Biennale 5
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Le manque d'accessibilité des informations à disposition des enseignants, source de résistance à l'innovation.

Auteur(s) : MARSOLLIER Christophe

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bull2.gif (117 octets)   L’évolution des conceptions et des pratiques pédagogiques dans l’enseignement secondaire se trouve étroitement liée aux rapports qu’entretient chaque professeur avec tout ce qui lui est personnellement et professionnellement nouveau ou étranger. Or lorsqu’il apporte de la nouveauté dans ses propres conceptions et ses propres pratiques pédagogiques, il arrive bien souvent qu'il s’appuie sur des informations recueillies ici ou là, dans des écrits ou au cours de stages ou de simples conversations. De sorte que, ce que nous appelons “ le rapport de l’enseignant à l’innovation ” dépend certes de facteurs personnels, notamment identitaires1, mais aussi pour une large part, de facteurs extrinsèques tels que les caractéristiques des informations mises à sa disposition, dans les CDI, dans les librairies, sur Internet, et plus largement, de tous les renseignements à usage pédagogique ou didactique et qu’il peut recueillir en lisant, mais aussi en discutant, voire en observant.
bull2.gif (117 octets)  Seulement, comme l’ont montré C. Etévé, J. Hassenforder, O. Lambert-Chesnot (1988) et C. Gambart (1988 et 1990), les professeurs du secondaire lisent en majorité très peu d’écrits pédagogiques et plus largement relatifs aux sciences de l’éducation. Pour quelles raisons ? Ces études quantitatives montrent, qu’au delà du poids des facteurs personnels, s’imposent des raisons extrinsèques propres aux écrits, à leur nature et aux conditions de leur diffusion. En effet, comme l’a souligné M. Huberman (1986) à propos du rapport à l’information éducative, les enseignants utilisent très peu les critères tels que l’objectivité et la validité scientifique ou le niveau formel d’expertise de la source mais sont sensibles à des paramètres tels que l’avis des collègues exerçant dans la même discipline et à portée de main ou bien la proximité géographique.
bull2.gif (117 octets)  Ce constat nous a alors conduit à nous demander en quoi l’accessibilité des différents modes d’information peut constituer un facteur de résistance à l’innovation pour des professeurs du secondaire ?
bull2.gif (117 octets)  Pour répondre à cette question, nous avons d’abord mené une enquête1 auprès de 123 professeurs qui nous a fourni des données quantitatives suffisamment convergentes pour apprécier le poids de certains critères d’accessibilité de l’information en termes de résistance à l’innovation. Puis, compte tenu des limites exploratoires propres à l’usage de questionnaires écrits, nous avons conduit des entretiens non-directifs auprès de 9 professeurs qui nous ont permis d’entrer dans la singularité du rapport de l’enseignant à l’information et de mettre à jour certaines hypothèses inattendues.
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1 MARSOLLIER C.
bull2.gif (117 octets)  Innovation pédagogique et identité professionnelle de l’enseignant : le concept de “ rapport à l’innovation ”, in Recherche et formation, N°31, Institut national de la recherche pédagogique, 1999, Paris.
bull2.gif (117 octets)  Nous entendons par informations traitant d’innovation ou susceptibles d’induire de l’innovation -nous les appellerons pour des raisons pratiques “ informations / innovation ” - celles qui peuvent comporter pour l’enseignant, effectivement ou potentiellement :
- soit un ou plusieurs aspects tout à fait nouveaux vis-à-vis de ses conceptions, de ses pratiques ainsi que de celles de la communauté enseignante (Exemple : les premières publications sur l’usage pédagogique de l’Internet dans les écoles primaires en 1996 et 1997) ;
- soit un ou plusieurs aspects tout à fait nouveaux uniquement pour lui, bien que, pour une partie de la communauté enseignante, ces informations renvoient à des conceptions et/ou des pratiques ayant déjà été diffusées ;
- soit des données pouvant ultérieurement être l’objet d'une innovation didactique (exemple : La lettre d’un Poilu à sa famille parue dans la revue “ Historia ” et que découvre un professeur d’histoire-géographie) ou pédagogique (exemple : l’ouvrage de C.Rogers : Liberté pour apprendre).
