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I. INTRODUCTION
Quelles sont les pratiques d'enseignement adaptées à la diversité des élèves et des contextes au collège ? Tel est le problème étudié dans le cadre d'une discipline, la technologie. En effet, grâce à sa structure définie par les nouveaux programmes, cette discipline présente une flexibilité qui met à disposition une palette très large d'activités prenant leur sens dans l'école et dans le monde économique. Sa complexité pédagogique et didactique permet de “ jouer ” avec des tâches, des rôles, des exigences variées qui peuvent être ajustées à chaque élève dans des programmations individuelles et collectives. Est ainsi faite l'hypothèse que la mise en œuvre de toutes les potentialités de la technologie permet de concilier l'exigence d'instruction et les contraintes des diversités locales.
L'analyse d'entretiens auprès d'enseignants-formateurs, complétée avec celle des réponses des professeurs à la consultation nationale sur les programmes, permet de construire les conceptions qui structurent les actions des enseignants et de distinguer les modalités mises en œuvre et celles qu'ils imaginent. En ce sens, la technologie est prise comme modèle d'étude des pratiques enseignantes face à l'hétérogénéité au collège, essentiellement dans les organisations ordinaires, c'est-à-dire hors des regroupements particuliers que sont par exemple les classes ou les options technologiques.
II. DIVERSITÉ DES PRATIQUES
L'analyse de l'ensemble des données révèle une très grande variété des pratiques. Outre quelques distinctions régionales, de nombreuses variations individuelles mettent en évidence la diversité des enseignants, à la fois dans leurs rapports à la technologie dans ses missions et ses fondements mais aussi à l'hétérogénéité considérée comme un état, un déficit ou une richesse. Cette diversité des pratiques enseignantes est fortement associée aux appréciations individuelles des enseignants sur leur rôle et leur fonction.
Si l'hétérogénéité des publics ou parmi les publics scolaires est spontanément associée aux classes ou aux sections réputées différentes (classes technologiques, SEGPA, AIS…), elle n'est pas déclarée comme une préoccupation majeure dans les pratiques d'enseignement, contrairement aux difficultés matérielles de la mise en œuvre de la technologie très largement mentionnées. Dans le même esprit, cette diversité des publics n'est pas abordée dans les actions de formation. Sollicités, les enseignants signalent toutefois les différences ou les écarts entre les élèves plus particulièrement à propos des exercices individuels d'apprentissage de l'usage de l'ordinateur. Ils s'avèrent généralement surpris du sujet des entretiens qui ne semble pas concerner les activités de réalisation pour lesquelles les travaux en groupes restreints constituent une modalité pédagogique - sans doute spécifique à la technologie - qui apporte une réponse pratique et organisationnelle à la gestion de la diversité des élèves. Les adaptations consistent alors en des ajustements et des régulations élémentaires dans le dosage des activités, leur accompagnement, leur découpage… selon l'attention portée au travail des élèves. Plus fondamentalement les professeurs mentionnent leurs réserves voire leur refus pour les adaptations des situations d'enseignement-apprentissage afin de ne pas discriminer leurs élèves des classes identifiées comme ordinaires. Dans cette conception de la classe, les professeurs signalent seulement quelques élèves particuliers qui ne représentent qu'une petite fraction et admettent un traitement ponctuel.
III. UNE RÉGULATION PAR L'ORGANISATION PÉDAGOGIQUE
Pour les professeurs, la division du groupe-classe favorise la prise en compte des différents élèves. Toutefois cette organisation est conçue et construite selon des logiques d'actions distinctes. Les discours des professeurs s'opposent en effet selon deux traits généraux sur lesquels sont centrées leurs actions. Le premier concerne l'intérêt signalé plus nettement aux élèves ou aux programmes, le second l'intérêt souligné aux individus dans la classe. Ces deux rapports structurent les discours des enseignants qui se situent préférentiellement dans un des quatre secteurs délimités par les positions extrêmes. Selon la posture professionnelle des professeurs définie par ce double rapport à l'enseignement de la discipline et aux publics scolaires, l'organisation pédagogique privilégie des ateliers tournants, des groupes de travail, des groupes d'aide ou des équipes polyfonctionnelles.

