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Contexte
Pour apporter un élément de réponse à la problématique de l’insertion socio-professionnelle des bénéficiaires du minimex ou d’une aide équivalente du C.P.A.S., le Service Insertion du Centre Public d’Aide Sociale (C.P.A.S.) de Châtelet (Belgique) a proposé la création d’un outil informatisé d’orientation et de conseil à l’emploi.
Le projet d’une durée de deux ans (1998-1999) s’inscrit dans le cadre du programme européen Intégra subsidié par le Fonds Social Européen. Il est réalisé en partenariat avec le Service de Pédagogie expérimentale de l’Université de Liège (Belgique).
L’objectif de l’outil est d’apporter un soutien aux travailleurs sociaux en matière d’insertion socio-professionnelle. Le logiciel met en relation d’une part, des informations concernant le public du C.P.A.S. dans le cadre de l’insertion socio-professionnelle et, d’autre part, les profils professionnels employés et recherchés par les entreprises de la région, avec un accent mis sur les emplois où aucune qualification professionnelle certifiée n’est exigée lors de l’entrée en fonction.
Méthodologie de recherche
L’outil informatisé a été réalisé par une équipe pluridisciplinaire issue des deux institutions :
- un psychopédagogue et un informaticien du Service de Pédagogie expérimentale ;
- une assistante sociale du Service Insertion du C.P.A.S.
L’équipe de recherche a travaillé en interaction constante avec les travailleurs sociaux du C.P.A.S.
La méthodologie comprend 3 étapes :
Cartographie des ressources, étude du terrain, analyse des besoins Régulation
Recueil des données et conception du logiciel
Mise en place de l’outil, analyse
L’étude des données reprises dans les deux bases de données (d’une part le public et d’autre part les entreprises) s’est fait en parallèle.
Ceci a permis d’enrichir les réflexions portant sur le public et les entreprises.
Le produit réalisé
Le logiciel permet :
- pour les candidats à l’emploi : d’établir une concordance entre leurs compétences, leurs aspirations, leurs possibilités et les emplois disponibles dans la région. Pour ce faire, ils peuvent accéder aux données les concernant et aux fiches signalétiques des entreprises de la région ;
pour les travailleurs sociaux : de “ sélectionner ” des candidats à l’emploi, à la formation sur base des informations reçues.
Le logiciel doit permettre aux candidats à l’emploi de comparer leurs profils avec les exigences, aptitudes et compétences demandées par les employeurs. La consultation des données concernant l’entreprise doit amener le demandeur soit à poser une candidature réfléchie, soit à prendre la décision de suivre une formation, soit de s’orienter ailleurs. Il doit permettre d’ouvrir la réflexion quant au chemin à parcourir pour aller vers l’emploi.
Pour toutes ces “ démarches-consultations - démarches de réflexions ”, un agent d’insertion accompagne le candidat. Pour les travailleurs sociaux, cet outil est donc avant tout un instrument qui offre la possibilité à un public en difficulté de PROGRESSER. Toute information introduite concernant le public doit viser cette perspective.
Evolution de la recherche et axes de réflexion
Au cours des deux années de collaboration entre le Service de Pédagogie expérimentale de l’Université de Liège et le Service Insertion du Centre Public d’Aide Sociale de Châtelet pour la création et la mise en place du logiciel, la recherche a évolué. Des difficultés ont été rencontrées, des questions soulevées, des problématiques posées, des modifications apportées.
Le public
“ Quelles sont les personnes qui doivent se trouver dans la base de données ? ” est une des premières questions apparues.
La deuxième question qui vient tout de suite à l’esprit découle de la première :
Sur quels critères se baser pour introduire une personne dans la base de données ?
On voit ici à quel point la création du logiciel pose des questions de fond quant à l’insertion socio-professionnelle.
Les questions qui se posent alors montrent combien beaucoup de facteurs (subjectifs) peuvent entrer en jeu.
Quand et sur quels critères considère-t-on qu’un travail d’insertion socio-professionnelle peut-être entamé ?
Qui considère ? Qui décide ? : - L’assistant social qui intervient en première ligne ?
- L’assistant social d’insertion ?
- Un autre membre ou une organisation de l’institution ?
- La personne elle-même ?
La sélection
La première phase de recherche sur l’étude de terrain et l’analyse des besoins au sein du Service Insertion a permis de détacher la question suivante :
Sur quels critères un travailleur social préoccupé par l’insertion socio-professionnelle se base-t-il pour permettre de penser qu’une personne est apte ou non à travailler ? A se former ?
Est-ce à lui de prendre ce type d’initiative ?
Dans quelle mesure, de quelle manière et jusqu’à quel point doit-il s’impliquer dans le parcours de la personne ?
Une anecdote suffira à montrer le caractère “ difficile ” d’une sélection. Les membres de l’équipe de recherche et du Service Insertion ont pris dix dossiers au hasard. Il s’est avéré que la décision prise par chaque personne pour un dossier considéré différait. Le caractère subjectif de la décision tend donc à être démontré.