bull2.gif (117 octets)  La notion d’accessibilité rapportée à l’information, regroupe en fait un ensemble de caractéristiques, pour certaines très distinctes, et qu’il est indispensable de bien distinguer afin de situer à quel niveau de la relation professeur-information se situent les résistances. Pour se représenter les variables de cette relation susceptibles d’intéresser cette problématique nous proposons de circonscrire les différents critères d’accessibilité de l’information, suivant la typologie suivante :
l’accessibilité géographique et physique relative aux contraintes (distance kilométrique, fréquence des encombrements sur le trajet, difficulté de stationnement, etc.) à supporter pour se rendre au lieu où trouver l’information (librairie, bibliothèque, CRDP, CDI, site Internet, banque de donnée, etc.)
l’accessibilité spatiale relative au déplacement parmi les espaces organisant le lieu où trouver l’information, à la disposition générale de ses éléments constitutifs (étages, couloirs, travées, rayonnages, etc.) ;
l’accessibilité par voie publicitaire, provoquée par la mise en œuvre de démarches publicitaires sur l’existence des informations et leur contenu ;
l’accessibilité procédurale, relative, d’une part, aux modes de classement et aux éventuels outils de recherche documentaire, d'autre part, aux contraintes de démarches et procédures de commande, d’inscription, d’emprunt, de réservation, de paiement, voire de demande administrative, à respecter pour se procurer l’information ;
l’accessibilité temporelle relative aux horaires d’ouverture de ces lieux (ce qui n’est pas le cas sur Internet) et aux durées que nécessitent les démarches et procédures d’obtention de l’information ;
l’accessibilité économique relative au coût global de l’obtention de l’information (y compris, le coût du déplacement ou des communications téléphoniques pour l’Internet ou le Minitel) ;
l’accessibilité formelle du support relative à la manière dont celui-ci se présente en lui-même (dimensions, convivialité, structuration, plan, etc.) ;
l’accessibilité du contenu relative au style et la forme du discours (narrative, théorique, prescriptive, spéculative, texte, image, etc.) ainsi qu’aux connaissances (notionnelles, expérientielles, etc.) permettant une pleine compréhension et une appropriation (en vue d’un éventuel transfert) des informations communiquées ;
l’accessibilité didactique relative à l’organisation, la présentation, l’articulation et l’explicitation du contenu adoptées pour limiter les obstacles de compréhension et ainsi faciliter la construction de savoirs.
bull2.gif (117 octets)  Cette recherche nous a permis de rendre plus particulièrement intelligibles les résistances des professeurs liées à l’accessibilité des différents moyens d’information ainsi que les conditions de leur meilleure accessibilité. Voici quelques une des analyses effectuées :
1. Concernant les moyens les plus propices, pour les professeurs, à leur libre découverte d’informations sur des innovations
bull2.gif (117 octets)  La question, telle qu’elle était formulée, conduisait les enseignants à s’interroger sur leurs représentations de leur rapports à la libre découverte d’informations sur des innovations et notamment à se demander, à l’appui de leur expérience, lequel des moyens leur semble le plus propice, c’est-à-dire, le plus facilitateur, le plus générateur de découverte, et donc le plus adapté à leurs besoins personnels, compte tenu de la discipline dans laquelle ils enseignent.
bull2.gif (117 octets)  Nous proposons ci-dessous quelques remarques relatives au rang obtenu par chacun des différents moyens d’information :
1) On observe que, pour l’ensemble des professeurs interrogés, les discussions avec les collègues figurent, de manière très significative (au sens du Chi2), au premier rang des moyens les plus propices à la libre découverte d’informations sur des innovations, suivies des lectures d’écrits à visée pédagogique (manuels scolaires, articles et ouvrages pédagogiques). En effectuant un découpage par matières, il apparaît que les discussions avec les collègues représentent indépendamment des champ disciplinaires dans lesquels exercent les enseignants, le canal d’information le plus propice à l’information sur l’innovation.