IV. UN APPUI SUR LA DISCIPLINE
Les différentes organisations sont susceptibles d'être mises en œuvre selon les contrastes des classes ou des élèves. Les choix des professeurs sont guidés par leur souci de proposer des activités de réalisation. En effet, ils mentionnent dans leurs réponses leurs actions qui consistent à simplifier les tâches ou les réduire, permettre des reprises ou des répétitions, utiliser l'assistance des tuteurs ou des moniteurs, évaluer les “ passages obligés ” ou laisser le temps nécessaire pour permettre la réussite des élèves. Ces déclarations montrent l'importance que les enseignants attachent à circonscrire les activités des élèves pour qu'ils réussissent. Convaincus de l'intérêt de la technologie, ils utilisent ainsi les potentialités qu'offre l'action technique pouvant être intrinsèquement graduée, de l'opération élémentaire au projet. Ces choix régulent alors l'enseignement. Ils apparaissent en filigrane des organisations pédagogiques précédemment décrites dans lesquelles la complexité et la prise en charge collective de l'action technique sont nuancées. L'“ exécution de l'action individuellement ” assure une réussite de l'élève fondée sur la confiance en soi étayée par l'enseignant ; elle permet le suivi de l'élève tout en visant l'acquisition de compétences minimales. La “ réalisation partagée de l'action au sein de l'équipe ” favorise l'anticipation et la progression du groupe par les échanges. L'“ exécution mutualisée de l'action ” favorise les relations interindividuelles ; l'atteinte du but représente un aspect essentiel du processus de formation valorisant la confiance en soi par le regard des autres et pour laquelle la progression de l'élève s'appuie sur l'aide mutuelle. La “ réalisation programmée ” induit une action répétée qui peut être mise au service d'une production commune ; elle assure l'acquisition des compétences prescrites.

Du point de vue de l'action technique proposée par les enseignants, les pratiques se répartissent ainsi selon quatre modalités d'adaptation pédagogique des activités de réalisation. En fonction de la population scolaire, les actions réussies des élèves peuvent être des opérations élémentaires ou bien des projets de plus grande complexité. Les adaptations des pratiques prennent ainsi appui sur les activités de réalisation, caractéristiques de la technologie. Pour les professeurs, la technologie présente en effet l'intérêt de développer des compétences peu valorisées dans les autres enseignements et d'offrir une autre voie de réussite. Notamment par ses dimensions pratiques et concrètes, les qualités et les vertus attribuées à la technologie facilitent la prise en charge de la diversité des élèves et accréditent les accommodations signalées essentiellement dans un registre pédagogique voire psychologique. Les adaptations des pratiques dans un registre didactique s'avèrent limitées à la modification des équilibres horaires et aux choix des “ réalisations sur projet ” jugées plus ou moins accessibles aux élèves. La progressivité, les références sociotechniques, les composantes de la technicité qui représentent des éléments fondamentaux ne sont pas en revanche mentionnées. L’ensemble des entretiens révèle une conceptualisation très partielle de la structure et de l’organisation de la discipline. Si les distinctions entre chacun des cycles sont précisées, les éléments structurels de l'enseignement sont absents : composition des scénarios, éléments de l’évaluation… au profit des seules compétences. De même, les obstacles internes à la technologie dans sa structure de discipline sont très modestement signalés au profit des contraintes de mise en œuvre. C'est donc une appropriation relativement pointilliste du curriculum à laquelle échappent les principes fondateurs et organisateurs de la technologie.
