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Illettrisme : mesure d'effets et formation

Auteur(s) : LENOIR Hugues

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bull2.gif (117 octets)   Cette contribution vient conclure une formation action expérimentale de lutte contre l'illettrisme conduite sur plusieurs années à la Communauté urbaine de Strasbourg (CUS) et le Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT). Elle vise à restituer et reprend les résultats d'une recherche sur la mesure des effets produits par la formation sur les situations de travail.
bull2.gif (117 octets)  Plus précisément, elle fut, huit mois après la fin du dispositif DECLIC, une tentative d'appréhension des changements dans les pratiques professionnelles des agents et une observation des évolutions de l'activité des services où ils travaillaient.
bull2.gif (117 octets)  Nous avons choisi pour conduire nos analyses et afin de mieux mesurer les effets du dispositif DECLIC sur les apprenants de privilégier la parole des acteurs eux-mêmes qui dans bien des circonstances rend toute analyse superflue ou redondante. Nous avons néanmoins procédé, d'une part à une réorganisation de cette parole foisonnante et quelquefois contradictoire, d'autre part esquissé quelques analyses afin d'éclairer, de nuancer et/ou de souligner tels ou tels aspects des discours réorganisés.
bull2.gif (117 octets)  Par ailleurs, en accord avec la CUS et le CNFPT, nous avions décidé de tenter de mesurer, avant tout, les effets de DECLIC sur la maîtrise des situations de travail. Néanmoins, le dispositif a produit d'autres effets sociaux sur et chez les apprenants et à favoriser d'autres usages des savoirs acquis ou ré-acquis. S'ils n'apparaissent ici qu'en filigranes, il y a fort à parier, mais il s'agit là d'une autre mesure, qu'ils sont au moins aussi importants que ceux dont nous avons pu constater la réalité dans la conduite de l'activité professionnelle.
bull2.gif (117 octets)  Méthodologie d'enquête
bull2.gif (117 octets)  Cette recherche fut conduite, suite à la demande de la CUS et CNFPT, de février à mai 1998 à partir d'une série d'entretiens semi-directifs dont les questionnements furent débattus avec les commanditaires. L'échantillon a été construit et choisi en concertation avec les responsables du service "Emploi-Formation" de la collectivité territoriale. Il était constitué à l'origine de trente-neuf personnes, mais suite à des départs en vacances, des congés de maladie et des impératifs de service, seulement vingt-huit personnes furent interviewées. Cette limitation des matériaux disponibles, sans changer fondamentalement les résultats de notre travail, nécessite néanmoins de les interpréter avec nuance, les propos des "absents" auraient pu, en effet, contribuer, par leurs apports d'informations, à enrichir, confirmer ou infirmer d'autres éléments recueillis.
bull2.gif (117 octets)  Cet échantillon large néanmoins, compte tenu du nombre d'acteurs impliqués, directement ou non dans le dispositif de formation "DECLIC", était composé de trois sous-population : les apprenants eux-mêmes (ex-stagiaires), les collègues de travail, la hiérarchie. Les trois collèges furent représentés lors des entretiens. Notre hypothèse étant alors que seul le croisement des points de vue pourrait valider ou non la réalité des effets produits et constatés sur les apprenants par le dispositif DECLIC.
bull2.gif (117 octets)  La totalité des entretiens fut enregistrée et fut l'objet d'une double prise de notes. L'enregistrement avait une fonction de mémoire vive et de vérification en cas d'hésitation ou de dissonances ou de contradictions dans les prises de notes. C'est pour quoi, ils ne furent pas décryptés dans leur intégralité. En revanche, la double prise de notes, après relecture, confrontation et synthèse entre les auteurs fut saisie ("en langue rétablie") de manière à pouvoir être utilisées comme base à la rédaction. Suite à cette saisie et après construction d'une grille, une analyse de contenu fut opérée. C'est sur cette analyse que se fonde le travail de mesure d'effets présenté ici.
bull2.gif (117 octets)  Soulignons toutefois les limites de cette recherche du fait de plusieurs difficultés auxquelles nous avons été confrontés pour la réaliser. Hormis certaines défections déjà évoquées, nous avons constaté que pour certains interviewés, il était difficile voire impossible de mesurer une quelconque évolution chez un apprenant, soit parce que récemment mutés, soit sans lien direct de travail, soit rarement en contact avec lui... Le manque de proximité professionnelle entre certains stagiaires et leur hiérarchie en particulier a pu avoir soit un effet de masque sur certaines évolutions, soit n'a pas permis de repérer avec certitude des non-modifications. D'où un flou, voire des incertitudes et des doutes dans certaines de nos analyses.
