Biennale 5
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La distorsion entre une conception constructiviste de l’apprentissage acquise en formation et un modèle transmissif ressurgissant dans la pratique chez le professeur d’école stagiaire

Auteur(s) : LEFEBVRE Marie-Edith, PONCET-MONTANGE Jacques

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bull2.gif (117 octets)   Une recherche menée auprès d’une promotion de professeurs d’école stagiaires, dont une grande partie avait suivi un enseignement universitaire de préprofessionnalisation aux métiers de l’enseignement avant d’entrer à l’IUFM (cf notre communication au congrès de l’AECSE, Bordeaux 1999), nous a amenés à faire l’hypothèse que l’intégration des conceptions co-constructivistes de l’apprentissage dans la pratique de classe se heurte, en particulier lors des évaluations, à un discours sur cette pratique qui se centre sur les actes de l’enseignant et non sur l’interaction, discours qui paraît ramener les stagiaires à un modèle transmissif alors que leurs réponses aux questionnaires proposés pointaient un choix systématique de propositions constructivistes. La distorsion entre ces deux modèles, l’un lié pour le jeune enseignant à la formation théorique, l’autre, plus ancien, sinon archaïque, ressurgissant associé à la pratique, nous paraît de nature à rendre difficile la construction de l’image de lui-même comme enseignant que le professeur-stagiaire se construit. Cette distorsion, non prévue à ce point dans notre questionnement de départ, nous a amenés à reprendre le matériel réuni dans la recherche, en particulier les entretiens menés auprès des professeurs-stagiaires et les rapports d’inspection établis par les formateurs de terrain durant les stages, en engageant notre réflexion dans trois types de problèmes :
d’une part celui de la coupure théorie / pratique.
d’autre part celui de la construction de soi, c’est à dire ici de l’identité professionnelle.
enfin celui de la crise de l’identité de l’école elle même comme institution.
bull2.gif (117 octets)  En ce qui concerne la coupure théorie / pratique, elle procède d’un problème classique qui concerne toute formation professionnelle et qui a déjà fait l’objet de nombreux ouvrages (cf 1) et de rapports, comme celui du Recteur Bancel en 1989 : “ Créer une nouvelle dynamique de la formation des maîtres ”, où le chapitre 2 était intitulé explicitement : “ Comment articuler connaissances pratiques et connaissances théoriques pour construire des compétences professionnelles ? ”.
On peut la formuler autour de deux types de questions :
- du côté des connaissances théoriques : ce n’est pas tant leur acquisition qui est problématique, c’est surtout leur mobilisation fonctionnelle dans des procédures éducatives, c’est à dire leur transformation en schèmes d’action. Il est patent que ce dont les jeunes professeurs en formation parlent quand ils évoquent le problème de l’écart entre ce qu’ils savent et ce qu’ils font, touche à cet aspect . La question est donc : comment installer durablement des savoirs qui permettent d’installer des procédures d’action pertinentes ?
- du côté des connaissances pratiques : comment éviter que dans l’urgence de la tâche et du type de contrôle auxquels ils sont soumis, la recette immédiatement utilisable ou la routinisation de certaines solutions ne prennent le pas sur l’acquisition de véritables connaissances pratiques, qui soient suffisamment opératoires pour pouvoir être appliquées à des situations variées et, par définition, changeantes ( cf 2 ) ?. C’est ce que les entretiens avec les stagiaires permet de vérifier. Ils remettent à plus tard de donner un sens à leur activité : “ de toute façon, il faudra avoir notre classe pour comprendre ”.
bull2.gif (117 octets)  En ce qui concerne le problème de la construction de l’identité professionnelle, il faut d’abord rappeler le triple processus de sa formation. Comme le note C. Dubar ( cf 3), le premier élément isolable est l’image de soi comme image du soi vécu et assumé, qui renvoie à l’expérience et l’histoire du sujet. Puis du processus de construction de socialisation, dans lequel le sujet se sent appartenir à un groupe défini, à se reconnaître par référence à un groupe d’appartenance. Enfin, à l’expérience que le groupe fait , de ses projets et des ses actions, dans lesquelles le sujet partage avec d’autres une culture construite ensemble. On peut formuler la question : comment substituer à l’action qui ne répond qu’au besoin de sécurisation immédiate face aux situations d’urgence un véritable “ agir ” où le théorique et le pratique ne seront que deux moments d’une même construction de soi comme enseignant ?
