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Des doctorats en travail social en Europe. Modèles et enjeux

Auteur(s) : LAOT Françoise

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bull2.gif (117 octets)   De précédentes études avaient signalé l’existence de doctorats en travail social en Europe. Combien y en a-t-il au juste ? En quoi consistent-ils ? Quels débouchés offrent-ils et pour quel type d’étudiants ? C’est à partir de ces questions qu’un projet d’étude sur les doctorats en travail social en Europe a été élaboré en 1997 et présenté au Fonds Social Européen qui l’a retenu pour financement.
bull2.gif (117 octets)  Le projet associait deux partenaires français, l’Ecole supérieure de Travail social (ETSUP) et le Comité de Liaison pour les Formations Supérieures en Travail Social et des partenaires associées d'Espagne (Université de Valencia), du Portugal (Institut supérieur de service social de Lisboa) et des Pays Bas (Hogesschol de Maastricht).
bull2.gif (117 octets)  L’ETSUP en a eu l’initiative et en a assuré la coordination.
bull2.gif (117 octets)  Les doctorats étudiés
bull2.gif (117 octets)  Les nombreux obstacles méthodologiques, ainsi que les difficultés de communication inter-culturelle, nous ont interdit de faire un relevé exhaustif de tous les doctorats spécialisés dans un champ du travail social. Nous avons donc privilégié une compréhension approfondie de quelques initiatives que nous avons sélectionnées à partir de plusieurs critères conjugués que nous présentons dans un rapport d’étude à paraître. Il s’agit a) de doctorats, b) présentant un affichage institutionnel dans un champ du travail social, c) s’inscrivant dans l’espace géographique européen. Notre investigation a été menée à partir d’entretiens de responsables des formations doctorales, complétés par une étude documentaire.
bull2.gif (117 octets)  Chaque doctorat présenté dans notre étude doit être considéré en tant qu’initiative singulière et non en tant qu’illustration d’une quelconque politique nationale de formation supérieure au travail social.
bull2.gif (117 octets)  Ces doctorats sont présentés sous les 11 intitulés suivants :
- Le doctorat de travail social de l’Institut Supérieur de Travail Social de Lisbonne, Portugal, en partenariat avec l’Université Catholique de Sao Paulo, Brésil
- Les doctorats de la chaire de travail social de l’Université de Fribourg, Suisse. Le doctorat de Lettres, mention Travail social et Politiques Sociales. Le doctorat de Sociologie, mention Problèmes sociaux
- Le doctorat de travail social du Département de Travail Social de l’Université de Göteborg, Suède
- Le doctorat de recherche en sociologie, théorie et méthodologie du service social de l'université de Trieste, Italie
- Les séminaires de doctorat de l’Ecole Alice-Salomon de Berlin, Allemagne
- Vers un doctorat en “ Développement familial et communautaire ” à l'Université de Mons-Hainaut ?, Belgique francophone
- Le doctorat de sciences humaines de la chaire de pédagogie sociale de la faculté des Sciences de l'Education de l'Université de Lodz, Pologne, et le projet d'un niveau doctoral en Travail Social
- Le doctorat de recherche (PhD) en politique sociale, travail social et développement communautaire du département de Sciences Sociales Appliquées de l’Université de Cork, Irlande
- Le doctorat de travail social du département de politique sociale et de travail social de l’Université de Tampere et le doctorat du département de sciences sociales et philosophie de Jyväskylä, Finlande
- Le doctorat de travail social (DSW) de l’Université d’East-Anglia (UEA) à Norwich, Royaume-Uni
- Le Doctorat de Politique sociale et Travail Social de l’Université Eötvos Loránd (ELTE) de Budapest, Hongrie
bull2.gif (117 octets)  Pour chaque doctorat, nous avons recherché en particulier :
- les conditions de leur création
- les objectifs, contenus et organisation des programmes, ainsi que les débouchés qu’ils offrent
- la composition des publics auxquels ils s’adressent
- leurs productions
bull2.gif (117 octets)  Des initiatives très variées
bull2.gif (117 octets)  Une très grande variété dans les conceptions et dans les modalités de mise en œuvre des doctorats s’exprime à travers ces initiatives, et ceci à tous les niveaux d’analyse. Nous en proposons une lecture à partir de plusieurs thèmes :
- l’origine et les initiateurs des doctorats
- les réponses institutionnelles et les positions sur la question disciplinaire
- les objectifs de la formation doctorale et ses débouchés
a) L’origine et les initiateurs des doctorats
bull2.gif (117 octets)  Soulignons tout d’abord que la formation doctorale se fait à l’université, sauf, dans le seul cas de l’ISSSL de Lisbonne ou elle s’inscrit dans le cadre d’une convention entre une école et une université. Mais, partout, c’est exclusivement l’université qui délivre les diplômes, selon des critères qui lui appartiennent en propre. Or, un peu partout en Europe, l’université est en mouvement. En de nombreux endroits, une réforme vient de se produire, est en cours ou imminente. Plusieurs de ces réformes vont dans le sens d’une limitation de la durée de la formation doctorale. Cette évolution entraîne des conséquences réelles sur l’inscription en doctorat de professionnels en cours d’emploi. Sauf là où la durée du doctorat est encore illimitée (comme à Fribourg, à Berlin, à Mons, où le doctorat reste une formation très individuelle) la population des doctorants tend aujourd’hui à rajeunir et donc à perdre son ancrage dans le terrain professionnel.
bull2.gif (117 octets)  Selon les situations étudiées, deux grands cas de figure se présentent en ce qui concerne l’origine de la création des doctorats : soit l’université propose d’elle-même une nouvelle formation, soit, elle répond à une pression du terrain. La frontière entre ces deux figures reste cependant subtile, surtout si l’on considère la demande de formation comme une “ pression du terrain ”, ce qu’elle est manifestement, mais pas forcément de la manière organisée ou collective que nous retenons ici.

