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L'alternance en mal de partenaires ?

Auteur(s) : LANDRY Carol, MAZALON Élisabeth, BOURASSA Bruno

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bull2.gif (117 octets)   La forte tendance en cette fin de siècle, dans la plupart des pays industrialisés, de rapprocher le monde de l'éducation et celui du travail se manifeste notamment par la multiplication des formations en alternance, principalement dans les domaines de la formation professionnelle et technique. L'alternance, considérée à la fois comme une stratégie pédagogique et un mode d'organisation de la formation, est polysémique et protéiforme. En effet, elle se définit et s'organise de différentes manières selon les finalités qu'elle poursuit, les populations qu'elle vise, l'instance qui en est responsable, le rythme et la durée des séjours en entreprise, etc. (OCDE, 1994). Cependant, et dans tous les cas, elle suppose essentiellement que des partenaires externes, souvent des entreprises, s'allient au milieu scolaire pour obtenir en alternance des périodes de formation et de production. Les notions de collaboration et de partenariat sont alors maintes fois évoquées par les acteurs. Quel sens recouvrent ces notions pour les différents partenaires ? Plus concrètement, qui sont ces partenaires et quelles relations entretiennent-ils dans le cadre des formations en alternance ?
bull2.gif (117 octets)  Une recension des écrits à propos des formations en alternance et des partenariats présente différentes typologies qui s'appuient tantôt sur le statut ou les relations des partenaires, tantôt sur leurs contributions ou sur les fonctions des dispositifs en œuvre, mais aucune ne donne un portrait des types de partenaires. Devant cette situation, nous avons mené trois recherches différentes qui portaient, entre autres, sur les représentations des partenaires à propos des collaborations et du partenariat école-entreprise dans différents modes d'alternance sous statut scolaire au Québec: l'alternance école-travail dans les cheminements particuliers de formation en ISPJ1, l'alternance travail-études en formation professionnelle2 et l'enseignement coopératif en formation technique3. Ajoutons que la cueillette et l'analyse des données, à propos des représentations, se sont déroulées à partir de trois méthodologies différentes: la méthode de l'association-libre (Abric, 1994), celle des représentations graphiques (Pourtois et Desmet, 1988) et la méthode du blason (De Peretti, 1986). Nous avons ainsi pu identifier quatre différents types de partenaires issus des entreprises : le partenaire papi-philanthrope ; le partenaire professionnel-formateur ; le partenaire producteur-entrepreneur et le partenaire patron-employeur. Le bilan des représentations, que se font à la fois des tuteurs et quelques patrons d'entreprises ainsi que des enseignants-superviseurs impliqués directement dans des collaborations école-entreprise dans le cadre de différentes formations en alternance, nous permet de dégager quelques caractéristiques
de chacun de ces types de partenaires.
bull2.gif (117 octets)  Le partenaire papi-philanthrope
bull2.gif (117 octets)  Le partenaire papi-philanthrope développe une relation plutôt personnalisée et souvent intime autant avec les représentants du milieu scolaire qu'avec les stagiaires. On pourrait même parler dans plusieurs cas de " pater-nariat " ou de paternalisme puisque l'alternant est au cœur de la relation. L'intervenant de l'entreprise veut aider et motiver l'élève ; le cas échéant, il tient compte de son projet personnel. À ses yeux l'école parvient mal à combler les besoins particuliers et concrets de cette clientèle particulière, parfois en phase d'exclusion scolaire.
bull2.gif (117 octets)  L'entreprise se pose en intermédiaire: elle rend service aux élèves d'abord pour les sortir de leurs problèmes et leur apprendre des tâches concrètes, le tout dans le but de favoriser leur insertion sociale et professionnelle. Ce témoignage est représentatif de ce type de partenaire.