bull2.gif (117 octets)  Ces différentes composantes de la construction d’une identité sont-elles possibles dans un lieu de formation comme l’IUFM ? L’apprenti professeur est d’avantage interrogé ici par son avenir immédiat et les questions d’efficacité, de l’urgence des tâches à accomplir demain que par le souci de soi. Il remet à plus tard le travail à faire sur soi même, tout absorbé par l’immédiateté. Et les modèles d’enseignement auxquels il peut se référer sont de l’ordre du déclaratif, mais n’ont pas encore eu le temps de se traduire en termes de schèmes d’action. Sans doute suffira-t-il de rencontres dans sa vie professionnelle, d’appartenance à une équipe pédagogique ambitieuse pour voir ces acquis, que nous avons bien constatés comme présents dans la mémoire déclarative, et que la moindre évocation fait resurgir, refaire surface et donner naissance, cette fois-ci, à des pratiques beaucoup plus proches de ses espérances, parce que portées par un groupe construisant sa propre identité. Ce qui semble sans aucun doute nécessaire à la réalisation de soi en tant que sujet dans la vie professionnelle sera alors de l’ordre de l’institution scolaire, si celle ci se porte garante d’un espace de liberté où des approches pédagogiques nouvelles peuvent être réalisées.
bull2.gif (117 octets)  Nous rencontrons cependant là ce que nous proposions comme troisième type de problème, celui de la crise d’identité de l’école comme institution. Institution en crise, ou perçue comme telle, c’est ce que la riche littérature proposée à la dernière rentrée, par exemple, pointe, de façon parfois caricaturale, comme en témoigne la présence dans les titres de mots renvoyant à des émotions fortes : “ horreur ”, “ scandale ”, “ chute ”, “ barbarie ”. L’école est représentée comme ayant démissionné, ou même trahi.
bull2.gif (117 octets)  Cette crise, Bernard Charlot (4) l’analysait déjà en 1987 la liant à l’adaptation de l’école à la société moderne, adaptation qui ne peut qu’entraîner conflits et instabilité et par conséquent crise, non pas ponctuelle mais structurelle. Il montrait aussi que la crise dénoncée était moins cette crise réelle que le reflet dans une école-miroir d’une société en crise.
bull2.gif (117 octets)  Cette crise touche en premier lieu les enseignants du second degré, qu’ils soient ou non débutants, en brouillant leurs repères identitaires, mais les enseignants du premier degré ne sont pas épargnés, à travers notamment le rapport aux familles, et le rapport non directement aux élèves, mais au rapport de ceux-ci au savoir. Ces deux points, mal vécus, entraînent chez le professeur d’école une mise en question de son image et une tendance à se réfugier vers cette valeur refuge qu’est l’image de l’enseignant comme maître. Les compétences exigées du professeur d’école , en effet, sont pour partie liées au partenariat (en particulier avec les familles), et à l’adaptation au rythme d’apprentissage de l’élève, par une différenciation pédagogique. Ces compétences sont à la fois justifiées dans la formation en IUFM par les textes institutionnels (loi d’orientation, référentiel des compétences du professeur des écoles) et par le discours explicatif des sciences de l’éducation ( psychologie cognitive, sociologie de l’éducation). Pourtant, le rapport aux familles et la relation élève-maître sont perçues avant même l’année de stagiarisation, dans les représentations du métier telles qu’elles apparaissent chez les étudiants de préprofessionnalisation et chez les étudiants de première année d’IUFM (cf 5), comme potentiellement décevants (dans les craintes qu’ils émettent) : décevant, le rapport aux familles, dans la mesure où les parents, “ démissionnaires ”, ne préparent pas leur enfant à respecter les enseignants et l’école, et