L’introduction de la distance en formation,
opportunité de questionner les fondements des pratiques professionnelles.
  Dans le cadre du DESS “ Education, formation, mise à distance ”, je me suis particulièrement intéressée à la situation pédagogique de l’apprenant à distance, en faisant l’hypothèse que l’introduction de la distance en formation constitue une bonne opportunité de revisiter les pratiques pédagogiques.
  L'interview d'adultes-apprenants impliqués dans un dispositif de formation à distance m'a permis de mettre en évidence une nette transformation de leur comportement. Ce constat me conduit à interroger l'évolution attendue des pratiques des formateurs et des enseignants, et par voie de conséquence à m'intéresser à la manière dont leur formation les y prépare.
  Je me propose de faire part de quelques éléments de réflexion tirés de cette première expérience en formation d'adultes, qu’il me semble important d’introduire dans le plan de formation continue des enseignants afin de leur permettre de mieux assumer ce nouveau rôle lié à l'évolution des dispositifs de formation du fait de l'usage des technologies d’information et communication (TIC).
  Une formation à l'entretien d'aide pour répondre à une demande de relation plus personnalisée
  La personne impliquée dans un dispositif de formation à distance fait un tel investissement personnel (en temps, en énergie consacrée à son organisation…) qu'elle "s'autorise" à exiger une relation pédagogique de plus grande qualité et plus adaptée à ses besoins personnels.
  Les apprenants interrogés décrivent la relation pédagogique qui s'instaure entre eux et le formateur comme une relation essentiellement centrée sur le traitement du contenu disciplinaire plutôt que sur la prise en compte de la démarche pédagogique. Cette difficulté à travailler à partir du réel chemin emprunté par l’apprenant pour “ sa construction ” peut trouver une part d'explication dans un certain embarras du formateur-accompagnateur par rapport au savoir requis pour une telle activité. A défaut de savoir situer leur responsabilité à mi-chemin entre social et pédagogique, certains formateurs-accompagnateurs reviennent à ce qu'ils ont appris à l'origine, c'est à dire "enseigner".
  Pour éviter ce retour en arrière, nous devons nous demander quelle doit être la nature de cette nécessaire préparation (préparation non plus pour l'apprenant mais bien cette fois pour l'accompagnant) tant pour assurer la relation d'aide à la construction personnelle que pour assumer sa présence de formateur en tant que représentant de l'ordre social dans le cognitif.
  Cette nouvelle position de l'apprenant au cœur de la situation pédagogique que lui confère la formation à distance et l'utilisation des technologies de communication questionne directement la compétence des formateurs à établir cette relation d'accompagnement à distance qui devient leur nouveau cadre d'intervention. Elle questionne ainsi par la même occasion, leur formation initiale et continuée.
  Il me semble que la formation des enseignants les prépare encore essentiellement à la gestion collective d'une classe, d'un groupe, plus qu'à l'entretien de relations individuelles avec chaque apprenant. Cela devient un des axes prioritaires de développement en formation continue pour permettre aux enseignants d'assurer la fonction d'aide personnalisée attendue d'eux par les apprenants. Cette tendance d'évolution n'est d'ailleurs pas propre aux TIC puisqu'elle traverse la plupart des grandes réformes en cours et il importe de traiter rapidement cette question pour ne pas laisser les enseignants trop démunis. La relation à distance agit dans ce cas, comme un révélateur de toutes les questions pédagogiques fondamentales liées à cette problématique d'intérêt porté à la personne et d'aide personnalisée.
  Les travaux de Thatch et Murphy donnent un remarquable aperçu des changements de fonction et de rôles des enseignants actuellement en cours du fait de la médiatisation de la formation et sont éclairants quant aux compétences à développer. Selon eux, l'éclatement de la fonction formatrice se redistribue en onze rôles nouveaux mettant en jeu dix compétences essentielles, plus une métacompétence de haut niveau. Les dix compétences se répartissent entre compétences de communication et techniques, à laquelle s'ajoute la métacompétence qui consiste à "penser large" "sight seeing" : une capacité particulière de penser la formation comme un système global complexe qui intègre de façon cohérente, la présentation des cours, les contraintes de la technologie, la réalité des sites à distance et l'immense diversité des conditions et processus individuels d'apprentissage des divers types de contenu.
  Une formation au travail collaboratif pour mieux répondre à une demande de co-élaboration des savoirs
  Le statut de la personne en formation évolue considérablement dans un processus de formation à distance, dans la mesure où celle-ci a à développer une autonomie vis à vis de sa tâche et une certaine maîtrise de la construction et de la conduite de son parcours. D'une relation où un maître sait et apprend à l'élève, nous passons à une situation où maître et élève apprennent ensemble et l'un de l'autre. C'est la nécessité pour l’enseignant et le formateur d'apprendre à se situer dans un travail collaboratif sans crainte de la perte de son pouvoir.
