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Le sentiment d’incompétence pédagogique chez les enseignants de l’ordre d’enseignement secondaire en situation d’insertion professionnelle

Auteur(s) : MARTINEAU Stéphane, GAUTHIER Clermont

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bull2.gif (117 octets)   Les débuts dans la profession sont toujours l’occasion d’un choc pour le nouvel enseignant. Ce choc du “terrain” s’accompagne généralement de la sensation d’être vulnérable. C’est pourquoi on qualifie l’entrée dans la carrière de “période de survie”. Durant leurs premières années, de nombreux enseignants éprouvent ainsi de multiples difficultés dans leur quête d’accomplissement professionnel. Cette communication rend compte des résultats d’une recherche subventionnée par le Fonds Institutionnel de Recherche (FIR) menée au Québec dans la région de Trois-Rivières. L’objectif général est de mettre au jour la nature et les caractéristiques du sentiment d’incompétence tel que vécu par les enseignants nouvellement en exercice dans les écoles secondaires québécoises. Plus spécifiquement, il s’agit : 1) d’analyser l’interprétation des nouveaux enseignants quant à l’incompétence ressentie dans leur pratique professionnelle ; 2) d’identifier les champs d’action où ces enseignants vivent un sentiment d’incompétence ; 3) de déterminer les effets du sentiment d’incompétence pédagogique sur la pratique en classe ; 4) de mettre au jour les stratégies mobilisées par les enseignants afin de palier ou d’éviter les situations d’enseignement où le sentiment d’incompétence peut apparaître. Cette recherche, de type exploratoire, s’appuie sur une méthodologie qualitative. Les résultats reposent donc sur des entrevues semi-directives menées auprès de quinze enseignants des deux sexes ayant cinq ans ou moins d’expérience. L’incompétence pédagogique y est définie comme étant une absence ou une faiblesse dans le contrôle ou l’exécution de la tâche professionnelle. Par le fait même, le concept de sentiment d’incompétence pédagogique sera donc ici le vécu cognitif et émotionnel lié à l’évaluation de la contrôlabilité de la tâche tel que mis en discours par les enseignants interviewés.
bull2.gif (117 octets)  Mots clefs :
bull2.gif (117 octets)  Incompétence pédagogique
bull2.gif (117 octets)  Insertion professionnelle
bull2.gif (117 octets)  Enseignement secondaire
bull2.gif (117 octets)  Objet d’étude et nature du projet
bull2.gif (117 octets)  Ce projet de recherche se veut une étude exploratoire du sentiment d’incompétence pédagogique des enseignants de l’ordre d’enseignement secondaire en début de carrière.
bull2.gif (117 octets)  Objectif général
bull2.gif (117 octets)  Mettre au jour la nature et les caractéristiques du sentiment d’incompétence tel que vécu par les enseignants nouvellement en exercice dans les écoles secondaires.
bull2.gif (117 octets)  Objectifs spécifiques
bull2.gif (117 octets)  Rendre compte de l’interprétation des enseignants quant à l’incompétence ressentie dans leur pratique professionnelle.
bull2.gif (117 octets)  Identifier les champs d’action où les enseignants du secondaire vivent un sentiment d’incompétence pédagogique.
bull2.gif (117 octets)  Déterminer les effets du sentiment d’incompétence pédagogique sur la pratique pédagogique des enseignants du secondaire.
bull2.gif (117 octets)  Mettre au jour les stratégies à court, à moyen et à long terme mobilisées par les enseignants afin de palier ou d’éviter les situations d’enseignement où le sentiment d’incompétence peut apparaître.
bull2.gif (117 octets)  Problématique
bull2.gif (117 octets)  Le débat actuel sur la professionnalisation de l’enseignement pose, entre autres, que l’enseignant possède une certaine autonomie professionnelle et dispose de compétences pédagogiques (Gauthier et al., 1997). Cette autonomie et ces compétences doivent dans la pratiques être mobilisées afin de produire un effet sur les apprentissages et la socialisation des élèves : l’effet enseignant (Felouzis, 1997). Par conséquent, il semble légitime de poser la question de la responsabilité de l’enseignant en regard de l’apprentissage et de la socialisation des élèves. Si l’école, en tant qu’institution, ne peut éviter de poser cette question, il va sans dire que, tôt ou tard, cette interrogation, les enseignants se la posent eux-mêmes.