décevant parce que les parents ne témoignent pas au maître le respect dû à son statut ni à son rôle. Décevante, la relation avec l’élève, parce que très loin des représentations des étudiants, dans lesquelles l’élève c’est d’abord le bon élève : curieux, intéressé, actif mais sage, à l’écoute du maître. Lorsqu’ils se retrouvent “ sur le terrain ”, en stage, ils vivent les exigences critiques des parents et la distance entre l’élève rêvé et l’élève réel non seulement comme une difficulté, mais comme une difficulté accrue comme artificiellement par ce qui leur était présenté en formation comme des moyens ou des outils pour faire face à la difficulté. Autrement dit, les modèles de type co-constructif dont ils pensaient qu’ils allaient permettre de rendre positif le rapport au savoir de l’élève, ils ne peuvent les mettre en place, et c’est vers un modèle plus ancien, plus conforme à des représentations liées à une image à la fois ancienne (celle de leur enfance) et fantasmée de l’école qu’ils se tournent, l’image d’une école dans laquelle ils peuvent être “ maître ”, image qui rejoint l’image que les parents et les acteurs sociaux en ont. Quel est ce modèle ? Celui de l’enseignant qui assure “ les bases ”, donne des repères, scolarise, et crée un espace de travail avant de faire apprendre, l’antériorité de la relation apparaissant ici comme un préalable absolu. Les professeurs stagiaires sont confortés là par le discours des formateurs de terrain, qui insistent dans leurs rapports sur cet espace de travail que doit être la classe, espace constitué par l’établissement de règles et le respect de rites, dont ils vérifient soigneusement la mise en place. Là où se fait la confusion, c’est que pour le jeune stagiaire, il y a coïncidence entre ce modèle de scolarisation et la “ logique de la restitution ” dont parle S Joshua (6), par opposition à la “ logique de la compréhension ” représentée par les formateurs IUFM qui font de la mise en place de procédures d’apprentissage une priorité. En fait, les deux types de formateurs ne sont pas réellement en désaccord, mais ce qui pour les uns est implicite est explicité par les autres, et réciproquement : ce n’est pas entre eux qu’il y a opposition, mais dans l’attribution par les professeurs-stagiaires de leurs exigences à des modèles incarnés par des personnes représentant des instances : d’une part, L’institution-employeur, les parents, la société : en gros, ce qu’ils perçoivent comme la réalité à laquelle ils doivent s’adapter, et dans laquelle ils doivent être des maîtres, ce qui leur vaudra la certification mais aussi le respect. D’autre part, l’institution de formation, les théoriciens de la didactique, les enseignants , ce qu’ils perçoivent comme ce monde un peu utopique qui n’a de sens qu’en amont (quand on est étudiant) ou dans l’avenir (quand on saura se faire écouter) mais qui n’a pas de pertinence actuelle.
bull2.gif (117 octets)  La distorsion entre les deux modèles n’est donc pas un refus pour le professeur stagiaire de tenter l’aventure mais plutôt un moyen de s’accorder à une image qu’ils associent à une demande sociale, et qu’ils perçoivent par conséquent comme davantage professionnelle.
bull2.gif (117 octets)  BIBLIOGRAPHIE :
1- MALGLAIVE, G., Enseigner à des adultes. Paris : PUF, 1990
2- MOTTET, G.(dir), La Video-formation : autres regards, autres pratiques, Paris : L’Harmattan, 1997
3- DUBAR, C., La Socialisation. Paris : Colin, 1996
4- CHARLOT, B. , L’école en mutation. Paris : Payot, 1987
5- MOUTON, J.Cl., Représentation sociale du métier d’enseignant et préprofessionnalisation, Mémoire de Maîtrise en sciences de l’éducation ronéotypé, Université de Provence, octobre 1998
6- JOHSUA, S., L’école, entre crise et refondation. Paris : La Dispute, 1999