Mais il faut souligner que les enseignants ne considèrent pas spontanément qu'ils interviennent sur la discipline. Il faut aussi noter que les caractéristiques curriculaires de la technologie qui en affirment ses spécificités en tant que discipline scolaire, ne sont pas fondamentalement mises en avant. Sa complexité souvent sous-estimée masque alors partiellement ses potentialités.
V. DISCUSSION
Pour les professeurs-formateurs de technologie, la prise en compte de la diversité des contextes et de la disparité des publics est assurée par des modalités variées. En effet, si elle ne l'était pas, l'enseignement serait décrit dans le registre de l'insupportable, de l'incontrôlable et de l'impossible. En ce sens, le relatif silence des professeurs sur le thème abordé peut être interprété comme étant lié à l'incorporation de gestes professionnels qui ne s'expriment pas ou bien dont on ne parle pas car appartenant à la sphère privée de chacun d'entre eux. L'histoire personnelle et l'histoire professionnelle des enseignants sont sans doute des hypothèses interprétatives des pratiques pédagogiques distinctes telles qu'elles apparaissent dans les entretiens. Mais l'objet de la recherche ne permet pas d'étudier ces relations.
L'enquête ne révèle toutefois que les discours sur les pratiques d'enseignement et ne permet pas de rendre compte des pratiques adaptées éventuellement mises en œuvre mais non signalées dans les entretiens.
Au-delà des hésitations relatives à la discrimination éventuelle des élèves, les limites des modalités d'adaptation des pratiques sont d'une part la difficulté d'identifier la structure de la discipline, d'autre part l'illégitimité perçue de toute intervention sur les programmes considérés plus comme une norme institutionnelle à “ appliquer ” que comme la “ discipline en texte ” à développer. Or la prise en charge de l'hétérogénéité des contextes et des élèves nécessite des adaptations qui dépassent les seules régulations pédagogiques fondées sur les qualités des activités technologiques. L'examen de ces pratiques révèle la variété des “ technologies ” enseignées. Quelles sont les limites de ces formes scolaires ? Comment peut s'inscrire cette diversité dans l'unité affichée de la discipline ? Telles sont les questions induites par la variété constatée de cet enseignement par rapport à la flexibilité potentielle de sa structure curriculaire. Ces différentes “ technologies ” que les enseignants développent dans des organisations pédagogiques contrastées sont toutes susceptibles de répondre aux exigences de l'éducation technologique de tous les élèves et à la fonction d'instruction de cet enseignement. Mais elles sont toutes également soumises à des dérives par détournement des tâches, par perte de leurs références ou de leurs visées c'est-à-dire par substitution de leur signification et de leur orientation.
La flexibilité de la structure du curriculum assure son développement dans des contextes scolaires divers tout en fixant les limites de dénaturation. Les adaptations indispensables des pratiques d'enseignement supposent le contrôle des interventions didactiques des professeurs pour que, malgré ses multiples formes enseignées, la technologie conserve son unité et réponde à ses missions instructives et éducatives. Fondamentalement le problème de l'intervention consciente et de l'adaptation volontaire de la discipline se pose alors en termes de professionnalité et de formation professionnelle dans sa dimension critique, projective et inventive.
mots-clés : flexibilité, discipline, hétérogénéité, technologie, didactique
Références :
LEBEAUME, J. (2000). L'éducation technologique - Histoires et méthodes. Paris : ESF.
LEBEAUME, J. (dir) (1999). Discipline scolaire et prise en charge de l'hétérogénéité. Pratiques enseignantes en technologie au collège. Rapport de recherche en réponse à l'appel d'offres du CNCRE. GDSDTC, ENS Cachan.120 p et annexes. (Équipe de recherche : A. Crindal, O. Follain, J. Lamoure, J.-L. Laurent, J. Lebeaume, G. Manneux, J.-L. Martinand, I. Rak, G. Sornin-Montet ; avec la collaboration de O. Grugier, C. Lande, C. Lasson)
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