Quel doit être le rôle de l’assistant social en particulier et du C.P.A.S. en général ?
Evaluation et bilan des compétences
A travers la démarche poursuivie par le logiciel, les données retenues se situent à deux niveaux :
ce que les personnes en parcours d’insertion socio-professionnelle disent maîtriser ;
ce qui a pu être évalué lors de stages, de formations, d’essais en entreprise.
Un troisième niveau qui ne peut être omis est ce que l’assistant social pense et interprète lors des différents entretiens. Cette réalité s’avère particulièrement aiguë lorsque les compétences liées au savoir-être sont abordées.
Lors de la construction de l’outil, il est apparu que ce troisième niveau ne pouvait être ni omis, ni traduit tel quel. La décision prise a été de proposer deux rubriques aux assistants sociaux :
L’une est définie par les termes “ Savoir-être ”. On demande à l’assistant social de noter de manière positive et constructive les savoir-être acquis par la personne et à acquérir en fonction de son projet professionnel.
L’autre est intitulée “ Commentaires de l’assistant social ” : ce dernier peut y noter de manière plus large les remarques, toujours en rapport au projet professionnel de la personne, qui lui semblent pertinentes.
Nous remarquons à ce stade que l’évaluation critériée, plus utilisée en pédagogie s’avère un outil non négligeable pour une approche évaluative des savoirs-être.
De façon plus large, le fait d’établir un bilan de compétences en vue d’élaborer un projet professionnel est une démarche à part entière auquel “ Vers l’emploi ” ne prétend en aucune façon répondre. Cette problématique s’est avérée particulièrement criante tout au long de ces deux années.
Rappelons que le public majoritairement rencontré a un parcours très chaotique tant lors de la scolarité obligatoire, qu’au travers des différentes tâches réalisées hors cursus scolaire. Parcours scolaire et tâches qui par ailleurs ont rarement été reconnues et/ou certifiées.
A ce moment de la réflexion, il nous semble important de faire la nuance entre un jugement de fait (de réalité) et un jugement de valeur, deux notions avancées par Guittet. “ Un jugement de fait s’exprime à partir de résultats, d’observations nettement identifiables. Les faits sont appréciés à l’aide de critères explicités. Des observateurs différents avec la même grille d’observation, avec les mêmes critères aboutissent aux même jugements : cette secrétaire tape 25 mots à la minute. Un jugement de valeur exprime des choix personnels, il repose sur des valeurs, des sensibilités. Le jugement de valeur est relatif aux choix de l’évaluateur, à ses préférences, ses attentes (c’est une bonne secrétaire) ”.
Toujours selon Guittet, “ l’évaluation comprend à la fois des descriptions quantitatives et qualitatives, des jugements de fait sur les performances et des jugements de valeurs qui établissent des préférences, des choix particuliers ” .
Tout évaluateur dans un contexte de mise à l’emploi doit prendre en compte ces deux pôles en les acceptant comme partie intégrante de l’évaluation.
L’évaluation critériée peut apporter une aide non négligeable, mais ceci reste une recherche à réaliser…
La notion de compétences
En utilisant la notion de compétences, il ne faudrait pas oublier à quel point son utilisation abondante “ provient autant des nécessités économiques que de la mutation des relations de travail ” .
Méthodes de travail sous influence
L’étape suivante de la recherche consiste à passer de la réflexion-réalisation de l’outil à la mise en pratique dans le travail social quotidien. Elle appelle à des changements dans les méthodes de travail ainsi que dans les contenus des entretiens. Concrètement, le fait de continuer à passer par une version papier dont le canevas et le contenu ne correspondent pas à la version d’encodage alourdit la procédure et décourage les utilisateurs. Pour y remédier, un assistant social est chargé de retravailler le canevas du dossier servant au recueil d’informations pour toute personne en parcours d’insertion socio-professionnelle.
Néanmoins, l’utilisation d’un ordinateur au cours d’entretien ne s’improvise pas. La méthodologie de la gestion de l’ordinateur reste un domaine à creuser.
Cadre de référence
Il est également apparu l’importance d’expliciter aux utilisateurs potentiels le cadre de conception et d’exploitation de “ Vers l’emploi ” de peur qu’il ne soit détourné de son objectif premier.
Utilisation d’un outil informatisé
Il n’est pas tout de créer un outil informatisé, aussi performant soit-il. Il faut encore qu’il soit utilisé, qu’il devienne partie intégrante de la pratique quotidienne, que le cadre de son utilisation ait été défini et compris.
La formation professionnelle et l’emploi
Le débat formation professionnelle-emploi est actualisé. Par exemple, il s’est avéré impossible d’établir une concordance entre les domaines et options proposés tant au sein du système scolaire qu’au sein des opérateurs de formation et le recensement des métiers par domaine professionnel.
