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Lors de la quatrième biennale de l’éducation, nous avions abordé la question de l’éducation sous mandat judiciaire, à partir de deux expériences, sous l’appellation “ centre de jour ”, qui se sont succédées entre 1985 et 1998 au sein de la Protection Judiciaire de la Jeunesse .
Cette étude rétrospective mettait en évidence le passage historiquement daté d’un système éducatif sous mandat judiciaire, fermé sur lui-même, vers un système partenarial pluri-institutionnel, dans lequel l’Education Nationale et la Protection Judiciaire de la Jeunesse se retrouvaient autour d’une mission partagée, voire conjointe : la prise en charge de jeunes aux problématiques multiples, en grande détresse et soumis à l’obligation scolaire . Dès lors les classes relais étaient nées.
L’apparition des classes relais, dont la conceptualisation incombe en grande partie à la PJJ, a conduit les personnels qui s’y sont investis, à réfléchir évidemment à leurs pratiques professionnelles, et de façon concomitante, à leur métier et à leur identité professionnelle.
Interrogés par leur hiérarchie sur leur pratique et leur activité et bousculés par des jeunes adolescents ou pré-adolescents aux comportements perturbants et pour le moins interpellants, ces éducateurs et enseignants ont été amenés à adapter leur pédagogie en tenant compte de l’environnement professionnel. Confrontés à un quotidien difficile, ils ont du aussi s’adapter à un cadre institutionnel imposé par l’administration, soucieuse de régularité statutaire et de légalisme parfois éloigné des objectifs fondateurs de la classe relais.
Les classes relais rebaptisées "dispositifs relais", connaissent un développement massif à l'instigation du ministère de l'Education Nationale. La Protection Judiciaire de la Jeunesse y est le plus souvent associé.
Pour faire face à la réalisation de cet objectif ambitieux, dans un contexte où l’Education Nationale se trouve enserrée entre une massification de ses prises en charge ( 80% d’une classe d’âge au bac) et des structures pédagogiques statiques, les pionniers initiateurs des classes relais ont été une source d’inspiration pour les politiques. Ceux ci se sont emparer de ces expériences et innovations pour la promotion d’un message où ils apparaissent fortement mobilisé par la prise en compte des phénomènes de l’exclusion et de la violence à l’école ; d’où la décision de développer les classes relais à un rythme soutenu que nous interrogerons.
Le ministère dans sa circulaire du 18 Juin 1998, en application des décisions du Conseil de Sécurité Intérieur de janvier 1999 incite à la création de dispositifs relais :
" Il faut recréer pour les élèves concernés, grâce à un accueil temporaire spécifique, les conditions d'une réinsertion effective, la plus rapide possible, dans une classe ordinaire de formation".
Nous nous emploierons à mesurer le décalage, l’écart, la contradiction entre la situation existante et une situation jugée souhaitable et conforme au sens donné a l’ouverture des classes relais par les initiateurs.
L’enjeu des dispositifs relais repose sur le postulat de l'éducabilité du jeune et sur les changements de posture de l'adulte qui sans dissocier les objectifs de socialisation, de ceux d’apprentissages doit redonner un sens au vécu scolaire.
Ce postulat se heurte au positionnement du collège. Dans le système éducatif français, le collège demeure la réponse unique , tronc commun incontournable, où des jeunes en rupture ou perturbateurs y restent affectés, afin d'éviter leur mise à l’écart et par delà leur stigmatisation.
De ce fait, il existe sur tous les lieux d'implantation des classes relais, une tension forte entre les intentions intégratives et le rôle de contrôle social qu'on veut leur faire jouer dans le cadre d'une relégation.
Les apports de la Classe relais consistent à :
aider les élèves en voie de désinsertion, en élaborant un projet personnel, en consolidant leurs connaissances de base et en leur donnant des repères à des fins de réappropriation des normes de la vie sociale.
les accompagner dans leur désir exprimé de rescolarisation grâce à une structure intermédiaire qui leur donne le temps de reprendre confiance en eux-mêmes, retrouver une place au sein d'un groupe, se réconcilier avec les normes afin de pouvoir envisager une réinsertion sociale et professionnelle.
