Biennale 5
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Interaction et développement de l'expression créative d'élèves cérébrolésés

Auteur(s) : MARSAT Martine

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bull2.gif (117 octets)   Questions de départ et problématique
bull2.gif (117 octets)  Dans le domaine de l’expression, notamment chez le sujet cérébrolésé, les questions qui demeurent sont multiples. Comment favoriser le développement de l’expression créative d’élèves cérébrolésés ? Telle est la question que nous tentons d’éclaircir.
bull2.gif (117 octets)  Une première étude (4° biennale, 1998), sur les aspects du transfert d’apprentissages langagiers par la transposition didactique des valeurs ludiques du jeu de contes, montre que la pratique ludo-verbale de ce jeu développe l’expression créative de sujets cérébrolésés et que ce développement, de leurs compétences linguistiques et narratives, advient si les élèves travaillent en interaction de co-résolution. Mais il reste à comprendre par quels processus des fonctionnements interindividuels sont à l’origine de nouveaux fonctionnements intra-individuels ?
bull2.gif (117 octets)  L’objectif est de montrer, à travers la recherche, que des sujets cérébrolésés peuvent tirer plus de bénéfice d’un travail à deux que d’un travail individuel dans le développement de leurs compétences linguistiques et narratives ; essayer de comprendre les processus mentaux responsables des effets bénéfiques produits par la co-élaboration d’un conte oral.
bull2.gif (117 octets)  Cadre organisationnel et institutionnel
bull2.gif (117 octets)  Pour se faire, nous avons suivi, durant une année scolaire, un groupe d’élèves cérébrolésés : Infirmes Moteurs Cérébraux, âgés de neuf à douze ans, pris en charge en Institution avec d’autres enfants handicapés moteurs : Traumatisés crâniens, Myopathes, Spina-Bifida... L’étude a été réalisée en classe spécialisée, dans l’école de l’Institution, avec des élèves disposant du schéma narratif et sachant élaborer la structure brève du conte merveilleux c’est à dire une architecture conforme aux critères canoniques minimaux du genre (situation initiale, complexification, issue) acquise par la pratique pédagogique du jeu de contes.
bull2.gif (117 octets)  Pour permettre que s’exerce librement la réflexion et que ces élèves en état liminal (C. Gardou, 1997), mobilisent leurs connaissances nous leur proposons un objet du savoir à enseigner : le jeu de contes. Empruntant au Tarot des mille et un contes (F. Debyser, 1977), le jeu de contes est un jeu de cartes constitué de cartes figuratives ou non, comportant un indice chronologique correspondant au déroulement du conte. Sa pratique ludo-verbale est originale mais simple. Elle permet de produire individuellement ou en groupe une création narrative. Pour favoriser cette construction de l’intelligence dans l’interaction sociale (A. N. Perret-Clermont, 1981) nous avons mis en œuvre des situations de conflit socio-cognitif. Le dialogue entre partenaires égaux oblige les élèves à trouver une manière de coordonner leurs différents points de vue et de développer leur expression.
bull2.gif (117 octets)  Adapter le modèle disponible au problème particulier
bull2.gif (117 octets)  Pour cela, il est essentiel que les objectifs soient précisés aux élèves. On s’efforcera de distribuer des matériaux et de proposer des règles du jeu de telle manière que chaque participant puisse confronter différents exemples et accéder à la reconnaissance des attributs communs (P. Meirieu, 1989). Il faut également que la complexité des situations d’apprentissage permette de résoudre des problèmes accessibles à l’élève. Mais tout nouvel acquis ne doit pas être du niveau de l’apprenant mais à sa portée. Il doit être dans la zone proximale de développement. (L.S Vygotski, 1985)
bull2.gif (117 octets)  La pratique pédagogique du jeu de contes consiste en la formation de la zone de développement proximal qui éveille les mécanismes de développement interne. Elle vise à développer l’expression en empruntant au conte populaire merveilleux. L’univers merveilleux du conte donne place à la créativité. Cet art oral est un élément important d’apprentissage et l’oralité du conte conduit l’élève cérébrolésé vers des situations de résolution de problèmes nouveaux.
bull2.gif (117 octets)  Ici, l’activité de construction de récits est considérée comme une activité de résolution de problème. La tâche en co-résolution est organisée de manière à exploiter les différences de choix opérés dans les échanges dialogiques avec une contrainte externe : améliorer les productions narratives.
bull2.gif (117 octets)  Cadre théorique et méthodologique
bull2.gif (117 octets)  La situation de construction de récits oraux où nous envisageons les processus interactifs du point de vue des procédures de co-résolution se réfère à la théorie de la médiation sémiotique de la communication et des négociations entre partenaires de L.S. Vygotski et aux travaux actuels de la psychologie sociale génétique, tels ceux de (A.N. PERRET-CLERMONT.
