Biennale 5
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Pédagogie de projet : résistances cachées

Auteur(s) : LAFOSSE Alex

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bull2.gif (117 octets)   Au hasard d’une revue amie, celle de ‘’l’Association des Enseignants d’Activités Technologiques’’ d’Avril 97 on relève, par un auteur ayant déjà publié sur le sujet sous une égide tout à fait officielle, un article de plus de trois pages sur le projet pédagogique.
bull2.gif (117 octets)  Le terme de ‘’projet’’ y revient soixante dix sept fois. Ceux d’’’enseignant’’, ‘’formateur’’ ou ‘’inspecteur’’ cinquante fois. ‘’Classe’’ ou ‘’élèves’’ s’y retrouvent par contre en tout et pour tout… six fois ! Sans ironie aucune il était intitulé : ‘’les dangers de l’instrumentation’’. Ainsi, selon les termes souvent employés de nos jours ;’’replacer l’élève au centre de la pédagogie’’, en particulier par une ‘’démarche orientée projet’’ ne semble pas encore évident pour tout le monde !
bull2.gif (117 octets)  Le C.A. de l’A.E.A.T. a d’ailleurs réagi contre :‘’L’organisation pédagogique des réalisations sur projet’’. Point de départ : toujours un dossier prenant le nom de ‘’scénario’’ à consulter, compléter, mettre en œuvre selon des modalités très précises induisant une démarche linéaire …
bull2.gif (117 octets)  Dossier ‘’clés en mains’’ qui ne permet certainement pas d’innover, importance d’une documentation transformant une discipline active en papier-bureau, fabrication disparaissant de façon inquiétante, compétences à acquérir affligeantes de manque d’ambition, références pratiques au monde industriel et commercial et aux choix économiques que l’on sait …
bull2.gif (117 octets)  Bref, projet non pas d’élève(s), même pas de professeur mais plutôt d’un quelconque inspecteur. Qui plus est répété pour tous, redoublants compris, plusieurs années de suite …
‘’Nous voulons des textes affirmant la place centrale des enfants dans la production scolaire…’’ réclament à juste titre nos amis de l’A.E.A.T. (voir témoignage plus développé de l’auteur sur pareille pratique dans l’enseignement technologique dans ‘’Jolie la techno ?’’ in N°348 de Nov.96 des Cahiers Pédagogiques.) ‘’L’enfant n’aime pas le travail de troupeau auquel l’individu doit se plier, écrivait déjà Célestin FREINET. Il aime le travail individuel ou le travail de groupe au sein d’une communauté coopérative.’’
bull2.gif (117 octets)  Une vingtaine d’années durant, je n’ai quant à moi jamais cessé de pratiquer ce type d’approche tant avec des collégiens qu’avec des élèves professeurs. A ces projets les plus divers menés ensemble je ne cache point avoir trouvé autant de plaisir qu’eux.
bull2.gif (117 octets)  Le recours aux P.A.E. - Projets d'Actions Educatives - nous aida, au même titre que les soutiens sollicités auprès de l'ANVAR - Action Nationale pour la Valorisation de la Recherche - à financer les plus ambitieux. Les P.E.E. ou "Projets Educatifs Européens" ont pris en partie le relais.
bull2.gif (117 octets)  Entreprise collective qui peut à l'occasion concerner toute la classe, elle regroupe plus généralement un nombre variable de jeunes se déclarant intéressés.
bull2.gif (117 octets)  Portant sur une production coopérative aussi originale que possible, c’est une aventure. Le but poursuivi a beau avoir été posé au départ, les contraintes de la vie, les aléas de la création ou des ouvertures toujours possibles font qu'on s'en retrouve souvent assez loin.
bull2.gif (117 octets)  EXEMPLES VECUS : Certains collégiens d’une de mes classes de troisième choisirent un jour comme projet, alors que les autres partaient sur d’autres pistes, celui de distributeurs automatiques de friandises pour alimenter la caisse de coopérative. En fait deux d’entre eux seulement parvinrent à créer un modèle original en bois distribuant des ‘’TIC TAC’’, contre pièce sonnante et trébuchante restituée si non acceptée. Des filles, un moment découragées, trouvèrent à négocier le rachat de distributeurs extérieurs que deux négociants renonçaient à alimenter pour cause de vandalisme répété. Elle allèrent les démonter sur place, les réparèrent puis, après les avoir alimenté, les installèrent dans le hall du collège. Le vandalisme se poursuivant même là, elles eurent plusieurs fois à les démonter, réparer et remonter… Deux garçons obtinrent quant à eux d’une entreprise locale un monumental distributeur de boissons chaudes et froides. Après avoir constaté l’impossibilité de sa réparation - le fabricant en cessation d’activité ne pouvant fournir de pièce de rechange - ils décidèrent de le transformer un distributeur ‘’vocal’’ : l’un d’eux s’installerait à l’intérieur et distribuerait friandises et boissons à la demande ! Faire le vide prit du temps. Puis installer des roulettes, un siège, un éclairage intérieur, des étagères pour la monnaie et les friandises, y compris une… sortie de secours ! (‘’Quand tu y seras, tu n’es pas prêt d’en sortir !’’ avaient prédit certains malveillants !)… Qui diable eut pu prévoir, au moment où fut retenu le projet, les méandres par lesquels il ferait passer ?
