Biennale 5
logo INRP (3488 octets)

La construction du sens du métier d'enseignant

Auteur(s) : LOMONACO Beatriz

Lobi89.gif (730 octets)

retour au résumé


bull2.gif (117 octets)   Le principal objectif de ce travail est de mieux comprendre le rapport au savoir des enseignants des deux premières années de primaire en l'analysant particulièrement selon trois axes :
* leur rapport au métier
* la construction de leur savoir professionnel
* la construction du sens de leur pratique
bull2.gif (117 octets)  A l'aide d'entretiens semi-directifs réalisés auprès de 30 instituteurs d'écoles primaires publiques de S‹o Paulo (Brésil) et grâce à des observations en salle de classe, nous avons exploré des thèmes pertinents à l'objet d'étude: histoire scolaire et professionnelle des instituteurs, quotidien professionnel, rapport au métier, rapport aux élèves, apprentissage/enseignement, représentation de soi et sens du travail.
bull2.gif (117 octets)  Les données recueillies ont été travaillées en alternance selon des points de vue d'ensemble et particuliers afin de repérer à la fois les points communs et la singularité des instituteurs interrogés concernant leur manière d'envisager la construction du savoir professionnel et leur rapport au métier.
bull2.gif (117 octets)  Le référentiel théorique qui soutient la recherche se rapporte essentiellement, d'un côté, aux travaux soviétiques en matière de psychologie, et notamment à ceux de Vygotski et Leontiev, et, de l'autre, à la psychanalyse, tout spécialement aux idées de Freud et de Winnicott. Toutefois, plusieurs autres auteurs français1 et étrangers versés dans diverses branches des Sciences de l'Education ont également orienté le travail.
bull2.gif (117 octets)  A la lumière des concepts théoriques étudiés et de l'analyse des entretiens, nous avons observé que le savoir enseignant est basé sur des principes et des croyances; résulte d'un ensemble d'expériences subjectives et objectives, et de l'interaction des savoirs et des pratiques du sujet vu comme s'insérant dans un contexte socio-historique; relève d'une activité de quête, d'accumulation et de transmission de savoirs; il est aussi un produit de ces interactions et leur résultat.
bull2.gif (117 octets)  Le savoir enseignant se construit tout au long de l'histoire et surtout de la carrière du sujet, et il dépend de la conception qu'il a de son rôle, de celui de l'élève (et du savoir de celui-ci) ainsi que de leurs rapports respectifs à l'apprendre. A l'école, où ces rôles prennent forme, enseignants et élèves interagissent en créant un " espace potentiel de relation " appelé ici espace relationnel, où chacun apporte de soi pour construire une histoire particulière, où des savoirs et des expériences sont échangés, validés, appropriés ou rejetés et où, de cette négociation, se fait (ou ne se fait pas) l'apprentissage des enfants. Cet espace d'apprentissage mutuel où jouent et que créent ensemble l'enseignant et ses élèves se trouve soumis aux contraintes et aux attentes de l'institution scolaire.
bull2.gif (117 octets)  Nous avons encore observé que le savoir professionnel est le fruit essentiellement des interactions professionnelles qu'établit l'enseignant dans l'école, de son expérience et de sa réflexion sur sa pratique. L'expérience est source de savoir et le savoir est source d'expérience. Ce sont l'accumulation des expériences et la réflexion dans et sur son action qui vont lui permettre de construire des schémas pratiques - des opérations et des modèles - dont il se servira pour mettre en oeuvre ce qu'il sait. Malgré le faible poids attribué à la théorie dans son apprentissage professionnel, nous avons vu qu'elle fait partie intégrante de la construction de son savoir professionnel et constitue une aide fondamentale à la réflexion sur sa pratique : elle permet à l'individu de se poser des questions, de se distancier de son action et de la penser au moyen d'outils conceptuels peu utilisés dans l'ébullition du quotidien scolaire. C'est cette distanciation, qu'elle s'opère à travers la réflexion personnelle ou collective, qui fait que le savoir professionnel peut être mis en oeuvre adéquatement, le sujet se trouvant en mesure de se penser lui-même et de réfléchir aux situations auxquelles il est confronté. Dans l'apprentissage du métier, les rapports qui s'instaurent entre théories et pratiques sont d'opposition et d'interdépendance et génèrent souvent des tensions difficilement maniables, les enseignants recherchant essentiellement un savoir applicable dans la pratique, qui réponde aux problèmes quotidiens, et ne voyant pas leur pratique reflétée dans les théories.