bull2.gif (117 octets)  Dans le premier cas de figure, donc, c’est l’université elle-même, à différents échelons de responsabilité, qui propose une nouvelle formation.
bull2.gif (117 octets)  Même s’il n’est pas toujours aisé de remonter le fil de la décision et de comprendre précisément par qui et pourquoi ces projets sont approuvés, il est manifeste que l’enjeu économique pèse d’un grand poids. Dans le secteur concurrentiel du marché de la formation, les universités trouvent là un créneau à exploiter. Car la demande existe chez les titulaires d’un diplôme professionnel de poursuivre leurs études : beaucoup d’écoles sociales ne font pas de formations supérieures ou bien leurs diplômes n’ont pas le même “ prestige ”.
bull2.gif (117 octets)  Pour l’université, comptent également des effets secondaires attendus, en terme d’image notamment, ou de positionnement stratégique sur un territoire.
bull2.gif (117 octets)  Dans le second cas de figure, c’est le “ terrain ”, au sens large, qui s’organise pour faire pression sur les autorités universitaires pour qu'elles développent de nouvelles formations ou délivrent de nouveaux diplômes supérieurs. L’origine et la motivation des initiatives sont très différenciées d’un cas à l’autre et dépendent pour une très large part de l’histoire de la constitution du champ. Ainsi, la lutte stratégique des travailleurs sociaux portugais pour faire reconnaître leur diplôme à l’équivalent d’un niveau universitaire est exemplaire. Mais on retrouve les mêmes préoccupations chez leurs homologues italiens et allemands. Ceux-ci s'appuient sur leurs organisations professionnelles ou sur le réseau des écoles sociales.
bull2.gif (117 octets)  La pression du terrain s’organise également à l’instigation des responsables des politiques sociales au regard de nouvelles problématiques qui émergent. Nous pensons ici aux pays d’Europe Centrale et de l’Est qui vivent depuis une dizaine d’années maintenant de profondes mutations. Les projets de développement de formations doctorales acquièrent ainsi une légitimité économique et politique et laissent augurer d’importants développements dans les années qui viennent.
b) Les réponses institutionnelles et les positions sur la question disciplinaire
bull2.gif (117 octets)  Nous avons distingué la discipline institutionnelle d’accueil de la (ou des) discipline(s) qui structurent majoritairement le champ de recherche d’un point de vue théorique et épistémologique.
bull2.gif (117 octets)  Nous appelons “ discipline d’accueil ” la discipline qui donne son nom à l’unité institutionnelle qui propose le doctorat étudié. Celles-ci sont variées.
bull2.gif (117 octets)  Ainsi six initiatives sont “ hébergées ” dans des chaires, départements de disciplines diverses :
- sociologie (1),
- pédagogie sociale (1),
- sciences sociales appliquées (1),
- sciences sociales et philosophie (1),
- sciences de l’éducation et psychologie (1),
- politique sociale (1).
bull2.gif (117 octets)  Pour les six autres, la discipline d’accueil est le travail social (l’unité institutionnelle est une école, une chaire ou un département de travail social).