bull2.gif (117 octets)  Nous accordons une large part aux méthodes de caractère structural du conte de V. Propp et portons un regard sur l’étude du handicap en référence aux travaux de C. Gardou. Les recherches de la neuropsychologie (F. Eustache et S. Faure, 1996), notamment sur l’Infirmité Motrice Cérébrale de M. Mazeau et W.M. Cruickshank, J.Yost, P. McMillan retiennent notre intérêt.
bull2.gif (117 octets)  Dans cette perspective, les élèves en interaction de co-résolution devront apprécier leurs productions ludo-verbales dans l’élaboration commune d’un conte oral, en tenant compte d’une cohérence relative aux critères canoniques du genre.
bull2.gif (117 octets)  L’expérience comporte différentes phases : une sélection de sujets, en début d’année scolaire, sachant distinguer un récit d’un non-récit ; un entraînement, au cours des premier et second trimestres, sur deux séances (à un mois d’intervalle) en condition individuelle ou dyadique ; des post-tests individuels, immédiat et différé.
bull2.gif (117 octets)  Pour éviter la partialité dans la conduite des séances, chaque intervention s’est trouvée exposée à l’observation d’un enseignant spécialisé. Afin d’être attentif aux différentes phases de l’expérimentation et aux remarques du groupe d’élèves, un enregistrement des séances a été effectué.
bull2.gif (117 octets)  Transformer l’expérience en connaissance
bull2.gif (117 octets)  Au pré-test, trois types d’énoncés ont été proposés aux élèves. Le premier présentait des événements n’entretenant entre eux aucun rapport de succession. Le second présentait des événements entretenant des rapports de succession sans cependant raconter une histoire. Le troisième racontait effectivement une histoire conformément aux critères canoniques du conte merveilleux. Les élèves ne sachant pas distinguer une histoire d’une non-histoire n’ont pas participé à l’expérience.
bull2.gif (117 octets)  Les tâches utilisées lors des séances d’entraînements et les post-tests sont des tâches ludo-verbales de production intégrant l’usage du jeu de contes et sa thématique le conte merveilleux. La transposition de cet objet ludique en outil didactique, où le récit vient se superposer au mécanisme du jeu, permet l’interprétation des processus langagiers.
bull2.gif (117 octets)  L’élève ou le binôme dispose d’une série algorithmique de huit à douze cartes, extraites d’un jeu de contes <>, correspondant à l’enchaînement séquentiel du conte et d’un magnétophone pour s’enregistrer et se réécouter.
bull2.gif (117 octets)  Dans cette activité ludo-verbale, l’élève ou le groupe devait ordonner les unités événementielles en élaborant des productions narratives conformes à l’organisation interne du conte.
bull2.gif (117 octets)  L’expérience comportait quatre séries de cartes différentes : une pour les deux séances d’entraînements et une pour les deux posts-tests.
bull2.gif (117 octets)  Que les sujets travaillent seuls ou à deux, chaque séance d’entraînement commençait toujours par une phase de travail individuel au cours de laquelle les élèves devaient raconter oralement une histoire constituée d’éléments linguistiques et structuraux propres au conte merveilleux. Il s’agissait pour les élèves, de construire un énoncé et de mettre en œuvre des stratégies d’énonciation avec le jeu de contes. Ainsi, ce qui est joué est verbalisé dans la construction du récit.
bull2.gif (117 octets)  Dans les entraînements individuels, les élèves continuaient ensuite à travailler seuls ; dans les entraînements en groupe, ils étaient regroupés par deux de manière à maximiser les différences entre les choix individuels initiaux.
bull2.gif (117 octets)  En individuel comme en binôme, il était demandé aux élèves d’élaborer un conte oral composé des éléments relatifs au genre. Après un premier travail enregistré, les élèves devaient améliorer leur production orale. Pour se faire, il leur était précisé, la possibilité d’introduire des connecteurs, ces points d’articulation du récit n’apparaissant pas toujours dans l’enregistrement des premiers énoncés. Ces déficits de l’expression orale et du développement du langage correspondent aux séquelles les plus fréquentes de l’enfant cérébrolésé (J.Yost, P. McMillan, 1983).
bull2.gif (117 octets)  Quand les élèves travaillaient à deux, il était demandé “ de travailler ensemble ”, de discuter et de se mettre d’accord sur les propositions narratives pour choisir les unités ludo-verbales qui composeront leur création finale. Ceci afin d’exploiter des situations de jugement de productions narratives, à deux, visant à l’amélioration du contrôle de leur activité.
