qu'une telle démarche puisse s'effectuer l'enseignant doit opérer une distanciation vis à vis de l'objet évalué, de façon à ne pas se sentir personnellement mis en cause par les résultats.
Cependant, l'acte d'enseigner met en úuvre une démarche complexe, interactive et instable puisque l'enseignant est face à un groupe d'étudiants collectivement et individuellement acteurs de leur formation. Les savoirs réellement enseignés et les savoirs acquis peuvent varier de façon non négligeable en fonction de l'implication de chacun.
L'entité à évaluer devrait alors se délimiter d'une façon différente, l'attention étant portée sur la globalité de ce qui se passe à l'intérieur de la formation, avec une responsabilité collective sur la réalisation et les résultats obtenus même si la conception initiale reste le fait de l'enseignant.
A l'intérieur d'une même formation, s'il y a plusieurs groupes, il devient alors nécessaire d'évaluer l'activité de chacun séparément puisque les acteurs sont différents.
Un troisième niveau de définition de l'entité peut également se justifier. Un enseignement s'inscrit dans un cursus et des complémentarités interviennent entre tous les aspects de la formation. Il faut alors déterminer si l'entité reste sur la base définie antérieurement en élargissant l'analyse au rôle joué par les autres aspects de la formation considérés comme des influences extérieures (favorisantes ou bloquantes). Dans ce cas, la mise en oeuvre ne deviendrait-elle pas lourde à partir du moment où plusieurs enseignants pratiqueraient de la même façon.
Il peut être souhaitable d'élargir l'entité à l'ensemble de la formation, l'évaluation devenant un exercice sinon collectif, du moins coordonné mais chaque enseignant pris individuellement peut-il encore trouver la même possibilité d'ajustement aux besoins ? Que devient la démarche si certains enseignants la refusent ?
III- Qui participe à l'évaluation, à partir de quels critères et comment ?
La pratique de l'évaluation se développe dans les Universités à l'initiative de la Collectivité ou des Universités elles-mêmes. De ce fait les enseignants sont déjà placés dans un contexte d'évaluation.
De leur côté les étudiants, d'une façon informelle mais pourtant réelle, effectuent une évaluation des enseignements qu'ils se transmettent plus ou moins à l'insu des enseignants.
Ici, la démarche est différente puisqu'il s'agit de mettre en place une évaluation formalisée devant servir à une évolution vers une meilleure adéquation aux besoins. L'objectif est connu de toutes les personnes impliquées mais ici aussi se pose la question du partage de l'objectif.
La mise en oeuvre d'une évaluation suppose de pouvoir identifier les besoins à satisfaire, d'établir un lien avec des attributs de la formation aptes à assurer cette satisfaction, de définir des critères objectifs permettant de réaliser l'évaluation et de mesurer des écarts entre l'existant et le souhaitable. Les bases servant à l'évaluation ne peuvent pas être élaborées par l'enseignant seul. Les étudiants acteurs de leur formation deviennent co-auteurs, ce qui ne peut se faire que dans la mesure où ils se sentent concernés par la démarche entreprise.
Est-il alors nécessaire d'avoir des étudiants ayant un projet professionnel ou personnel précis pour qu'une telle approche se développe ?
Les groupes changeant régulièrement à quels besoins se référer, comment réaliser l'évaluation et avec quelle périodicité pour qu'elle soit significative ? L'enseignant étant l'initiateur de la démarche d'évaluation, il a un rôle important à jouer sur le plan méthodologique à la fois pour intéresser les étudiants à cette pratique, pour en définir les objectifs et les limites, les méthodes d'évaluation et d'exploitation des informations recueillies. Cependant, c'est à chaque fois sur un plan collectif que s'assure la pérennité de l'action.
Il est possible également de s'interroger sur l'incidence qu'a l'évaluation de la formation sur l'évaluation des connaissances des étudiants réalisée par l'enseignant ?
Ces premières questions témoignent de l'étendue du champ à explorer pour être en mesure de répondre à la question initiale : dans quelle mesure les enseignants peuvent transférer les concepts de la qualité à l'évaluation de leur propre activité professionnelle ? C'est à elles que la recherche entreprise se propose d' apporter quelques éléments de réponses.
NOTES
1 Normes AFNOR : X 50 750-755-756-760-761, 1992.
Référentiels d'organisation pour l'assurance de la qualité ISO 9001, 9002, 9003.
2 Apparition du TQC (Total Quality Control) qui correspond au concept actuel de Qualité Totale
BIBLIOGRAPHIE
Ouvrages :
AFNOR (1994), " Gérer et assurer la qualité, qualité et efficacité des organisations, recueil de normes françaises ", tomes 1 et 2, Ed AFNOR.
FREYSSINET M., NACIRI K., PEREZ JJ. (1998), " Assurer la qualité dans les organismes de formation, la certification ISO 9001 ", Paris, AFNOR.
BERCOVITZ A., FIEVET P., POIRIER D. (1994), " Pour apprécier la qualité de la formation, guide méthodologique ", L'Harmattan.
DENNERY M. (1999), " Piloter un projet de formation, du diagnostic des besoins à la mise sous assurance qualité ", Collection Formation Permanente, ESF Editeurs.
Thèses :
LAURENS P. (1997), " Qualité et communication organisationnelle, contribution à une approche communicationnelle de la qualité appliquée aux activités de formation ", thèse de doctorat, Université de Toulouse II, 7 juillet 1997.
Revues :
Qualité en mouvement, dossier : Qualité et formation, p2 à 44, n8 40, juin-juillet-août 1999.
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