Biennale 5
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Rapport au temps, à l'espace et formes de construction identitaire des futurs enseignants

Auteur(s) : AYRAUD Michèle, GUIBERT Pascal

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bull2.gif (117 octets)   Cette recherche vise, par le biais d'un suivi de cohortes et grâce à une approche co-disciplinaire (dans les champs de la sociologie et psychologie), à déterminer les formes de construction identitaire des nouveaux enseignants, à partir d'entretiens cliniques. Ces constructions identitaires sont appréhendées par le rapport différencié que les enseignants stagiaires entretiennent avec la formation dispensée à l'IUFM et par la suite avec le métier d'enseignant. L'analyse porte sur un corpus de 31 entretiens de professeurs stagiaires (18 Professeurs des Ecole et 13 Professeurs des Lycées et Collèges).
bull2.gif (117 octets)  Ce que nous avons tout de suite relevé dans le discours des stagiaires des deux IUFM où nous avons mené notre enquête, c'est l'expression massive d'un sentiment de malaise. Bien sûr ce malaise enseignant est sociologiquement répertorié et les facteurs qui permettent de le comprendre ont déjà fait l'objet de nombreuses publications ( Bourdieu,1993; Demailly,1991). Changements institutionnels d'une part avec la mise en place progressive d'une territorialisation des politiques éducatives ( Charlot, 1994) pour répondre notamment à la massification du secondaire et d'autre part, changements de politique de formation (avec notamment la création des IUFM) qui viennent brouiller les repères des différents acteurs de l'Education Nationale. La difficulté de trouver un consensus au niveau central aboutit à la mise en place progressive de la décentralisation du travail d'accord obligeant à des réajustements : parents , enseignants, élèves ont perdus leurs repères traditionnels (Derouet, 1992)
bull2.gif (117 octets)  Pour lire les entretiens, nous sommes partis d'une approche sociologique de l'identité.
bull2.gif (117 octets)  On peut distinguer deux grandes traditions permettant d'appréhender la construction de l'identité sociale. La première d'inspiration durkheimienne, reprise notamment par P. Bourdieu, privilégie l'axe temporel et les conditions sociales d'existence antérieures sont déterminantes pour la structuration de l'individu. Cette approche théorique nous semble être, incontournable dans le travail sociologique, mais difficilement transposable pour comprendre le matériel dont nous disposons. La seconde conception théorique de l'identité, inscrite dans la tradition wébérienne, privilégie l'approche relationnelle et la question du sens : c'est la prise en compte des relations entre les acteurs et du sens subjectif donné à leurs actions qui apparaît déterminante dans cette construction identitaire.
bull2.gif (117 octets)  Dans cette recherche, nous avons considéré que la construction identitaire se réalise dans l'articulation de deux processus : celui par lequel l'individu anticipe son avenir à partir d'un passé reconstitué et celui par lequel il entre en interaction avec les acteurs significatifs d'un champ particulier " (Dubar, 1991).
bull2.gif (117 octets)  Dans un premier temps, en fonction d'un ancrage privilégié des stagiaires sur l'une ou l'autre de ces références (que nous appellerons " spatiale " et " temporelle ") nous avons dégagé deux idéal-typiques permettant de comprendre leur rapport que les stagiaires entretiennent à la formation.
* Pour l'idéal-type à dominante temporelle, on note :
• Une mise à distance du groupe des pairs : l'expérience personnelle de référence est souvent utilisée pour se démarquer du groupe des stagiaires ou de l'IUFM en général.
• Un plus grand intérêt pour les contenus théoriques de la formation.
• Une conception du temps qui construit les apprentissages : un des traits fortement distinctifs, qui donne cohérence à l'ensemble du discours est la valorisation de l'expérience, en général et la sienne en particulier, sans laquelle il ne peut y avoir de vraie réflexion. Cette expérience est perçue comme étant cumulative.
•Une prise de recul par rapport à la formation et aux rites d'institutions
• Une dédramatisation de la formation : cette distanciation contribue à dédramatiser la formation et par la suite la prise de fonction.
* Pour l'idéal-type à dominante spatiale, on note :
• Un rapport non construit au temps : tout se joue dans l'espace de la formation. On a l'impression que rien n'est importable de ce qui a constitué une expérience, que l'avenir est impossible à construire.
• La recherche de valeurs collectives : à la différence des stagiaires du premier groupe qui adoptaient facilement une position de mise à distance des "autres" introduisant l'utilisation fréquente du "je" (s'opposant au "eux"), le locuteur parle de lui, mais tout en signifiant n'être pas seul à penser ainsi, signifiant ainsi son appartenance à un groupe.
•Une forte demande de reconnaissance sociale et souvent la déception de ne pas l'obtenir, car cette quête ne peut souvent aboutir, du fait d'un statut mal identifié.
