Biennale 5
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Les événements marquants chez des stagiaires en enseignement du Français : vers un répertoire d'illustrations en didactique

Auteur(s) : BARIBEAU Colette, LEBRUN, Monique

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bull2.gif (117 octets)   Comme didacticiennes du français, langue maternelle, nous nous intéressons depuis 1995 aux façons dont les novices en enseignement intègrent les savoirs disciplinaires aux savoirs psychopédagogiques au cours de leur formation de baccalauréats d'enseignement d'une durée de quatre ans. Dans notre domaine de spécialisation, il n'existe pas de théorie unificatrice, mais plutôt un ensemble des disciplines auxquelles il est fait référence pour expliquer ou faire comprendre des situations d'enseignement-apprentissage. Or, un large corpus de recherches sur les incidents critiques ou événements marquants (Housego, 1987, Kelchtermans, 1993) a analysé en profondeur la relation entre l'étudiant et son environnement professionnel. Ces travaux mettent en lumière l'importance prépondérante des composantes telles l'organisation ou la gestion des activités de classe, les relations interpersonnelles ; certes, certaines composantes ont trait spécifiquement à l'enseignement d'une matière, mais cet aspect a, en général, été peu exploré. Les recherches que nous menons présentement tentent d'examiner plus en profondeur ce champ et de faire le point, entre, d'une part, l'ensemble des outils et des stratégies pédagogiques qui utilisent la narration d'événements marquants dans un parcours éducatif et, d'autre part, le recours au répertoire d'illustrations que la pratique réflexive a permis de mettre en lumière dans le développement professionnel (Schön, 1983). Nous cherchons à appliquer cette grille de lecture à des situations didactiques basées sur l'enseignement de la langue. Les travaux auxquels cet article font référence ont été menés, par questionnaire ouvert, auprès de 155 étudiants inscrits au baccalauréat d'éducation au préscolaire et d'enseignement au primaire et 89 étudiants inscrits au baccalauréat d'enseignement du Français au secondaire ; ils étaient en train de compléter leur deuxième année de formation dans le cadre d'un programme de quatre ans. Les deux questions auxquelles nous nous attardons concernent la narration d'événements marquants (Décrivez un événement qui vous a marqué au cours de vos stages et qui, selon vous, a eu un impact sur votre apprentissage en didactique du Français. Décrivez un événement qui vous a marqué au cours de vos cours de didactique et qui, selon vous, a eu un impact sur votre apprentissage en didactique du Français.). Les textes ont entre 5 et 10 lignes. Notre grille de lecture comporte cinq grandes composantes ; quelques-unes avaient déjà été identifiées par les recherches antérieures (Housego, 1987, Kelchtermans, 1993), d'autres ont été ajoutées à partir de nos propres travaux (Lebrun, Baribeau, 1998). Nous vous en présentons dans les lignes qui suivent les grands traits ; au fil de la description des événements rapportés par nos sujets, nous en précisions l'un ou l'autre aspect. Lors l'un événement marquant, certains facteurs externes, plus que d'autres, ont un impact sur l'apprentissage : songeons ici à la présence de figures de références comme le maître-associé ou encore le groupe-classe et sa gestion. Des facteurs internes entrent aussi en cause : le sentiment de vivre une situation conflictuelle et les émotions vives qui s'y rattachent, la vision du soi professionnel, les expériences antérieures. Deux composantes ont spécifiquement trait au champ de la didactique du français; celles-ci se distinguent des autres par leur nature évolutive; il s'agit tout d'abord de la vision de l'objet à enseigner (ou de la matière) et de sa transposition didactique (son enseignement) et, complémentaire mais différente de la vision que le jeune novice a de l'apprentissage de cet objet par l'élève, oscillation entre un apprentissage sans objet à un apprentissage de type socio-constructiviste. Une dernière composante constitutive d'un événement marquant a trait aux résultats que le novice peut observer en lui-même ou chez l'élève. Voici, sous forme de tableau, ces composantes.FACTEURS EXTERNES Figures de référence (maître-associé, milieu d'accueil Contenus de formation Culture de l'école : parents, collèguesÉlève et groupe-classe Tâches à accomplir FACTEURS INTERNES Connaissance de soi et expérience antérieure Situation