bull2.gif (117 octets)  L’enseignement est un métier de l’impossible, une pratique exercée dans l’incertitude, où cohabitent diverses dimensions des rapports humains (Perrenoud, 1996). Il ne peut en effet se résumer à une tâche purement cognitive car les variables affectives, relationnelles, stratégiques, éthiques, etc., le traversent (Tardif, 1993). Or, l’enseignement, ces dernières années, s’est considérablement complexifié notamment en raison de l’alourdissement des tâches des enseignants et de la diversification des élèves (Robert et Tondreau, 1997). Cette situation place l’enseignant devant des circonstances inédites auxquelles sa formation universitaire ne l’avait souvent pas préparé. Et, comme l’a démontré Schütz (1987), notre capacité à faire face aux événements est fortement liée au “stock de connaissances” que nous possédons, lequel s’appuie sur nos expériences antérieures. Dans ce contexte, l’interrogation sur l’effet enseignant acquière une nouvelle pertinence et la question de la responsabilité du praticien quant aux apprentissages et à la socialisation des élèves se pose d’une manière inédite. Cette conjoncture est propice à l’émergence chez les enseignants du sentiment d’être débordé, de n’être pas en mesure de suffire à la tâche, de ne plus pouvoir produire l’effet escompté, bref, ressentir le sentiment d’incompétence pédagogique.
bull2.gif (117 octets)  On a traditionnellement traité l’incompétence professionnelle sous l’angle de la gestion scolaire (Bridges, 1993; Seyfarth, 1996). Selon cette vision, ce sont les fautes professionnelles graves conduisant potentiellement au renvoi telles l’incapacité à maintenir un contrôle sur la classe ou à traiter les élèves de manière appropriée, l’incapacité à transmettre efficacement la matière, le refus de suivre le programme scolaire, l’abus envers les élèves ou le manque excessif de ponctualité, qui sont analysées. Ces recherches tentent ainsi de dégager un portrait des cas d’incompétence professionnelle afin de déterminer les meilleures mesures à prendre envers les enseignants impliqués. Or, outre le fait que ces recherches n’abordent pas la question du sentiment vécu par ces enseignants, les problèmes soulevés, selon Bridges (1993, p. 2), ne concerneraient que 5 % du corps professoral. C’est dire que les autres (les 95 %) peuvent être jugés compétents. Cela n’implique toutefois pas que, dans la trame des micro-événements de la classe et de l’école, ceux-ci se sentent toujours à la hauteur de ce qu’on attend d’eux et surtout, de ce qu’ils attendent d’eux-mêmes.
bull2.gif (117 octets)  Pourtant, le sentiment de compétence apparaît comme un élément capital dans l’efficacité de l’enseignant. La psychologie cognitive a en effet montré que la perception de la contrôlabilité de la tâche est une dimension essentielle de la motivation (Tardif, 1992) et cette dernière s’avère une variable incontournable dans la réalisation adéquate d’un travail. On peut donc a contrario postuler que le sentiment d’incompétence sera associé au sentiment de n’être pas en contrôle sur la tâche à accomplir et nuira à la motivation au travail. Les premières années du métier étant celles de l’insertion professionnelle et du nécessaire ajustement qu’elles impliquent, les enseignants en début de carrière seront bien entendu les plus susceptibles de ressentir un tel sentiment d’incompétence. Par exemple, Grossman et Gudmundsdottir (1987) ont montré que l’acquisition de l’expérience en enseignement permet de raffiner et de rendre plus explicites les modèles de l’enseignement d’une matière. Ainsi, les enseignants expérimentés sont plus à même de résoudre les problèmes en classe notamment en raison de leur plus grande capacité à cerner les préconceptions et les stratégies des élèves.
