Biennale 5
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La mobilité à l'intérieur de l'espace éducatif européen au travers des échanges franco-portugais

Auteur(s) : LECLERCQ Hélène

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bull2.gif (117 octets)   de maîtres du premier degré
bull2.gif (117 octets)  Dans cette contribution, je me propose de vous présenter le fonctionnement d'un échange bilatéral de maîtres du 1er degré, à titre d'exemple de mise en œuvre de la mobilité institutionnelle à l'intérieur de l'espace européen.
bull2.gif (117 octets)  L'échange de maîtres du 1er degré entre la France et la Portugal existe depuis 1991; il est né de la volonté des ministres de l'éducation de l'époque (L. Jospin pour la France) à la suite d'une visite officielle au Portugal en janvier 1989. Afin de replacer cette décision dans un contexte historique, il est à noter que 1989 marque en France le début de l'expérimentation prévue sur 3 ans de l'enseignement contrôlé des langues à l'école élémentaire, dont la généralisation à l'ensemble des CM2 était envisagée pour 1995; le 1er janvier 1992 a marqué l'entrée du Portugal dans l'UE; le traité de Maastricht, qui date également de 1992 et stipule pour la première fois que les personnels du monde éducatif sont des acteurs de la construction européenne.
bull2.gif (117 octets)  Des échanges de maîtres du 1er degré existent entre la France et l'Allemagne, le Québec, la Louisiane, et l'Espagne, sur des modèles divers.
bull2.gif (117 octets)  Dans chacun des cas européens, chaque agent enseigne sa langue maternelle comme langue étrangère à raison d'une ou deux séquences de 45' par semaine; il ne s'agit donc pas d'échange de poste à poste à proprement parler, mais l'objectif est plutôt de constituer dans les pays concernés un volant de personnels dotés d'une connaissance de la langue et de la culture de l'autre pays telle qu'ils soient en mesure à leur retour d'en proposer l'enseignement à leurs élèves. En outre ces personnels mettent en œuvre la mobilité des personnes, un des principes de la construction européenne.
bull2.gif (117 octets)  L'appel à candidature paraît au B.O. et chaque individu correspondant au profil annoncé peut poser sa candidature individuelle selon une procédure classique en passant par la voie hiérarchique. L'ensemble des candidatures qui parviennent au ministère à Paris sont ensuite examinées en commission technique bilatérale, et les affectations sont prononcées en fonction des vœux géographiques des candidats, mais avant tout en fonction des postes disponibilisés par l'administration de tutelle, c'est-à-dire par les différentes inspections académiques gestionnaires des personnels du 1er degré candidats à cet échange.
bull2.gif (117 octets)  En 9 ans cet échange a permis à 80 instituteurs français de passer un an au Portugal, et à 80 de leurs homologues portugais de passer un an en France. Les institutions des deux pays sont en mesure de se demander en quoi cet échange a réussi à modifier tant l'image et la place du portugais dans le champ éducatif français, que la place et l'image du français dans le champ éducatif portugais; d'autant que la politique des langues en France comme au Portugal s'est modifiée au cours de ces 9 ans.
bull2.gif (117 octets)  Le seul indicateur retenu par les deux ministères est le nombre de classes de 1ère langue étrangère : d'un côté comme de l'autre on constate que ce nombre stagne voire diminue. Mais ni d'un côté ni de l'autre il n'est possible de dire ce que sont devenus les enseignants qui ont participé à cette expérience. Pour en savoir davantage, nous avons procédé à une enquête auprès des maîtres français en poste au Portugal, afin de déterminer ce qui les avait motivés à tenter cette expérience, ce qu'ils retenaient de cette année dans un autre système éducatif, et comment ils imaginaient réinvestir cet acquis. Cependant il ne nous a pas été possible d'en faire autant pour leurs homologues en poste en France : il sera essentiel de procéder à ce deuxième volet afin de vérifier si les motivations des candidats et les effets de leur séjour étaient analogues ou non; dans un premier temps nous vous présenterons donc un regard partiellement unilatéral, et nous n'aborderons pas ici les questions de représentations du portugais et du Portugal.