bull2.gif (117 octets)  Les disciplines de référence, quant à elles, ne sont pas toujours celles affichées dans le titre du diplôme, ni même parfois en rapport avec la discipline institutionnelle d’accueil. Le doctorat de lettres de l’université de Fribourg en est un bon exemple. L’approche disciplinaire, théorique et méthodologique, des recherches entreprises y est en effet clairement sociologique.
bull2.gif (117 octets)  La question disciplinaire est l’une des questions de fond soulevées par notre étude. Elle montre la diversité des positions sur ce thème à travers l’Europe et celle des concrétisations qui s’en suivent.
bull2.gif (117 octets)  Là où la discipline “ travail social ” n’existe pas à l’université (Allemagne, Belgique, Italie, Pologne), certains de nos interlocuteurs voient un intérêt à continuer à développer des recherches dans le champ du travail social dans le cadre des disciplines existantes. Soit que celles-ci présentent à leurs yeux un éventail assez large, soit que certaines, comme les sciences de l’éducation, la pédagogie sociale, ou la sociologie apparaissent suffisamment légitimes pour accueillir des travaux de recherches spécialisées. S’ils pensent qu’il est souhaitable à terme qu’un doctorat spécifique ou une discipline se crée, la décision ne doit pas intervenir de manière brutale, sous peine de marginaliser les étudiants, ou encore de couper les enseignants-chercheurs de leurs racines en les obligeant à quitter leur discipline actuelle. Le risque serait alors de créer une coquille vide, une discipline privée d’histoire et donc de perspectives. Le passage par un dispositif intermédiaire leur semble préférable. Cela laisse le temps nécessaire à la recherche des personnes en capacité de faire un travail en profondeur, le temps nécessaire à l’évolution des mentalités.
bull2.gif (117 octets)  Ce n’est pas la position adoptée par l’Institut de Lisbonne, qui a choisi la voie stratégique pour tenter d’imposer la discipline travail social à l’université portugaise en allant momentanément chercher une légitimité scientifique outre atlantique. Le combat n’est pas gagné d’avance, mais la méthode “ forte ” a déjà porté ses fruits en ce qui concerne la reconnaissance des diplômes professionnels aux niveaux universitaires.
bull2.gif (117 octets)  Ce n’est pas non plus la position adoptée par les responsables de l’association des professionnels du social en Finlande, où une longue lutte pour la reconnaissance de la discipline travail social et son émancipation par rapport à la politique sociale, commencée 10 ans plus tôt, vient d’aboutir, en août 1999, malgré les résistances du milieu universitaire. Elle trouve sa réalisation à travers une réforme globale des études universitaires dans laquelle chaque discipline est incitée à s’ouvrir plus largement à la pratique et à descendre de sa tour d’ivoire. Dans ce combat-là, il s’agissait d’ouvrir aux femmes, professionnelles du travail social (la profession étant en effet très majoritairement féminine) un accès à l’université et à la “ science ” traditionnellement régulé par les hommes. Cette question des rapports de pouvoir sexués dans le champ du travail social est peu débattue en France, alors qu’elle est fréquemment analysée et qu’elle fait l’objet de publications dans d’autres pays, par exemple en Allemagne, au Royaume-Uni, dans les pays scandinaves…
bull2.gif (117 octets)  Là où le travail social est institutionnellement reconnu à l’Université, à travers des chaires, des écoles universitaires ou des départements spécialisés dans la formation et la recherche en travail social, la question de la reconnaissance et de la légitimité de la discipline n’en est pas forcément pour autant définitivement réglée.