2) En observant le rang des autres moyens oraux d’information tels que les discussions avec les inspecteurs, avec le chef d’établissement ou les formateurs, on se rend compte que ce n’est pas tant la discussion en soi qui peut favoriser la libre découverte d’informations - puisque les discussions avec l’inspecteur, le chef d’établissement ou les formateurs obtiennent un faible score - mais bien la discussion “ avec les collègues ”.
3) Si l’on s’attache à considérer, le nombre de revues disponibles pour chacune des six disciplines (français, mathématiques, langues, histoire-géographie, physique et EPS), on se rend compte que dans celles où il existe peu voire pas de revues pédagogiques, ce moyen d'information est ressenti comme peu propice à la libre découverte d'innovations
4) Cette inégalité devant l’existence de supports d’informations se double d’une inégalité qualitative ; c'est le cas en langues ;
5) Ce sont véritablement des contraintes d’accessibilité du contenu qui détournent les professeurs, d’une part, de la lecture de textes ministériels comme ceux du Bulletin officiel,
d’autre part de celle d’écrits pédagogiques (revues et ouvrages).
6) Est-ce pour ces raisons d’accessibilité du contenu que les manuels scolaires sont aussi utilisés comme outil d’information / innovation ? Pas uniquement, car ces ouvrages sont les seuls à circuler en grands nombres et, pour certains, à être gratuitement envoyés directement aux enseignants, d’où une plus grande accessibilité économique qui se double d’une meilleure accessibilité physique.
bull2.gif (117 octets)  Dans les manuels les idées nouvelles, didactiques (relatives ou contenus à enseigner) ou pédagogiques (relatives aux conditions organisationnelles qui vont faciliter l’apprentissage), apparaissent au lecteur sous leur forme transposée ce qui en facilite la lecture et l’éventuelle appropriation. Dès lors les informations / innovation que peut retirer un enseignant de la lecture des nouveaux manuels se trouvent de fait plus accessibles et sont autant d’invitations à l’innovation.
7) Il est en effet très intéressant de constater la valeur informative accordée aux manuels scolaires ; ceux-ci sont quasiment autant cités (59,3 %) que les articles pédagogiques (60,2 %), sachant que, dans des matières comme l’EPS, les arts plastiques, la musique ou la technologie, les manuels n’existent pas.
8) Enfin, faut-il le souligner, les résultats de l’enquête montrent que de manière tout aussi significative au sens du Chi2, les discussions avec le chef d’établissement et les lectures de documents syndicaux figurent, eu égard à leurs fonctions respectives, aux derniers rangs des moyens véritablement propices à la libre découverte d’informations / innovation.
9) La rubrique intitulée “ autres ”, proposée en dernière réponse à cette question, a tout de même été coché par 22,8 % d'enseignants et figure globalement au 10ème rang, ce qui appelle une interrogation sur la nature de ces autres moyens d’information. D’après les entretiens, il s’agirait d’écrits de types : articles de journaux et de revues initialement non pédagogiques mais dont l’intérêt didactique, notamment comme support de nouvelles lectures pour les élèves, est avéré dans des disciplines comme la géographie, les sciences économiques et sociales, les langues, la technologie et le français. Certains professeurs lisent ces écrits avec une sorte de veille didactique, c’est-à-dire avec le souci constant d’évaluer le caractère transposable (en cours) de ce qu’ils lisent, éventuellement, stylo, fluo ou ciseaux à la main...
bull2.gif (117 octets)  Ces articles, dont l’usage se trouve détourné par l’enseignant-lecteur à des fins didactiques, peuvent-ils être classés parmi les “ moyens pouvant être propices à la libre découverte d’informations sur des innovations ” ? Non, puisque ces écrits n’ont pas comme fonction d’informer sur des innovations, même s’ils peuvent les générer. Et pourtant, ces écrits pour lesquels se posent aussi des questions d’accessibilité13 font bien partie des “moyens d’information traitant d’innovation ou d’informations susceptibles d’induire de l’innovation” que nous désignons informations / innovation. Pour satisfaire aux exigences de lisibilité, la formulation des questions de notre enquête ne pouvait intégrer la complexité de notre objet au risque de semer le doute dans l’esprit des questionnés. C’est pourquoi on peut supposer que ces “ lectures d’articles non pédagogiques ” (articles de revues et de journaux divers) auxquelles font références certains professeurs, comme moyens propices à la libre découverte d’informations sur des innovations, se sont trouvés dans leur esprit implicitement inclues soit dans lectures d’articles pédagogiques soit dans la rubrique autres. De même dans des disciplines comme les arts plastiques ou la musique où la quête de supports didactiques nécessite le plus souvent une recherche d’informations non écrites, les professeurs questionnés ont pu intégré dans la rubrique autres l’écoute ou l’observation d’oeuvres artistiques, dans le but d’étayer leur enseignement.
