Biennale 5
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Education permanente, conceptions de savoirs et rapport à l'école : les débats qui traversent les institutions de formation d'adultes dans les années 60, l'exemple du CUCES et de l'INFA de Nancy

Auteur(s) : LAOT Françoise

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bull2.gif (117 octets)   Dans les années soixante, le complexe institutionnel d'éducation des adultes de Nancy, constitué du CUCES (Centre universitaire de coopération économique et sociale), de l'Association du CUCES et de l'INFA (Institut national pour la formation des adultes), œuvre dans le but de développer, partout en France, l'éducation permanente.
bull2.gif (117 octets)  L'étude documentaire et archivistique, ainsi qu'une série d'entretiens menés auprès d'anciens cadres des institutions nancéiennes, mettent en lumière un certain nombre de conceptions qui seront mises à l'épreuve du temps et de l'expérience, mais qui guident incontestablement l'action. Sous-jacentes, existent des représentations plus ou moins partagées au sein des équipes. En particulier, le thème de l'école, comme contre-modèle, est l'un des plus prégnant et fait manifestement conflit. L'histoire des origines du Complexe en constitue l'une des sources et contribue à l'élaboration d'un rapport ambigu des équipes nancéiennes à l'école qui s'exprime au travers de représentations plus ou moins partagées sur les savoirs scolaires et la relation maître-élèves.
bull2.gif (117 octets)  Contaminer le système pour transformer l'école.
bull2.gif (117 octets)  Globalement repéré comme asphyxié par son fonctionnement bureaucratique, le système " Education Nationale ", est accusé de produire des effets pervers, notamment la déresponsabilisation de ses agents et, corrélativement, le dégoût des études chez les enfants puis chez les adultes qu'ils deviennent et qui se souviennent avec ennui de leurs années perdues sur les bancs de l'école.
bull2.gif (117 octets)  Au début des années 60, l'Université, tour d'ivoire, ignorante du " milieu réel " et tournée vers le passé est une image très largement répandue, que ce soit dans les milieux de l'entreprise comme dans ceux de l'éducation populaire. Or c'est précisément à partir de ces deux sources d'influence (et à partir de la littérature américaine) que sera réfléchi le texte fondateur du CUCES de septembre 1961 sur l'éducation Permanente.
bull2.gif (117 octets)  Les allusions au thème de l'inadéquation du système scolaire sont diffuses, que ce soit dans les textes produits alors par les institutions du Complexe ou dans le matériel recueilli par entretien, et ne semblent pas correspondre, en quantité, à l'importance qui lui était alors donnée. C'est un peu comme s'il était inutile d'insister sur un point aussi communément admis. On en retrouve cependant de nombreuses traces indirectes dans les textes sur les actions collectives (par exemple sur la difficulté des adultes ayant un passé d'échec scolaire à concevoir qu'ils puissent de nouveau apprendre) ou encore sur les AUREFA (Associations universitaires régionales pour l'éducation et la formation des adultes) où l'on constate l'incapacité notoire de l'Université à développer l'éducation permanente et où l'on propose un modèle alternatif hors Education Nationale.
bull2.gif (117 octets)  C'est l'Education Nationale dans son entier qu'il faut revoir, et non pas seulement les compétences des enseignants qui ne sont perçus que comme des victimes du système.
bull2.gif (117 octets)  Une note de 1969 de Bertrand Schwartz à E. Faure, alors Ministre de l'Education Nationale, illustre bien ce propos. " Pour que les enseignants innovent, y est-il écrit, il faut qu'ils en aient "très" envie ". Cette note analyse en quatre points les freins à l'innovation au sein de l'éducation Nationale en mettant en avant les pesanteurs du système :
1) le manque de liberté (inhibition des personnels provoqués par l'obsession des programmes et des examens ; paralysie provoquée par l'organisation administrative et pédagogique)
2) la conception même du système éducatif qui repose sur la standardisation et qui interdit tout effort d'imagination et toute initiative : " l'université se reproduit par mimétisme, dans le cadre où on l'enferme et où elle s'enferme "
3) le manque d'information et de formation des maîtres
4) le rôle néfaste essentiellement conservateur des groupements (associations de spécialistes, les groupes de défense catégoriels, les syndicats notamment celui des chefs d'établissements, les associations de parents)
bull2.gif (117 octets)  Transformer l'école, telle est bien la vocation fondamentale de l'éducation Permanente, et c'est par l'éducation des adultes qu'il sera possible d'y parvenir, en transférant à l'intérieur de l'école de nouvelles pratiques, méthodes et réflexions expérimentées ailleurs.
bull2.gif (117 octets)  Les tentatives d'imprégnation et de contamination du système de l'intérieur comme de l'extérieur ne vont pas manquer. Que l'on songe par exemple au formidable espoir mis dans l'action de formation des maîtres du cycle terminal pratique confiée à l'INFA-CUCES en 1965 : c'est le moyen de faire bouger les mentalités au sein même du corps enseignant et d'introduire de nouvelles pratiques dans le système, telles que la formation alternée qui " rompt de façon irréversible avec les formations traditionnelles de l'Education Nationale " (Patrice Ranjard, 1971).