bull2.gif (117 octets)  Tout d'abord il faut constater que les participants à cet échange se répartissent dans 2 grandes catégories : d'origine portugaise ils souhaitent tirer profit de leur double culture, Français d'origine ils souhaitent avant tout quitter pour un temps leur école (c'est le seul échange où il n'est pas demandé au départ de parler la langue du pays); les plus jeunes se retrouvent pour dire qu'ils ont en tête un plan de carrière pour lequel un séjour à l'étranger est une planche d'envol; les uns et les autres affirment être intéressés par l'expérience interculturelle, encore que ce concept n'est pas franchement défini et reste d'une acceptation très proche de celle du tourisme professionnel, surtout pour ceux qui ont déjà "roulé leur bosse autour de la planète".
bull2.gif (117 octets)  Il est très rare de rencontrer parmi les arrivants des enseignants déjà impliqués dans un projet éducatif avec le Portugal (échange épistolaire, enseignement de la langue, appariement avec une école portugaise, etc), et malgré les intentions affichées de poursuivre les contacts avec les écoles et les centres de formation dans lesquels ils viennent de travailler un an, on constate que très rares sont ceux qui y parviennent et qui "donnent encore signe de vie" un an après leur départ.
bull2.gif (117 octets)  Il apparaît très clairement que les enjeux se situent au niveau individuel, et que les institutions impliquées dans ce programme ambitieux au départ ne se trouvent pas en mesure de suivre les individus impliqués dans le projet : le dispositif mis en place (suivi des agents sur place par les représentants de l'Ambassade, accompagnement sur le site de nomination par les centres de formation des maîtres, réunions bisannuelles de bilan, etc...) ne suffit pas à responsabiliser les enseignants impliqués au-delà de l'engagement personnel dans le cadre de leur enseignement du français à de jeunes enfants au Portugal. Une fois rentrés en France, aucun dispositif n'existe qui leur permettrait de faire profiter tant à leurs élèves qu'à leurs collègues de l'expérience qu'ils viennent de vivre (la situation est analogue au Portugal).
bull2.gif (117 octets)  Cette année passée dans un autre système éducatif de l'Union Européenne à proposer sa langue et culture maternelle comme langue étrangère a permis de porter un regard nouveau sur la place des langues étrangères à l'école élémentaire : tous ont pris conscience de la nécessité d'une formation spécifique à l'enseignement d'une langue étrangère (même quand il s'agit de sa langue maternelle dans certains cas), de l'intérêt très grand des élèves pour les activités en langue étrangère, de l'ouverture interdisciplinaire rendue possible par l'introduction d'une langue étrangère, des effets bénéfiques sur l'apprentissage de la langue maternelle, et du non-sens qui consiste à ne proposer qu'une seule langue étrangère, tant le contact avec des langues permet en retour de faire prendre conscience aux élèves d'une nouvelle facette de la diversité.
bull2.gif (117 octets)  Commentaires / Propositions :
1. L'accord bilatéral sur cet échange a été signé au niveau national, c'est-à-dire au sommet de deux institutions fortement centralisées, à une époque qui semble lointaine où les ministères étaient directement en mesure de faire mettre en œuvre dans les régions des décisions prises à Paris ou à Lisbonne. 10 ans plus tard les deux pays se sont installés complètement dans la décentralisation, et l'autonomie des Rectorats et des Inspections d'Académie est telle que les régions et les départements ne se sentent plus directement impliqués dans des décisions prises à Paris, surtout si elles ne sont pas relayées par des circulaires "d'application" (Deux ans après le début de cet échange, cet écart entre les décisions prises à Paris et la façon dont elles étaient relayées au niveau académique était déjà souligné par l'administration centrale).
bull2.gif (117 octets)  Par ailleurs, dans le domaine éducatif l'Europe des régions s'est mise en place - à des degrés divers - sur les territoires français et portugais.
2. La durée de l'échange (octobre - juin) correspond de facto à la durée du projet; aucune suite concrète, aucun suivi n'est envisagé à l'exception d'une phrase dans l'appel à candidature du BO annonçant aux candidats qu'ils devront mettre en œuvre à leur retour ce qu'ils ont appris pendant leur séjour; les effets du séjour ne font pas partie du programme; il n'y a pas d'interaction entre les institutions des 2 pays - à l'exception de la réunion bilatérale. Les programmes européens qui rendent possible la mobilité des enseignants du 1er degré proposent un séjour à l'étranger d'une durée maximale de 4 semaines, ce qui ne peut en rien être comparé quant aux effets aux 9 mois du programme bilatéral. De plus ce programme bilatéral permet de prendre en compte la spécificité des deux pays, question particulièrement cruciale pour les pays du sud de l'Europe.