2.1 Les conditions d’une meilleure accessibilité
bull2.gif (117 octets)  Les conditions d'une meilleure accessibilité proposées2 aux professeurs interrogés ont été choisies en fonction des différents critères d’accessibilité définis ci-dessus.
bull2.gif (117 octets)  Les items proposés ne recouvraient pas l’ensemble des résistances à l’information puisque notre intention était ici de cibler uniquement les conditions générales d’une plus grande accessibilité de l’information.
bull2.gif (117 octets)  On peut constater que la majorité des items a été cochée par plus de 30 % des professeurs questionnés, ce qui montre que l’ensemble des propositions de conditions susceptibles d’engager les enseignants à innover plus volontiers répondent aux besoins des enseignants. Trois d’entre elles dépassent le taux de 50 %, notamment celles relatives à la mise à disposition d’informations sur les réussites :
1- Si vous disposiez personnellement d’une liste des innovations reconnues comme des réussites ? (67,5 %)
Cette proposition nous rappelle l’importance de poursuivre le travail engagé depuis 1996, actuellement sous la direction de la DESCO (Direction de l’enseignement scolaire), et souligne la nécessité de communiquer de manière simple et accessible ces informations médiatrices d’innovation. Pour se disséminer, les innovations doivent faire l’objet d’une reconnaissance institutionnelle et d’une diffusion médiatique (publicité, information et formation) par l’intermédiaire de revues, de sites Internet et de formateurs.
2- Si vous disposiez de plus de temps pour vos recherches ? (56,9 %)
L’exercice du métier de professeur (préparation des cours, cours et correction de copies) occupe en moyenne plus de 40 heures par semaine, et l’on comprend aisément que la recherche documentaire se trouve vite limitée lorsque se cumulent par exemple des contraintes de déplacement, de recherche bibliographique et de lecture qui réclament objectivement du temps. 3- Si vous pouviez, dans votre établissement, accéder à des informations précises sur ces réussites ? (51,2 %)
Le rang obtenu par cet item renforce les remarques précédentes et souligne le poids des contraintes d’accessibilité géographiques et temporelles ressenties par les professeurs dans leur démarche de recherche d’informations / innovation.
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2. Vous innoveriez plus volontiers : (cochez les cases qui vous concernent)
- si les lieux d’information pédagogique (CDI, CRDP) étaient plus proches géographiquement ? / /
- si vous saviez exactement dans quel lieu trouver les informations qui vous intéressent ? / /
- si ces lieux étaient ouverts à des heures plus pratiques pour vous ? / /
- si ces lieux étaient géographiquement plus proches de votre domicile ou de votre établissement ? / /
- si les recherches documentaires y étaient plus faciles ? / /
- si vous disposiez de plus de temps pour vos recherches ? / /
- si vous pouviez librement consulter un spécialiste à propos d’informations sur les innovations? / /
- si vous disposiez personnellement d’une liste des innovations reconnues comme des réussites ? / /
- si vous pouviez dans votre établissement accéder à des informations précises sur ces réussites ? / /
- s’il n’était pas nécessaire d’utiliser l’ordinateur pour certaines recherches documentaires ? / /
- s’il était possible de trouver de nombreuses suggestions d’innovations sur CD-ROM ou Internet ? / /
- s’il existait plus d’informations sur les sujets qui vous intéressent ? / /
- si la majorité des documents de réflexion n’était pas constituée d’écrits mais de films démonstratifs ? / /