Selon de nombreux auteurs, la pédagogie du projet représente une avancée décisive dans l'organisation pédagogique, à condition de respecter les exigences méthodologiques indispensables à son efficacité.
  Le projet-élèves est défini ici comme une "action se concrétisant dans la fabrication d'un produit socialisable valorisant, qui en même temps qu'elle transforme le milieu transforme aussi l'identité de son auteur".
  La pédagogie du projet-élèves est une pratique de formation complexe, pavée d'incertitudes. La réalisation d'un projet fait surgir maints imprévus que l'équipe pédagogique doit gérer dynamiquement en cohérence avec ses objectifs. Mieux comprendre cette pratique passait par l'analyse de l'activité réelle qu'elle génère à la fois chez les formés et chez les formateurs.
  La modélisation présentée ici est un des résultats d'une recherche sur la pratique du projet-élèves dans les classes technologiques agricoles, particulièrement auprès de trois équipes pédagogiques pluri-disciplinaires.
  Cette recherche a permis d'identifier trois types de moments qui s'articulent dans un projet-élèves, programmés par le projet pédagogique de l'équipe de formateurs. Ces trois moments ont été qualifiés de :
1 - LE TEMPS DE REALISATION.
  Le projet étant avant tout une réalisation concrète socialisable. Ce que j'appelle le temps de réalisation revient le plus fréquemment.
  Le projet est défini ; un calendrier a été établi ; des engagements ont été pris. Il convient de passer à la réalisation, laquelle suppose l'exécution d'un certain nombre de tâches. Certaines de ces tâches, les plus importantes, peuvent concerner le grand groupe.
  La réalisation du projet étant bien lancée, plusieurs tâches devront être menées parallèlement si on ne veut pas consommer trop de temps.
  Le projet se décompose alors en sous-projets que conduiront des petits groupes d'élèves. Le projet peut même se décomposer jusqu'en de micro-projets qui seront menés à bien par des individus.
  En se ramifiant ainsi la réalisation du projet rendra indispensable une véritable responsabilisation des acteurs. Lorsque les formés maîtrisent de mieux en mieux la démarche de projet, le "temps de réalisation" devient véritablement le lieu de l'autonomie (au sens où l'on tend J.VASSILEFF) (10) et de la responsabilité collective (dans les petits groupes) et individuelle.
  Ce temps de réalisation fait généralement appel à la démarche déductive, du savoir théorique, construit avant la réalisation, au savoir d'action. Ici est favorisée plutôt l'acquisition de savoir-être (savoir travailler en équipe, savoir exercer des responsabilités seul, ne pas se décourager, prendre des initiatives, se concentrer...) de savoir-faire, de compétences qui devront être portés à la conscience des apprenants. Dans ce temps le formateur est un formateur-recours susceptible d'intervenir en relation d'aide.
  Une dérive est possible que je qualifierai de "productiviste". Elle intervient si la finalité exclusive du projet est sa réalisation.
2 - LE TEMPS DIDACTIQUE.
  L'objectif de la pédagogie du projet-élèves n'est pas seulement de "faire pour de bon", c'est d'installer chez les apprenants des savoirs de haut niveau favorisant une intelligibilité du réel.
  C'est tout l'enjeu de ce temps didactique que d'installer grâce à la dynamique du projet, qui en éclaire le sens, ces savoirs théoriques. Ici la démarche est essentiellement inductive et va de l'acte à la pensée comme l'affirme H.WALLON (12) pour retourner ensuite à l'acte et le rendre plus efficace.
  Le projet en cours d'exécution fait apparaître que tel savoir est à portée d'entendement des acteurs ou que sa réalisation suppose la maîtrise de tel concept. Nous sommes dans une situation-problème "naturelle" surgie dans l'action.
  Le formateur (ou l'équipe pédagogique) se doit alors de bâtir une situation didactique qui favorisera l'acquisition du savoir théorique en question. Le formateur est alors en situation de "Magister" qui a un savoir à transmettre. Pour se faire il pourra constituer des petits groupes d'apprentissage au sens où l'entend Ph.MEIRIEU (8), sur 1, 2, 3 heures pour que les différentes stratégies de résolution du problème rencontré se confrontent et s'enrichissent. Cela peut aller jusqu'à mettre en place, ce que nous appelons au G.F.E.N. une démarche de construction de savoir articulant plusieurs situations-problèmes.
  Ce temps didactique suppose de la part de l'équipe pédagogique une lecture problématisante de ses programmes dégageant les objectifs cognitifs essentiels, pourquoi pas transdisciplinaires, et une faculté à mettre en relation le déroulement du projet et ces savoirs théoriques incontournables.
  Une dérive à éviter ici est celle de l' "alibi". L'essentiel reste les connaissances à acquérir, le projet n'est plus qu'un leurre pour mettre l'apprenant en appétit. Peu importe après tout si le projet ne va pas jusqu'à son terme. Il suffit que les élèves aient mordu à l'hameçon. Mais..., dépités, piégés, les jeunes ne seront plus prêts à s'engager dans une autre entreprise. Ils retourneront à leur passivité docile, à leur désintérêt, ou à leur chahut.