Ces apports s’apparentent à des solutions de recours à l’urgence et jouent le rôle de tiers régulateur pour l'institution scolaire.
Mais quelle est l'implication réelle de la communauté éducative et de ses instances dirigeantes dans la diffusion de ces dispositifs?
Actuellement, dans une phase de pré-enquête, concernant le public accueilli, on peut dire que la plus part des élèves n'ont pas intégrés la loi bien que l’ayant rencontrée dans leur établissement d'origine ; souvent ils ne présupposent même pas que cette loi puisse s'appliquer à eux.
Dans la classe relais, le cadre défini par le règlement intérieur, plus clairement explicité que dans une classe standard, toujours posé et appliqué, permet au jeune de rencontrer des limites élaborées par le collectif, de ce fait plus compréhensibles et parfois contractualisées.
L’importance qui est donnée à l'écoute et à la médiation pour faire circuler la parole et réguler les relations, la mise en valeur des actions individuelles, la valorisation des réussites conduisent à une amélioration des représentations de l'image que les élèves ont d'eux-mêmes.
Ainsi, il leur est donnée l’occasion de faire une rupture et d’amorcer un changement en dehors du regard de leurs pairs. Mais, une fois réintégrés dans leur établissement scolaire sont-ils en retour, considérés différemment par les adultes enseignants ?
Les avis des personnels affectés sur ces structures sont divers.
Pour les uns, la mise à l'écart de l’élève serait un temps décalé nécessaire pour une reconstruction . Une nouvelle pédagogie s’élaborerait, appelée à infléchir l’approche de ce public par l'Education Nationale préfigurant un nouveau modèle éducatif possible.
La volonté de laisser souffler le jeune et l'adulte ferait évoluer le comportement du premier, et les pratiques du second.
Pour d'autres, la relégation de ces jeunes, contraire à une intégration scolaire, permet aux équipes de se séparer des indisciplinés ou rebelles à l’institution scolaire. En classe relais, un jeune connaîtrait alors une situation à la sortie, aggravée par son inscription dans une filière d’exclusion. Sa situation terminale serait, au plan des acquis scolaires et sociaux plus défavorable que celle qui avait initialement motivé son admission.
Nous nous efforçons d’interroger cette réalité plus complexe et plus nuancée que ci-dessus énoncé.
Aussi, nous avons posé pour cela le cadre méthodologique suivant :
A partir de témoignages de professionnels, de statuts différents œuvrant en Ile de France dans les dispositifs relais, nous dégagerons les principaux positionnements administratifs les compétences professionnelles requises et mises en œuvre ainsi que l'adéquation de l'exécution des actions au regard des missions de chaque partenaires. Dans le contexte d'une prise en charge pluridisciplinaire nous ferons ressortir ensuite les références qui sous-tendent ces dispositifs.
D'autre part, à partir d’un support statistique portant sur les populations accueillies, nous présenterons les principales caractéristiques et positions du public concerné au regard de la loi, de la scolarité, des finalités éducatives, d'apprentissages et d'insertion sociale affichés par les promoteurs institutionnels.
Ces deux entrées permettront de mettre en évidence si on est en présence d’une mutation du système éducatif qui reprendrait dans un traitement systématique les problématiques des jeunes dans un apprentissage citoyen, ou d’une simple adaptation du contrôle social dans laquelle l'intervention de l'éducateur de justice (PJJ) contribue à la judiciarisation de la prise en charge dans les dispositifs relais concomitamment à une banalisation de l’intervention éducative fondée par nature sur le mandat judiciaire individuel.
Pour cela, nous interrogerons les praticiens et les textes officiels selon trois axes afin de définir
les réalités quotidiennes qui émergent du projet pédagogique élaborés par les encadrants des classes relais
les représentations que s’en font les jeunes concernés, les institutions, la presse écrite.
les éventuelles distorsions entre ces trois niveaux.
Nous procéderons :
A des entretiens auprès des acteurs en abordant :
- leur position administrative,
- les références théoriques des projets pédagogiques,
- les positionnement face à l’innovation et à l’expérimentation,
- le fonctionnement dans la classe relais,
- les difficultés rencontrées.
