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La problématique de notre recherche s’inscrit dans une réflexion tournée vers la formation d’enseignants. Nous avons travaillé à partir d’observations et de récits de faits violents ou vécus comme tels, ou bien encore pouvant le devenir, en situation de classe. Nous nous sommes largement inspirés de la définition de la situation initiale antérieure au fight-flight, chère aux techniques de l’ethnométhodologie. Nous avons pu observer que la structure de classe regroupe des paramètres susceptibles de faire dégénérer la situation initialement stable.
Nous nous sommes donc posés la question de savoir s’il était possible de mettre en place un dispositif répondant ou prévenant ce type de “ déflagrations ”.
Notre première hypothèse était celle d’une architecture des conflits de situation de classe déflagrantes. Celle-ci nous a conduits à établir qu’il était indispensable de repérer les points forts de cette structure dans plusieurs spirales que nous allions analyser. Un tel repérage devait aussi permettre aux acteurs de prévenir d’autres situations et ainsi composer une des réponses à la situation violente.
A partir de 140 témoignages et d’une centaine de jeux de rôles, nous avons pu mettre à jour les flagrances de la spirale ainsi qu’un processus ternaire qui semblait se reproduire d’une spirale à l’autre.
Nous présentons ici quelques-unes des flagrances qui sont apparues de manière récurrente dans les analyses :
L’effet MAGMA, cette volonté de sortir de l’ombre par n’importe quel geste, n’importe quel fait, parole ou pollution dont l’unique fonction est d’attirer l’attention du groupe ou de son principal gérant.
L’effet DUEL, volonté de “ boucler ” à deux la communication, souvent entre élève et professeur ; de toutes les manières entre un élève et celui ou celle qui a, dans le groupe, un statut particulier.
L’effet MEDIA, corollaire du précédent, volonté de se faire voir, de se montrer aux yeux des autres, comme étant différent et bien présent.
L’incarnation de l’angoisse de DEVORATION. Dévorer par le silence ou le bruit, le regard ou la parole, l’excès d’attention ou l’affectif, le déplacement …
L’angoisse d’ABANDON, négatif de la précédente consiste à abandonner pour éprouver l’autre, pour mieux lui signifier sa dépendance.
Une gestion difficile de l’ESPACE-TEMPS. Entre un temps qui semble s’accélérer et où tout semble se bousculer dans la phase de fulgurance et une espace, quelquefois devenu trop étroit, subi ou âprement défendu, une sphère violée, la gestion qui est faite de la situation est caractéristique du moment violent.
Ces éléments récurrents des spirales s’organisent à l’intérieur d’une structure stable des fight-flight. Nous avons repéré trois phases principales dans cette architecture :
Une recherche d’existence se caractérisant par une quête identitaire.
Des mises en scène exagérées, la considération de l’autre comme objet à utiliser, voire à détruire, une défense paranoïaque du territoire et du patrimoine en sont les principales manifestations.
Un premier glissement s’opère alors, et l’individu passe de la phase de quête identitaire à une phase de demande de sens. Il semble que l’individu, en quête conjoncturelle d’identité ou de référents identitaires, va demander énormément de sens à la situation. La situation inter-individuelle de communication de classe, la posture d’apprenant, ou le savoir lui-même, vont ou ne vont pas faire sens.
- Une recherche de sens caractérisée par un désintérêt pour la connaissance, l’apprentissage ou la situation elle-même.
L’on sait combien ce rapport au savoir est un rapport au monde et un rapport à l’autre. L’être violent a un rapport au savoir pollué par un ou plusieurs échecs, par une difficulté à accepter cet autre que le savoir représente ou par un défaut tout aussi passager ou récurrent, le défaut d’intérêt immédiat pour le savoir dispensé dans la situation. La posture apparaît également éprouvante. En quoi le geste d’apprendre peut-il faire sens dans la situation scolaire ? Apprendre nécessite une allégeance et une prise de risques. Dans le moyen et le long terme, il est souvent difficile, pour l’élève, d’entrer dans cette démarche et de la finaliser autrement que par la note. D’autant que ce face à face entre celui qui sait et celui qui ne sait pas s’organise dans un réseau pollué de luttes de pouvoirs, de suspicion, de tendresse, de rejets et d’attraits de la relation humaine, inévitables et nécessaires à la relation d’apprentissage.