  L'utilisation des TIC entraîne inévitablement une considérable modification de la relation pédagogique : une certaine égalité des conditions s'installe entre formés et formateurs vis à vis de ces moyens de communication mal connus et l'occasion leur est offerte de construire leur connaissance du sujet et accroître leurs compétences ensemble…
  Selon Thatch et Murphy, les formateurs pensaient jusqu'à présent savoir ce qu'était former et enseigner. Or l'intégration des TIC en formation les oblige à revoir l'ensemble des stratégies d'action qu'ils maîtrisaient tant au niveau de l'accès aux savoirs qu'à celui de l'organisation des interactions des apprenants avec ces savoirs. C'est alors que le formateur se trouve déstabilisé dans ses pratiques sur deux plans : au delà de ses craintes et fantasmes de perte d'emploi, c'est une partie des assises de sa relation à l'apprenant qui s'effondre. D'une relation où "j'en sais plus sur le contenu et j'aide l'autre à y accéder", celui-ci va passer à “ j'apprends les mêmes choses en même temps que lui ou de lui ”.
  Dans cette confrontation aux exigences de la collaboration et de la production collective des connaissances, c'est toute la problématique de construction de connaissance et d'interaction sociale qui se pose. En terme de compétences, cela nous renvoie aux métacapacités de contrôle et de pilotage de la dynamique des relations dans un groupe et à la communication rationnelle entre partenaires dans un dialogue naturel.
  Une formation à l'accompagnement et à l'évaluation pour satisfaire une demande de reconnaissance des nouveaux comportements développés dans le dispositif de formation à distance
  La relation de distance et l'usage des moyens modernes de communication font appel à de nouveaux comportements et compétences inhabituellement sollicitées. Dans un article sur les défis de la formation à distance, G.Jacquinot confirme cette tendance : "on sait que pour être efficaces, les nouvelles technologies loin de remplacer l'homme, exigent de lui, de plus en plus de compétences humaines et sociales". Se pose pour les personnes que j'ai rencontrées en situation de formées à distance, la question du travail formatif réel qui développerait ces compétences et, de leur prise en compte au moment de l'évaluation.
  De même en ce qui concerne l’évaluation, il faudra sans doute encore beaucoup de temps pour que la coopération apprenant/formateur évoqué précédemment s'inscrive dans les critères standards : une rubrique de la forme "ce qu'a appris le formé au formateur à l'occasion de cette formation reste sans doute encore à inventer! Et pourtant, n'est ce pas essentiellement dans cette réciprocité de relation et ce partage de connaissances que se trouve la richesse du processus d'apprentissage ?
  Dans une recherche centrée sur les processus d'apprentissage spécifiques aux formations médiatisées qu'il a conduite avec Claude Debon-Thesmar et Roselyne Orofiamma, Richard Wittorsky a tout particulièrement souligné le fait que "les apprenants en formation à distance sont en situation de transformer leur cadre de perception du travail, de l'entreprise, d'eux-mêmes, ce qui agit comme source de modification de leurs conduites et de leurs compétences". Il nous alerte ainsi sur l'efficacité d'une action à condition de pouvoir en interroger le cadre et sur le fait que le véritable changement se situe au second niveau défini par Argyris et Schön. “ L'apprentissage de double boucle consiste à remettre en question le cadre de perception avant même de chercher une autre stratégie comportementale ”.
  Les cadres d'une conception scolaire de la formation se révélant absolument inopérant pour se situer dans un dispositif de formation à distance, l'apprenant est en situation de réinventer son environnement et de se construire des modèles beaucoup plus efficaces. Ces remarques dégagent au moins deux pistes d'amélioration possible : l'une qui vise une meilleure prise en compte de cette dimension par l'enseignant dans son accompagnement ; l'autre qui vise une véritable reconnaissance des compétences ainsi développées, au moment de l'évaluation.
  Une réflexion ancrée dans la notion de projet personnel pour répondre à une demande de relation plus humaine.
  En formation à distance, le privilège accordé à l'axe ressource-apprenant provoque un déplacement d'importance entre les trois pôles qui fondent traditionnellement le triangle pédagogique. Le travail autour du projet de la personne apparaît comme un des éléments essentiels dans la démarche. Dans un environnement où tout est distant et instable, le projet personnel et professionnel au service duquel se situe cette formation, constitue la charpente de la plupart des parcours pédagogiques et le fil conducteur essentiel du processus de formation.