3 - LE TEMPS PEDAGOGIQUE.
  La clef de voûte de la pédagogie du projet-élèves est le temps pédagogique qui va éclairer et donner du sens au temps de réalisation et au temps didactique.
  Ce temps pédagogique est un moment de (co)-gestion coopérative au cours duquel formateurs et formés sont complices. Le formateur est alors un pédagogue qui gère le relationnel et le méta-cognitif et non un magister qui instruit.
  La finalité de ce temps pédagogique est triple :
- Favoriser l'émergence d'images de soi (plus) positives en conceptualisant les réussites du projet.
- Asseoir par une analyse réflexive les compétences et les savoirs théoriques construits dans l'action. C'est ici que se transforme le rapport au savoir et que s'explicite le sens de ce savoir.
- Construire sa citoyenneté à travers la gestion coopérative du projet par le dépassement, dans un esprit de solidarité et de coopération, des problèmes rencontrés.
  Ce temps pédagogique incontournable concerne :
- La mise en place du projet, la "situation inductrice" au cours de laquelle la dynamique projective doit naître, tout en explicitant le contrat pédagogique et en fixant un calendrier.
- Des réunions régulières de co-gestion du projet.
- Des réunions de relance lorsque la dynamique initiale s'essouffle.
- Un bilan final du projet pointant et renforçant les acquisitions de chacun.
  Signalons toutefois un risque de dérive "psychologisante" qui survient à force de trop s'épancher sur soi, de déballer ses états d'âme, si l'affectif prend le pas sur le cognitif ou si le formateur commence à adopter des postures de thérapeute...
  La conceptualisation de ces trois moments aux fonctions complémentaires peut être une aide à la maîtrise de cette pratique exigeante qu'est la Pédagogie du Projet-Elèves
  Elle est susceptible de permettre aux enseignants et formateurs d'exercer cette pédagogie avec une plus grande efficacité, en étant conscients d'exigences méthodologiques incontournables.
  Cette recherche ouvre des perspectives intéressantes en matière de professionnalisation des formateurs.
  On appellera professionnalisation "un processus de construction d'un ensemble de compétences permettant de maîtriser les situations spécifiques à une profession".
  Il va de soi que le projet-élèves n'est qu'une situation professionnelle du formateur parmi d'autres.
  Les avancées théoriques permises par cette recherche ne doivent pas évidemment faire l'objet d'un apport magistral en formation initiale ou continue. Elles doivent être introduites "en situation" articulées à une pratique réelle de la pédagogie du projet-élèves, dans le prolongement d'une analyse de cette activité par les acteurs eux-mêmes.
  BIBLIOGRAPHIE.
(1) ALTET Marguerite LES PEDAGOGIES DE L'APPRENTISSAGE PUF. PARIS 1997.
(2) BARBIER Jean-Marie ELABORATION DE PROJETS D'ACTION ET PLANIFICATION. PUF : Coll. "Pédagogie d'aujourd'hui". PARIS 1991.
(3) BOUTINET Jean-Pierre ANTHROPOLOGIE DU PROJET. PUF : Coll "Psychologie d'aujourd'hui". PARIS 1990.
(4) BRU Marc / NOT Louis (sous la direction de) Où VA LA PEDAGOGIE DU PROJET ? Coll. "Recherches et pratiques éducatives". PRESSES UNIVERSITAIRES DU SUD. TOULOUSE 1987.
(5) G.F.E.N. AGIR ENSEMBLE A L'ECOLE, AUJOURD'HUI LA PEDAGOGIE DU PROJET. Sous la direction de : Philippe WUCHNER, Françoise PAYEN et Michel HUBER. CASTERMAN : Coll : "E3". PARIS 1982.
(6) HUBER Michel APPRENDRE EN PROJETS, LA PEDAGOGIE DU PROJET-ELEVES. CHRONIQUE SOCIALE. LYON 1999.
(7) LE GRAIN LE DEFI PEDAGOGIQUE : CONSTRUIRE UNE PEDAGOGIE POPULAIRE ! BRUXELLES 1989.
(8) MEIRIEU Philippe ITINERAIRE DES PEDAGOGIES DE GROUPE, APPRENDRE EN GROUPE I. CHRONIQUE SOCIALE. LYON 6ème éd.1996. OUTILS POUR APPRENDRE EN GROUPE, APPRENDRE EN GROUPE II. CHRONIQUE SOCIALE. LYON 6ème éd.1996.
(9) SAINT-ARNAUD Yves CONNAITRE PAR L'ACTION. UNIVERSITE DE MONTREAL. MONTREAL 1992.
(10) VASSILEF Jean LA PEDAGOGIE DU PROJET EN FORMATION JEUNES ET ADULTES. CHRONIQUE SOCIALE. LYON 1985.
(11) VIAL Jean PEDAGOGIE DU PROJET. INRP. PARIS 1975.
(12) WALLON Henri DE L'ACTE A LA PENSEE. FLAMMARION - PARIS 1942.