bull2.gif (117 octets)  De plus la complexité du questionnement et surtout l'absence d'une grille d'observation, commune aux acteurs, quant aux évolutions dans la maîtrise des situations de travail des ex-Déclics a sans doute occulté une partie des effets et/ou accentuer certains autres, tant pour les apprenants eux-mêmes que pour leur entourage professionnel.
bull2.gif (117 octets)  Au-delà, signalons que si nous avons pu pointer des effets imputables au dispositif DECLIC, une part de ces effets appartient peut-être à des circonstances extérieures que nous ignorons. Prudence donc quant à l'analyse des causes de ces évolutions, même si à l'évidence, ce dispositif de formation a eu des effets identitaires et sociaux sur ceux et celles qui y furent engagés.
bull2.gif (117 octets)  Le point de vue des acteurs, apprenants, collègues, hiérarchie
bull2.gif (117 octets)  Nous avons choisi pour cette communication, malgré l'effet réducteur que cela implique, de ne faire apparaître que les éléments essentiels, que la synthèse des résultats de notre recherche et non de privilégier les propos d'un type d'acteurs. Ces constats sont le fruit d'une lecture transversale et multi-acteurs. Cette contribution vise donc à dégager les points de vue dominants et de permettre par une lecture croisée de mieux repérer les effets constatés, partagés ou non, du dispositif DECLIC sur les apprenants de retour en situation de travail. Par ailleurs, nous avons fait le choix de faire apparaître ici les points sur lesquels tous les acteurs se sont exprimés. Malgré tout, pour certains items, même lorsque le croisement n'était pas possible, il nous est apparu qu'ils avaient leur place dans cette synthèse. Dans tous les cas, il conviendra de lire ces résultats croisés avec distance car tout croisement en soi, par mise en relations artificielles, produit du sens et a des effets de renforcement des représentations. Néanmoins, et contradictoirement, de telles corrélations permettent aussi de mieux comprendre ce qui s'est joué et de vérifier plus avant, voire d'infirmer, de confirmer quelques hypothèses sur les effets produits par un dispositif de formation sur l'activité en situation de travail.
bull2.gif (117 octets)  Meilleure maîtrise de l'activité professionnelle
bull2.gif (117 octets)  Lorsqu'on relit (relie) simultanément les propos tenus par les divers acteurs concernés, même s'il demeure fort délicat, faute d'outils d'observation communs et fiables, de mesurer les effets du dispositif de formation, sur une meilleure maîtrise des situations de travail, il se dégage néanmoins quelques lignes de forces et quelques constats partagés.
bull2.gif (117 octets)  Si pour les apprenants eux-mêmes, il reste difficile de bien percevoir les modifications apportées dans la réalisation de leurs activités, certains conviennent qu'on "maîtrise mieux qu'avant la façon de faire" et que DECLIC "a ouvert des portes". Constat établi aussi, par certains collègues sur la manière de faire de leur équipier : "Une meilleure maîtrise, oui sûrement".
bull2.gif (117 octets)  Quant à la hiérarchie, au moins pour celle qui avait un contact régulier sur les lieux de travail avec les ex-apprenants, les avis sont plus nuancés. Soit elle n'a "rien remarqué", soit a mi-chemin, elle considère, pour l'un d'entre eux qu'"il s'intéresse un peu plus, mais il ne s'investit pas à 100%", soit que oui, il y a une "vraie différence avant et après Déclic", qu'il "commande autrement le personnel". Ainsi, DECLIC, dans certaines activités au travail a eu des effets, mais sans doute difficile à constater et pas nécessairement sur tous les stagiaires dans toutes les situations.
bull2.gif (117 octets)  Au demeurant, les évolutions les plus fondamentales et les plus significatives, qui furent unanimement constatées, sont comportementales "elle est plus ouverte", "il ose", il a le courage", "il a plus d'assurance", "il vient", "il discute", "il s'exprime", "il résout"... a n'en point douter; mais il ne s'agit que d'une hypothèse forte de telles évolutions auront à l'évidence des effets sur la maîtrise des activités professionnelles.