  Tandis que Phillippe Carré institue l'élaboration du projet individuel de formation et de changement comme "premier pilier d'accompagnement de l'autoformation", Jean-Marie Barbier "définit le projet comme "la concrétisation d'un processus motivationnel, de transformation des représentations préalables à l'action à partir de phénomènes affectifs dont les représentations sont la forme d'expression dans le champ de la conscience. La représentation issue du projet est dès lors finalisée, anticipatrice, elle a un effet opératoire et mobilisateur de l'activité accompagnant un désir de changement. Ce qui oblige le formateur en situation d'accompagnement, à s'intéresser au projet de chacun et à mettre en relation chacun des éléments d'apprentissage avec ses contextes futurs d'utilisation relativement au projet.
  Une interrogation fondamentale sur la nature de la médiation pour mieux répondre au besoin d'accompagnement des formés à distance.
  Toutes les personnes que j'ai rencontrées dans le dispositif de formation à distance, confirment cette absolue nécessité d'une médiation humaine pour faciliter la structuration des apprentissages. Et l'utilisation des TIC dont le potentiel est de plus en plus évolué, nous conduit précisément à interroger la répartition qui peut se faire entre moyens humains et techniques pour assurer la médiation.
  Les travaux de Monique Linard qui décrivent l'apprentissage comme une activité humaine ordinaire me semble être intéressants pour réfléchir avec des enseignants et formateurs au meilleur discernement possible à effectuer en la matière. En croisant la hiérarchie de Léontiev avec le cycle de Brüner, elle produit un schéma directeur qui intègre la logique linéaire de la tâche dans une logique fluctuante d'acteurs. A partir de ce modèle dynamique complexe de l'activité humaine qu'elle nomme "à double hélice", elle propose une description de l'apprentissage comme un parcours d'obstacles. Cette représentation de l'apprentissage peut permettre aux formateurs et enseignants d'imaginer plus facilement comment chacune des étapes peut devenir l’occasion d'un progrès ou d'un blocage et doit nous inciter à nous poser de manière plus éclairée la question de la mise à disposition de l'apprenant des moyens humains et techniques qui faciliteront son apprentissage.

  A partir d'une conception du besoin des apprenants proches des apports des théories de l'activité, D. Laurillard apporte un début de réponse à la question du passage de l'intelligence pratique à l'intelligence abstraite qui signe la véritable acquisition. Sa proposition d'une "pédagogie conversationnelle" se déclinant en quatre fonctions principales (discursive, adaptative, interactive et réflexive) souligne toute la richesse et la complexité de la médiation. Le passage de l'acte au concept impose un remaniement de haut niveau de l'expérience pratique par des exercices d'abstraction et de représentation symbolique raisonnée qui se trouvera facilitée par ce tiers compétent et familier des difficultés de passage que représente le formateur ou l’enseignant.
  Jean Marie Labelle qualifie le comportement du "nouveau formateur" dans une relation de "réciprocité éducative", de "veilleur, passeur, éveilleur de rencontres aux frontières" dont les principales qualités seraient d'être "suscitant, concertant, itinérant".
  Cette expression directe de personnes engagées dans un dispositif de formation à distance sur laquelle s’appuie mon propos, me paraît extrêmement précieuse pour tous les acteurs qui s’investissent dans la formation des enseignants. Elle nous alerte sur les exigences de formation d’un nouvel ordre, engendrées par l'introduction des TIC et de la “ relation pédagogique distante ” dans le champ éducatif. Elle met ainsi bien en lumière quelques unes des interrogations relatives à l’évolution du métier d'enseignant et de formateur.
  Si une formation visant une meilleure maîtrise des moyens techniques s’impose, elle doit absolument être accompagnée d’une réflexion sur l’évolution de leurs usages afin de permettre aux enseignants et formateurs d'initier une nécessaire évolution de leur comportement et ainsi se mettre en situation de mieux assumer le rôle nouveau et extrêmement exigeant qui est attendu d'eux. L’introduction dans leur propre formation, des deux éléments analyseurs que représentent la distance et l’usage des technologies d’information et de communication, constitue très probablement une piste de travail intéressante pour réfléchir à la redistribution des jeux d’acteurs au sein de la relation distante ainsi qu’aux spécificités de l’ingénierie de formation à distance utilisant les TIC.
  Une modification de la manière de se former constitue un moyen d’initier une modification de pratique, créant ainsi par la même occasion, l’opportunité de réinterroger les fondements de l’enseignement et de la formation.