bull2.gif (117 octets)  Faire progresser les idées à l'intérieur du système, c'est également ce qui pousse Bertrand Schwartz à accepter, en septembre 1968, d'entrer au Cabinet d'Edgar Faure. A partir de 1971 encore, d'autres cadres du CUCES viendront seconder Raymond Vatier, nommé à la toute nouvelle Direction déléguée à l'orientation et à la formation continue, dans sa mission de repositionnement de l'Education Nationale dans le cadre de la nouvelle loi en préparation (loi de 1971 sur la formation continue).
bull2.gif (117 octets)  Si le projet d'éducation Permanente se pose en exact contraire de celui de " l'école ", comme un positif né de la projection négative du modèle, c'est souvent dû à l'effet grossissant de la caricature. La critique de l'INFA par le CUCES participe évidemment de cette même entreprise explicative et l'on conçoit que de telles représentations aient du mal à être partagées par les chercheurs de l'INFA, eux-mêmes agents (privilégiés, certes, mais agents tout de même) de l'éducation nationale. La critique du système Education Nationale comme contre-modèle apparaît donc à la fois comme un ciment et comme l'un des éléments diviseurs de la culture d'organisation du Complexe.
bull2.gif (117 octets)  L'enseignant comme contre-modèle
bull2.gif (117 octets)  Deux thèmes constituent de bonnes entrées pour étudier de manière plus pointue de quoi se nourrit cette construction du contre-modèle, ceux du savoir scolaire et de la relation maître-élèves.
bull2.gif (117 octets)  Un éclairage intéressant sur cette expression " savoir scolaire ", employée souvent de manière péjorative au CUCES dans toutes les équipes, est apporté par un texte de 1971 paru dans la revue éducation permanente. Malgré sa rédaction tardive, il illustre bien les représentations à l'œuvre au CUCES depuis de longues années déjà :
" A l'école, tout se passe souvent comme si le savoir découpé en disciplines indépendantes (biologie, mathématique, physique), découpées elles-mêmes en matières parfaitement structurées (mécanique, électricité, thermodynamique), comme si le savoir, donc, existait par lui-même, dans un temple isolé des problèmes extérieurs. Tout se passe comme si la fonction du professeur était de transporter ce savoir dans les esprits des élèves ignorants, sous forme de tranches définies et organisées essentiellement en fonction de la structure propre, de la logique et de la cohérence internes de chaque discipline. On espère ainsi que le dépositaire d'un certain nombre de théories parfaitement construites, l'adolescent devenu adulte saura choisir les outils d'analyse et d'action adaptés aux problèmes qu'il rencontrera (...)
bull2.gif (117 octets)  Mais l'adulte qui attend de la formation non pas le baccalauréat mais le moyen d'être mieux armé face à une situation précise ne peut accepter de passer les dizaines ou les centaines d'heures nécessaires à regarder croître l'arbre des connaissances, attendant qu'ait poussé le rameau qui lui apportera la solution de son problème. "
bull2.gif (117 octets)  Quant au thème de la relation maître-élèves, il constitue vÈritablement le cœur des principales réflexions sur la formation qui sont menées à Nancy tout au long de la décennie 60.
bull2.gif (117 octets)  Si le texte de Carl Rogers " Enseigner et apprendre. Réflexions personnelles " est perçu comme " explosif " et provoque des débats houleux au moment de sa présentation en séminaire à Harvard en avril 1952, quelques années plus tard, il crée à Nancy une onde de choc en forme d'insight. C'est que la conviction profonde que Rogers exprime de manière si directe trouve une résonance particulière chez les formateurs du Complexe de Nancy : elle transpose en résultat d'expérience des pans entiers du projet d'éducation Permanente du CUCES tel qu'il est présenté dans le texte fondateur de septembre 1961. Tout en le requestionnant sur certains aspects essentiels, comme celui de la progression géométrique, elle légitime la position " d'opposant " au modèle de l'enseignement traditionnel et élargit les voies de la réflexion sur la recherche d'une nouvelle posture dans la relation maître-élèves. Ce texte contribuera à convertir au rogérisme nombres cadres du CUCES pour de longues années à venir.