Un second passage amène alors l’individu en recherche de sens, à devenir violent.
Plusieurs processus semblent régir ce passage :
. Un processus auto-punitif qui amène l’individu à basculer dans la violence pour échapper en quelque sorte au suicide, à l’abandon, à la dépression ou à la soumission
. Un second processus hétéro-punitif où le surmoi de l’enfant apparaît comme étant plus faible que celui d’un enfant prototypiquement bien élevé.
. Un processus socio-référé qui présente la violence comme une réponse socialement banalisée.
. Un processus d’auto-présentation identitaire qui amène l’individu à se présenter à l’autre comme quelqu’un de violent.
Une phase de fulgurance, d’immédiateté, caractérisée par une grande difficulté à gérer la fulgurance, des transgressions et des altérations du rapport à l’autre.
Cette dernière partie des spirales est, de fait, la plus marquante. C’est cette phase qui caractérise la situation au sens où c’est de celle-ci que les protagonistes se souviennent et c’est à son propos qu’ils parlent de violence.
Nous avons alors repris nos observations et analyses à la lumière des réflexions et pratiques de trois pédagogues Johann Heinrich PESTALOZZI, Giovanni Melchiore BOSCO et Antonn Sémionovitch MAKARENKO. Tous les trois ont fait le pari d’éducabilité face à des publics déscolarisés en grande difficulté et souvent délinquants.
Forts des divers enseignements de ces trois auteurs, nous avons commencé à dessiner les fondements d’une pratique pédagogique attentive à l’identité. Les trois piliers de cette pédagogie pourraient être la confiance, l’identité et le sens.
- La CONFIANCE d’abord. De l’amorevolezza, cette attention et cette présence prévenantes de Pestalozzi à l’hypothèse positive sur l’autre que formule en permanence le pédagogue russe Makarenko, la confiance semble bien être le point de départ de toute situation d’apprentissage. Elle nécessite, à l’évidence, outre la prise en compte d’une déception toujours possible, la définition de la situation de classe, des limites et des attentes portées par les règles et individus de cette situation.
- L’IDENTITE ensuite. C’est le lieu d’une triple travail de chacun, élève ou professeur. Un travail permanent de l’image et de la manière dont s’actualise l’image à l’intérieur du cadre scolaire, un travail sur sa valorisation ; un second travail sur soi, sa biologie et son engagement responsable, la manière de “ faire œuvre de soi-même ” ; et un troisième travail sur l’autre et le groupe, la notion d’appartenance, d’échange, d’identité collective.
- Le SENS enfin. Cette troisième dimension inclut une gestion pertinente de la communication de classe, une gestion appropriée de l’événement et en particulier de l’imprévu et une gestion efficace de la prévention et de la réponse à la situation violente. Les spirales de violence ne sont que des récits dont il convient de tracer la trame narrative pour s’en décoller et ainsi apprendre à gérer sa propre violence.
Cette recherche a permis, auprès de plusieurs centaines d’étudiants et d’enseignants de tous les niveaux d’enseignements en formation, de mettre à plat les pratiques, les entrées et probables sorties de spirales de violence. La dimension préventive reste cependant le principal investissement de ces travaux et c’est en ce sens qu’ils peuvent participer à une formation d’enseignants.
MOTS CLES : VIOLENCE, IDENTITE, CONFIANCE, SENS
DOMAINE de la FORMATION des ENSEIGNANTS et des TRAVAILLEURS SOCIAUX
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