bull2.gif (117 octets)  Mais, comment circonscrire le concept d’incompétence pédagogique ? Si la définition du concept de compétence pose problème en enseignement (Rey, 1996), il en va bien sûr de même pour son pendant négatif : l’incompétence. Toutefois, afin de baliser le terrain il est possible ici de se donner quelques repères. D’abord, on définira l’incompétence pédagogique non pas comme une incapacité physique ou mentale, une faute criminelle (abus, alcoolisme, etc.) ou une faute déontologique au sens de la Loi de l’Instruction publique (L.R.Q. chapitre 1-13.3) mais en fonction d’une absence ou d’une faiblesse dans le contrôle de la tâche à accomplir. Ensuite, cette absence ou cette faiblesse à exécuter une tâche pédagogique sera déterminée non pas a priori en fonction d’une représentation normative de la pratique enseignante mais à partir de l’interprétation que s’en font les enseignants eux-mêmes.
bull2.gif (117 octets)  En somme, les résultats de cette recherche fourniront en quelque sorte un portrait des difficultés rencontrées par les nouveaux enseignants du secondaire dans leur processus d’insertion professionnelle. Ce portrait n’abordera pas, bien sûr, la totalité des dimensions de la vie professionnelle des enseignants mais plus spécifiquement cette partie directement reliée à l’effet enseignant, c’est-à-dire celle qui concerne l’action pédagogique auprès des élèves.
bull2.gif (117 octets)  Méthodologie
bull2.gif (117 octets)  Comme le soulignent De Bruyne, Herman et De Schoutheete (1974), c’est l’objet d’investigation qui en bonne partie détermine la méthode. Ainsi, le recours à une méthodologie qualitative permettra de comprendre le sentiment d’incompétence des enseignants. Il apparaît donc non seulement logique mais plus fortement nécessaire de choisir une méthode qui laisse la parole aux sujets. Parmi ces méthodes, l’entrevue se présente comme la seule pertinente. Plus spécifiquement, c’est l’entrevue non directive qui sera la méthode susceptible de faire émerger les représentations de l’incompétence et les expériences qui l’accompagnent. Cette méthode permet au sujet de prendre l’initiative car la seule directive venant du chercheur est de centrer l’entrevue sur un thème précis. L’interviewer joue ici un simple rôle de catalyseur pour l’expression compréhensive des sentiments et des opinions du sujet (Selltiz, Wrightman et Cook, 1977).
bull2.gif (117 octets)  Un tel type de méthode de recherche ne peut se faire qu’avec un nombre restreint de sujets et ce pour plusieurs raisons. D’abord, l’objet d’étude, au implication émotive évidente, oblige à être prudent quant au nombre d’enseignants qui accepteront de participer. Ensuite, l’entrevue non directive implique souvent d’enregistrer plusieurs heures d’entrevue. La présence prolongée du chercheur et du sujet a pour objectif de mettre à l’aise ce dernier et de lui laisser tout le temps nécessaire pour s’exprimer en profondeur. Enfin, la retranscription et l’analyse des enregistrements d’entrevues étant un travail long et minutieux, il est préférable de restreindre le nombre d’heures de bandes audio. Par conséquent, il apparaît nécessaire de limiter l’échantillon à quinze (15) enseignants.
bull2.gif (117 octets)  Afin de faciliter la comparaison des situations vécues et d’être en mesure d’établir des recoupements, la recherche se limitera aux seuls enseignants de l’ordre d’enseignement du secondaire oeuvrant au secteur général. Toutefois, afin d’éviter de dresser un portrait d’enseignants intervenant dans une seule matière (par exemple, le français), et dans le but de permettre un vue transversale de la question du sentiment d’incompétence, des enseignants de différentes disciplines et de divers niveaux seront rencontrés (idéalement, trois (3) sujets pour chacun des cinq (5) niveaux du secondaire). Enfin, à l’instar de nombreuses professions, les premières années de la pratique enseignante sont des années d’ajustement où le praticien a plus fréquemment le sentiment que la maîtrise des événements lui échappe, par conséquent seuls des enseignants ayant cinq (5) ans et moins d’expérience feront partie de l’échantillon.