bull2.gif (117 octets)  La construction du conte suppose alors des propositions narratives par référence aux relations inter-événementielles de l’histoire construite. Pour se faire, les élèves ont appliqué une stratégie connue pour obtenir un récit construit. La tâche revenait alors à établir la hiérarchie des éléments du récit en faisant correspondre l’énonciation à la carte jouée . Ce travail implique l’ensemble des structures cognitives, par des mécanismes de mise en relation des informations engrammées (M. Mazeau, 1997).
bull2.gif (117 octets)  Les effets des performances, trois constats majeurs :
bull2.gif (117 octets)  Le premier constat concerne les performances pendant les entraînements : quels que soient les indices repérés dans la construction du récit, les performances collectives du binôme sont nettement supérieures à celles des élèves travaillant seuls : une plus grande attention, une meilleure écoute et une plus grande capacité à s’exprimer. La verbalisation dans les échanges ponctue l’action. Elle favorise la clarification des processus à utiliser la prise en compte de l’articulation de son discours avec celui d’autrui. Nous remarquons, également, que l’adéquation entre le jeu visuel et la mise en mots des actions de ces enfants permet de donner sens aux images exposées et d’élaborer l’histoire en intégrant le déroulement temporel. Chacun a compris que l’enchaînement de son discours avec celui qui précède va donner sens au récit commun. Les interactions ont permis l’analyse de la composante linguistique et celle des “ intensificateurs ” : l’intonation, les silences, la gestuelle, la posture, le regard. Ceux-ci ont enrichi la construction narrative et ont contribué à la fonctionnalité du discours de ces élèves. La construction orale, souvent complétée par des illustrations, a sollicité l’imaginaire de ces enfants cérébrolésés et les a aidés à mieux s’exprimer.
bull2.gif (117 octets)  Le second constat concerne les performances individuelles aux post-tests. De nouveau, les élèves entraînés en binôme ont des performances supérieures à ceux entraînés individuellement. Ce qui signifie que le travail en co-résolution oblige à des négociations qui ont bien un effet bénéfique dans le développement des compétences linguistiques et narratives du sujet. Il permet l’expression externe relationnelle au plan de l’expression interne.
bull2.gif (117 octets)  Ici, la pratique ludo-verbale du jeu de contes est pertinente car elle permet que se développent des processus internes réflexifs.
bull2.gif (117 octets)  Nous remarquons que la perception visuelle de ces enfants cérébrolésés est fortement influencée par le renversement figure-fond. Si on renverse les couleurs (figure-fond) du matériel habituellement présenté, on observe de meilleures performances chez les enfants I.M.C. (W.M. Cruickshank, 1976). Le support visuel du jeu de cartes a facilité le repérage des éléments qui constituent la trame du récit. C’est grâce à ce repérage graphique que les élèves ont organisé leur tour de parole pour communiquer et élaborer le conte. L’art de jouer en narrant, dans la pratique ludo-verbale du jeu de contes est à mi-chemin entre la création et la reproduction. Les clichés verbaux : formules de début et de fin de contes, associés à une carte spécifique du jeu ont constitué des éléments relativement stables.
bull2.gif (117 octets)  Les indices visuels repérés ont permis aux élèves de retrouver ces formules traditionnelles du conte. Ces unités de sens ont guidé et orienté les propositions narratives dans l’élaboration du récit. A l’issue de cette phase les élèves ont montré qu’ils étaient capables de construire, ensemble, des histoires conformes à la structure canonique des récits.
bull2.gif (117 octets)  Le troisième constat concerne l’évolution, entre pré et post-test, dans l’argumentation pour justifier des choix effectués. Lors de la tâche initiale, il n’y a pas de différence entre les sujets des deux conditions : individuelle et binôme. Par contre, aux post-tests, les sujets entraînés à travailler en groupe apportent des justifications de qualité supérieure aux sujets entraînés individuellement. La production des justifications en co-résolution fait référence à l’organisation interne du récit et la logique narrative.
bull2.gif (117 octets)  La négociation aboutit à des décisions pertinentes du groupe. Elle a favorisé le développement d’une stratégie sur la prise en compte d’éléments structuraux et linguistiques du genre plutôt que de privilégier l’aspect subjectif des choix. En groupe, les enfants parlent plus, les tours de parole sont plus nombreux. Les stratégies inter-discursives concourent au développement de l’expression créative de chaque apprenant.
bull2.gif (117 octets)  Entre les deux situations sociales, on note que les situations de confrontation se sont construites dans l’interaction et que celle-ci a favorisé le maintien des bons choix et renforcé l’activité sémiotique du sujet. L’instauration de négociations avec confrontation d’arguments pour justifier les choix opérés contribue au développement de l’expression de chacun.