conflictuellle (dissonance, déséquilibre) Émotions vives (anxiété, étonnement, bonheur) Vision de soi comme professionnel VISION DE L'OBJET À ENSEIGNERPerception diffuse de l'objet Transposition didactique (allant de l'utilisation du matériel commercial au modelage de stratégies procédurales puis à la conception d'un cycle didactique intégré aux tâches quotidiennes ou mensuelles) VISION DE L'APPRENTISSAGE DE L'OBJET PAR L'ÉLÈVEPerception diffuse de l'acte d'apprendre par l'élève Appropriation par l'élève de l'objet : schème d'opérations mentales complexe. Liens entre l'apprentissage et l'apprentissage d'une langueRÉSULTATS OBTENUSRoutines fonctionnelles ou procéduralesActualisation d'un rêve ou d'un idéal Recadrage du rôle (modification, adaptation, cristallisation) Résultats observés chez l'élève (apprentissage de tout niveau) Résultats observés chez soi-même (comme personne et comme professionnel Il s'agit donc de lire ce tableau en postulant que, lors de la narration d'un événement marquant en terme d'apprentissage de la didactique du français, un novice en enseignement racontera un fait dont les principales composantes peuvent être situées dans l'une ou l'autre de ces cinq catégories. Nous allons reprendre chaque composante et l'illustrer des propos des étudiants en précisant, s'il y a lieu, le programme d'attache par le signe BES (baccalauréat d'enseignement au secondaire) et BEPEP (baccalauréat d'éducation au préscolaire et d'enseignement au primaire). Il est important de se rappeler que les propos de novices auxquels nous faisons référence ont trait, non pas à l'évaluation d'un cours ou d'un stage mais sont tirés de la narration d'événements marquants en terme d'apprentissage FACTEURS EXTERNES : Figures de référence (maître-associé, milieu d'accueil Contenus de formation Culture de l'école : parents, collègues Élève et groupe-classeTâches à accomplir Le novice accorde une très grande importance aux figures de référence : il fait souvent mention que la passion d'enseigner lui est transmise par un maître-associé (en stage) ou un professeur (dans ses cours de didactique) qui l'a marqué à cet instant. Tous disent éprouver des difficultés dans l'application des planifications conçues dans les cours de didactique. À cette étape de leur formation, l'école n'est pas présente et le novice du BES éprouve du désarroi face au " peu de savoir " de l'élève vu comme n'aimant pas le Français ou éprouvant des difficultés d'ordre socio-affectif (BEPEP). Le groupe-classe est perçu comme un jungle à discipliner, et non un milieu d'apprentissage. Ce qui saute au visage du novice, c'est l'ampleur de la tâche en ce qui a trait à la correction des travaux. FACTEURS INTERNESConnaissance de soi et expérience antérieure Situation conflictuellle (dissonance, déséquilibre) Émotions vives (anxiété, étonnement, bonheur) Vision de soi comme professionnel Le novice fait souvent référence à sa propre expérience scolaire pour comprendre les situations qu'il vit. Son sentiment d'incompétence est souvent très vif, particulièrement en enseignement de la grammaire. Il vit de façon conflictuelle, souvent traumatisante, l'opposition entre un technicien, centré sur le programme à couvrir à l'aide du matériel fourni par l'école et la vision humaniste de l'acte d'enseigner. Plusieurs notent avoir ressenti un véritable choc dans des cours en didactique au BES en prenant connaissance des exigences du programme d'études ; d'autres, au BEPEP ont été saisis par la complexité des objets à enseigner. Les novices du BEPEP éprouvent le désir de devenir un professionnel compétent; ceux du BES y ajoutent l'aspect " cultivé " et le souci de transmettre une culture. Tous ressentent une grande pression. VISION DE L'OBJET À ENSEIGNER Perception diffuse de l'objet Transposition didactique (allant de l'utilisation du matériel commercial au modelage de stratégies procédurales puis à la conception d'un cycle didactique intégré aux tâches quotidiennes ou mensuelles) Pour les novices du BEPEP, le Français est une matière scolaire, un instrument de communication permettant le développement de compétences transversale; pour ceux du BES, c'est un objet de culture. L'enseignement de la grammaire est toutefois perçu comme routinier, sans lien avec la compréhension ou l'expression. L'enseignement est dispensé à partir du matériel commercial et les cahiers d'exercice sont largement utilisés. Très peu font mention d'enseignement de stratégies, de modelage ou entrevoit une approche plus créative de