bull2.gif (117 octets)  Pertinence de la recherche
bull2.gif (117 octets)  Les bouleversements dans le monde de l’éducation ces dernières années - on pense entre autres au débat sur la professionnalisation de l’enseignement, aux nouveaux programmes de formation des enseignants et à l’ajustement de la formation au secondaire aux nouveaux défis qui attendent les sociétés du 21e siècle - ont permis de réaffirmer la place prédominante qu’occupe l’enseignant dans l’apprentissage et la socialisation des élèves. Il y a un “effet enseignant” et celui-ci fait une différence. Cependant, faire de l’effet en enseignant requiert des savoirs et des compétences particulières. Une partie de ces savoirs et de ces compétences s’acquièrent en formation initiale, une autre partie durant les premières années de la pratique. Cette acquisition passe nécessairement par le vécu d’incidents critiques (Woods, 1990) qui confrontent l’enseignant à ses limites en tant que professionnel. Analyser ce phénomème - que nous appelons ici sentiment d’incompétence pédagogique - permettra en premier lieu de mieux comprendre comment les enseignants ressentent et vivent le sentiment d’incompétence. Deuxièmement, cette étude permettra aussi de mieux saisir, d’une part, les mécanismes d’acquisition du savoir d’expérience et, d’autre part, de mieux cerner les enjeux et les défis de l’insertion professionnelle des enseignants du secondaire.
bull2.gif (117 octets)  Bibliographie
bull2.gif (117 octets)  Bridges, E.M. (1993). The Incompetent Teacher. Managerial Responses. Washington D.C. : The Falmer Press.
bull2.gif (117 octets)  De Bruyne, P., Herman, J. et De Schoutheete, M. (1974). Dynamique de la recherche en sciences sociales. Paris : PUF.
bull2.gif (117 octets)  Felouzis, G. (1997). L’efficacité des enseignants. Paris : PUF.
bull2.gif (117 octets)  Gauthier, C., Desbiens, J.-F., Malo, A., Martineau, S., Simard, D. (1997). Pour une théorie de la pédagogie. Recherches contemporaines sur le savoir des enseignants. Sainte-Foy : Les Presses de l’Université Laval.
bull2.gif (117 octets)  Grossman, P.L. et Gudmundsdottir, S. (1987). Teachers and texts : An expert/novice study in English (Knowledge Growth in a Profession Publication Series). Stanford, CA : Stanford University, School of Education.
bull2.gif (117 octets)  Perrenoud, P. (1996). Enseigner : agir dans l’urgence, décider dans l’incertitude. Paris : ESF.
bull2.gif (117 octets)  Rey, B. (1997). Les compétences transversales en question. Paris : ESF.
bull2.gif (117 octets)  Robert, M. et Tondreau, J. (1997). L’école québécoise. Débats, enjeux et pratiques sociales. Une analyse sociale de l’éducation pour la formation des maîtres. Montréal : CEC.
bull2.gif (117 octets)  Schütz, A. (1987). Le chercheur et le quotidien. Paris : Méridiens Klincksieck.
bull2.gif (117 octets)  Selltiz, C., Wrightsman, I.S. et Cook, S.W. (1977). Les méthodes de recherche en sciences sociales. Montréal : HRW.
bull2.gif (117 octets)  Seyfarth, J.T. (1996). Personnel Management for Effective Schools. 2e édition. Boston : Allyn and Bacon.
bull2.gif (117 octets)  Tardif, J. (1992). Pour un enseignement stratégique. L’apport de la psychologie cognitive. Montréal : Logiques.
bull2.gif (117 octets)  Tardif, M. (1993). Savoirs et expérience chez les enseignants de métier. In H. Hensler (dir.), La recherche en formation des maîtres. Détour ou passage obligé sur la voie de la professionnalisation? (p. 53-86). Sherbrooke : CRP.
bull2.gif (117 octets)  Woods, P. (1990). L’ethnographie de l’école. Paris : A. Colin.