bull2.gif (117 octets)  Communication en situation professionnelle
bull2.gif (117 octets)  En matière de communication sociale au travail, l'avis de tous les acteurs est unanime. Le mode et les capacités de communication des ex-Déclics ont été assez largement transformés, voire améliorés tant dans leur relation à l'équipe que dans la relation à la hiérarchie. Les apprenants font le constat qu'ils sont "plus ouverts", "plus à l'aise" et que maintenant : "on parle plus avec la hiérarchie", "on s'exprime autrement, on sait parler". En bref, comme le dit l'un des apprenants : "je ne coupe plus la parole, j'écoute, je réponds".
bull2.gif (117 octets)  Les collègues partagent assez généralement ce point de vue, leur équipier "se fait mieux comprendre", "communique davantage". Si l'avis de la hiérarchie est encore une fois plus nuancé, les propos de plusieurs cadres vont dans le même sens : "il est plus ouvert", elle parle plus", "il y a plus d'écoute".
bull2.gif (117 octets)  Ainsi, il est possible d'affirmer que DECLIC a produit un réel effet "communication" sur les apprenants et qu'il y a eu transfert en situation de travail.
bull2.gif (117 octets)  Amélioration du service rendu aux usagers
bull2.gif (117 octets)  Sur ce point, même si les occurrences sont rares, certains stagiaires, peut-être parce qu'ils ont compris "à quoi sert le service" considèrent "être plus dans (leur) job", "être plus motivé". Etat d'esprit qui améliore sans doute la qualité du service public. Les collègues n'ont guère d'avis sur la question et bien souvent déclare "je ne peux pas répondre".
bull2.gif (117 octets)  La hiérarchie estime nettement qu'il y a un plus qualitatif dans le travail : "elle gère mieux le public", "son boulot, il le prend à cœur", "il a fait", "il dirige". Sans pouvoir affirmer une réelle amélioration du service rendu aux usagers, ces quelques bribes de discours peuvent apparaître sans interprétation abusive, comme des indices d'amélioration. Il y a, encore une fois, relative convergence, même si ici les collègues sont "absents", dans les discours des acteurs.
bull2.gif (117 octets)  Autonomie au travail et confiance en soi
bull2.gif (117 octets)  Chez les apprenants, qui souvent déplorent le peu d'autonomie qu'il leur est accordée "on peut rien décider", il se dégage néanmoins, pour ceux qui en ont la possibilité un gain identifiable de capacité accrue d'autonomie au travail : Je dirai oui, je ne me fais plus suivre", "Avant, je n'osais pas, maintenant, je le fais", "j'ai plus confiance en moi".
bull2.gif (117 octets)  Les collègues directs semblent avoir mieux mesuré le gain d'autonomie produit par DECLIC : "ça a sûrement eu des effets", "il participe plus", ça l'a beaucoup aidé". Ils partagent aussi souvent l'idée d'un "plus" de confiance en soi. L'encadrement, de son côté, a fait quelques constats d'amélioration : "on lui a donné une équipe à diriger, il a su faire", "Elle arrive à mieux gérer son poste". Difficile ici de tirer des conclusions, il apparaît que les gains en matière d'autonomie et de confiance sont diffus mais existent même s'il ne sont que le résultat encore discutable d'une observation, faute d'outillage, encore trop superficielle.
bull2.gif (117 octets)  Organisation du travail
bull2.gif (117 octets)  Du point de vue des apprenants, lorsque l'occasion leur en est offerte, lorsqu'il "ne parle pas pour rien", il apparaît qu'ils sont davantage en mesure de penser le travail et de faire, en d'autres termes d'agir sur leur activité : "je trouve des solutions", "comprendre (...), ça change énormément". Si, nous n'avons rien recueilli de significatifs sur cet item dans les propos des collègues, celui de la hiérarchie n'est pas plus riche, seule une compréhension plus grande de l'activité semble avoir été perçue : "elles comprennent", "il demande", "il fait répéter".
bull2.gif (117 octets)  Deux choses semblent avoir manqué aux acteurs, d'une part de réelles possibilités (volonté ?) de faire évoluer les situations de travail (enrichissement, procédures, participation) où des capacités d'organisations auraient pu se manifester, d'autre part une grille d'observation de ces capacités nouvelles à l'œuvre.
bull2.gif (117 octets)  Reconnaissance au travail
bull2.gif (117 octets)  Les apprenants de DECLIC, même s'il n'est pas possible de généraliser, considèrent être plus reconnus qu'auparavant au moins dans les relations de travail : "Oui, les chefs me demandent si ça va (...), avant c'était "je n'ai pas le temps", "on m'écoute plus". Pour les collègues et la hiérarchie, la question reste posée.