l'acte d'enseigner, se rabattant à constater des " blocages " chez les élèves ou en faisant un " appel au dépassement ". Toute tentative d'innover en écriture se heurte à l'ampleur de la tâche de correction. VISION DE L'APPRENTISSAGE DE L'OBJET PAR L'ÉLÈVE Perception diffuse de l'acte d'apprendre par l'élève Appropriation par l'élève de l'objet : schème d'opérations mentales complexe. Liens entre l'apprentissage et l'apprentissage d'une langue Le novice a une perception diffuse de l'acte d'apprendre ; il fait surtout et presque exclusivement référence aux difficultés de comprendre, particulièrement certaines règles de grammaire (participe passé avec le verbe avoir). Il est très sensible aux carence en langue orale des jeunes et une prise de conscience un peu flou se dessine quant à la diversité des publics. Un même constant est fait : l'élève apprend quand on lui fournit des trucs rapides et il convient de faire appel à sa capacité de mémorisation; aucune mention n'est fait d'opérations mentales plus complexes telles la déduction, l'inférence ou l'analyse. Une conception du Français comme compétence transversale ouvrant la porte aux autres matières est encore floue, inarticulée. RÉSULTATS OBTENUS Routines fonctionnelles ou procédurales Actualisation d'un rêve ou d'un idéal Recadrage du rôle (modification, adaptation, cristallisation) Résultats observés chez l'élève (apprentissage de tout niveau) Résultats observés chez soi-même (comme personne et comme professionnel) Tant les cours que les stages permettent l'acquisition de routines, de procédures, de trucs transférés par les gens du métier. Le novice, en rapportant certains événements qui l'ont marqué, souligne que cet événement lui a confirmé que l'enseignement " est sa place "; il se trouve ainsi confirmé dans son choix professionnel. Plusieurs modifient la représentation qu'ils avaient du rôle de l'enseignant mais, à ce chapitre, on ne peut affirmer qu'il y a cristallisation ; les représentations semblent " chambranlantes " ou " fragiles ". Tous se disent frappés par les problèmes des compréhension de la matière au terme d'une leçon qu'ils ont donnée bien que plusieurs ont aimé animer l'activité. Lorsque les élèves ont apprécié la leçon, ils sont complètement conquis, ébahis mais se soucient très peu de savoir s'ils ont réellement compris. Ce succès leur donne une motivation soutenue à effectuer la tâche. Schön (1983, 137-166), analysant la structure de la réflexion-dans-l'action, démontre que tout l'intérêt de cette démarche consiste, pour un superviseur, à réfléchir devant l'étudiant sur un phénomène afin d'en faire émerger la signification non pas par contraste avec des théories ou des modèles existants mais avec le répertoire d'exemples et de thèmes que l'étudiant possède dans son bagage d'expérience. De cette façon, soutient-il, l'étudiant parvient à théoriser ses intuitions, à théoriser son action de manière à faire des hypothèses sur les gestes nouveaux à poser, à les expérimenter et enrichir ainsi son savoir professionnel. Les composantes que nous venons d'explorer à propos d'événements critiques sont susceptibles de constituer les paramètres de cette réflexion-dans-l'action chez le novice en enseignement. Ils constitueraient ainsi une grille d'analyse des pratiques réflexives et pourraient aussi aider à la construction d'études de cas en enseignement des langues et à l'élaboration de situations didactiques et à leur analyse dans le cadre de cours de micro-enseignement. On pourrait aussi avancer l'hypothèse que l'évolution dans la complexité des cas analysés par un stagiaire pourrait démontrer une graduelle emprise sur son acte d'enseigner. Références : Baribeau, C., Lebrun, M. (1998). Dans le cadre du 6è colloque de l'AQUFOM tenu à Montréal les 13 et 14 novembre sur " L'évaluation des nouveaux programmes de formation des maîtres : une compétence à développer " une communication : Analyse d'incidents critiques en formation initiale des maîtres en français. Housego, B.E.J. (1987). Critical incidents in the supervision of student teaching in an extended practicum. Alberta Journal of Education Research, XXXIII, 4, 247-259. Kelchtermans, G.(1993). Teachers and their career story : A biographical perspective on professional development. In Day, C., Calderhead, J., Denicolo, P. (eds) Research on teacher thinking. Understanding professional development. London : Falmer, 167-176. Schön, D.A. (1983). The Reflective practitioner. How professionals think in action. New York : Basic.