" Je veux aider les jeunes qui ne sont pas suffisamment guidés. Je collabore avec l'école d'abord pour sortir les jeunes de la rue, pour éviter qu'ils tombent dans la drogue. En tant que mère et grand-mère, je trouve que c'est très important."
bull2.gif (117 octets)  On retrouve surtout ce type de partenaire dans le dispostif d'alternance école-travail des cheminements particuliers de formation qui s'adressent à des élèves en difficulté (Bourassa, 2000). Mais il s'en trouve quelques-uns dans le dispositif d'alternance travail-études en formation professionnelle qui savent prendre en compte le projet professionnel de l'élève et l'aider à se fixer un choix d'orientation. Par ailleurs, le " papi-philanthrope " travaille la plupart du temps dans de très petites entreprises, souvent familiales ou artisanales et situées plus souvent qu'autrement dans le secteur des services et des entreprises communautaires.
bull2.gif (117 octets)  Le partenaire professionnel-formateur
bull2.gif (117 octets)  Le partenaire professionnel-formateur développe une relation professionnelle et plutôt formelle avec les représentants du milieu scolaire ainsi qu'avec les stagiaires. Il est centré sur la qualité de la formation, l'acquisition de compétences techniques et professionnelles pour développer une future main-d'œuvre de qualité. L'intervenant de l'entreprise centre son action sur le développement d'un plan ou d'un projet de formation négocié conjointement avec le milieu scolaire et endossé par l'alternant. Ce plan fait une large place aux aspects théoriques acquis en milieu scolaire mais en relation avec les pratiques de l'entreprise. Ce type de partenaire, que l'on nomme parfois coformateur, collabore plutôt facilement au suivi et à l'évaluation de l'élève en coopération étroite avec le superviseur de l'école. Il manifeste un certain niveau de compétences pédagogiques et voit l'école comme un partenaire essentiel et complémentaire dans la formation professionnelle et
technique. Le témoignage suivant traduit les comportements de ce type de
partenaire :
" L'entreprise est effectivement, à mon avis, un milieu de formation, ce n'est pas seulement un milieu de production. Plus j'avançais dans le programme plus j'étais conscient du souci de supervision et d'évaluation. Je m'assois toujours avec le stagiaire et je vérifie ce qui est fait et ce qui est à faire dans son cahier de stage. "
bull2.gif (117 octets)  On retrouve surtout ce type de partenaire dans le dispositif d'alternance travail-études en formation professionnelle où les protagonistes doivent, selon les règles de cette forme d'alternance, établir conjointement des plans de formation et participer intégralement à la formation de l'élève, puisqu'il est prévu que des compétences soient directement acquises en entreprise. On constate aussi que quelques partenaires du genre se trouvent dans les dispositifs d'insertion sociale et professionnelle plus qualifiants. Par ailleurs, le " professionnel-formateur " travaille dans différents types d'entreprises, plutôt de taille moyenne ou grande, mais parfois aussi dans de petites entreprises. Toutefois, la plupart d'entre-elles emploient du personnel qui possède des compétences techniques spécialisées qui nécessitent une bonne formation de base. La formation initiale et la formation continue demeurent des préoccupations importantes pour ce type d'entreprise que certains qualifient "
d'apprenantes ".
bull2.gif (117 octets)  Le partenaire producteur-entrepreneur
bull2.gif (117 octets)  Le partenaire producteur-entrepreneur ressemble à certains titres au partenaire professionnel-formateur et s'en distingue essentiellement par ses préoccupations plutôt immédiates pour son entreprise qui pour survivre dans une économie libérale et de compétition doit obtenir une main-d'œuvre compétente et productive. Il établit donc des relations formelles, de nature plutôt mécanique et fonctionnelle, avec les partenaires du milieu scolaire dans la mesure où il éprouve des besoins de main-d'œuvre ou de production à court terme. Cette catégorie de partenaire renferme aussi les personnes qui considèrent que la véritable formation professionnelle s'acquière surtout dans l'entreprise, lieu de la " vraie vie ", de la pratique, de l'expérience concrète et de la production en grandeur réelle.
bull2.gif (117 octets)  Le plan de formation de l'école, soumis aux impératifs de l'entreprise et de la production, se réalise souvent dans un univers technologique en continuel changement. Ce type de partenaire, centré sur la formation technique, pratique et rentable, se considère surtout comme un spécialiste à la fine pointe de la technologie et demeure jusqu'à un certain point l'équivalent moderne et contemporain du " compagnon ".
bull2.gif (117 octets)  Dans cette logique économique d'une alternance production-sélection, l'école est un monde à part, toujours en retard sur les réalités des entreprises qui deviennent indispensables pour compléter une formation plus qualifiante. Voici ce qu'en pense un tuteur.