bull2.gif (117 octets)  Motivation et intérêt au travail
bull2.gif (117 octets)  Ici, l'effet de motivation de Déclic est réel, même si quelquefois, cette motivation a opéré un glissement vers d'autres objets que les tâches immédiates : "je m'intéresse plus", "ça m'a donné la pêche" pour préparer le concours, "avant je le disais (...) maintenant je suis pressé de partir" (mutation interne). Cette relance de la motivation et de l'intérêt sont pour les collègues moins évidents : "pas trop de motivation", il a l'air plus intéressé". Sauf peut-être, ici aussi, pour les cas où il s'agit de passer à d'autres choses : "Ce qui le motive surtout, c'est de pouvoir changer de travail". Il y a donc bien constat d'une motivation nouvelle, mais qui a du mal à se réinvestir dans des activités quotidiennes qui ont généralement peu évoluées.
bull2.gif (117 octets)  Quant à la hiérarchie, seul un tiers d'entre elle a pu repérer un effet de cette nature : "il est plus motivé au travail aujourd'hui, ça se manifeste".
bull2.gif (117 octets)  Gain d'efficacité au travail
bull2.gif (117 octets)  Une fois encore, il a été difficile de rassembler des informations sur ce point. Néanmoins, quelques propos d'apprenants laissent penser que quelque chose à changer : "plus curieuse", "plus de courage", "plus rapide". L'observation de la hiérarchie ne nous permet pas, par contre, d'affirmer une évolution dans ce domaine, hormis, dans un cas une meilleure compréhension des consignes et dans l'autre leur meilleure acceptation.
bull2.gif (117 octets)  Responsabilité au travail
bull2.gif (117 octets)  Pour certains des ex-Déclic, si l'autonomie s'est accrue, "il a pas mal de choses (que) maintenant je fais seul", l'augmentation de la responsabilité en situation de travail ne semble pas avoir été beaucoup modifiée. Hormis pour un cas isolé pour qui DECLIC "a permis d'être responsable" et pour un autre d'en manifester la volonté.
bull2.gif (117 octets)  La hiérarchie, même si elle considère que les apprenants positionnent leur responsabilité autrement, constate , peu d'évolutions notables, sauf à la marge.
bull2.gif (117 octets)  Reprise et continuité de formation
bull2.gif (117 octets)  Sur ce point, il apparaît que ceux qui ont vécu Déclic se soient, pour certains d'entre eux au moins, engager dans une nouvelle dynamique d'apprentissage. Soit parce qu'ils entretenaient, lorsque nous les avons rencontrés, leurs connaissances : "je lis un peu (...), j'entretiens un peu", "j'ai fait plusieurs stages". Soit parce qu'à cette époque, ils étaient dans l'attente d'une continuité : "j'attendais la suite", "il devrait y avoir une suite". L'effet "déclic" en ce qui concerne une partie du groupe a fonctionné. Ce constat d'un désir de poursuite des apprentissages a été largement perçu par la hiérarchie : "il fait l'école (...), il a passé le grade", "il va (...) au centre de ressources (...). Il travaille l'ordinateur", "il est partant", "il en veut".
bull2.gif (117 octets)  Que conclure ?
bull2.gif (117 octets)  C'est très largement au lecteur, que nous invitons à se reporter au rapport de recherche dont la richesse et les nuances sont beaucoup plus significatives, de tirer les conclusions de cette synthèse des différents points de vue des acteurs impliqués dans le dispositif DECLIC. Néanmoins, il nous semble que, malgré la difficulté de ces rapprochements et la délicatesse des interprétations, ce croisement a permis d'offrir un éclairage partiel, mais bien réel, des effets d'un dispositif de formation sur l'activité de travail. Certes, il ne s'agit que de points de vue d'acteurs, mais les convergences fréquentes laissent apparaître des modifications dans l'appréhension des situation de travail donc d'affirmer, en paraphrasant Jacques Ardoino, qu'il n'y a pas de dispositif sans effet et que tout dispositif réalisé dans et autour de l'activité professionnelle produit des modifications sur cette dernière mais que bien souvent, et c'est heureux pour les individus, la dépasse. Enfin, ce travail a démontré, s'il en était besoin, que toute mesure d'effets doit être pensée en amont du dispositif et que pour permettre une meilleure lisibilité de l'impact-formation, elle doit être outillée.