Biennale 5 |
DOPAGE : Evaluation en logique floue des contextes à risque. Auteur(s) : GUY Daniel, BOURNIER Fabienne |
retour au résumé Les spécialistes s’accordent unanimement sur un point, le dopage est un concept difficile à définir. Faut-il le réduire à la prise de produits interdits ? C’est une définition opérationnelle qui sous-tend la politique des contrôles, mais les nouveaux produits, faute d’être démasqués, ne sont pas encore interdits... Devrions-nous alors nous résoudre à ne prendre en compte que son impact sur la santé en dehors de toute question morale ? C’est un point de vue qui a de nombreux partisans, mais la pratique du sport de haut niveau n’est-elle pas, en elle-même, préjudiciable à la santé ? Par ailleurs, comment considérer la consommation régulière de boissons énergisantes ou la médicalisation d’un coup de fatigue ? A priori, ce ne sont pas des cas de dopage. Pourtant, l’éducateur sportif pourra considérer avec quelques raisons que ce type de conduites est partiellement compatible avec le concept de dopage. De fait, les frontières ne sont pas nettes. Tel est notre point de départ.
En demandant aux 24 experts de juger chacun subjectivement le degré de compatibilité (vs. d’incompatibilité) des 16 conduites retenues dans l’ensemble de référence C, on obtient 24 sous-ensembles flous représentés par le tableau 1.
tableau 1 Chaque cellule du tableau 1 indique la valuation du degré de compatibilité avec le concept de dopage d’une conduite Cj par un expert Ei. Le complément à 1 du degré de compatibilité permet de déduire le degré d’incompatibilité. Ainsi, la valeur de la cellule (E10, C3) signifie que le degré de compatibilité avec le concept de dopage de la conduite “ boire régulièrement des boissons énergisantes” est estimé par l’expert N°10 à 0,6 (6/10). 0,4 pour le degré d’incompatibilité. Chaque ligne du tableau correspond à un sous-ensemble flou qui représente le jugement personnel par un expert des 16 conduites de l’ensemble de référence C. Chacun des sous-ensembles flous ainsi définis peut être caractérisé par son support et son noyau. Le support est égal à l’ensemble des conduites dont le degré de compatibilité avec le concept de dopage est strictement supérieur à 0. Le noyau est défini par l’ensemble des conduites dont le degré d’appartenance est égal à 1.La discussion de ces valeurs offre un premier point d’appui solide à l’interprétation des données. Une première lecture rapide montre que la possibilité offerte aux experts de nuancer leur jugement a été largement utilisée, mais elle montre aussi des variations non négligeables de l’un à l’autre. Dès lors quelle(s) valeur(s) retenir ? Comment agréger les données ? C’est a priori une opération de routine qui relève de la statistique. Certes, mais la statistique n’épuise pas le problème. Plusieurs attitudes sont possibles, et dès lors le choix de l’une d’entre elles relève d’un principe politique de décision comme l’illustre la discussion des trois attitudes de base. 1 ère attitude : Pour chacune des 16 conduites, le principe de précaution retient parmi les 24 estimations des experts la valuation maximale. Le principe de précaution traduit la volonté politique d’écarter toute possibilité de minorer l’évaluation du risque potentiel d’une conduite de préparation. En retenant l’indice le plus défavorable, le politique se donne ici les moyens d’une politique de prévention efficace. Cette attitude paraît très raisonnable. Pourtant, elle n’est pas entièrement satisfaisante car elle est fondée sur les valeurs extrêmes de la distribution. Ainsi, est-il vraiment pertinent de retenir 0,8 comme degré de compatibilité avec le concept de dopage pour la recherche d’un équilibre alimentaire ? Ne courons-nous pas alors le risque de discréditer toute politique de prévention fondée sur une valeur aberrante ou erronnée ? 2 ième attitude : Le principe de certitude retient au contraire la valeur minimale de la distribution. Dans ce cas de figure, nous sommes alors certain que pour tous les juges la valuation du degré d’appartenance de la conduite considérée est au moins égale ou supérieure à l’indice retenu. Cette attitude, comme la précédente, ne retient que les valeurs extrêmes. Mais dans ce cas, le risque est systématiquement minoré. Pari risqué en matière de prévention. 3 ième attitude : Le principe de représentativité est fondé sur une approche probabiliste du problème. Nous pouvons calculer la probabilité que le degré de compatibilité avec le concept de dopage de chaque conduite de l’ensemble C soit supérieur ou égal à chacune des 11 valeurs de l’échelle endécadaire que nous nous sommes données de 0 à 1. On construit ainsi sur C un sous-ensemble flou aléatoire. Cela revient à prendre la loi cumulée complémentaire de la statisque des degrés de compatibilité effectuée pour chaque conduite C.