bull2.gif (117 octets)  Même lorsque le travail social, en tant que discipline, existe depuis de longues années déjà, comme en Irlande, au Royaume-Uni et en Suède, il reste encore nécessaire d’argumenter, de s’imposer, de s’affirmer…
bull2.gif (117 octets)  Au moins deux facteurs significatifs, dans la conjoncture actuelle, semblent cependant aujourd’hui favoriser l’émergence d’une discipline “ travail social ”.
bull2.gif (117 octets)  Le premier est que l’université est de plus en plus poussée à repenser ses missions, notamment par rapport à la professionnalisation. Il est plus que probable que des disciplines liées à des champs de pratiques, telle que le travail social, trouvent dans ce contexte, des facilités augmentées pour s’installer au sein de l’université, là où elles n’y sont pas encore.
bull2.gif (117 octets)  Le deuxième facteur est la montée en puissance, au cours de la deuxième moitié de ce siècle, de la prise de conscience de la complexité du réel entraînant à sa suite l’affirmation du caractère nécessairement multidimensionnel de la connaissance (E. Morin) et partant, l’idée que toute discipline, en tant que découpe du savoir, trouve rapidement ses limites “ à faire parler raisonnablement l’objet ” (G. Devereux). D’où la multiplication d’équipes de recherche pluri-disciplinaires et la progression des approches interdisciplinaires ou multiréférentielles.
bull2.gif (117 octets)  Mais toutes les approches ne sont pas équivalentes, elles supposent des dispositifs et des méthodes différenciées.
c) Les objectifs de la formation doctorale et ses débouchés
bull2.gif (117 octets)  La création de doctorats conçus spécifiquement pour répondre aux attentes des milieux professionnels est une tendance en plein développement dans d’autres domaines que celui du travail social. L’initiative de l’Université de Norwich, créant le premier doctorat en travail social britannique (DSW) va dans ce sens. Il est important toutefois de souligner que cette initiative ne revient pas à réduire la part de la recherche dans la formation doctorale : il s’agit bien d’un doctorat de recherche professionnalisant. L’objectif affiché est de former des professionnels de haut niveau qui souhaitent développer leur carrière dans le champ du social, en position de responsabilité ou d’expertise et non des chercheurs qui s’extrairaient du champ de la pratique.
bull2.gif (117 octets)  L’initiative de l’université de Norwich est peut-être annonciatrice d’une autre manière de penser les relations entre la recherche et l’action. En attendant, elle reste singulière. En effet, les débouchés des autres initiatives étudiées sont clairement, très majoritairement, voire dans certains cas exclusivement, l’enseignement et la recherche qui y est associée. Il en découle donc, le plus souvent, que la promotion d’un titulaire d’un doctorat en travail social se traduit par un “ décrochage ” de la pratique professionnelle de terrain et par une intégration soit dans les écoles sociales, soit au sein de l’université elle-même. Il convient cependant de relativiser ce décrochage dans la mesure où les professionnels qui s’inscrivent en doctorat sont déjà souvent des enseignants de travail social…
bull2.gif (117 octets)  Dans quelques cas extrêmes (notamment à Trieste), le fait de s’inscrire en doctorat revient à intégrer la carrière universitaire. Aucun autre débouché n’est alors envisageable. Ailleurs, à Göteborg par exemple, le doctorat peut ouvrir la voie à d’autres manières d’exercer, en libéral, et dans de nouvelles fonctions dans des services de consultants.

bull2.gif (117 octets)  De toute évidence, le doctorat n’est pas (encore ?) la voie royale qui conduit à des fonctions de cadre du travail social, même de haut niveau,. Certains employeurs de travailleurs sociaux se méfieraient même des docteurs en travail social et hésiteraient à les embaucher. La question de la reconnaissance salariale d’un tel niveau de formation reste d’ailleurs ouverte.

bull2.gif (117 octets)  Des initiatives très récentes qui tendent à essaimer

bull2.gif (117 octets)  Hormis les exceptions de Lodz et de Göteborg, les autres initiatives datent des années 90, et même pour 4 d’entre elles, des toutes dernières années de la décennie. Il est manifeste qu’un mouvement s’est amorcé, il y a 10 ans, et qu’il tend à s’étendre. En effet, la création récente d’initiatives nouvelles et le fait que des projets de création de doctorats spécialisés dans le champ du travail social naissent dans différents points d’Europe laisse augurer une évolution importante dans les années à venir.

bull2.gif (117 octets)  Etant donnée la durée moyenne des études doctorales, qui se situe aux environs de 4-5 ans, il est facilement compréhensible que les docteurs en travail social soient encore très peu nombreux.

bull2.gif (117 octets)  Pour autant, cette tendance actuelle à la nouveauté et au changement ne doit pas nous faire perdre de vue que la recherche en travail social possède déjà une histoire de plus de 30 ans. Si le Doctorat en travail social a vu le jour en 1998 au Royaume-Uni, les travaux de recherche réalisés, depuis plus de 20 ans, par les étudiants en PhD dans une trentaine de départements universitaires n’en portent pas moins sur des problématiques du travail social. Même si elles ne sont pas nombreuses sur chaque site, le nombre total des thèses produites doit, aujourd’hui, commencer à compter. Y aurait-il un moyen de les recenser ?

bull2.gif (117 octets)  De même, certaines thèses suédoises ou bien celles produites par les étudiants en pédagogie sociale de Lodz sont maintenant anciennes. Enfin les quelques 80 à 90 étudiants inscrits en doctorat dans les seules initiatives étudiées ici ont déjà entamé leur travail de recherche. Il existe donc bien un matériel relativement conséquent qui peut être soumis à analyse.