L’enquête sous forme d’entretien s’orientera autour de deux pôles ; elle décrira par l’exploration des projets de service, des outils, des conventions et l’explicitation orale des méthodes de travail ;d’autre part elle donnera des éléments quantitatifs par le recueil d’information sur les mêmes items.
Il sera établi une distinction entre savoir local et savoir global .
L’échantillon représentatif d’une vingtaine de personnes sera défini à partir des catégories professionnelles des intervenants : personnels enseignants, personnels éducatifs ( PJJ, ASE, autres )
La grille et le plan d’entretien seront testés sur six personnes .
Nous procéderons en suite :
A l’analyse documentaire d’un double corpus regroupant l’ensemble de textes officiels et des articles de presse. Il sera pris en compte leur chronologie, leur nature ainsi que la recherche des thèmes récurrents concernant le public accueilli, les enseignants, les éducateurs, le contenu du partenariat, la réglementation et la recherche des mots clé dans leur environnement et leur utilisation.
L’analyse documentaire se découpera en quatre parties pour aboutir à l’énoncé des hypothèses et des objectifs :
une introduction à partir d’une lecture flottante des projets de services, des textes officiels, des conventions, de la presse.
une pré-analyse sur les types de communications officielles qui existent sur les classes relais .
Les indicateurs porteront sur le nombre de personnel, de jeunes , l’âge des jeunes, leur sexe, leur niveau à l’entrer dans les dispositifs, la duré moyenne de présence, le taux de rescolarisation, l’activité du service, l’estimation des besoins, les propositions de réponses aux besoins exprimés, par l’institution et les acteurs locaux.
Les indices sont repérés en superposant dans un premier temps les énoncés des acteurs et les textes publiés par les institutions puis en relevants les distorsions, enfin en dégageant des thèmes (en tant que noyaux de sens, objet autour duquel s’organise le discours, événement, unité de contexte, type de document, personnage) de glissement : des objectifs, des règlements des fonctionnements, des moyens.
un analyse des documents que nous avons retenus : supports écrits de type administratifs, réglementaires et législatifs, sur le sujet ou en périphérie, en fonction de leur pertinence .
Avec une grille de lecture de repérage lexical, nous rechercherons les différents registres pédagogiques, judiciaires, sécuritaire et d’exclusion , ainsi que les thématiques abordées.
La formulation des hypothèses et des objectifs : les textes traduisent , à la fois les convictions et les valeurs des animateurs des classes relais, et les projets locaux partenariaux.
Il conviendra en suite de mettre en évidence le décalage entre la représentation du concept classe relais par les acteurs de terrain et par l’Education Nationale dans la définition et l’organisation structurante qu’elle en fait.
Nous distinguerons deux inférences spécifiques à effectuer à partir des résultats :
- L’autorité administrative détourne-t-elle à son profit l’expérimentation de terrain en catégorisant son public ?
- L’unité classe relais, pionnière dans un environnement locale traditionnel, prend-elle en compte l’individu global, être à éduquer et tente-t-elle d’inverser le processus d’exclusion en processus d’intégration ?
L’instauration de dispositifs relais impliquerait une rupture avec les modes opératoires référencés à la classification des individus pour réfléchir au traitement global de situations qui ont conduit à l’exclusion aux fins d’imaginer pour chaque élève perdu par l’école un processus nouveau qui permettrait son intégration voire sa réinsertion.
L’admission et l’inscription d’un jeune en classe relais sortiraient d’une logique classificatoire pour traiter en interaction les composantes de sa personne, ses environnements et ses habitudes de vie.
Les premiers résultats de cette étude confortent, parmi les hypothèses énoncées , celles d’une dérive vers une relégation par catégorisation des jeunes orientés en dispositif relais dans une démarche classificatrice essentiellement centrée autour des comportements, induite par les positions des institutions, alors que dans le même temps des enseignants et des éducateurs interviennent sur chaque sujet , au quotidien en recherchant des processus favorisant son intégration.
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