bull2.gif (117 octets)  Exemple aussi de ces deux jeunes qui, ne parvenant à se décider pour aucune piste, proposèrent un projet : ‘’S.O.S. DEPANNAGE !’’ : quiconque, sur un autre projet, aurait besoin de renfort pourrait faire appel à eux !
bull2.gif (117 octets)  Notre expérience porte en effet sur des productions à portée sociale,
¨ soit destinées à être écoulées sur le marché : repas du petit restaurant coopératif que mes collégiens composaient et servaient dans un cadre conçu et réalisé par eux (allée d’accès empierrée, enseigne en fer forgé, meubles, rideaux, décoration, paravent, nappes, musique et éclairage d’ambiance, cave de leur choix …) ou bien petits pains au chocolat pétris, cuits et vendus au goûter, gâteaux et plats proposés à la commande, sans compter les multiples créations décoratives ou fonctionnelles en lattes de bois … etc…
¨ soit médiatiques et à dimension culturelle : exposition d’’’objets insolites’’ imaginés par les élèves : type ‘’casserole carrée pour empêcher le lait de tourner’’ ou ‘’plantoir pour racine carrée…’’, réalisation de tapisserie et tableaux de fils conçus sur ordinateurs, création de chanson : texte et musique, vente de cassettes de morceaux musicaux créés au synthétiseur vocal, animation d’un réseau d’échange d’affiches puis d’un réseau inter fax, base de données videotext, logiciel auto correctif d’initiation au dessin technique primé par l’Encyclopédie DIDEROT, logiciels de milieu d’année pour lettre humoristique personnalisée au père Noël, ou bien pour quizz modifiable par les correspondants, journal papier ‘’à quatre mains’’ avec les corres. Catalans, Américains et Néo Zélandais, pages infos et journal sur minitel, représentations théâtrales, série d’émissions pour jeunes animées régulièrement le Mercredi après midi sur FR3 Limousin-Poitou- Charentes, exposition d’affiches produites ou échangées avec livre d’or sur le Web www.freinet.org/icem/affiche/ … etc…
¨ soit des actions tournées vers le groupe lui-même tout en favorisant un contact avec l'extérieur : Avec les professeurs dont je co animais la formation : semaine transplantée pour enquête sur les croyances paranormales en milieu rural, établissement d’une ‘’casothèque’’ pour utilisation de la ‘’méthode des cas’’ en collège… Avec mes collégiens : en milieu d’année : calendriers à thèmes, cartes de vœux ou bien création par des volontaires de plusieurs classes des meubles d’une maison de poupées en lattes de bois pour le loto de fin d’année, d’une maison de la marchande pour l’école maternelle. Echange de documents et de vidéos puis d’élèves avec les correspondants Néo Zélandais. Conception/expérimentation/vente des plans de fabrication d’une tortue de sol en briques Lego pilotée en Logo (montage, logiciel et électronique) - rapport : plus de 40 000 F pour la caisse de coopé ! -... etc …
¨ soit de développement local : conception, choix, tirage en panneaux et auto-collants, et diffusion d’un Logo pour promotion d’une production locale (en l’occurrence la fraise), recherche de desserts originaux pour commercialisation en surgelé des invendus … Animation de stands pour jeunes lors de la foire du chef lieu autour de leur jeu labyrinthe électronique type ‘’queue de cochon’’ ou de constructions de jouets à moteurs solaires… etc …
bull2.gif (117 octets)  THEME FEDERATEUR, TERMES CONTRADICTOIRES : Lors d’une réunion CLIMOPE qui posait le problème de "la participation et la citoyenneté de l'enfant et du jeune dans les différents lieux de vie qu'il fréquente" je pus noter l’intérêt témoigné pour ce thème par d’autres mouvements d’Education Populaire. Remarquable fut de constater, entre des mouvements aussi divers, notamment par les contextes de mise en oeuvre de leurs actions, que l'A.F.L., les C.E.M.E.A., les C.R.A.P., la F.O.E.V.E.N., les FRANCAS, le GFEN et l'ICEM, une convergence assez spontanée autour de la démarche de projet. Approche qui, pour d'éventuelles actions communes, me parut même porteuse d'un potentiel fédérateur...