tableau 2 Chaque valeur du tableau 2 est une mesure de l’assertibilité que l’observateur accorde à chacun des degrés de l’échelle pour caractériser, conduite par conduite, le corps de connaissance du groupe d’experts. Ainsi, la cellule (C9, 0,5) indique que 83% des experts s’accordent à juger que “ le degré de compatibilité de la médicalisation des coups de fatigue avec le concept de dopage est supérieur ou égal à 0,5 ”. Afin de faciliter la lecture des données, nous allons en proposer une représentation graphique. Pour des raisons de place, nous limiterons à deux conduites notre illustration. Conduite C1 “ rechercher un équilibre alimentaire ”. Graphique 1 Les 11 segments du graphique correspondent aux 11 valeurs de l’échelle des valuations du degré de compatibilité des conduites avec le concept de dopage. Les points d’intersection entre la courbe et chacun des 11 segments indiquent le degré d’assertibilité (la confiance) que nous pouvons avoir dans chacune des valuations. Le graphique 1 montre que la probabilité que les experts s’accordent à juger la “ recherche d’un équilibre alimentaire ” compatible avec le concept de dopage est relativement faible. Elle décroît d’autant plus rapidement que le degré de compatibilité augmente. Conduite C 9 “ Lutter contre les coups de fatigue en les médicalisant ” Graphique 2 Au contraire, le graphique 2 montre que la médicalisation des coups de fatigue est jugée beaucoup plus compatible avec le concept de dopage que la recherche d’un équilibre alimentaire. Intuitivement, nous pouvons interpréter ces deux graphiques en les comparant aux deux cas extrêmes que représentent une compatibilité totale, et à l’opposé, une incompatibilité totale. compatibilité totale incompatibilité totale Au-delà de l’expression graphique, support intuitif d’une raison sensible mobilisable dans l’action et donc d’un grand intérêt dans la perspective de l’aide à la décision en matière de prévention, nous pouvons calculer pour chaque conduite un indice de représentation de sa compatibilité avec le concept de dopage qui intègre à la fois les valuations des experts et la mesure de l’assertibilité que nous lui accordons. Ici, en cohérence avec l’ensemble de notre approche, nous définirons IRC par la somme des produits de chaque degré de l’échelle par son niveau de probabilité dans la loi cumulée complémentaire. C’est-à-dire la somme des produits des coordonnées de chacun des points du graphique. IRC varie de 0 (incompatibilité totale) à 5,5 (compatibilité totale). Par commodité de lecture, nous le multiplierons par 10. Dans les exemples que nous avons pris, il est égal à 8 pour la recherche d’un équilibre alimentaire et à 28 pour la médicalisation des coups de fatigue. Tant l’intérêt du calcul d’un tel indice, que son mode de calcul sont encore en débat dans notre équipe. En respectant le même protocole, nous sommes en train de construire un sous-ensemble flou aléatoire qui modélise la valuation par les 24 “ experts ” de contextes de fragilisation susceptibles de renforcer les facteurs de vulnérabilité individuels des sportifs face au dopage comme une progression qui stagne, des enjeux financiers trop démesurés ou encore les morsures de l’âge. Dans une troisième étape de la recherche, nous demanderons aux “ experts ” d’estimer le degré de risque induit par la mise en relation d’une conduite de préparation et d’une situation de fragilisation. A ce stade, notre travail sera guidé par l’hypothèse que très tôt des comportements relativement banalisés comme le recours aux boissons énergisantes associés à des contextes de fragilisation dessinent les conditions de possibilité du dopage par glissement progressif depuis les conduites de préparation les plus incompatibles avec le concept de dopage jusqu’aux conduites fortement compatibles. Au cours de cette étape, nous chercherons à modéliser l’opérateur de mise en relation qui a fondé le raisonnement des “ experts ”. C’est-à-dire que nous essaierons de rendre compte de la logique (ou des logiques) de composition des différents facteurs qui permet(tent) aux acteurs d’appréhender un contexte. Pour cela, nous essaierons de déterminer les opérateurs logiques à partir desquels, nous pourrons déduire les données de la troisième étape des résultats des deux premières. Dès que la modélisation des savoirs “ experts ” des acteurs de la préparation sportive sera stabilisée et fiable, nous les comparerons aux données empiriques et épidémiologiques disponibles sur les conduites de dopage. C’est à ce stade que la dimension éducative d’aide à la décision de cette recherche prendra tout son sens par la mise en tension de ces deux sources de savoirs. Quels sont les points de convergence ? Quelles sont les divergences ? Les contradictions ? Que savent les acteurs que ne savent pas les observateurs ? Que savent les observateurs qui échappent aux acteurs ? (1) Dans le domaine des mathématiques floues, Kaufmann distingue clairement la valuation de la mesure. “ La mesure est une connaissance objective ou doit être considérée comme telle. La valuation est une connaissance subjective d’une personne ou d’un groupe de personnes |