bull2.gif (117 octets)  L'éducation mutuelle, l'auto-formation et l'auto-évaluation sont autant de thèmes présents dans le texte de 1961 qui bouleversent déjà la relation maître-élève. La suppression de l'examen final de la Promotion supérieure du travail et la pratique de formation en petits groupes ajoutent encore à cette remise en question de la place et du rôle du maître. Un texte particulièrement éclairant sur cette question est un exposé de Guy Lajoinie aux Journées d'information des professeurs et assistants de la PST du 3 octobre 1966 sur les " Rôles du formateur d'adultes ". On y découvre en effet ce qu'on pourrait qualifier de " doctrine " de l'enseignant du CUCES : celui-ci n'est plus celui qui sait, mais au contraire celui qui doit, " modestement ", apprendre de (et sur) ses élèves :
" Vous devez savoir que les itinéraires mentaux de l'adulte qui apprend présentent des crochets, des parenthèses, et que vous devez les respecter. (...) Les formateurs d'adultes devraient être (...) des gens capables d'avancer dans la connaissance individuelle de leurs élèves pour comprendre ce qui peut être pour chacun facteur favorable, ce qui peut être point de blocage "
bull2.gif (117 octets)  Il doit tout aussi humblement pouvoir laisser sa place :
" Tant au niveau du rythme qu'au niveau du vocabulaire, il n'y a sans doute pas de meilleur éducateur d'adultes que les autres adultes qui apprennent en même temps. C'est ce que j'entends par "éducation mutuelle" ; cela veut dire que vous pouvez autant que vous le pouvez (...) favoriser les rôles de professeur qui peuvent apparaître dans le groupe, vous-même n'étant en quelque sorte qu'un régulateur de l'activité moyenne du groupe. "
bull2.gif (117 octets)  Tout enseignant, tout assistant au CUCES ne doit pas tomber dans le " piège du modèle de la relation maître-élève traditionnelle " (telle qu'elle s'exerce à l'université), mais doit au contraire être " lucide ", " fortement impliqué ", " capable d'analyser ce qui se passe " dans la relation et, en quelque sorte, se mettre au service de ceux qui apprennent.
bull2.gif (117 octets)  Le maître est donc par essence celui qui ne sait pas (qui n'a pas la réponse). On peut noter au passage la représentation imagée de la transmission du savoir scolaire telle que la conçoit, selon l'auteur, le sens commun.
bull2.gif (117 octets)  Enrichir la réflexion sur le rôle du formateur par la recherche pluridisciplinaire
bull2.gif (117 octets)  Les chercheurs de l'INFA permettront d'enrichir cette réflexion sur la relation maître-élève dans une perspective plus générale, sur les déterminants institutionnels et sociaux (donc idéologiques et politiques) qui viennent parasiter une relation qu'il convient de resituer dans son environnement (Marcel Lesne, François Marquart, Christian de Montlibert).
bull2.gif (117 octets)  L'équipe de psychopédagogie de l'INFA cherche quant à elle à resituer la réflexion sur la formation des adultes dans un cadre plus large, qui déborde le champ des recherches et des actions de chacun. Elle choisit une perspective philosophique afin de mettre en évidence les conceptions de l'homme et les systèmes de valeur implicites sous-jacents aux expérimentations de pratiques pédagogiques. Le but est de démontrer le danger et les limites d'une approche positive en pédagogie et de déjouer les vaines aspirations à un " idéal de rigueur scientifique " trop présent, selon elle, au CUCES.
bull2.gif (117 octets)  De manière plus marginale (et sans que des croisements puissent toujours se faire) d'autres approches de la relation pédagogique sont en réflexion, en particulier, du point de vue du sujet, sur les questions de l'Autorité du formateur, sur celle du désir dans la formation et du rapport au savoir du formateur (Claude Lefort) ou sur les phénomènes de transfert et de contre-transfert en situation pédagogique (Alain Bercovitz).
bull2.gif (117 octets)  La réflexion sur la relation maître-élève et sur le rôle du formateur sera encore enrichie après les événements de mai 1968 par des perspectives plus marxisantes (rapports de domination et division sociale du savoir) et ne cessera d'évoluer au fil des ans.
bull2.gif (117 octets)  Centration sur l'auditeur, ses attentes et ses besoins ou sur la relation entre l'enseignant et l'enseigné, si les différentes approches sont inscrites sur des registres et dans des champs conceptuels lointains et se rencontrent de fait très peu, elles s'opposent toutes à une centration sur le formateur (l'enseignant), qui caractériserait, selon les critiques généralement faites à son endroit, le système d'enseignement de l'éducation Nationale.
bull2.gif (117 octets)  Notons qu'une image valorisée du formateur d'adultes se construit là encore au CUCES en grande partie par de fréquents recours au contre-modèle de l'enseignant (sous-entendu encore : l'enseignant traditionnel). L'entreprise, pour être démonstrative, oblige souvent à la simplification ou à la caricature, et " oublie " le rôle formateur de l'école (Philippe Fritsch, 1971).
bull2.gif (117 octets)  Mais les logiques différentes de l'enseignement et de la formation sont cependant reconnues comme contingentes car très largement induites par des fonctionnements institutionnels différents : liberté ou contrainte dans la fixation des objectifs, temps consacré à la relation pédagogique, pérennité ou non du système, etc.
bull2.gif (117 octets)  Dès lors que le but de l'éducation Permanente sera atteint, qu'un jour sera remis en cause l'ensemble du système dans ses fondements mêmes, avec ses notions de programmes, de classes, de rythmes d'études, etc., alors, le problème des différences entre enseignants (d'enfants) et formateurs d'adultes ne se posera plus dans les mêmes termes...