bull2.gif (117 octets)  Nous avons vu par ailleurs que la façon qu'ont les instituteurs de se transmettre entre eux leur savoir professionnel dépend de sa nature et de son but, les formes les plus couramment utilisées étant les échanges verbaux, l'observation, l'expérimentation et l'imitation. Toutefois, bien que ce savoir constitue un large répertoire de connaissances, principes et expériences, ils ne sont pas toujours aptes à le conceptualiser par eux-mêmes, et il s'agit alors d'un savoir qui ne se sait pas. En ce sens, le savoir professionnel ne peut devenir un résultat que s'il est pensé, formulé, organisé et systématisé par le sujet, produisant ainsi un saut qualitatif dans son développement professionnel.
bull2.gif (117 octets)  Le savoir professionnel de l'instituteur procède aussi du sens qu'il donne à son expérience quotidienne et à son travail en tant que fonction sociale. Ce sens est variable et personnel, soumis aux changements que connaît l'exercice du métier et profondément lié à la satisfaction qu'il procure. Le goét de savoir, d'apprendre et d'enseigner joue lui aussi un rôle prépondérant dans l'apprentissage et l'exercice du métier, ainsi que dans l'apprentissage des élèves. Pour les instituteurs interrogés, enseigner relève surtout de la formation intégrale des enfants et exige un climat d'affection et de confiance. Selon eux, la transmission des connaissances n'a de sens que si elle va de pair avec la transmission d'attitudes, de valeurs, de comportements et de principes, une fonction d'autant plus valorisée ici que leurs élèves sont issus de populations défavorisées, c'est-à-dire présentent des handicaps que l'école doit combler. Ces enseignants se sentent souvent contraints de choisir entre instruire et former, et fréquemment se forgent un rôle qui valorise la transmission de valeurs et l'affection au détriment de la transmission des savoirs.
bull2.gif (117 octets)  Ainsi, concernant leur savoir professionnel, nous avons mis en évidence sa construction plurielle et à multiples facettes : il est toujours " rapport à " quelque chose; il constitue et est constitué par des relations diverses que les instituteurs entretiennent dans leur univers professionnel, les transformant et se trouvant transformé par eux continuellement. Conceptualiser leur rapport à l'enseigner s'est ainsi imposé comme moyen d'aborder leur savoir : ce rapport est l'ensemble des idées, attitudes, valeurs, comportements et pratiques qu'ils mettent en oeuvre dans l'approche et l'exercice de l'enseignement; c'est ce qui régule la pratique, l'apprentissage du métier et la construction du savoir professionnel. A partir de l'analyse des différents rapports à l'enseigner observés chez la population d'étude, nous nous sommes ainsi proposé de modéliser cinq situations-types - qui sont des constructions théoriques et artificielles - ayant pour but de mieux cerner les modes d'appropriation, de construction et d'utilisation du savoir professionnel adoptés par ces instituteurs en fonction de leurs différents rapports aux élèves, aux savoirs, à la situation d'enseignement et à eux-mêmes dans le contexte institutionnel.
bull2.gif (117 octets)  Si ces situations-types constituent une formulation encore embryonnaire, il nous semble qu'elles ouvrent des pistes intéressantes pour penser les enseignants moins en tant qu'individus à qui on peut attribuer certaines caractéristiques que comme sujets présentant différents types de rapport au savoir et à l'enseigner, perméables aux aléas de la carrière et de la vie personnelle. Ce rapport relevant d'une construction dans le temps, il est susceptible d'être transformé selon les conditions de travail, les principes et croyances qui le régissent et les interactions entre collègues, avec les élèves et leur famille.
bull2.gif (117 octets)  Il nous est apparu que ces situations-types pouvaient aider, premièrement, à montrer l'importance que revêt pour l'instituteur du début de primaire la prise de conscience de soi, de la place de l'élève et du sens du savoir aussi bien dans le contexte éducationnel au sens large que dans celui, restreint, de la salle de classe. Deuxièmement, elles peuvent aider à traduire le fait que lorsque le savoir professionnel est mis à profit et rencontre des conditions adéquates à sa pleine utilisation, il amène souvent une satisfaction professionnelle qui engendre à son tour de nouveaux mobiles d'action éducative encore plus efficace. Troisièmement, nous avons pu voir que si c'est l'individu qui donne une saveur propre à son savoir à travers ses expériences et le sens qu'il attribue à son métier, ce sens est soumis aux conditions de réalisation de son travail : il lui faut pouvoir réfléchir sur son rôle et celui de l'école, bénéficier d'un encadrement délimitant clairement ses tâches dans l'école et d'une vraie assistance matérielle et émotionnelle, et aussi être écouté dans son besoin d'apprendre pour que ce travail soit satisfaisant et, partant, que son métier ait un véritable sens.

1 Les travaux développés par les équipes de B. Charlot (Paris VIII) et de J. Beillerot (Paris X- Nanterre) sur le rapport au savoir ont spécialement guidé ce travail.