3. L'expérience de la mobilité pour des personnels du 1er degré, dans la mesure où dorénavant le monde éducatif est officiellement associé à la construction européenne, permet également à des enfants un contact avec un maître "venu d'ailleurs", et réduit la distance à l'étranger, familiarisant ainsi les enfants avec l'étrangeté de l'étranger (cf. Groux, Porcher, 98).
4. Il semble essentiel d'améliorer et de croiser les contacts, et les articulations suivantes sont particulièrement souhaitables :
articulation institutionnelle : MEN / Ambassade du Portugal à Paris; Min. de l'Education portugais / Ambassade de France à Lisbonne
articulation national (accords bilatéraux) - régional (protocoles d'accords régionaux, ex. Ac. Grenoble - DREAlentejo; Ac. Bordeaux - DREN; Ac. Strasbourg - DREAlgarve; Ac. Toulouse - DREC); les accords inter-régionaux signés récemment permettront de monter de véritables projets inscrits dans la durée qui à terme susciteront des candidatures croisées (échange de poste à poste) dont l'effet sera directement réinvesti au retour.
articulation 1er degré - collège / 1º ciclo - 2º ciclo; les participants à un tel échange pourraient participer aux campagnes de sensibilisation au choix des langues à la sortie du 1er degré, et ne pas rester cantonné à une salle de classe.
articulation formation initiale France - Portugal : IUFM / ESE; les échanges d'élèves-maîtres autour de projets éducatifs permettraient de sensibiliser les enseignants français et portugais à une réalité méconnue qu'il serait bon de diffuser une fois la formation initiale terminée.
articulation formation initiale - formation continue; une façon de prendre en compte cette expérience spécifique au retour serait de faire intervenir les anciens du programme dans des séances de formation organisées dans le cadre de la sensibilisation à la réalité européenne.
articulation avant - pendant - après l'année passée à l'étranger (projet complexe et global); ne retenir pour un tel échange que les candidats qui présentent un projet construit faisant état d'une démarche éducative impliquant un travail déjà effectué auprès des élèves, et dont un séjour au Portugal / en France apparaît comme une étape qui améliorera la qualité du projet au retour, donnerait une autre dimension à cet échange : les candidats se mettraient dès le départ dans une posture professionnelle inscrite dans la durée (alors que pour l'instant ils n'ont aucune raison d'envisager concrètement l'après).
bull2.gif (117 octets)  L'intensification de ces contacts et la mise en place concrète de ces différents types d'articulations devraient permettre aux individus de s'impliquer au-delà de leur personne et aux entités chargées de l'organisation des échanges à la fois de choisir les personnes les plus aptes à réinvestir les acquis et d'assurer un suivi efficace à cette opération : à situation complexe, dispositif complexe, afin de sortir d'une vision linéaire de la réalité.
bull2.gif (117 octets)  Qu'il soit dit ici que la durée d'une année permet une imprégnation que ne permet nullement un séjour de deux à quatre semaines (cf. programmes européens) trop facilement assimilé à des vacances et au tourisme (cf. durée des vacances). S'il est véritablement question d'ouverture et de changement de mentalité, le facteur temps ne peut être mis à l'écart.
bull2.gif (117 octets)  Nous pouvons nous demander, à voir la manière dont les systèmes éducatifs nationaux traitent les enseignants du 1er degré quant à leur formation à la langue et culture d'un des pays de l'union européenne, si l'intérêt énoncé pour le plurilinguisme n'est pas qu'une façade (Candelier, 96); et si une telle attitude de désintérêt persiste, il ne fait aucun doute que la diversité des langues qui fait la richesse de l'Europe ne continuera d'exister que pour ceux d'entre les élèves dont les parents en auront les moyens / besoins.
bull2.gif (117 octets)  Références bibliographiques :
bull2.gif (117 octets)  PORCHER, Louis et GROUX, Dominique
bull2.gif (117 octets)  L'apprentissage précoce des langues, Paris, PUF, 1998
bull2.gif (117 octets)  CANDELIER, Michel
bull2.gif (117 octets)  Pour que l'école favorise le pluralisme linguistique, il faut qu'on le veuille vraiment, in Langues Modernes, 2-96.
bull2.gif (117 octets)  Cahiers de l'ASDIFLE nº10, Paris, 1998