bull2.gif (117 octets)  L’argumentation et les contrôles réciproques ont permis la confrontation entre éléments ludo-verbaux dont l’un ou l’autre a des raisons d’être rejeté ou retenu. Au cours des échanges dialogiques, les élèves ont amélioré leur production commune. Plusieurs niveaux d’organisation apparaissent dans la création narrative. D’abord l’énoncé avec une description des acteurs, leurs attributs, leur statut social, familial. Ensuite, l’énonciation avec une construction de l’algorithme du récit. Enfin, la transformation narrative entre la situation initiale et la situation finale.
bull2.gif (117 octets)  Les élèves qui ont bénéficié de cette expérience sociale sont mieux dotés que ceux qui n’en ont pas profité lorsqu’ils ont, par la suite, à effectuer un travail de même type. L’application des régulations, avec un travail sur l’enregistrement des “ narrations en actes ”, a rendu chacun responsable de sa progression langagière. Progressivement, l’élève se dégage de la dépendance à autrui pour faire appel à son imaginaire et à sa créativité. Ces élèves cérébrolésés en interaction de co-résolution ont libéré leur potentiel créatif et expérimenter ensemble un plaisir nouveau dans le domaine de l’expression orale.
bull2.gif (117 octets)  Les progrès observés tiennent au fait que la nécessité sociale, d’avoir à négocier, à favoriser le développement d’arguments pour organiser le récit et sa logique narrative. Les interactions de co-élaboration ont favorisé le fonctionnement d’une cognition collective argumentative centrée sur la création d’un conte oral et montré que les coordinations interindividuelles sont à l’origine de nouvelles coordinations cognitives intra-individuelles.
bull2.gif (117 octets)  Au-delà des situations ludo-verbales, ces élèves ont créé un espace graphique et pictural pour illustrer ses récits. En interaction de co-résolution, ils ont mobilisé leurs connaissances. Ils ont apporté, par le jeu des formes et des couleurs, une intensité particulière à leurs créations et ont participé à la réalisation de recueils de contes : Contes et Couleurs d’Enfants, livres I et II. (M. Marsat, 1997/1998).
bull2.gif (117 octets)  En conclusion, sur le plan pratique, nous avons observé ces élèves cérébrolésés et imaginé pour eux des situations d’interaction mieux adaptées, dans lesquelles ils ont pu agir, verbaliser, construire et transférer pour créer. A travers l’analyse cognitive des procédures de ces d’élèves, nous cherchons à comprendre comment à partir de cas singuliers arriver à dégager des éléments de connaissance qui permettent le développement de l’expression ?
bull2.gif (117 octets)  Références bibliographiques :
bull2.gif (117 octets)  DEBYSER (F.) Le tarot des mille et un contes, Paris, L’école des loisirs, 1977.
bull2.gif (117 octets)  EUSTACHE (F.), FAURE (S.) Manuel de neuropsychologie, Paris, Dunod, 1996.
bull2.gif (117 octets)  CRUICKSHANK (W.M.) Cerebral Palsy, A developmental Disability (3e édition, New York, Syracuse University Press, 1976.
bull2.gif (117 octets)  GARDOU (C.) Les personnes handicapées exilées sur le seuil, in revue Européenne du handicap mental, Cergy Pontoise, Editions Dialogues, volume 4, 1997.
bull2.gif (117 octets)  MARSAT (M.) Contes et Couleurs d’Enfants, livres I et II., La Ravoire, GAP, 1997/1998
bull2.gif (117 octets)  MAZEAU (M.) Dysphasies, troubles mnésiques, syndrome frontal chez l’enfant, Paris, Masson, 1997.
bull2.gif (117 octets)  MEIRIEU (P.) Itinéraire des pédagogies de groupes, apprendre en groupe ? Lyon, ° Chroniques sociales (2°édition) 1989.
bull2.gif (117 octets)  PERRET-CLERMONT (A.N.), La construction de l’intelligence dans l’interaction sociale, Berne, Peter Lang, 1975-1981
bull2.gif (117 octets)  PERRET-CLERMONT (A.N.) & NICOLET (M), Interagir et connaître. Enjeux et régulations sociales dans le développement cognitif, Delval, Cousset, 1988.
bull2.gif (117 octets)  PROPP (V.) Morphologie du conte, Paris, Seuil, 1965-1970.
bull2.gif (117 octets)  YOST (J.), McMILLAN (P.) Communication Disorders, in G.H. Thompson, I. L. Rubin, R.M. Bilenker (EDS.), Comprehensive Management of Cerebral Palsy, New York, Grun et Stratton, 1983.
bull2.gif (117 octets)  VYGOSTSKY (L.S), Pensée et langage, Paris, Editions Sociales : Messidor, 1985.