Rencontre entre le monde du social et le monde des entreprises
De par leur formation de base et leur culture, les travailleurs sociaux et les employeurs ne sont pas faits pour se rencontrer. Grâce à ce projet, la cartographie des ressources de la région réalisée par l’équipe du Service Insertion a ouvert des portes de rencontre. Ainsi même s’il y a eu des refus, chacune des parties a eu l’opportunité de rencontrer l’autre et d’aborder la problématique de l’insertion socio-professionnelle.
Les assistants sociaux ont pu appréhender le monde des entreprises et, par exemple constater que la représentation que l’on peut se faire d’un métier, du monde du travail et des entreprises ne correspond pas toujours à la diversité du terrain.
Conclusion
La création et la mise en place de ce type d’outil remet en question la manière de fonctionner des travailleurs sociaux. Il offre l’opportunité de retourner à la source du travail social dans le cadre de l’insertion socio-professionnelle. Ainsi, le recueil des données pose des questions fondamentales telles que : qui “ doit estimer ” si une personne est prête à entamer un parcours d’insertion et quand ? Sur quels critères ? Comment définir les compétences nécessaires ? Comment les mesurer ? Des questions méthodologiques quant à l’utilisation du matériel se posent également : comment intégrer l’ordinateur lors d’un entretien,… ? Enfin, des questions d’ordre plus pragmatique comme la mise à jour des données ou la gestion de l’outil informatique s’imposent.
Bibliographie
Charlot B., Bautier E. et Rochex J.-P, Ecole et savoir dans les banlieues… et ailleurs, Armand Colin, 1993 in Eduquer et Former dirigé par Ruano-Borbalan J.-C., Ed. Sciences Humaines, Auxere, Janvier 1998.
Guittet André, Développer les compétences par une ingénierie de la formation, Collection Formation permanence des sciences humaines, E.S.F. éditeur, Paris, Mars 1995.
Observatoire de l’emploi, Office régional bruxellois, Service Etudes Evaluation des offres d’emploi à l’Orbem, Approche descriptive de l’offre insatisfaite, (synthèse) avec le soutien du Fonds Social Européen, Septembre 1996.
Picard M et Braun G., Les logiciels éducatifs, Que sais-je ?, PUF , 1987.
Tanguy Lucie in Eduquer et Former, Les usages sociaux de la notion de compétence in Eduquer et Former dirigé par Ruano-Borbalan J.-C., Ed. Sciences Humaines, Auxere, Janvier 1998.
Union des villes et des communes, Vade-Mecum de l’Insertion socio-professionnelle, 1999.
Remerciements
Aux personnes des organismes suivants qui ont permis d’alimenter notre réflexion :
Au niveau national :
Germoir (Le) E.F.T., Madame A. BIETLOT
Levain (Le) E.F.T., Madame C. MEUNIER
Régie de quartier de Châtelet, Madame L. DI NUNZIO
Service Social (Le) du C.P.A.S. de Châtelet
T-Interim, Monsieur RIQUET
FOREM : - Service relation entreprises, Messieurs BOUQUIAUX et EGLEM
- Centre de Bilans, Madame DEMOULIN
Au niveau international :
Conseil général des Vosges, Vosges - France
R.I.V.E., Réussir l’insertion vers l’emploi, A.P.E.F., Bron - France
Consorzia Cooperative Sociali “ Trait d’union ”, S.C.F., Aoste - Italie
Ainsi que les travailleurs sociaux du Service Insertion et du Service social du C.P.A.S. de Châtelet :
Mesdames J. BARBIER, C. CAUCHETEUR, M.-J. CLOTUCHE, C. CRISPIN, M. LEBRUN, C. LEONARD, B. LIZEN, I. MARTIAT, I. VAN MELKEBEKE, M.-A. VILLIERE ;
Messieurs : R. ENDELS, R. DE ROECK
Et plus particulièrement Madame A. PROTO.
Sans oublier M. LEJONG, L. GRIGNET (Service de Pédagogie expérimentale) et C. MAGAIN pour sa relecture attentive.
ref : Les C.P.A.S. ont dans leurs attributions le paiement du revenu minimum légal (en Belgique : le minimex) des personnes en détresse financière. En plus des services sociaux de première ligne, ils proposent des services tels que l’insertion socio-professionnelle. Le rôle du Service Insertion est d’offrir un soutien aux personnes dans le cadre de leur parcours d’insertion socio-professionnelle.
On entend par tâche tout ce qu’une personne a pu réaliser au sens large du terme. Sont repris dans cette notion : les activités appréciées, les “ petits boulots ”, les essais, les stages, l’expérience professionnelle courte et diversifiée (voir dans “ Vers l’emploi ” la partie consacrée aux acquis ainsi que la rubrique “ Aptitudes et compétences ”.
Guittet André, Développer les compétences par une ingénierie de la formation, Collection Formation permanente en sciences humaines, E.S.F. éditeur, Paris, Mars 1995, page 117.
Op. cit., page 117.
Tanguy Lucie, Les usages sociaux de la notion de compétence, in Eduquer et Former dirigé par Ruano-Borbalan J.-C. Ed. Sciences Humaines, Auxere, janvier 1998, p. 285-292.
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