• Valorisation de l'apprentissage sur " le tas " : dans le domaine des apprentissages, cette inscription dans une relation à la formation dépendante de médiateurs chargés de leur enseigner leur métier, conduit à une attitude de refus de ce qui n'est pas utile ici et maintenant : refus du "théorique", valorisation d'un apprentissage "sur le tas".
• La peur d'être seul, sans appui, le peu d'expérience sur quoi s'appuyer, conduisent à une fréquente dramatisation de la prise de fonction, voire à l'expression d'une angoisse.
bull2.gif (117 octets)  Pour résumer cette analyse on peut dire qu'on observe :
•Une centration sur soi pour l'axe temporel de cette construction sociale : expérience personnelle, vision de l'avenir, réflexion autour de la formation qui est vue comme faisant partie d'un processus, intégré à un ensemble.
•Une centration sur l'espace et ses acteurs pour le spatial : insertion dans un milieu, négociation avec des acteurs, besoin de reconnaissance et d'appui de la part d'autrui.
bull2.gif (117 octets)  Nous avons aussi déterminé si l'inscription des professeurs se fait en rupture ou en continuité sur ces deux références.
bull2.gif (117 octets)  Dans un second temps, nous avons classé dans quatre configurations identitaires les discours recueillis. Soit ils s'inscrivent en continuité sur les deux axes (reconstruction biographique intégrant la formation à l'IUFM, et impression de reconnaissance à l'intérieur de l'institution), soit en rupture sur les deux axes (rupture biographique et non reconnaissance institutionnelle) ou bien en continuité par rapport à la référence au temps et en rupture par rapport à la dimension spatiale ou vice-versa. Nous avons ainsi dégagé le profil sociologique de ces différents types de populations ainsi que les conséquences de l'appartenance à l'une ou à l'autre de ces formes identitaires sur la perception et l'exercice du métier d'enseignant. Par précaution, afin d'éviter tout risque d'ambiguïté entre la démarche de C. Dubar et la nôtre, nous préférerons utiliser dans un premier temps les terminologies de " référence temporelle et spatiale " (au lieu de biographique et relationnelle).
bull2.gif (117 octets)  Nous nous limiterons ici à un exposé des formes identitaires des professeurs stagiaires qui dans leur discours entretiennent un rapport de continuité (positif) au temps et à l'espace et en rupture (négatif) pour ces deux références. Par continuité, nous entendons d'une part, que le jeune enseignant réussit à intégrer certains éléments de sa biographie dans la formation et par la suite lors de la prise de fonction et que ces éléments viennent donner du sens à ce qu'il vit.
* Rupture et non-reconnaissance dans le rapport au temps et à l'espace de la formation et de l'exercice du métier.
bull2.gif (117 octets)  Les références sont énoncées mais toujours pour dire qu'elles n'ont pas été suffisantes pour servir véritablement d'ancrage et de support à l'inscription dans la formation et au-delà dans le métier. Cette inscription n'est à aucun moment de leurs discours en continuité avec la reconstruction subjective de leur histoire personnelle et aussi à aucun moment ils ne mettent en évidence une reconnaissance institutionnelle de la place qu'ils occupent.
bull2.gif (117 octets)  Dans ce groupe d'entretiens, les discours font référence à des rencontres ratées, où l'on ne retrouve que peu d'acteurs. Une des références qui revient souvent pour ces stagiaires est une référence à un acteur insaisissable : l'élève.
bull2.gif (117 octets)  Ils considèrent en effet, que : " c'est dans la classe qu'on apprend, sur le tas " mais cet apprentissage est faussé parce que " les élèves qu'on nous donne en responsabilité ne sont pas de " vrais élèves ".
bull2.gif (117 octets)  Pour les individus de ce groupe, le terrain d'apprentissage est donc inaccessible parce qu'il se trouve ailleurs.
bull2.gif (117 octets)  Pour ces stagiaires, on peut noter que la perception subjective du temps est aussi énoncée sur le registre du " temps perdu " : " je n'ai pas retenu grand chose ", " on faisait pas grand-chose ", " j'ai vraiment l'impression qu'il ne se passait rien à l'IUFM, on passait le temps, on attendait que le temps passe ".Cette perception du temps est très fortement exprimée dans ce groupe.