" L'objectif au niveau de l'alternance c'est surtout de l'implication en milieu de travail, très tôt dans la formation. C'est qu'on essaie de leur faire connaître le plus possible ce qu'est vraiment le métier qui est très différent de l'école. À l'école ils apprennent beaucoup de théorie, tandis que nous autres c'est beaucoup plus la pratique. "
bull2.gif (117 octets)  Le partenaire " producteur-entrepreneur " s'implique surtout dans le dispositif d'enseignement coopératif en formation technique. Cette forme d'alternance lui permet de présenter à l'école une offre de stage à partir de ses besoins de production où il contrôle entièrement les tâches de l'alternant à qui il confie un emploi réel en le rémunérant en conséquence. Il tente donc de retirer un bénéfice net de cet investissement par une participation directe du stagiaire-employé à la production ou en s'assurant que la formation sur le tas et la supervision lui permettent de sélectionner un futur travailleur pour son entreprise. Ce type d'alternance se développe principalement en fonction de la situation économique des entreprises et surtout selon leur capacité d'embauche à court et à moyen terme.
bull2.gif (117 octets)  Le partenaire patron-employeur
bull2.gif (117 octets)  Le partenaire patron-employeur représente une catégorie d'entreprises qui, par leur taille, par leur type de production et la place qu'elles occupent dans une économie de marché, s'exercent à influencer et à faire des pressions auprès des principaux partenaires sociaux pour contrôler différents dispositifs de formation dont ceux de l'alternance. Elles établissent donc des relations stratégiques avec leurs partenaires pour promouvoir des politiques et des mesures dont elles bénéficieront. C'est donc dans une perspective d'influence et souvent de rapport de force qu'elles vont se laisser convaincre par l'État, par les syndicats et par les organismes régionaux ou locaux de participer à des formations en alternance. En retour, elles exigeront des subventions, des crédits d'impôts ou des interventions directes dans la planification et les programmes de formation professionnelle. Dans ce rapport de pouvoir avec l'école, le " patron-employeur " exige une main-d'œuvre de qualité et grâce à son pouvoir politique participe directement à la sélection avant l'embauche. Voyons ce que dit ce patron.
" Quand on veut embaucher des jeunes, on appelle les profs, qui font un premier tri. Et vu qu'on est un fleuron dans la région en terme de mécanique ils nous envoient les meilleurs. "
bull2.gif (117 octets)  Ce type de partenaire peut théoriquement participer à tous les dispositifs de formation en alternance. Mais il s'accommode surtout d'une participation lorsque l'entreprise en retire un bénéfice. Dans le cadre des dispositifs qui favorisent l'insertion sociale des jeunes en difficulté il s'assurera de véhiculer une image prosociale de l'entreprise et dans d'autres cas il en profitera pour influencer les programmes de formation ou du moins soustraire des subventions à l'État. Le partenaire " patron-employeur " provient surtout des grandes entreprises et parfois des moyennnes, mais dans plusieurs cas il participe aux différentes instances nationales et régionales de régulation de la formation professionnelle et technique.