bull2.gif (117 octets)  Encore faut-il se retrouver bien d’accord sur ce que recouvre pour chacun le concept en question. Certains opèrent en effet de subtiles distinctions entre "Projet" et "Démarche de Projet". Ou bien entre "Projet pédagogique" et "Projet éducatif". En ce dernier cas, si l'un serait celui d'une "équipe d'enseignants", l'autre serait parait-il plutôt celui d'"élèves intégrés à des réseaux extérieurs". Comment par exemple choisir entre ‘’PIF’’, ‘’PAF’’ et ‘’POF (Projet Individuel de Formation, Projet d'Animation de Formation, Projet Organisationnel de Formation) ?
bull2.gif (117 octets)  Ainsi le projet d’établissement reste trop souvent plus celui du chef que des élèves voire des professeurs dudit établissement.
bull2.gif (117 octets)  Le pôle le plus émancipateur, illustré par, entre autres, un Paolo FREIRE dont la "Pédagogie des opprimés" vise une prise de conscience au niveau le plus élevé, entraînant les transformations identitaires les plus profondes.
bull2.gif (117 octets)  Le N° 74 de la revue ‘’DIALOGUE’’ du G.F.E.N. intitulé "PROJET ?" propose en tous cas, après un intéressant édito d'André DUNY : "La pédagogie du projet coopératif, démarche d'émancipation" un article assez capital sous la plume de Michel HUBER. Même à travers un léger résumé, qu’on nous permette de lui laisser la parole :
"Cette floraison de pratiques véhiculant le meilleur comme le pire amena le GFEN à une seconde théorisation de la pédagogie de projet (la première étant celle de Jean VIAL dans "Pédagogie du projet" - INRP Collection Pédagogie Actuelle - 1975) mettant en avant des points de passage incontournables, faute de quoi la pratique du projet-élèves perd son sens.
"IL N'Y A PAS PEDAGOGIE DE PROJET :"1/ si le projet ne débouche pas sur une fabrication concrète, un produit palpable. […]
"2/ Si le projet ne favorise pas une prise de pouvoir sur le réel, débouchant sur une véritable reconnaissance sociale. Le produit réalisé, par son impact sur l'environnement, va matérialiser l'acquisition de savoirs, savoirs-faire, savoir être nouveaux. D'ou une reconnaissance sociale qui valorisera et redonnera confiance en soi. [ ... ]
"3/ Si le projet ne s'accompagne pas d'une modification du statut de l'enfant, du formé, débouchant sur une véritable cogestion des projets unissant formés et formateurs et pouvant prendre la forme de bilans coopératifs réguliers. Enfant ou formé sur un pied d'égalité avec les formateurs même si leurs fonctions diffèrent. [ex. à ce sujet ‘’Conseil intercoopératif dans le second degré’’ Alex LAFOSSE in Cahiers Pédagogiques N°347 Oct. 98]
"4/ Si la pratique ne s'accompagne d'une transformation des structures de l'école : délégués élèves à un conseil d'école, d'administration, gestion souple du temps ...
"5/ Si le projet ne repose pas sur une autre approche du savoir : pensé en terme d'apprentissage et non d'enseignement, fonctionnel et non académique car débouchant directement sur une transformation du réel. Approche constructiviste d'une recherche action. Pédagogie par objectifs d'un savoir mosaïque [voir à ce sujet, éditions Casterman : ‘’Le travail, valeur humaine’’ par Robert GLOTON]...
"6/ S'il ne débouche pas sur une autre conception de l'évaluation : Chaque projet étant une action sur le milieu, celui-ci renvoie un "feed-back" (réaction des spectateurs ou des clients ...) qui doit être analysé lors d'un bilan final qui est important ..."De façon plus scolaire, on peut voir si les objectifs ont été atteints par chacun ... En dernière analyse la capacité de réinvestissement créatif en un projet comparable ...
"7/ Si un seuil de difficulté minimum (défi, dimension épique du projet) n'est pas atteint : Enjeu, pari difficile, le projet doit donner envie de mobiliser ses énergies. Tenu, prouvant qu'on est capable de "soulever des montagnes", il engendrera une fierté légitime.