bull2.gif (117 octets)  On a l'impression que l'histoire professionnelle se fige à partir de l'entrée à l'IUFM. Tout semble fonctionner comme s'ils évoluaient dans un univers où ils ne peuvent se faire reconnaître et entendre. De plus, l'absence relative d'acteurs signifiants rend l'échange impossible, rend impossible la reconnaissance par le regard légitime de l'autre. À aucun moment ils ne mettent en évidence dans leur discours une rencontre, un événement, un rite d'institution sur lesquels ils pourraient prendre appui. C'est là une des caractéristiques importantes des stagiaires de ce groupe : une position d'immobilisme et même de passivité par rapport à leur position. Lors des entretiens effectués après la prise de fonction, ils n'éprouvent que très rarement le désir de formation sur les questions qui sont restées en attente. Il semble que leur stratégie de positionnement dans l'institution soit organisée autour de cet immobilisme : les discours recueillis à différents moments de la formation et par la suite de l'exercice du métier reprennent souvent les mêmes anecdotes, comme s'il ne se passait rien depuis leur sortie de l'IUFM, comme si aucun élément nouveau ne permettait de repenser leur position par rapport à la formation et au-delà au métier.
bull2.gif (117 octets)  Si l'on reprend l'analyse de C. Dubar, on peut dire (même si les indicateurs que nous employons ici ne sont pas strictement comparables aux siens) que " la transaction biographique structurée autour de la rupture conforte la transaction relationnelle négative et stigmatisante pour provoquer l'intériorisation précoce ou progressive d'une identité d'exclu ". On a l'impression tout au long des différents entretiens que les stagiaires de ce groupe ne se sentent pas à leur place, ni dans la classe " on est pas armé pour affronter les élèves ", ni dans l'établissement où ils ne rencontrent personne, ni dans l'EN qui ne leur accorde pas les postes qu'ils espèrent .
* Continuité et reconnaissance dans le rapport au temps et à l'espace de la formation et de l'exercice du métier.
bull2.gif (117 octets)  Comme nous l'avons vu, les enseignants de ce groupe font référence à certaines de leurs expériences passées. Mais il est intéressant de constater que pour cette configuration identitaire, c'est le diplôme qui est importé comme moyen de donner du sens à leur expérience : il peut s'agir du diplôme universitaire, mais aussi du concours de recrutement ou même de la première année d'IUFM. Le concours est pour les stagiaires de ce groupe un rite d'institution qui ici semble fonctionner : il y a avant et après : ils ont conscience de se doter d'un capital, un " bagage " comme le disent certains. Les stagiaires de ce groupe accordent une grande importance au concours et par la suite une plus grande réceptivité à la formation théorique. Le mémoire professionnel par exemple est souvent valorisé, ainsi que certains contenus universitaires. Pour ces enseignants, il existe une complémentarité entre les événements qui rythment la formation et la lecture, le sens donné à la formation et à l'exercice du métier. La formation et par la suite la prise de fonction n'apparaissent pas comme des éléments isolés, éparpillés mais comme un tout. Loin d'un modèle qui serait celui de la " vocation ", on constate qu'ils s'appuient sur une expérience qui sans être toujours professionnelle, est le plus souvent dans un domaine proche de celui de l'enseignement, ou de l'éducation. Il faut rajouter que pour les femmes ce point d'appui extérieur à la formation peut être la naissance d'un enfant. Ces événements viennent à la fois leur donner une grille de lecture de la formation et du métier, mais aussi traduisent une adhésion positive (parce que d'une certaine manière en " connaissance de cause ") au choix effectué. Enfin, les enseignants de cette configuration identitaire accordent aussi une grande importance à l'échange qu'ils ont eu et qu'ils peuvent avoir avec l'institution. Et ceci se traduit au-delà de leur attachement au groupe, à la " promo ". Cette réciprocité se traduit par la recherche de formation, par le désir de progresser dans le métier grâce à une " formation continuée": " J'ai envie de retourner à l'I.U.F.M. en début d'année pour retrouver les autres, pour me ressourcer", " pour continuer à me former ".
bull2.gif (117 octets)  Les stagiaires semblent, à l'inverse du groupe précédent, s'inscrire dans une stratégie dynamique de formation et de progression dans l'exercice du métier.
bull2.gif (117 octets)  La forme identitaire qu'ils développent les place dans une construction identitaire qui dépasse l'identité de métier. Pour ces individus, il semble que, dès les premières années d'exercice, le sentiment d'appartenance positive à un corps (d'Etat) soit exprimé.
bull2.gif (117 octets)  Références bibliographiques :
bull2.gif (117 octets)  P. Bourdieu, la misère du monde, Seuil, 1993
bull2.gif (117 octets)  B. Charlot, L'école et le territoire : nouveaux espaces, nouveaux enjeux, A. colin, 1994.
bull2.gif (117 octets)  J.L. Derouet, Ecole et justice, Métaillé, 1992.
bull2.gif (117 octets)  L. Demailly, Le collège, Crise, mythes et métiers, Presses Universitaires de Lille, 1991
bull2.gif (117 octets)  C. Dubar, La socialisation, Construction des identités sociales et professionnelles, A. Colin, 1991.