bull2.gif (117 octets)  Ces quatre types de partenaires n'épuisent évidemment pas toute la panoplie des différentes relations possibles entre l'école et l'entreprise dans la cadre des formations alternées. On peut imaginer que certains métissages de types de partenaires parcourent les dispositifs de formation en alternance. Par exemple, le partenaire " papi-philanthrope " peut facilement se marier avec le partenaire " professionnel-formateur " et vice-versa, alors que le partenaire " producteur-entrepreneur " s'allie plus facilement avec le partenaire " patron-employeur ". Aussi, des logiques différentes semblent impulser les rapports de ces types de partenaires avec l'école. Une logique individuelle traverse les préoccupations du partenaire " papi-philanthrope ", une logique de formation intéresse à la fois le partenaire " professionnel-formateur " et le partenaire " producteur-entrepreneur " mais ce dernier met l'emphase sur l'apprentissage par la production en entreprise alors que le premier privilégie l'apprentissage à partir des notions de base véhiculées par l'école. Enfin, le partenaire " patron-employeur " s'investit dans une logique politique à saveur économique. Cependant, selon les trois dispositifs d'alternance analysés, selon leurs objectifs et selon leur clientèle, les relations, les rôles et la contribution des partenaires, principalement celle des entreprises, nous constatons que les partenaires de l'entreprise entretiennent avec l'école des rapports diversifiés et à géométrie plutôt variable. Ce qui nous fait dire que ce sont surtout des partenariats de service et associatifs qui caractérisent les relations des partenaires en formation en alternance au Québec (Landry et Mazalon, 1997). Par ailleurs, nous voulons mettre en évidence que la fragilité et la précarité de certains dispositifs d'alternance sont souvent liées au fait que les partenaires potentiels ne partagent pas tous la même vision de la formation et n'arrivent donc pas à établir des partenariats significatifs et durables. Dans ce contexte, la participation des entreprises au processus de formation en alternance, dans un contexte de volontariat comme au Québec, demeure de plus en plus problématique, surtout lorsque la logique formation-emploi devient le facteur dominant de leur implication dans les formations professionnelles et techniques (Mazalon et Landry, 1998).
bull2.gif (117 octets)  Références
bull2.gif (117 octets)  Abric, J.C. (1994) Méthodologie de recueil des représentations sociales. In Pratiques sociales et représentations , p. 12-35. Paris : Presses Universitaires de France.
bull2.gif (117 octets)  Bourassa, B. (2000). Le partenariat école-travail en ISPJ: structures et représentations des partenaires. Cahiers du CERDEC, Faculté des sciences de l'éducation, Québec: Université Laval
bull2.gif (117 octets)  De Perettei, A. (1986) Gamme du blason, ou de l'écusson ou des armoiries. In Les Amis de Sèvre, vol 3, p.78-85
bull2.gif (117 octets)  Landry, C., Mazalon, É. (1997). Les partenariats école/entreprise dans l'alternance au Québec: un état des recherches. Éducation Permanente, no 131, 2, p. 37-50.
bull2.gif (117 octets)  Mazalon, É., Landry, C. (1998). L'alternance au Québec, une idée ancienne pour de nouvelles pratiques de formation. Cahiers de la recherche en éducation, Éditions du CRP, Sherbrooke: Université de Sherbrooke, p. 93-116.
bull2.gif (117 octets)  OCDE (1994). Les formations en alternance. Quel avenir? Paris: CEREQ. Pourtois, J.P., et Desmet, H. (1988). Épistémologie et instrumentation en sciences humaines. Bruxelles: Pierre Mardaga.

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1 Ce dispositif de formation de 2 ans au niveau secondaire s'adresse à des élèves en difficulté, de 16 à 18 ans. Ce type de formation comporte près de la moitié de la formation en entreprise qui vise à favoriser leur employabilité et leur insertion sociale et professionnelle dans des métiers
non spécialisés. Les stages ne sont pas rémunérés et l'élève a le statut de stagiaire.
2 Ce dispositif de formation professionnelle de 2 ans au niveau secondaire s'adresse aux jeunes de 16 ans et plus et aux adultes. Ce type de formation comporte au moins 20 % de la formation en entreprise qui privilégie l'acquisition partielle ou totale de compétences en milieu de travail dans des métiers d'ouvriers qualifiés. Les stages ne sont pas rémunérés et l'élève a le statut de stagiaire.
3 Ce dispositif de formation des techniciens est appliqué dans les collèges d'enseignement général et professionnel (cégep) pendant 3 ans. Ce mode de formation renferme de 2 à 4 séjours en entreprise qui en plus s'ajoutent au temps régulier de formation. L'objectif des stages est le transfert de compétences et l'intégration professionnelle. Les stages sont rémunérés et le stagiaire a le statut de salarié.