"8/ S'il n'a pas de dimension collective il doit renforcer la socialisation des formés. "Soulever des montagnes mais à condition de se serrer les coudes, d'être solidaires, de savoir s'organiser pour travailler en équipe. Excellent tremplin aussi pour apprendre à concevoir et mener des projets individuels.’’
bull2.gif (117 octets)  Toutes choses que reprend d’ailleurs, aux éditions Chronique Sociale, un ouvrage plus récent : ‘’Apprendre en projets : La pédagogie du projet-élèves’’ du même Michel HUBER.
bull2.gif (117 octets)  Pédagogie du travail en vraie grandeur autant que - de sa mise en œuvre à son aboutissement - du plaisir partagé, valorisant créativité et esprit d’entreprise, cette démarche coopérative replace les jeunes en position centrale. Par pareil "mode de finalisation de l'acte d'apprentissage’’ le jeune trouve sens à une production à portée sociale qui le valorise et augmente autant compétence collective que responsabilité individuelle.
bull2.gif (117 octets)  Effets positifs indéniables sur le champ de ses représentations : tant aux niveaux des savoirs factuels ou théoriques que d’un rapport plus pertinent à ceux-ci, plus orientés vers le pratique/théorique et propices à la mise en projets de son devenir scolaire et professionnel.
bull2.gif (117 octets)  RESISTANCES BIEN CACHEES : Mais n'y a-t-il pas réel danger dans la conception du PROJET, vidée de tout sens éducatif et citoyen, telle que présentée par une pédagogie traditionnelle toujours aussi bien en cour ?
bull2.gif (117 octets)  Bien qu’inscrite dans les textes officiels, la pédagogie de projet, transversale, bousculante, voire révolutionnaire, inquiète manifestement. Marginalisée par les décideurs elle reste délaissée par la majorité des enseignants. Derrière des résistances rationnellement revendiquées n’en est-il de plus inconscientes, au moins aussi vives ?
bull2.gif (117 octets)  Prégnance du seul shéma souvent connu : magistral et se référant à des modèles. Crainte, justifiée mais rarement exprimée, de s’alourdir parfois considérablement la tâche. Mais aussi, consciente ou non, chez trop de collègues à qui l’expérience passée d’enseignant-expositif et d’enseigné-réceptacle ne fournit pas assez de vécus différents, de ne savoir assumer une classe organisée ‘’par ateliers’’.
bull2.gif (117 octets)  Autre crainte, bien cachée aussi chez nombre d’enseignants, de se voir ‘’dépassés’’ ou, s’aventurant en des domaines mal connus, de devoir assumer un quelconque défaut de connaissance face aux élèves… Exprimée parfois comme le risque de devoir ‘’passer sous la table’’ ou d’avoir à ‘’avaler son chapeau’’ : en fait d’être amené à admettre sa méconnaissance de tel ou tel aspect d’un problème, elle paralyse encore beaucoup de collègues. ‘’Je n’en suis pas sûr ; si nous cherchions ensemble qui pourrait nous renseigner ?…‘’ reste pour trop d’entre eux le pire désaveu.
bull2.gif (117 octets)  Refusant de se risquer hors des domaines bien balisées de leurs savoirs de base, ils trouvent toujours les meilleures raisons pédagogiques du monde pour ne point se hasarder dans le relatif imprévu que présente toute aventure de projet.
bull2.gif (117 octets)  A ce niveau peut-être pourrait-on, pour si peu qu'une référence à l'international puisse ébranler ces vieilles pesanteurs, se réclamer de l'analyse faite par Alexandra BAXTER pour la revue ‘’L’ENSEIGNANT’’ -N° 104- du rapport de l'UNESCO sur l'Education :
"La commission a identifié quatre "piliers" pour l'éducation : apprendre à connaître, apprendre à faire, apprendre à être, apprendre à vivre ensemble.
"La scolarité traditionnelle inclut normalement : "apprendre à connaître", un peu moins "apprendre à faire", sauf dans les disciplines appliquées ou la formation proprement technique et professionnelle. Pour "apprendre à être", c'est à dire faire s'épanouir les talents de chacun, scolaires ou pas, elle le fait mal, voire pas du tout. Il en va de même pour "apprendre à vivre ensemble". Pourtant c'est le coeur même de toute société, son centre vital ..."
bull2.gif (117 octets)  S’il fallait le souligner encore : notre démarche coopérative du projet s'appuie sur chacun de ces piliers.